CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 249832
FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX
M. Tiberghien
Rapporteur
M. Glaser
Commissaire du gouvernement
Séance du 7 avril 2004
Lecture du 3 mai 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 26 août 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX, dont le siège est 24, rue Berlioz à Paris (75116) ; la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l’agriculture et de la pêche a rejeté sa demande tendant à l’abrogation de l’arrêté du 2 juillet 2001 relatif à l’identification par radiofréquence des carnivores domestiques, ensemble ledit arrêté ;
2°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ;
Vu le décret n° 91-823 du 28 août 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Tiberghien, Maître des Requêtes,
les conclusions de M. Glaser, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté du 2 juillet 2001 relatif à l’identification par radiofréquence des carnivores domestiques :
Considérant que l’arrêté contesté a été publié au Journal officiel de la République française le 12 juillet 2001 ; que la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX n’a présenté au ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales un recours gracieux dirigé contre cet arrêté que le 26 avril 2002, soit après l’expiration du délai de recours contentieux ; qu’ainsi ce recours gracieux n’a pu conserver ce délai ; que, dès lors, le ministre est fondé à soutenir que les conclusions de la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX tendant à l’annulation de cet arrêté, présentées devant le Conseil d’Etat le 26 août 2002, sont tardives et, par suite, irrecevables ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales a refusé d’abroger l’arrêté du 2 juillet 2001 susmentionné :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le ministre de l’agriculture, de la pêche, de l’alimentation et des affaires rurales ;
En ce qui concerne l’article 4 de l’arrêté litigieux :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 214-5 du code rural : "Tous les chiens et chats, préalablement à leur cession, à titre gratuit ou onéreux, sont identifiés par un procédé agréé par le ministre chargé de l’agriculture. Il en est de même, en dehors de toute cession, pour les chiens âgés de quatre mois et nés après le 6 janvier 1999. L’identification est à la charge du cédant. Dans les départements officiellement déclarés infectés de rage, l’identification est obligatoire pour tous les carnivores domestiques (.)" ; que le décret du 28 août 1991 dispose en son article 1er que l’identification obligatoire des chiens, chats et carnivores domestiques prévue par les dispositions précitées du code rural "comporte, d’une part, le marquage de l’animal par tatouage ou tout autre procédé agréé par arrêté du ministre chargé de l’agriculture, et, d’autre part, l’inscription sur le ou les fichiers prévus à l’article 4 ci-dessous des indications permettant d’identifier l’animal" ; que les articles 2 et 4 du même décret prévoient qu’un arrêté du ministre chargé de l’agriculture "définit les techniques de marquage agréées ainsi que les conditions sanitaires de leur mise en oeuvre" et "fixe les règles relatives à l’établissement, à la mise à jour, au contrôle et à l’exploitation des fichiers nationaux" ; que l’article 5 du même décret dispose que le ministre chargé de l’agriculture agrée la personne gestionnaire de chaque fichier national ;
Considérant que l’article 4 de l’arrêté litigieux, pris en application des dispositions précitées, octroie au syndicat national des vétérinaires en exercice libéral un agrément lui permettant de délivrer aux vétérinaires et autres personnes habilitées, d’une part, les matériels permettant le marquage des animaux par radiofréquence, et d’autre part, les numéros d’identification servant au marquage des animaux par tatouage ou par radiofréquence ; que le même arrêté agrée l’association dénommée " société centrale canine " et le Syndicat national des vétérinaires en exercice libéral en tant que gestionnaires, respectivement, du fichier national d’identification des chiens et du fichier national d’identification des animaux carnivores autres que les chiens ; qu’eu égard aux motifs d’intérêt général qui ont conduit le législateur à créer une obligation d’identification des animaux carnivores domestiques, aux prérogatives de puissance publique conférées par les dispositions de l’arrêté litigieux aux deux associations susmentionnées, et au contrôle exercé par l’Etat sur ces associations en vertu de cet arrêté et des conventions qu’il a conclues avec elles, les missions confiées à ces deux personnes morales ont le caractère de missions de service public ; que, par conséquent, les décisions unilatérales qui les investissent de ces missions ont un caractère réglementaire ;
Considérant qu’aux termes de l’article 38 de la loi du 29 janvier 1993, dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté attaqué : "Les délégations de service public des personnes morales de droit public sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d’Etat. La collectivité publique dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public. La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s’il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l’usager. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire" ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions, corroborées au demeurant par les débats parlementaires ayant précédé le vote de la loi du 29 janvier 1993, que la procédure qu’elles définissent s’applique aux seules délégations consenties par voie contractuelle ; que la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX ne peut, par suite, utilement s’en prévaloir à l’encontre d’un acte réglementaire qui agrée la personne chargée de gérer un service public dans les conditions prévues par l’article 5 du décret du 28 août 1991, alors même que cet agrément a impliqué la conclusion ultérieure d’une convention pour fixer, dans des conditions qui ne conduisent pas à la requalifier en décision unilatérale, certaines modalités de gestion du service et que le gestionnaire est exclusivement rémunéré par les usagers ;
En ce qui concerne les autres dispositions de l’arrêté attaqué :
Considérant, en premier lieu, que les articles 2 et 4 du décret du 28 août 1991 donnent compétence au ministre chargé de l’agriculture pour définir les techniques de marquage et les conditions sanitaires de leur mise en oeuvre, ainsi que les règles relatives à l’établissement, à la mise à jour, au contrôle et à l’exploitation des fichiers nationaux ; que si le ministre a défini, par les dispositions contestées de l’arrêté du 2 juillet 2001, des sujétions s’imposant aux propriétaires d’animaux carnivores domestiques et aux vétérinaires, ces sujétions n’excèdent pas ce qui est nécessaire à la mise en oeuvre des techniques de marquage et à la bonne tenue des fichiers nationaux ; que par suite, la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX n’est pas fondée à soutenir que le ministre aurait, en édictant ces dispositions, excédé la compétence qu’il tenait des dispositions du décret du 28 août 1991 ;
Considérant, en deuxième lieu, d’une part, qu’aux termes de l’article 15 de la loi du 6 janvier 1978 : "Hormis les cas où ils doivent être autorisés par la loi, les traitements automatisés d’informations nominatives opérés pour le compte de l’Etat, d’un établissement public ou d’une collectivité territoriale, ou d’une personne morale de droit privé gérant un service public, sont décidés par un acte réglementaire pris après avis motivé de la commission nationale de l’informatique et des libertés. / Si l’avis de la commission est défavorable, il ne peut être passé outre que par un décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat ou, s’agissant d’une collectivité territoriale, en vertu d’une décision de son organe délibérant approuvée par décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat./ Si, au terme d’un délai de deux mois renouvelable une seule fois sur décision du président, l’avis de la commission n’est pas notifié, il est réputé favorable" ; que l’article 20 de la même loi dispose que "l’acte réglementaire prévu pour les traitements régis par l’article 15 ci-dessus précise notamment : - la dénomination et la finalité du traitement ; / - le service auprès duquel s’exerce le droit d’accès défini au chapitre V ci-dessus ; / - les catégories d’informations nominatives enregistrées ainsi que les destinataires ou catégories de destinataires habilités à recevoir communication de ces informations (.)" ; que l’article 19 de la même loi dispose que toute modification des mentions figurant dans une demande d’avis adressée à la commission nationale de l’informatique et des libertés est portée à la connaissance de la commission ; qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que l’administration est tenue, si elle veut modifier les finalités d’un traitement soumis aux dispositions de l’article 15 de la loi du 6 janvier 1978, de prendre un acte réglementaire modifiant ou complétant celui qui a décidé la création de ce traitement ; que l’administration ne peut, dans une telle circonstance, se borner à porter la modification effectuée à la connaissance de la commission en application des dispositions de l’article 19 de la loi, mais est tenue de solliciter, préalablement à l’édiction du nouvel acte réglementaire, l’avis motivé de cette commission, en application des dispositions combinées des articles 15 et 20 de ladite loi ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 4 du décret du 28 août 1991 susvisé : "Les indications permettant d’identifier les animaux et de connaître le nom et l’adresse de leur propriétaire sont portées à un fichier national (.) N’ont accès au nom et à l’adresse des propriétaires des animaux que les gestionnaires du fichier ainsi que, aux seules fins de recherche d’un animal par son numéro d’identification, les agents de police, les gendarmes, les agents des services de secours contre l’incendie, les agents des services vétérinaires, les vétérinaires praticiens et les gestionnaires des fourrières" ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les fichiers nationaux informatisés d’identification des animaux carnivores domestiques ont été créés par deux arrêtés du 5 décembre 1994 du ministre de l’agriculture et de la pêche, venus compléter un arrêté du 30 juin 1992, tous précédés d’une consultation de la commission nationale de l’informatique et des libertés ; que ces arrêtés définissent les catégories d’informations nominatives contenues dans lesdits fichiers ; que les finalités du traitement de ces données nominatives sont définies par les dispositions précitées de l’article 4 du décret du 28 août 1991 ; que la circonstance que l’arrêté litigieux a eu pour effet de compléter les informations nominatives détenues sur les propriétaires d’animaux carnivores, par la précision que ceux-ci sont le cas échéant identifiables par radiofréquence, ne suffit pas à établir que les catégories de données conservées ou les finalités de leur traitement auraient été modifiées et que, par suite, aurait été instauré un nouveau traitement automatisé de données nominatives au sens des dispositions législatives précitées ; que le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait dû être soumis pour avis motivé à la commission nationale de l’informatique et des libertés en application des dispositions de l’article 15 de la loi du 6 janvier 1978 doit, par suite, être écarté ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il est constant que la décision d’autoriser la technique de marquage par radiofréquence contenue dans l’arrêté attaqué a été précédée par la remise à l’administration d’un rapport rédigé sur ce thème par le président du syndicat national des vétérinaires en exercice libéral ; que la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX soutient que l’expertise ainsi délivrée à l’administration ne présentait pas une impartialité suffisante, dès lors que le syndicat national des vétérinaires en exercice libéral, qui s’est vu confier par l’arrêté attaqué la gestion du suivi du marquage par radiofréquence et la gestion du fichier national des animaux domestiques carnivores autres que les chiens, avait intérêt au développement de cette technique de marquage ; que toutefois, le ministre soutient sans être contredit que la décision litigieuse a été prise après une expérimentation menée pendant cinq années dans huit départements et ayant concerné près de six mille cinq cents animaux ; qu’ainsi, et en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’expertise contestée par l’association requérante, à supposer qu’elle ait eu le caractère de partialité que celle-ci lui impute, aurait exercé une influence déterminante sur l’édiction des dispositions litigieuses ;
Considérant enfin, que si l’association requérante produit des témoignages et articles de presse faisant état de quelques effets indésirables ou de risques liés à l’implantation d’un dispositif de marquage par radiofréquence dans le corps d’un animal, ces indications, qui concernent des faits isolés ou des risques qui ne sont pas établis, ne sauraient suffire à faire regarder la décision d’autoriser le marquage par radiofréquence comme entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation des risques que comporte la technique de marquage des animaux par radiofréquence ; que la circonstance, à la supposer établie, que le marquage par radiofréquence n’offrirait pas une protection efficace contre le vol des animaux domestiques ne saurait faire regarder comme entaché d’illégalité l’arrêté litigieux, dès lors que celui-ci se borne à autoriser cette technique de marquage sans la rendre obligatoire ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle le ministre a refusé d’abroger les dispositions de l’arrêté attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la FONDATION ASSISTANCE AUX ANIMAUX et au ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales.