format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Cour administrative d’appel de Douai, 9 octobre 2003, n° 01DA00748, M. Eddy C.
Conseil d’Etat, 20 février 2008, n°294396, Ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire c/ M. W.
Conseil d’Etat, 2 octobre 2002, n° 229665, M. Sauveur A.
Cour administrative d’appel de Nancy, 18 décembre 2003, n° 03NC00859, Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin c/ Société Brit Air
Cour administrative d’appel de Paris, 25 juin 2002, n° 00PA03143, Société Fly International Service
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 257213, Région Provence Alpes Côte d’Azur
Cour administrative d’appel de Paris, 7 août 2002, n° 02PA01634, Commune de Deuil-la-Barre
Conseil d’Etat, 10 avril 2002, n° 238212, Ministre de l’équipement, des transports et de l’environnement
Conseil d’Etat, 3 décembre 2003, n° 232574, Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT)
Conseil d’Etat, 7 août 2008, n° 289159, Noel T.




Conseil d’Etat, 3 décembre 2003, n°233612, M. Hugues H.

Si les relations de Voies navigables de France avec ses usagers, envers lesquels il accomplit des missions, telles que la traction ou le tonnage, de nature industrielle et commerciale, relèvent de droit privé, la loi a également confié à cet établissement public une mission, purement administrative, qui vise à donner aux bateaux de navigation intérieure, dans le cadre des pouvoirs dévolus aux bureaux d’affrètement, une utilisation conforme aux exigences de l’intérêt public.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 233612

M. H.

M. Fanachi
Rapporteur

M. Guyomar
Commissaire du gouvernement

Séance du 29 octobre 2003
Lecture du 3 décembre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 mai et 13 septembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Hugues H. ; M. H. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai, en date du 13 mars 2001, ayant annulé le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 17 juin 1999 et rejeté sa demande d’annulation de la décision du 8 janvier 1996 par laquelle le directeur régional de "Voies navigables de France" a rejeté sa demande de mise en tour de ses bateaux et sa demande de condamnation de Voies navigables de France à lui verser une indemnité de 2 115 000 F en réparation du préjudice résultant de cette décision ;

2°) de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond en annulant la décision du directeur régional de Voies navigables de France du 8 janvier 1996 et en condamnant cet établissement à lui payer une somme de 2 115 000 F (322 427 euros) en réparation du préjudice subi ;

3°) de condamner Voies navigables de France à lui payer la somme de 15 000 F (2 287 euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;

Vu la loi n° 94-576 du 12 juillet 1994 relative à l’exploitation commerciale des voies navigables ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fanachi, Conseiller d’Etat,
- les observations de Me Luc-Thaler, avocat de M. H. et de la SCP Nicolaý, de Lanouvelle, avocat de Voies navigables de France,
- les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. H., membre du groupement d’intérêt économique (G.I.E.) "Union des mariniers artisans", qui avait mis à la disposition de ce groupement des bateaux lui appartenant, en vue de l’exécution de contrats au tonnage conclu entre ce groupement et des donneurs d’ordre jusqu’à des échéances se situant entre le 15 janvier et le 10 mai 1996, avait joint à sa demande de mise au rôle de ses bateaux, adressée au bureau d’affrètement de Compiègne, une attestation de l’administrateur du groupement d’intérêt économique dont il faisait partie, certifiant sa démission de ce groupement au 30 août 1995 et la disponibilité de ses bateaux à compter de cette dernière date ; que dès lors, en estimant que Voies navigables de France n’avait pas été informé de la disponibilité des bateaux de M. H. et de leur libération de tout engagement vis-à-vis du G.I.E., la cour administrative d’appel de Douai a entaché son arrêt de dénaturation ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative : "S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’Etat peut (...) régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; qu’en l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant que la requête d’appel de M. H., à laquelle est jointe une copie de sa demande devant le tribunal administratif, comporte une critique du motif d’incompétence, qui fonde le jugement attaqué ; que cette requête est, ainsi, suffisamment motivée ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par Voies navigables de France doit être écartée ;

Considérant qu’aux termes de l’article 176 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1991 : "Voies navigables de France est un établissement public industriel et commercial" ; que ses missions sont précisées par l’article 177 de ce code aux termes duquel : "1° Il élabore et propose au ministre de l’équipement et du logement toute réglementation concernant l’exploitation des voies navigables, les activités ou professions qui s’y rattachent, ainsi que tous règlements de police de la navigation. Il étudie et propose toute réglementation concernant la coordination des transports, l’utilisation des ports et de leur outillage. Il étudie et applique la réglementation relative à l’affrètement. Il est consulté sur les projets de réglementation intéressant les assurances fluviales. Il en surveille et en coordonne l’application ; 2° Il étudie toutes les questions intéressant l’exploitation technique des voies navigables. Il propose la création, l’amélioration ou l’exploitation des ports fluviaux et en assure, le cas échéant, l’exploitation. Il propose la création, l’amélioration ou l’exploitation des installations de traction ou de touage et en assure, le cas échéant, l’exploitation. Il étudie les problèmes d’entretien, de construction et de réparation du matériel fluvial ; 3 ° Il est l’organe exécutif du ministre de l’équipement et du logement pour toutes les questions concernant l’exploitation commerciale des voies navigables. Il organise et gère les bureaux d’affrètement. Il met en œuvre la législation relative au régime d’assurance d’Etat pour les corps de bateaux de navigation intérieure. Il a autorité pour organiser, prescrire et contrôler les mouvements de bateaux nécessités par les programmes de transports dont l’exécution qui lui est confiée. Il propose, le cas échéant, au ministre de l’équipement et du logement des réquisitions prévues par la législation en vigueur ; 4° Il centralise tous les renseignements et les statistiques intéressant l’exploitation technique et commerciale des voies navigables et en assure, s’il y a lieu, la publication ; 5° Il perçoit, pour le compte de qui il appartient, les taxes instituées par la législation sur l’affrètement, la coordination des transports, et les péages qui viendraient à être établis pour l’usage de certaines voies navigables." ; que l’article 206 du même code, dans sa rédaction applicable à la date des décisions qui ont donné lieu au litige, dispose : "Tous les contrats de transports, y compris les contrats à temps, sont obligatoirement soumis à un visa administratif délivré par le directeur régional pour les contrats au tonnage ou à temps, et par les bureaux d’affrètement pour les contrats au voyage" ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, si les relations de Voies navigables de France avec ses usagers, envers lesquels il accomplit des missions, telles que la traction ou le tonnage, de nature industrielle et commerciale, relèvent de droit privé, la loi a également confié à cet établissement public une mission, purement administrative, qui vise à donner aux bateaux de navigation intérieure, dans le cadre des pouvoirs dévolus aux bureaux d’affrètement, une utilisation conforme aux exigences de l’intérêt public ; que les litiges auxquels peut donner lieu cette partie de son activité ressortissent à la compétence de la juridiction administrative ; qu’il en résulte que c’est à tort que le tribunal administratif a décliné la compétence de cette juridiction pour connaître du litige opposant M. H. à Voies navigables de France au sujet d’une décision de refus de mise au rôle des bateaux de l’intéressé dans le cadre des pouvoirs dévolus aux bureaux d’affrètement ; que le jugement attaqué doit, par suite, être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée de M. H. au tribunal administratif de Lille ;

Considérant que pour refuser d’inclure les bateaux de M. H. dans le tour de rôle, Voies navigables de France s’est fondé sur la règle selon laquelle les bateaux affectés au trafic dans le cadre de contrat de tonnage sont exclus du tour de rôle pendant toute la durée du contrat, règle au demeurant rappelée lors du visa de ce type de contrat ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier qu’ainsi qu’il a été dit plus haut, les bateaux de M. H. avaient été libérés de tout engagement au sein du G.I.E. "Union des mariniers artisans" et que cette circonstance avait été portée à la connnaissance de l’établissement public ; que dès lors ce dernier ne pouvait légalement refuser pour ce motif la mise au rôle des bateaux de M. H. ; que ce dernier est, par suite, fondé à demander l’annulation de la décision attaquée ;

Considérant que M. H. a demandé à Voies navigables de France la réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’immobilisation de ses bateaux ; qu’il résulte de ce qui a été dit plus haut que le refus de mise au rôle est illégal ; que cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement public ; que, toutefois, le Conseil d’Etat ne dispose pas, en l’état de l’instruction, des éléments lui permettant de se prononcer sur le lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué par M. H. ni sur le montant de celui-ci ; qu’il y a dès lors lieu d’ordonner une expertise aux fins de fournir au Conseil d’Etat tous les éléments de nature à lui permettre d’apprécier si et dans quelle mesure l’immobilisation des navires de M. H. a été provoquée par la décision contestée et quel est le montant des dommages subis ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application de ces dispositions et de condamner Voies navigables de France à verser à M. H. la somme de 2 300 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce que M. H. soit condamné à verser à Voies navigables de France la somme réclamée par cet établissement au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 13 mars 2001 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal de Lille du 17 juin 1999 et la décision du directeur régional de Voies navigables de France du 8 janvier 1996 sont annulés.

Article 3 : Avant-dire droit sur la demande de dommages-intérêts présentée par M. H., il sera procédé à une expertise par un expert désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat. L’expert devra se prononcer sur la durée pendant laquelle les bateaux ont été immobilisés, les conditions de cette immobilisation, le coût d’une telle immobilisation et la perte de recettes qu’elle a provoquée. Le rapport d’expertise devra être déposé dans un délai de trois mois. Il est sursis à statuer sur cette partie du litige.

Article 4 : Voies navigables de France est condamné à verser à M. H. une somme de 2 300 euros.

Article 4 : Les conclusions de Voie navigables de France tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Hugues H., à Voies navigables de France et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site