CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 253341, 253342, 253343
ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT
M. B.
M. de Lesquen
Rapporteur
M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 avril 2004
Lecture du 12 mai 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°), sous le n° 253341, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier et 23 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT, dont le siège est sis à La Baume, Castellane (04120), représentée par son président en exercice, domicilié au siège ; l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT demande au Conseil d’Etat :
1° d’annuler l’arrêt du 3 octobre 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 10 juin 1998 rejetant sa demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 mars 1998 par laquelle le préfet des Alpes-de-Haute-Provence lui a refusé l’autorisation de faire inhumer M. Gilbert B. à l’intérieur d’une propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" ;
2° statuant au fond, d’annuler le jugement du tribunal administratif et la décision attaqués et d’enjoindre au préfet des Alpes-de-Haute-Provence de prendre une nouvelle décision autorisant l’inhumation de M. Gilbert B. à l’intérieur de la propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem", dans un délai de 15 jours, sous astreinte de 100 euros par jour ;
3° de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2°) sous le n° 253342, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier et 23 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Paul B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat :
1° d’annuler l’arrêt du 3 octobre 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 10 juin 1998 rejetant sa demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 1er avril 1998 par laquelle le préfet des Alpes-de-Haute-Provence lui a refusé l’autorisation de faire inhumer son père, M. Gilbert B., à l’intérieur d’une propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" ;
2° d’enjoindre au préfet des Alpes-de-Haute-Provence de prendre une nouvelle décision autorisant l’inhumation de M. Gilbert B. à l’intérieur de la propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" dans un délai de 15 jours, sous astreinte de 100 euros par jour ;
3° de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 3°) sous le n° 253343, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier et 23 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Paul B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat :
1° d’annuler l’arrêt du 3 octobre 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 28 juillet 1998 rejetant sa demande tendant à l’annulation 1) de la décision du 24 mars 1998 par laquelle le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a refusé à l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT l’autorisation de faire inhumer M. Gilbert B. à l’intérieur d’une propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" 2) de l’arrêté du 26 mars 1998 du maire de la commune de Castellane refusant le dépôt temporaire de la dépouille mortelle de M. Gilbert B. sur le site du Mandarom, 3) de l’arrêté du 26 mars 1998 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence prescrivant l’inhumation sans délai du corps de M. Gilbert B. dans un cimetière de la commune de Castellane, 4) de l’arrêté du 6 avril 1998, par lequel le maire de la commune de Castellane a ordonné l’inhumation du corps de M. Gilbert B. dans le cimetière du Castillon, sur le territoire de la commune de Castellane ;
2° d’enjoindre au préfet des Alpes-de-Haute-Provence de prendre une nouvelle décision autorisant l’inhumation de M. Gilbert B. à l’intérieur de la propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem", dans un délai de 15 jours, sous astreinte de 100 euros par jour ;
3° de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des communes ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. de Lesquen, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT et de M. Jean-Paul B. et de Me Ricard, avocat de la commune de Castellane,
les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT et de M. Jean-Paul B. présentent à juger les mêmes questions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions de l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT et de M. Jean-Paul B. tendant à l’annulation des décisions du préfet des Alpes-de-Haute-Provence en date des 24 mars et 1er avril 1998 refusant l’autorisation de faire inhumer M. Gilbert B. à l’intérieur d’une propriété dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 2223-9 du code général des collectivités territoriales : "Toute personne peut être enterrée sur une propriété particulière, pourvu que cette propriété soit hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite" ; qu’aux termes de l’article R. 361-12 du code des communes alors en vigueur, devenu l’article R. 2213-32 du code général des collectivités territoriales : "L’inhumation dans une propriété particulière du corps d’une personne décédée est autorisée par le préfet du département où est située cette propriété sur attestation que les formalités prescrites par l’article R. 363-18 et par les articles 78 et suivants du code civil ont été accomplies et après avis d’un hydrogéologue agréé" ;
Considérant qu’en relevant que l’importance des troubles à l’ordre public que risquait de créer l’inhumation de M. Gilbert B. à l’intérieur d’une propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" justifiait le refus de l’autorisation sollicitée en application des dispositions précitées, la cour a écarté le moyen invoqué devant elle par les requérants qui soutenaient que les troubles à l’ordre public invoqués n’étaient pas d’une importance telle que le préfet n’avait d’autre moyen, pour les prévenir, que de refuser cette autorisation ; que son arrêt n’est donc pas, sur ce point, entaché d’insuffisance de motivation ;
Considérant que la circonstance que l’administration invoque devant les juges du fond de nouveaux motifs qui ne figuraient pas dans la décision attaquée est sans incidence sur la régularité de cette décision au regard des exigences de motivation posées par la loi du 11 juillet 1979 ; que la cour a ainsi jugé, par une appréciation souveraine des pièces du dossier et sans commettre d’erreur de droit, que la décision du préfet était suffisamment motivée alors même que l’administration invoquait devant elle de nouveaux motifs qui ne figuraient pas dans cette décision ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a estimé qu’eu égard aux fortes réactions d’hostilité des élus et de la population locale, l’inhumation de M. Gilbert B. à l’intérieur de la propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem", était susceptible de faire naître d’importants troubles à l’ordre public ; qu’après avoir estimé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que les risques de troubles invoqués étaient importants, la cour a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique, que le préfet avait, en refusant l’autorisation d’inhumer dans ce site, pris une mesure légalement justifiée par la nécessité du maintien de l’ordre public ;
Considérant, dès lors, que l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT et M. Jean-Paul B. ne sont pas fondés à demander l’annulation des arrêts attaqués en tant qu’ils rejettent leurs conclusions dirigées contre les décisions du 24 mars et du 1er avril 1998 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence ;
Sur les conclusions de M. Jean-Paul B. tendant à l’annulation des arrêtés du maire de Castellane en date des 26 mars et 6 avril 1998 :
En ce qui concerne l’arrêté du maire de Castellane du 26 mars 1998 :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par l’arrêté du 26 mars 1998, le maire de Castellane a rejeté la demande dont il était saisi d’autoriser le dépôt, durant plusieurs mois, de la dépouille mortelle de M. Gilbert B. dans la propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" ; que la cour a pu, sans dénaturer les pièces du dossier, juger que cet arrêté était fondé sur les risques de trouble à l’ordre public qui avaient déjà fondé la décision susmentionnée du 24 mars 1998 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence ; qu’après avoir, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, estimé que les risques de troubles invoqués étaient importants, eu égard à l’ampleur de l’hostilité des élus et de la population locale à la présence de la dépouille de M. Gilbert B. sur le site du "Mandarom", elle a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique, que cette décision était légalement justifiée par le maintien de l’ordre public ;
En ce qui concerne l’arrêté du maire de Castellane en date du 6 avril 1998 :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 2223-3 du code général des collectivités territoriales : "La sépulture dans un cimetière d’une commune est due (.) aux personnes domiciliées sur son territoire, alors même qu’elles seraient décédées dans une autre commune" ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Gilbert B. était domicilié sur le territoire de la commune de Castellane ; que, par l’arrêté en date du 6 avril 1998, le maire de Castellane a ordonné l’inhumation de M. Gilbert B. dans le cimetière du Castillon, sur le territoire de la commune de Castellane, après que le préfet avait refusé l’autorisation de l’inhumer dans la propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" ; que la cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier en relevant que le moyen tiré de ce que le cimetière du Castillon aurait été créé en 1948 dans des conditions irrégulières manquait en fait ; qu’après avoir constaté, par une appréciation souveraine des faits, qui n’est pas entachée de dénaturation, que ce cimetière était toujours affecté à l’inhumation des personnes décédées à la date de l’arrêté contesté, elle a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que le maire avait pu légalement y prescrire l’inhumation de M. Gilbert B. ;
Considérant, dès lors, que M. Jean-Paul B. n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt du 3 octobre 2002 en tant qu’il rejette les conclusions de sa requête tendant à l’annulation des arrêtés du maire de Castellane en date des 26 mars et 6 avril 1998 ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant que la présente décision, qui rejette les requêtes de l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT et de M. Jean-Paul B., n’appelle aucune mesure d’exécution ; que les conclusions des requêtes tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet des Alpes-de-Haute-Provence d’autoriser l’inhumation de M. Gilbert B. dans la propriété privée, dénommée "cité sainte de Mandarom Shambhasalem" ne peuvent dès lors qu’être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l’Etat et de la commune de Castellane, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes les sommes que demandent l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT et M. Jean-Paul B. au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de M. Jean-Paul B. une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Castellane et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT et de M. Jean-Paul B. sont rejetées.
Article 2 : M. Jean-Paul B. versera à la commune de Castellane une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION DU VAJRA TRIOMPHANT, à M. Jean-Paul B. et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.