TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON
N°s 0201383 - 0203480
Mlle Nadjet Ben A.
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M. BÉZARD
Rapporteur
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M. BESSON
Commissaire du gouvernement
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Audience du 3 juillet 2003
Lecture du 8 juillet 2003
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de LYON
(3ème chambre)
LE LITIGE
l°) Mlle Nadjet BEN A., a saisi le tribunal administratif d’une requête présentée par Me DEVERS, avocat au barreau de LYON, enregistrée au greffe le 28 mars 2002, sous le n° 0201383 ;
Mlle BEN A. demande au tribunal :
l’annulation pour excès de pouvoir de la décision en date du 25 janvier 2002 par laquelle le ministre de l’emploi et de la solidarité et le ministre de l’équipement, du transport et du logement ont conjointement prononcé à son encontre une mesure de suspension de fonctions à titre conservatoire,
et la condamnation de l’Etat à lui payer une somme de 500 euros, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Par un mémoire enregistré le 7 août 2002 le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité conclut au rejet de la requête ;
Par un mémoire enregistré le 16 juin 2003 le ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer conclut au rejet de la requête ;
2°) Mlle Nadjet BEN A., a saisi le tribunal administratif d’une requête présentée par Me DEWERS, avocat au barreau de LYON, enregistrée au greffe le 1er août 2002 sous le n° 0203480 ;
Mlle BEN A. demande au tribunal :
l’annulation pour excès de pouvoir de la décision en date du 30 mai 2002 par laquelle le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité conjointement avec le ministre de l’équipement, des transports du logement, du tourisme et de la mer ont prononcé à son encontre la sanction de l’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de quinze jours avec sursis ;
la condamnation de l’Etat à lui payer une somme de 3 000 euros, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Par un mémoire en défense enregistré le 13 février 2003 le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité conclut au rejet de la requête ;
Par un mémoire en réplique enregistré le 24 février 2003 Mlle BEN A. persiste dans ses demandes ;
Par un mémoire enregistré le 16 juin 2003, le ministre de l’équipement, des transports du logement, du tourisme et de la mer conclut au rejet de la requête ;
L’INSTRUCTION DES AFFAIRES
En application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative, une mise en demeure a été adressée au ministre de l’emploi et de la solidarité, par lettre en date du 3 juillet 2002, dans l’instance n° 0201383, et par lettre en date du 14 janvier 20031 dans l’instance n° 020480 ;
En application de l’article R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture de 1’instruction a été fixée au 27 février 2003 par lettre en date du 14 janvier 2003 ;
En application de l’article R. 613-4 du code de justice administrative, l’instruction a été rouverte par décision du 14 mai 2003 ;
L’AUDIENCE
Les parties ont été régulièrement averties de l’audience publique qui a eu lieu le 3 juillet 2003 :
A cette audience, le tribunal, assisté de Mme THOMAS, greffière, a entendu :
le rapport de M. BÉZARD, président rapporteur,
les observations de Me DEVERS, avocat de la requérante,
les conclusions de M. BESSON, commissaire du gouvernement,
LA DÉCISION
Après avoir examiné la requête, la décision attaquée, ainsi que les mémoires et les pièces produits par les parties avant la clôture de l’instruction et vu les textes suivants :
la constitution du 4 octobre 1958,
la loi n°79-587 du 11 juillet 1979,
la loi n°83-634 du 13 juillet 1983,
la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984,
la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002,
le code de justice administrative ;
LE TRIBUNAL
Considérant que Mlle Nadjet BEN A. par deux requêtes distinctes demande l’annulation, d’une part, de l’arrêté conjoint en date du 25 janvier 2002 par lequel le ministre de l’emploi et de la solidarité et le ministre de l’équipement, des transports et du logement l’ont suspendue de ses fonctions de contrôleur du travail à la subdivision d’inspection du travail des transports de Lyon à compter du 28 janvier 2002 et, d’autre part, l’annulation de l’article 2 de l’arrêté conjoint du 30 mai 2002 par lequel le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et le ministre de l’équipement, des transports du logement, du tourisme et de la mer, lui ont infligé la sanction de l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quinze jours assortie d’un sursis total au motif que, malgré les demandes répétées de sa hiérarchie elle persiste, depuis le 8 octobre 2001 à arborer une coiffe qui recouvre entièrement la chevelure portant ainsi gravement atteinte au principe de laïcité de l’Etat et de neutralité de ses services ; que lesdites demandes concernent la situation administrative d’un même fonctionnaire et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;
Sur la légalité de la mesure de suspension à titre conservatoire :
Considérant qu’aux termes de l’article 30 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 : "En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles, ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline (…) ;
Considérant qu’une mesure de suspension prise à l’égard d’un fonctionnaire sur le fondement des dispositions précitées est une simple mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service et ne constitue pas une sanction disciplinaire ; qu’elle n’est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées en application de l’article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Considérant que le fait pour un fonctionnaire de refuser d’obéir aux injonctions réitérées de sa hiérarchie et de transgresser délibérément, par le port d’un vêtement exprimant de manière ostentatoire dans le service sa dévotion à un culte particulier, le principe constitutionnel de laïcité de l’Etat, constitue une faute d’une particulière gravité, autorisant l’administration à mettre en oeuvre, sans commettre d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation les dispositions précitées de 1’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 à l’égard d’un fonctionnaire auquel un tel comportement est imputé ;
Considérant qu’i1 résulte de ce qui précède que la demande de Mlle BEN A. tendant à l’annulation de l’arrêté du 25 janvier 2002 ne peut qu’être rejetée ;
Sur la demande d’annulation de la sanction disciplinaire :
Considérant qu’aux termes de l’article 67 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l’autorité investie du pouvoir de nomination qui l’exerce après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline et dans les conditions prévues à l’article 19 du titre Ier du statut général. Cette autorité peut décider, après avis du conseil de discipline, de rendre publics la décision portant sanction et ses motifs (…)" ; qu’aux termes de l’article 66 de cette même loi : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : l’avertissement, le blâme. Deuxième groupe : la radiation du tableau d’avancement, l’abaissement d’échelon, l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours, le déplacement d’office. Troisième groupe : la rétrogradation, l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : la mise à la retraite d’office, la révocation. L’exclusion temporaire de fonctions, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d’un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l’exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins de un mois. L’intervention d’une sanction disciplinaire du deuxième ou troisième groupe pendant une période de cinq ans après le prononcé de l’exclusion temporaire entraîne la révocation du sursis. En revanche, si aucune sanction disciplinaire, autre que l’avertissement ou le blâme, n’a été prononcée durant cette même période à l’encontre de l’intéressé, ce dernier est dispensé définitivement de l’accomplissement de la partie de la sanction pour laquelle il a bénéficié du sursis." ; et qu’aux termes de l’article 11 de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie : " Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles (…).Sauf mesure individuelle accordée par décret du Président de la République, sont exceptés du bénéfice de l’amnistie prévue par le présent article les faits constituant des manquements à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs (…). " ;
En ce qui concerne la légalité de la mesure disciplinaire attaquée :
Considérant que les fautes reprochées à Mlle Nadjet BEN A. ayant été commises avant le 17 mai 2002 et, au surplus, le sursis dont elle bénéficie étant susceptible d’être révoqué dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article 66 de la loi du 11 janvier 1984, il appartient au tribunal d"examiner d’office si le bénéfice de l’amnistie instituée par la loi précitée du 6 août 2002 lui est ou non acquis ;
Considérant que le fait pour un fonctionnaire appartenant à un corps de contrôle, et donc investi de prérogatives de puissance publique étendues, de refuser avec opiniâtreté d’obtempérer aux injonctions de sa hiérarchie lui demandant d’adopter une tenue vestimentaire respectueuse du principe de laïcité de l’Etat et de la neutralité de ses services, de persévérer à porter rituellement dans le service une coiffe destinée à manifester ostensiblement son appartenance religieuse et à exprimer sa dévotion à un culte, comportement qui dénote une transgression délibérée du principe de laïcité de l’Etat ayant valeur constitutionnelle en vertu de l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, constitue un manquement à l’honneur professionnel qu’implique nécessairement la déontologie du service public, dans la mesure où une telle attitude, par le trouble qu’elle génère, est de nature à instiller, tant dans le service vis à vis de ses collègues qu’auprès de ses usagers, un doute non seulement quant à la neutralité de l’intéressée mais également sur son loyalisme envers les institutions et sa fidélité à une tradition de la République française destinée à préserver la liberté de la conscience, y compris religieuse, dans la paix civile ; qu’il s’ensuit que Mlle Nadjet BEN A. ne peut bénéficier des dispositions de la loi d’amnistie précitée ;
En ce qui concerne la légalité de la mesure disciplinaire attaquée :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (…) infligent une sanction (…) " ;
Considérant que l’arrêté attaqué comporte cinq visas et, en particulier, un extrait d’un avis rendu par le Conseil d’Etat du 3 mai 2000 relatif aux obligations des fonctionnaires en matière de manifestation de leurs croyances dans le service et deux considérants, l’un rappelant l’importance du respect du principe de laïcité de l’Etat exposé dans l’avis précité pour un agent exerçant des missions de contrôle, l’autre caractérisant le comportement de Mlle BEN A. au regard du respect de cette obligation ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, l’arrêté attaqué est suffisamment motivé sur le plan formel ;
Considérant, en second lieu, que le fait pour un fonctionnaire de manifester dans le service ostensiblement ses croyances religieuses et sa dévotion à un culte par le port d’un signe vestimentaire rituel et de refuser d’obéir aux injonctions de sa hiérarchie l’invitant à adopter une tenue respectueuse des ses obligations en la matière, constitue une faute disciplinaire d’une particulière gravité ; qu’en infligeant à Mlle BEN A. pour un tel comportement la sanction de l’exclusion temporaire de quinze jours avec sursis, l’administration n’a entaché sa décision ni d’erreur de droit ni d’une erreur manifeste d’appréciation ; qu’ainsi, la requête présentée par l’intéressée tendant à l’annulation de cette mesure disciplinaire ne peut qu’être rejetée ;
Sur les frais irrépétibles des instances :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation." ;
Considérant que les dispositions précitées s’opposent à ce que Mlle BEN A., qui succombe dans l’instance, puisse obtenir le remboursement des frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés ; que sa demande sur ce point ne peut qu’être rejetée ;
D E C I D E :
Article ler : Les requêtes nos 0201383 et 0203480 de Mlle Nadjet BEN A. sont rejetées.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié conformément aux dispositions de l’article R. 751-3 du code de justice administrative.