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Conseil d’Etat, 6 février 2008, n° 304752, Société anonyme d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point

Il appartient au juge administratif de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi ; que, d’autre part, si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l’instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 304752

SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE "LE POINT "

M. Edouard Geffray
Rapporteur

Mlle Célia Verot
Commissaire du gouvernement

Séance du 21 janvier 2008
Lecture du 6 février 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 13 avril 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour LA SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE "LE POINT", dont le siège est 74, avenue du Maine à Paris cedex 14 (75682), représentée par son président directeur général en exercice ; la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE "LE POINT" demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 8 février 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision implicite de refus opposée par la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) à sa demande enregistrée à la Commission d’accès aux documents administratifs le 27 février 2006 tendant à la communication de la base de données CEZAR, constituée pour les années 2004 et 2005, ensemble la décision explicite de refus de la SNCF du 13 février 2006 ;

2°) réglant l’affaire au fond, après avoir éventuellement ordonné avant dire droit la communication du document administratif sollicité, d’annuler la décision précitée ;

3°) de mettre à la charge de la SNCF la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

Vu le décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Geffray, Auditeur,

- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE "LE POINT" et de Me Odent, avocat de la Société nationale des chemins de fer français,

- les conclusions de Mlle Célia Verot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 : " Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande (.) " ; qu’aux termes de l’article 6 de la même loi : " I. Ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (.) à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes (.) " ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier du 27 janvier 2006, un journaliste de la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE "LE POINT", a demandé à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) de lui communiquer la base de données CEZAR (" Connaître l’évolution des zones à risques ") que cette société avait constituée pour les années 2004 et 2005 ; qu’à la suite de la réponse négative du secrétaire général de la SNCF en date du 13 février 2006, ce journaliste a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs qui, par un avis du 30 mars 2006, a émis un avis défavorable à la communication du document sollicité, au motif que les informations qu’il contenait entraient dans le champ d’application du paragraphe I de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ; que la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE "LE POINT" demande l’annulation du jugement du 8 février 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision refusant de lui communiquer le document en cause et à ce qu’il soit enjoint à la SNCF de lui communiquer la base de données CEZAR ;

Sur le moyen dirigé contre le jugement en tant qu’il a statué sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision du 13 février 2006 :

Considérant qu’aux termes de l’article 20 de la loi du 17 juillet 1978 susvisée : " (.) La saisine pour avis de la commission est un préalable obligatoire à l’exercice d’un recours contentieux " ; qu’aux termes de l’article 19 du décret du 30 décembre 2005 : " La commission notifie son avis à l’intéressé et à l’autorité mise en cause, dans un délai d’un mois à compter de l’enregistrement de la demande au secrétariat. Cette autorité informe la commission, dans le délai d’un mois qui suit la réception de cet avis, de la suite qu’elle entend donner à la demande. Le silence gardé par l’autorité mise en cause pendant plus de deux mois à compter de l’enregistrement de la demande de l’intéressé par la commission vaut confirmation de la décision de refus. " ;

Considérant que le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que, en vertu des dispositions précitées, les conclusions présentées par la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE " LE POINT " tendant à obtenir l’annulation de la décision du 13 février 2006, qui est intervenue préalablement à la saisine de la commission d’accès aux documents administratifs, étaient irrecevables et ne pouvaient qu’être rejetées, dès lors qu’à cette décision s’était substituée la décision implicite résultant du silence de la SNCF après la saisine de la commission d’accès aux documents administratifs ; que par suite, le tribunal administratif n’avait pas à répondre au moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de la décision du 13 février 2006 ;

Sur les moyens dirigés contre le jugement en tant qu’il statue sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision implicite refusant de communiquer le document demandé à la suite de l’avis rendu par la commission d’accès aux documents administratifs :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés à ce titre ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la base de données CEZAR recense, pour les années 2004 et 2005, l’ensemble des informations relatives aux atteintes à la sécurité et aux défaillances des systèmes de sécurité dont la SNCF a eu connaissance sur son réseau, concernant les personnes, les matériels roulants et les infrastructures ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a jugé que, eu égard aux risques pour la sécurité publique que ferait peser la divulgation de ce document, la SNCF était fondée à en refuser la communication sur le fondement de l’article 6-I de la loi du 17 juillet 1978 précité, dès lors que les informations qu’il contenait " concernaient toutes la sécurité " et qu’il " n’apparaissait pas que certaines puissent faire l’objet d’une disjonction en vertu de l’article 6-III de la loi du 17 juillet 1978 " ; qu’en statuant ainsi, eu égard à la diversité des informations contenues, aux dires mêmes des parties, dans le document en cause et en l’absence de précisions sur leur nature et sur la portée de leur divulgation éventuelle, sans rechercher si, comme le soutenait la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE "LE POINT", d’une part, certaines informations contenues dans la base de données étaient susceptibles d’être communiquées, et, d’autre part, ces informations pouvaient être disjointes des informations non-communicables, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE " LE POINT " n’est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué qu’en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la décision implicite née du silence de la SNCF à la suite de l’avis rendu par la commission d’accès aux documents administratifs ; que, dans cette limite, il y a lieu de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que, d’une part, il appartient au juge administratif de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi ; que, d’autre part, si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l’instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige ;

Considérant que l’état de l’instruction ne permettant pas d’apprécier le bien-fondé du moyen invoqué par la SNCF pour justifier son refus et tiré de ce que la communication du document, dont le caractère inutilisable ne saurait être utilement invoqué, méconnaîtrait les dispositions de l’article 6-I de la loi du 17 juillet 1978, il y a lieu, eu égard à la diversité des informations contenues, aux dires mêmes des parties, dans le document en cause et en l’absence de précisions sur leur nature et sur la portée de leur divulgation éventuelle, d’ordonner avant dire droit, tous droits et moyens des parties demeurant réservés, la communication de l’intégralité de la base de données dont s’agit à la sous-section de la section du contentieux chargée de l’instruction de l’affaire soit par la transmission de ladite base, soit par une consultation sur place, sans que communication de ces pièces soit donnée à la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE " LE POINT ", pour être ensuite statué ce qu’il appartiendra sur les conclusions de la requête de la société requérante ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 février 2007 est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions de la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE " LE POINT " tendant à l’annulation de la décision implicite née du silence de la SNCF à la suite de l’avis rendu par la commission d’accès aux documents administratifs.

Article 2 : Est ordonnée, avant dire droit, la production par la Société nationale des chemins de fer français, à la dixième sous-section de la section du contentieux du Conseil d’Etat, dans les conditions précisées dans les motifs de la présente décision, de la base de données CEZAR constituée pour les années 2004 et 2005. Cette production devra intervenir dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : Les conclusions de la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE " LE POINT " tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la décision du 13 février 2006 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ANONYME D’EXPLOITATION DE L’HEBDOMADAIRE " LE POINT ", à la Société nationale des chemins de fer français et au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables.

 


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