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Conseil d’Etat, 11 juillet 2008, n° 279923, Province des Iles Loyauté

Le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Dans le cas où la nullité du contrat résulte d’une faute de l’administration, il peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. A ce titre, il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l’exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par sa nullité, notamment le bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 279923

PROVINCE DES ILES LOYAUTE

M. Alban de Nervaux
Rapporteur

M. Nicolas Boulouis
Commissaire du gouvernement

Séance du 16 juin 2008
Lecture du 11 juillet 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 avril 2005 et 25 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la PROVINCE DES ILES LOYAUTE, dont le siège est Hôtel de la Province Nouvelle-Calédonie à Nouméa (98845) ; la PROVINCE DES ILES LOYAUTE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 24 janvier 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 2 décembre 1999 par lequel le tribunal administratif de Nouméa l’a condamnée à payer diverses sommes, au titre du déficit d’exploitation d’une concession de transport maritime, au profit de la société Compagnie Maritime des Iles, et a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de cette société à lui rembourser, à titre principal, la somme de 390 798 329 francs pacifiques et, subsidiairement, celle de 39 125 728 francs pacifiques ;

2°) statuant au fond, de rejeter les demandes de la société Compagnie Maritime des Iles et de la condamner à lui verser, à titre principal, la somme de 390 798 329 francs pacifiques et, à titre subsidiaire, la somme de 39 125 728 francs pacifiques, avec les intérêts de droit et leur capitalisation ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alban de Nervaux, Auditeur,

- les observations de la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat de la PROVINCE DES ILES LOYAUTE et de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de la compagnie maritime des iles,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la PROVINCE DES ILES LOYAUTES (Nouvelle-Calédonie) demande l’annulation de l’arrêt du 24 janvier 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 2 décembre 1999 par lequel le tribunal administratif de Nouméa l’a condamnée à payer des indemnités à la société Compagnie Maritime des Iles, au titre du déficit d’exploitation de conventions relatives au transport maritime de voyageurs passées avec cette société, et a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de cette société à lui rembourser à titre principal, la somme de 390 798 329 francs CFP et, subsidiairement, celle de 39 125 728 francs CFP ;.

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi :

Considérant que l’incompétence de l’autorité signataire d’un contrat entache de nullité ce contrat ; qu’un tel moyen, d’ordre public, doit être relevé d’office par le juge du contrat s’il ressort de son instruction ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Paris, saisie d’un litige relatif à l’exécution de conventions conclues entre la PROVINCE DES ILES LOYAUTES (Nouvelle-Calédonie) et la société Compagnie Maritime des Iles pour le transport maritime de voyageurs, a commis une erreur de droit en jugeant inopérante la circonstance que la PROVINCE DES ILES LOYAUTES n’aurait pas été compétente pour organiser un service de transport public d’intérêt territorial ; qu’il en résulte que LA PROVINCE DES ILES LOYAUTES est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’en vertu de l’article 9 de la loi du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998, le territoire est compétent pour les communications par voie maritime d’intérêt territorial ; qu’il résulte de l’instruction que les conventions litigieuses, conclues entre la PROVINCE DES ILES LOYAUTES et la société Compagnie Maritime des Iles, n’avaient pas pour objet l’exploitation d’une desserte maritime entre les seuls ports de cette province mais d’une desserte entre Nouméa et les différents ports de la PROVINCE DES ILES LOYAUTES ainsi que d’une desserte de l’île des Pins, rattachée à la province du Sud ; que, dans ces conditions, la desserte maritime objet des conventions litigieuses doit être regardée comme un service maritime d’intérêt territorial, que la PROVINCE DES ILES LOYAUTES n’avait compétence pour instituer ; qu’il en résulte que les conventions conclues entre la PROVINCE DES ILES LOYAUTES et la société Compagnie Maritime des Iles sont entachées de nullité ; qu’en raison de cette nullité, ces contrats n’ont pu faire naître d’obligation à la charge des parties ; que c’est dès lors à tort que le tribunal administratif de Nouméa a, sur un fondement contractuel, condamné la PROVINCE DES ILES LOYAUTES à payer des indemnités à la société Compagnie Maritime des Iles au titre du déficit d’exploitation de ces dessertes maritimes ;

Considérant, toutefois, que lorsque le juge, saisi d’un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d’office, la nullité du contrat, les cocontractants peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l’enrichissement sans cause que l’application du contrat frappé de nullité a apporté à l’un d’eux ou de la faute consistant, pour l’un d’eux, à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d’ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles ;

Considérant que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que, dans le cas où la nullité du contrat résulte d’une faute de l’administration, il peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration ; qu’à ce titre, il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l’exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par sa nullité, notamment le bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée ;

Considérant que la PROVINCE DES ILES LOYAUTES a commis une faute en concluant incompétemment les conventions litigieuses ; que la société Compagnie Maritime des Iles est fondée à demander, pour la première fois en appel, l’indemnisation du préjudice résultant pour elle de la faute ainsi commise, qui a entraîné la nullité des dites conventions ; qu’il résulte de l’instruction qu’il y a lieu de l’indemniser à ce titre des sommes représentatives de déficits d’exploitation réels constatés mensuellement dont les conventions déclarées nulles prévoyaient en principe la prise en charge par la PROVINCE DES ILES LOYAUTES ; qu’ainsi, la PROVINCE DES ILES LOYAUTES doit être condamnée à verser à la société Compagnie Maritime des Iles, sous réserve de la déduction, si elle a été payée, de la provision de 5 601 575 francs CFP allouée par une ordonnance de référé du 10 août 1999 du tribunal administratif de Nouméa, les sommes non contestées de 332 081 francs CFP au titre du mois de juin 1998, 23 542 587 francs CFP au titre du mois de janvier 1999, ainsi qu’une somme représentative du déficit d’exploitation du mois de février 1999 hors liaison vers l’île de Pins ; que de telles sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la réception par l’administration de la demande de paiement et seront capitalisées ; qu’ainsi, la PROVINCE DES ILES LOYAUTES n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Nouméa a prononcé de telles condamnations à son encontre et rejeté ses demandes tendant à la condamnation de la Compagnie Maritime des Iles à lui rembourser, à titre principal, la somme de 390 798 329 francs ; qu’en outre, eu égard à la nullité des conventions litigieuses, la PROVINCE DES ILES LOYAUTES n’est, en tout état de cause, pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions subsidiaires tendant à ce que la Compagnie Maritime des Iles soit condamnée à lui verser, sur un fondement contractuel, la somme de 39 125 728 francs CFP ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la PROVINCE DES ILES LOYAUTES le versement à la société Compagnie Maritime des Iles d’une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés tant devant la cour administrative d’appel de Paris que devant le Conseil d’Etat ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 24 janvier 2005 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la PROVINCE DES ILES LOYAUTES devant le tribunal administratif de Nouméa sont rejetées.

Article 3 : La PROVINCE DES ILES LOYAUTES versera à la société Compagnie Maritime des Iles une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la PROVINCE DES ILES LOYAUTES et à la Compagnie Maritime des Iles.

Copie pour information sera adressée au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

 


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