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Conseil d’Etat, 5 mai 2008, n° 309518, Société anonyme Baudin Chateauneuf

La circonstance que des exemplaires d’un rapport établi par une commission administrative ont été transmis à l’autorité judiciaire ne suffit pas à faire perdre à ce rapport son caractère de document administratif. Il appartient toutefois à l’administration saisie d’une demande de communication d’un tel document de rechercher si celle-ci peut être refusée en application des dispositions de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, notamment dans le cas où elle serait de nature à porter atteinte au déroulement de procédures engagées devant une juridiction ou à l’un des secrets protégés par la loi, au nombre desquels figure le secret de l’instruction prévu par l’article 11 du code de procédure pénale.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 309518

SOCIETE ANONYME BAUDIN CHATEAUNEUF

M. Brice Bohuon
Rapporteur

Mme Claire Landais
Commissaire du gouvernement

Séance du 17 mars 2008
Lecture du 5 mai 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux

Vu l’ordonnance en date du 17 septembre 2007, enregistrée le 19 septembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, par laquelle le président de la cour administrative d’appel de Versailles a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée à cette cour par la société anonyme BAUDIN CHATEAUNEUF ;

Vu la requête, enregistrée le 26 juillet 2007 au greffe de la cour administrative d’appel de Versailles, présentée pour la société anonyme SOCIETE BAUDIN CHATEAUNEUF, dont le siège est 60, rue de la Brosse à Châteauneuf-sur-Loire (45110), représentée par son président directeur général en exercice, et tendant : 1°) à l’annulation du jugement du 5 juin 2007 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes tendant, d’une part, à ce qu’il soit enjoint au ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer de lui communiquer, sous astreinte, un exemplaire intégral du rapport élaboré, à la suite de l’effondrement du terminal 2 E de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, par la commission administrative présidée par M. Berthier, accompagné de ses annexes, d’autre part, à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du ministre refusant de lui communiquer ce rapport ; 2°) à ce qu’il soit fait droit à ses écritures présentées en première instance ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

Vu le décret n° 88-465 du 28 avril 1988 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Brice Bohuon, Auditeur,

- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la SOCIETE BAUDIN CHATEAUNEUF,

- les conclusions de Mme Claire Landais, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la demande du ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, une commission administrative présidée par M. Jean Berthier a été chargée d’établir les causes de l’effondrement, le 23 mai 2004, d’une partie du terminal 2 E de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ; que cette commission a rendu ses conclusions le 15 février 2005 au ministre ; que celui-ci a transmis ce rapport au juge d’instruction du tribunal de grande instance de Bobigny, chargé de l’instruction de l’information judiciaire relative à l’effondrement de ce terminal ; que la société BAUDIN CHATEAUNEUF, qui a participé à la construction du terminal 2E dans le cadre d’un contrat de sous-traitance, demande l’annulation du jugement du 5 juin 2007 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes tendant à l’annulation de la décision implicite du ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer refusant de lui communiquer le rapport de la commission présidée par M. Berthier et à ce qu’il lui soit enjoint, sous astreinte, de communiquer un exemplaire intégral de ce rapport ;

Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 : " I. Ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (.)/ - au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ; (.)/ - ou, de façon générale, aux secrets protégés par la loi " ; qu’aux termes de l’article 11 du code de procédure pénale : " Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète./ Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal./ Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. " ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que la circonstance que des exemplaires d’un rapport établi par une commission administrative ont été transmis à l’autorité judiciaire ne suffit pas à faire perdre à ce rapport son caractère de document administratif ; qu’il appartient toutefois à l’administration saisie d’une demande de communication d’un tel document de rechercher si celle-ci peut être refusée en application des dispositions de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, notamment dans le cas où elle serait de nature à porter atteinte au déroulement de procédures engagées devant une juridiction ou à l’un des secrets protégés par la loi, au nombre desquels figure le secret de l’instruction prévu par l’article 11 du code de procédure pénale ;

Considérant que la société requérante soutient que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a commis une erreur de droit en jugeant que la communication du rapport porterait atteinte au secret de l’instruction prévu par l’article 11 du code de procédure pénale ; que s’il est constant, ainsi que l’a relevé le tribunal, que ce rapport a été versé au dossier de l’instruction pénale actuellement en cours, relative à l’effondrement, le 23 mai 2004, d’une partie du terminal 2 E de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, cette seule circonstance ne suffit pas, par elle-même, à établir que la communication de ce document administratif porterait atteinte au secret de l’instruction ; que par suite, le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est entaché d’erreur de droit ; que dès lors, la société BAUDIN CHATEAUNEUF est fondée à en demander l’annulation ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que les demandes présentées pour la société BAUDIN CHATEAUNEUF et enregistrées par le tribunal administratif sous les n°s 0606548 et 0606549 présentent à juger les mêmes questions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre, les conclusions de la société BAUDIN CHATEAUNEUF devant le tribunal administratif doivent être regardées comme tendant non seulement à l’injonction de communiquer un exemplaire intégral du rapport mais aussi à l’annulation de la décision implicite de refus du ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer de lui communiquer un exemplaire intégral de ce rapport ; qu’en application des dispositions du décret du 28 avril 1988 alors en vigueur, cette demande, enregistrée le 13 juin 2005 au greffe du tribunal administratif, n’était pas tardive en l’absence de réponse explicite du ministre ;

Considérant que la seule circonstance que le rapport de la commission administrative, après avoir été transmis à l’autorité judiciaire, ait été coté au dossier d’instruction dans le cadre de l’instruction pénale relative à l’effondrement, le 23 mai 2004, d’une partie du terminal 2 E de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ne suffit pas à établir que la communication de ce rapport porterait atteinte, au sens de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, ni, ainsi qu’il a été dit plus haut, au secret de l’instruction prévu par l’article 11 du code de procédure pénale, ni, en l’absence d’autre élément de nature à justifier le risque d’atteinte au déroulement de la procédure judiciaire, au déroulement de la procédure engagée devant le juge pénal ; que dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner son autre moyen, la société BAUDIN CHATEAUNEUF est fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle le ministre a refusé de lui communiquer ce rapport ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant que l’article L. 911-1 du code de justice administrative dispose : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (.) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions dans ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution " ; que selon l’article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (.) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ; qu’aux termes de l’article L. 911-3 de ce code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte (.) " ;

Considérant que, eu égard aux motifs de la présente décision, l’exécution de celle-ci implique seulement que l’administration procède à un nouvel examen de la demande de communication présentée par la société BAUDIN CHATEAUNEUF ; qu’il convient dès lors d’enjoindre au ministre de réexaminer cette demande, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette mesure d’une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 000 euros à la société BAUDIN CHATEAUNEUF au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 5 juin 2007 est annulé.

Article 2 : La décision implicite par laquelle le ministre de l’équipement, des transports, du tourisme et de la mer a refusé de communiquer à la société BAUDIN CHATEAUNEUF le rapport rendu le 15 février 2005 par la commission présidée par M. Jean Berthier est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire de réexaminer la demande de communication de la société BAUDIN CHATEAUNEUF dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : L’Etat versera à la société BAUDIN CHATEAUNEUF la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société BAUDIN CHATEAUNEUF et au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

 


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