CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 272058
MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES
c/ M. D.
M. Damien Botteghi
Rapporteur
M. Terry Olson
Commissaire du gouvernement
Séance du 4 février 2008
Lecture du 20 février 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux
Vu le recours, enregistré le 10 septembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES ; le MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 24 juin 2004 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, à la demande de M. Roland D., annulé le jugement du 29 septembre 1998 du tribunal administratif de Melun et la décision du 20 juin 1995 de la commission départementale d’aménagement foncier de Seine-et-Marne statuant sur la réclamation de M. D. relative au remembrement rural de la commune de Boissy-aux-Cailles ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. D. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Damien Botteghi, Auditeur,
les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 24 juin 2004 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, après avoir annulé un jugement du 29 septembre 1998 du tribunal administratif de Melun rejetant la demande de M. D. dirigée contre la décision par laquelle la commission départementale d’aménagement foncier de Seine-et-Marne du 20 juin 1995 avait statué sur sa réclamation relative au remembrement rural de la commune de Boissy-aux-Cailles, annulé cette décision ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les moyens du recours ;
Considérant que le propriétaire de parcelles incluses dans le périmètre d’une opération d’aménagement foncier peut contester les effets de cette opération sur ses biens en formant devant la juridiction administrative un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision de la commission départementale d’aménagement foncier statuant sur sa réclamation, et, le cas échéant, obtenir, même après la clôture de cette opération, la modification de ses attributions si celles-ci n’ont pas été déterminées conformément aux règles applicables à l’aménagement foncier ; que ledit propriétaire peut également demander l’annulation de l’acte ordonnant la réalisation de l’opération d’aménagement foncier, laquelle, si elle est prononcée par le juge, est, en principe, de nature à entraîner par voie de conséquence celle de tout acte pris sur le fondement de cet arrêté qui a été déféré au juge de l’excès de pouvoir dans le délai de recours contentieux ; que toutefois, eu égard à l’atteinte excessive à l’intérêt général et au respect du droit de propriété des autres intéressés qui résulterait d’une remise en cause générale des opérations d’aménagement foncier à une date postérieure à celle du transfert de propriété, le juge de l’excès de pouvoir ne peut annuler l’acte ordonnant les opérations ou suspendre son exécution que jusqu’à la date du transfert de propriété ; que, statuant après cette date sur un recours dirigé contre un acte pris dans le cadre des opérations d’aménagement foncier, il ne peut faire droit à une exception tirée de l’illégalité de l’acte ordonnant ces opérations que si celui-ci a fait l’objet d’une annulation ou d’une suspension avant le transfert de propriété ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’arrêté ordonnant le remembrement a été annulé par une décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 5 mai 2000, soit postérieurement à l’arrêté ordonnant le dépôt en mairie du plan définitif de remembrement, qui emporte transfert définitif de propriété, intervenu le 25 janvier 1996 ; que par suite la cour administrative d’appel ne pouvait sans erreur de droit accueillir l’exception tirée de l’illégalité de ce dernier acte pour annuler par voie de conséquence la décision de la commission départementale d’aménagement foncier statuant sur la réclamation de M. D. ; que l’arrêt du 24 juin 2004 doit donc être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu de faire application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;
Sur le moyen tiré de la participation d’un géomètre non habilité :
Considérant que M. D. soutient que certains travaux et actes relatifs à sa situation ont été réalisés par un géomètre ne figurant pas sur la liste des géomètres agréés ou ont été sous-traités par le géomètre habilité dans des conditions irrégulières ; qu’un tel moyen, relatif seulement à la régularité de la procédure ayant conduit à l’établissement du plan de remembrement, est recevable, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif, alors même qu’il n’a pas été présenté devant la commission départementale d’aménagement foncier ; que, toutefois, M. D. n’apportant aucun élément établissant le bien-fondé de ses allégations, le moyen doit être écarté ;
Sur le moyen tiré d’un classement erroné des parcelles :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 123-1 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " La commission communale ou intercommunale d’aménagement foncier détermine, en fonction de la vocation culturale des fonds, la ou les natures de culture à l’intérieur du périmètre de remembrement. / Dans chaque nature de culture, elle distingue une ou plusieurs classes en fonction de la productivité des fonds. / Pour chaque classe, elle fixe par unité de surface le nombre de points exprimant la valeur de productivité réelle des fonds " ; que M. D. estime que le classement des terres qui lui ont été attribuées est incorrect, en se fondant sur un rapport d’expertise qu’il a produit ; que ce dernier n’apporte aucun élément de nature à invalider le classement opéré par cette commission ; qu’il ressort des pièces du dossier, sans qu’il soit besoin de recourir à une expertise, que le plan de classement des terres fait suffisamment apparaître les différences de classement à l’intérieur des parcelles concernant M. D. et qu’il n’est pas établi que la commission départementale ait commis une erreur d’appréciation en se fondant sur les valeurs de productivité des terres attribuées à l’intéressé telles qu’elles ressortent du plan litigieux ;
Sur le moyen tiré de l’irrespect de la règle d’équivalence :
Considérant que l’article L. 123-4 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée, dispose : " Chaque propriétaire doit recevoir, par la nouvelle distribution, une superficie globale équivalente, en valeur de productivité réelle, à celle des terrains qu’il a apportés, déduction faite de la surface nécessaire aux ouvrages collectifs mentionnés à l’article L. 123-8 et compte tenu des servitudes maintenues ou créées. (.) Sauf accord exprès des intéressés, l’équivalence en valeur de productivité réelle doit, en outre, être assurée par la commission communale dans chacune des natures de culture qu’elle aura déterminées. " ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. D. a apporté au remembrement une surface ne comportant qu’une seule nature de culture de 15ha 04a 49ca d’une valeur de productivité de 134 597 points et a reçu une surface de 15ha 04a 49ca d’une valeur de 134 316 points ; qu’il n’est par suite pas fondé à soutenir que la règle d’équivalence posée à l’article précité a été méconnue ;
Sur le moyen tiré de l’aggravation des conditions d’exploitation :
Considérant que M. D. estime que ses attributions comporteraient des enrochements et des pierres et que ses conditions d’exploitation ont été aggravées ; qu’il ressort toutefois des pièces du dossier que les parcelles attribuées à M. D. dans le secteur dit " Le Buis " sont moins nombreuses que celles qu’il a apportées et que la commission départementale a procédé à des modifications de limites pour diminuer l’inconvénient que constitue la présence de roches ; que cette commission s’est d’ailleurs attachée à répartir sur les lots appartenant à des propriétaires différents ces inconvénients ; qu’en outre, les nouvelles parcelles de M. D. sont plus proches du centre de son exploitation et leur accès a été amélioré ; qu’ainsi, à supposer même que ce dernier n’ait apporté que des parcelles désenrochées grâce à ses diligences, il n’est pas établi que les conditions de son exploitation se soient aggravées et que la commission départementale ait ainsi commis une erreur d’appréciation ;
Considérant, enfin, que si M. D. soutient que le principe du remembrement rural posé à l’article L. 123-1 du code rural méconnaît les garanties posées par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole, il n’assortit ce moyen d’aucune précision permettant au juge d’en apprécier tant la portée que le bien-fondé ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. D. n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 29 septembre 1998, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de la commission départementale d’aménagement foncier de Seine-et-Marne statuant sur sa réclamation relative au remembrement rural de la commune de Boissy-aux-Cailles ; que ses conclusions présentées devant la cour administrative d’appel de Paris tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 24 juin 2004 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.
Article 2 : La requête de M. D. présentée devant la cour administrative d’appel de Paris est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Roland D., à la commune de Boissy-aux-Cailles et au MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE.