COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE BORDEAUX
N° 00BX01170, 00BX02417
DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES
M. Barros
Président
M. de Malafosse
Rapporteur
M. Rey
Commissaire du Gouvernement
Arrêt du 4 mars 2003
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE BORDEAUX
(2ème chambre)
Vu 1/ la requête enregistrée au greffe de la cour le 24 mai 2000 sous le N° 00BX01170, présentée pour le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES ;
Le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 24 février 2000 en tant qu’il admet la recevabilité des conclusions de la société Voyages Richou et de la société Voyages Quetineau tendant à l’annulation des décisions attributives des marchés de transports scolaires du DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES à compter de la rentrée scolaire 1998 portant sur les lots N° 2, 7, 8, 9, 11, 12, 14, 20, 22, 26, 27, 28, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 41, 43, 45, 48, 49, 50, 51, 56, 65, 67, 70, 72, 74, 78, 82, 91, 92, 95, 96, 97, 100, 102, 106, 107, 112, 114, 124, 125, 126, 131, 135, 141, 146, 147, 150, 159, 160, 163, 171, 174, 177, 178, 179, 189, 195, 196, 197, 199, 203, 206, 211, 217 ;
2°) de rejeter ces conclusions de la société Voyages Richou et de la société Voyages Quetineau ;
3°) de condamner la société Voyages Richou et la société Voyages Quetineau au paiement d’une somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu 2/ la requête et le mémoire à fin de sursis enregistrés au greffe de la cour le 4 octobre 2000 sous le N° 00BX02417, présentés pour le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES ;
Le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement susvisé du 24 février 2000, ainsi que le jugement en date du 29 juin 2000 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé les décisions du DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES attribuant les marchés de transports scolaires du département à compter de la rentrée scolaire 1998 en tant qu’ils portent sur les lots N° 2, 7, 8, 9, 11, 12, 14, 20, 22, 26, 27, 28, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 41, 43, 45, 48, 49, 50, 51, 56, 65, 67, 70, 72, 74, 78, 82, 91, 92, 95, 96, 97, 100, 102, 106, 107, 112, 114, 124, 125, 126, 131, 135, 141, 146, 147, 150, 159, 160, 163, 171, 174, 177, 178, 179, 189, 195, 196, 197, 199, 203, 206, 211, 217 et a condamné le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES à verser auxdites sociétés la somme de 2500 F au titre des frais irrépétibles ;
2°) de renvoyer le dossier devant le tribunal administratif de Poitiers ou, à défaut, après évocation, de rejeter les conclusions de la société Voyages Richou et de la société Voyages Quetineau tendant à l’annulation desdites décisions ;
3°) de surseoir à l’exécution du jugement susvisé du 29 juin 2000 ;
4°) de condamner la société Voyages Richou et la société Voyages Quetineau au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 février 2003 :
le rapport de M. de Malafosse ;
les observations de Maître Kolenc, collaborateur de la SCP Pielberg-Butruille, avocat du DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES ;
les conclusions de M. Rey, commissaire du gouvernement ;
Sur l’intervention de la société SCODEC :
Considérant que cette société à intérêt à demander l’annulation des jugements contestés par le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES, qui ont abouti à l’annulation des décisions lui attribuant 17 marchés de transports scolaires ; que son intervention est, par suite, recevable ;
Sur la régularité des jugements attaqués :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 242 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel alors en vigueur :"Les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel peuvent être appelés à donner leur avis sur les questions qui leur sont soumises par les préfets...", et qu’aux termes de l’article R. 243 du même code :"Le tribunal et la cour exercent leurs attributions administratives dans une formation collégiale comprenant le président de la juridiction ou le magistrat qu’il délègue à cet effet et au moins deux membres désignés par le président de la juridiction..." ;
Considérant que le tribunal administratif de Poitiers, consulté par le préfet des Deux-Sèvres en application des dispositions précitées de l’article R. 242 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, a, le 27 juillet 1998, donné un avis sur la question de savoir, à propos du marché des transports scolaires envisagé par le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES pour la prochaine rentrée scolaire, si l’article 262 du code des marchés publics était conforme aux normes européennes en vigueur et comment devaient être interprétés les termes"lots de même nature et de même consistance"employés par cet article ; que la société Voyages Richou et la société Voyages Quetineau ont, le 3 août 1998, saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à l’annulation des décisions du DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES de passer les marchés de transports scolaires à compter de la rentrée scolaire 1998 ; que cette demande était fondée principalement sur la violation de l’article 262 du code des marchés publics en tant notamment qu’il exige des lots de même consistance et sur l’incompatibilité de cet article avec le droit communautaire ; que l’exigence d’impartialité, appréciée objectivement, faisait obstacle à ce que l’un des membres de la formation de jugement statuant sur cette affaire ou le commissaire du gouvernement appelé à conclure sur celle-ci eût été auparavant membre de la formation collégiale ayant émis l’avis rendu le 27 juillet 1998 ; que le commissaire du gouvernement qui a prononcé ses conclusions sur cette affaire lors des deux audiences auxquelles elle a donné lieu avait été membre de la formation collégiale ayant rendu ledit avis ; que cette atteinte au principe d’impartialité entache d’irrégularité les deux jugements par lesquels le tribunal administratif s’est prononcé sur la demande de la société Voyages Richou et de la société Voyages Quetineau ; que ces jugements doivent, dès lors, être annulés ;
Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Voyages Richou et la société Voyages Quetineau devant le tribunal administratif de Poitiers ;
Sur l’étendue de la demande :
Considérant que la demande de la société Voyages Richou et de la société Voyages Quetineau, qui a été introduite devant le tribunal administratif le 3 août 1998 et qui fait référence au seul appel d’offres lancé en avril 1998 par le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES ayant donné lieu à la passation de 153 marchés entre le 24 juin et le 28 juillet 1998, et non au deuxième appel d’offres organisé par la suite en vue de l’attribution des lots pour lesquels le premier appel a été déclaré infructueux, doit être regardée comme tendant à l’annulation des décisions par lesquelles, à l’issue du premier appel d’offres, ont été attribués 153 marchés sur les 220 offerts à la consultation ;
Sur la recevabilité de la demande :
Sur l’existence d’un lien suffisant :
Considérant que les conclusions présentées devant le tribunal administratif par la société Voyages Richou et la société Voyages Quetineau, qui se sont toutes deux portées candidates pour l’attribution de certains des marchés de transports scolaires soumis à la consultation des entreprises par le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES pour la rentrée scolaire 1998, ont le même objet et se fondent sur les mêmes moyens ; que, par suite, ces conclusions, qui présentent entre elles un lien suffisant, ont pu régulièrement faire l’objet d’une demande commune ;
Sur l’intérêt à agir :
En ce qui concerne les lots N° 9, 11, 12, 28, 33, 34, 36, 41, 43, 45, 50, 92, 95, 97 et 106 :
Considérant que la société Voyages Richou justifie d’un intérêt à demander l’annulation des décisions attribuant les marchés correspondant aux lots N° 9, 11, 12, 28, 33, 34, 36, 41, 43, 45, 50, 106 pour lesquels elles a, sans succès, déposé une offre lors de ce premier appel d’offres ; que la société Voyages Quetineau justifie d’un intérêt à demander l’annulation des décisions attribuant les marchés correspondant aux lots N° 92, 95 et 97 pour lesquels elles a, sans succès, déposé une offre lors de ce même appel d’offres ;
En ce qui concerne les 17 lots attribués à la société SCODEC, société ayant la forme d’une société coopérative ouvrière de production :
Considérant d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier que les lots dont il s’agit étaient, selon le règlement de la consultation relatif à l’appel d’offres litigieux, au nombre des lots réservés aux sociétés coopératives ouvrières de production en application de l’article 262 du code des marchés publics et que le règlement de la consultation faisait obstacle à ce que ces lots puissent être attribués à une entreprise n’ayant pas la forme d’une société coopérative ouvrière de production, même en l’absence de toute candidature d’une telle société ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 262 du code des marchés publics, alors en vigueur :"Lorsque les travaux, fournitures ou services sont, par application des dispositions de l’article 274, répartis en lots de même nature et de même consistance ressortissant à une même profession et pouvant donner lieu chacun à un marché distinct, l’administration est tenue de réserver préalablement à la mise en concurrence et dans la proportion d’un lot sur quatre, un ou plusieurs lots qui seront attribués, au prix moyen retenu pour les autres lots, aux sociétés coopératives ouvrières de production qui, dans le délai fixé par la cahier des charges, ont sollicité le bénéfice de cette mesure et se sont engagées par écrit à accepter ledit prix moyen. Lorsque plusieurs sociétés coopératives ouvrières de production ayant sollicité le bénéfice des dispositions de l’alinéa qui précède sont candidates pour un même lot, celui-ci est attribué par voie de tirage au sort entre les sociétés intéressées. Lorsque plusieurs sociétés coopératives ouvrières de production ayant sollicité le bénéfice des dispositions du premier alinéa sont candidates à plusieurs lots réservés, le service contractant attribue d’abord un même nombre de lots à chacune d’elles, le surplus étant attribué comme il est dit à l’alinéa ci-dessus" ; que si, dans un but d’intérêt général inspiré notamment par des préoccupations sociales, le pouvoir réglementaire peut adopter des dispositions qui favorisent l’attribution de marchés publics à certaines catégories d’organismes, ce ne peut être que dans la stricte mesure de ce qui est nécessaire à l’accomplissement de ce but et dans le respect du principe d’égalité et du principe de libre concurrence consacrés tant par le droit interne que par le droit communautaire ; que les dispositions précitées de l’article 262 du code des marchés publics alors en vigueur, qui réservent aux seules sociétés coopératives ouvrières de production l’attribution d’une partie substantielle des marchés publics, quels que soient leur importance et leur objet, à la seule condition que ces marchés soient répartis en lots de même nature et de même consistance ressortissant à une même profession, méconnaissent lesdits principes ; que, par suite, elles n’ont pu légalement servir de fondement aux dispositions du règlement de consultation de l’appel d’offres litigieux réservant certains lots aux sociétés coopératives ouvrières de production ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les sociétés Voyages Richou et Voyages Quetineau, qui se sont portées candidates pour certains lots non réservés lors de l’appel d’offres litigieux et qui ont été irrégulièrement empêchées, s’agissant des lots réservés aux sociétés coopératives ouvrières de production, de présenter des offres susceptibles d’être retenues à l’issue de cet appel, justifient, même si elles n’ont pas présenté d’offres en ce qui concerne ces lots, d’un intérêt à demander l’annulation des décisions attribuant 17 lots à la société SCODEC ;
En ce qui concerne les autres lots :
Considérant que les sociétés Voyages Richou et Voyages Quetineau ne justifient pas d’un intérêt à agir en ce qui concerne les autres lots visés par leur demande pour lesquels elles ne se sont pas portées candidates et qui n’étaient pas réservés aux sociétés coopératives ouvrières de production ;
Au fond :
En ce qui concerne les décisions attribuant 17 marchés à la société SCODEC :
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, les dispositions réglementaires de l’article 262 du code des marchés publics alors en vigueur violent les principes d’égalité et de libre concurrence ; que la société Voyages Richou et la société Voyages Quetineau sont, dès lors, fondées à soutenir que les décisions d’attribuer à la société SCODEC, sur le fondement de l’article 262 du code des marchés publics, 17 lots à l’issue du premier appel d’offres organisé par le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES pour l’attribution des marchés de transports scolaires à compter de la rentrée scolaire 1998 sont illégales et doivent être annulées ;
En ce qui concerne les décisions attribuant les lots N° 9, 11, 12, 28, 33, 34, 36, 41, 43, 45, 50, 92, 95, 97 et 106 :
Considérant, en premier lieu, que ces 15 lots ne figuraient pas au nombre des lots réservés aux sociétés coopératives ouvrières de production en application des dispositions de l’article 262 du code des marchés publics ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’application de ces dispositions à 56 autres lots, parmi les 220 proposés aux candidats, ait eu une incidence sur l’attribution de ces 15 lots ; que, dans ces conditions, la société Voyages Richou et la société Voyages Quetineau ne sauraient utilement se fonder sur l’illégalité ou la violation des dispositions de l’article 262 du code des marchés publics pour demander l’annulation des décisions d’attribution de ces 15 lots ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du I de l’article 38 bis du code des marchés publics dans sa rédaction alors en vigueur :"Les marchés passés sur adjudication ou sur appel d’offres font l’objet d’un règlement de la consultation qui mentionne au moins :...4° le délai de validité des offres...10° en cas d’appel d’offres, les critères énumérés aux articles 95, 97 bis, 297 et 299 bis et éventuellement les critères additionnels pris en compte lors de l’attribution du marché, classés par ordre décroissant d’importance..." ; qu’aux termes du IV du même article 38 bis :"L’établissement du règlement de la consultation est facultatif si toutes les mentions prévues au I...ont été insérées dans l’avis d’appel public à la concurrence ; qu’enfin, l’article 297 dispose que la commission d’appel d’offres"choisit librement l’offre qu’elle juge la plus intéressante en tenant compte notamment du prix des prestations, de leur coût d’utilisation, de leur valeur technique et du délai d’exécution" ; que si, en l’espèce, le règlement de la consultation ne mentionnait pas le délai de validité des offres, la mention de ce délai figurait dans l’avis public d’appel à la concurrence ; que l’absence de mention, dans le règlement de la consultation, des critères d’attribution tirés du coût d’utilisation et du délai d’exécution n’est pas de nature à entacher d’irrégularité ce règlement dès lors qu’eu égard à la nature des prestations devant être accomplies dans le cadre des marchés faisant l’objet de l’appel d’offres, ces deux critères ne trouvaient pas à s’appliquer utilement pour départager les entreprises candidates ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES se soit exclusivement fondé sur le critère du prix des prestations pour attribuer les marchés litigieux ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Voyages Richou et de la société Voyages Quetineau à fin d’annulation des décisions attribuant les quinze lots susvisés doivent être rejetées ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : L’intervention de la société SCODEC est admise.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 24 février 2000 et celui du 29 juin 2000 sont annulés.
Article 3 : Les décisions du DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES d’attribuer à la société SCODEC 17 marchés de transports scolaires à compter de la rentrée scolaire 1998 sont annulées.
Article 4 : Le surplus des requêtes du DEPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES et des demandes présentées par la société Voyages Richou et la société Voyages Quetineau devant le tribunal administratif de Poitiers est rejeté.
Article 5 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.