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NOTES ET COMMENTAIRES :
Conclusions de Gilles Le CHATELIER, Les limites à l’application de la directive recours, AJDA 2003, p.888

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Conseil d’Etat, 30 décembre 2002, n° 249904, Société Eiffage

La commission intergouvernementale créée par l’accord international concernant la construction et l’exploitation de la section internationale d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre la France et l’Espagne, qui comprend des représentants des deux Etats et dont les propositions doivent être prises conjointement par les chefs des deux délégations, est investie du pouvoir de sélectionner le candidat qui sera proposé comme concessionnaire aux autorités des deux Etats parties à l’accord. Elle se voit attribuer pour accomplir cette mission des pouvoirs d’instruction et des moyens de fonctionnement propres. Elle présente ainsi le caractère d’un organisme international. Que si l’accord de Madrid prévoit que "les parties contractantes prennent les dispositions nécessaires pour que la construction et l’exploitation de la section internationale soient assurées dans le respect de leurs engagements internationaux et en particulier du droit communautaire applicable", il n’a pas prévu l’application à la procédure de passation du contrat de concession du droit français, et en particulier des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 249904

SOCIETE EIFFAGE

M. Chantepy
Rapporteur

M. Le Chatelier
Commissaire du gouvernement

Séance du 11 décembre 2002
Lecture du 30 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 5ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 12 septembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE EIFFAGE, dont le siège est 143, avenue de Verdun à Issy-les-Moulineaux (92442), agissant en son nom propre et en qualité de mandataire du groupement TP Ferro ; la SOCIETE EIFFAGE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 13 août 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, à la suspension de la procédure de passation de la concession pour la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien de la section internationale entre Perpignan et Figueras d’une nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse, à l’annulation de la décision de retenir le groupement Euroferro comme concessionnaire pressenti pour entamer les négociations et à ce qu’il soit enjoint à l’Etat de reprendre la procédure de passation après élimination de l’offre du groupement Euroferro ;

2°) d’annuler la décision de retenir le groupement Euroferro, ou subsidiairement d’enjoindre à l’Etat de ne pas entériner la pproposition de retenir ce groupement faite par l’accord du 10 octobre 1995 entre la France et l’Espagne ; de suspendre la passation de la concession ; d’ordonner à l’Etat de se conformer à ses obligations de mise en concurrence, en écartant l’offre du groupement Euroferro et en reprenant la procédure au stade de l’analyse des offres ;

3°) subsidiairement, de saisir la Cour de justice des communautés européennes des questions préjudicielles relatives au principe du droit au recours et au principe d’égalité de traitement entre les candidats ;

4°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré du 11 décembre 2002 présentée pour la SOCIETE EIFFAGE ;

Vu l’accord du 10 octobre 1995 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Espagne concernant la construction et l’exploitation de la section internationale d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre la France et l’Espagne (façade méditerranée), ensemble la loi n° 97-968 du 21 octobre 1997 qui autorise son approbation et le décret n° 98-98 du 16 février 1998 qui prévoit sa publication ;

Vu la directive n° 89/665/CEE du 21 décembre 1989 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Chantepy, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la SOCIETE EIFFAGE et de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la société Grupo Dragados SA et autres,
- les conclusions de M. Le Chatelier, Commissaire du gouvernement

Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics et des conventions de délégation de service public. (...) Il peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations" ;

Considérant qu’en vertu des dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, la SOCIETE EIFFAGE, agissant en qualité de mandataire du groupement TP Ferro, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre la procédure de passation du contrat de concession pour la conception, la construction, l’exploitation et l’entretien de la section internationale entre Perpignan et Figuèras de la nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse prévue par l’accord franco-espagnol du 10 octobre 1995, d’annuler la décision de choisir le groupement Euroferro pour entamer les négociations destinées à sélectionner le futur concessionnaire et d’enjoindre à l’Etat de reprendre la procédure de passation après élimination de l’offre du groupement Euroferro ; que, par une ordonnance du 13 août 2002, le juge des référés a rejeté cette demande en raison de l’incompétence du juge administratif français pour en connaître ;

Considérant que l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Espagne, signé à Madrid le 10 octobre 1995, concernant la construction et l’exploitation de la section internationale d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre la France et l’Espagne a fait l’objet, après que la loi du 21 octobre 1997 a autorisé son approbation, d’une publication au Journal officiel du 21 février 1998, en vertu d’un décret du Président de la République du 16 février 1998 ; que l’article 5 de cet accord stipule : "1. Une commission intergouvernementale sera mise en place pour suivre au nom des deux gouvernements et par délégation de ceux-ci l’ensemble des questions liées à la construction et àl’exploitation de la section internationale. 2. Au titre de sa mission, la commission devra notamment : a) Informer les deux gouvernements et émettre les propositions utiles pour ce qui concerne les études du projet, l’exécution et le financement des travaux, l’exploitation future de la section internationale ; ...c) Préparer le contrat de concession et l’adjudication de la concession de la section internationale ; ...f) Emettre des avis ou recommandations à l’égard des deux gouvernements ou du concessionnaire, en tant qu’organisme consultatif. 3. Chaque gouvernement désigne la moitié des membres de la commission intergouvernementale... La présidence est assurée pour une durée d’un an et alternativement par le chef de chaque délégation. 4. Les avis et recommandations de la commission intergouvernementale sont pris d’un commun accord par les chefs des délégations française et espagnole. En cas de désaccord entre eux, il est fait application de la procédure de consultation entre les gouvernements prévue àl’article 9.5. La commission intergouvernementale établit son propre règlement intérieur et le soumet à l’approbation des deux gouvernements. 7. Les deux gouvernements ... accordent à la commission intergouvernementale les pouvoirs d’investigation, d’inspection et d’instruction nécessaires à l’accomplissement de ses tâches. R. Les frais de fonctionnement de la commission intergouvernementale sont pris en charge pour moitié par chacune des parties contractantes" ;

Considérant que la commission intergouvernementale créée par cet accord international, qui comprend des représentants des deux Etats et dont les propositions doivent être prises conjointement par les chefs des deux délégations, est investie du pouvoir de sélectionner le candidat qui sera proposé comme concessionnaire aux autorités des deux Etats parties à l’accord ; qu’elle se voit attribuer pour accomplir cette mission des pouvoirs d’instruction et des moyens de fonctionnement propres ; qu’elle présente ainsi le caractère d’un organisme international ; que si l’accord de Madrid prévoit que "les parties contractantes prennent les dispositions nécessaires pour que la construction et l’exploitation de la section internationale soient assurées dans le respect de leurs engagements internationaux et en particulier du droit communautaire applicable", et ainsi, notamment, de la directive n° 89/ 665/CEE du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives àl’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, il n’a pas prévu l’application à la procédure de passation du contrat de concession du droit français, et en particulier des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative ; que, dans ces conditions, le juge des référés du tribunal administratif de Paris n’a pas commis d’erreur de droit en déclinant la compétence du juge français ;

Considérant que si la SOCIETE EIFFAGE soutient que l’ordonnance attaquée serait entachée d’erreur de droit et de contradiction de motifs, en ce qu’elle lui suggère, si elle s’y croit fondée, - d’introduire un éventuel recours après que la commissiôri intergouvernementale aura définitivement proposé aux autorités concédantes le futur concessionnaire, ce motif revêt un caractère surabondant au regard du motif d’incompétence de la juridiction administrative ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice des communautés européennes d’une question préjudicielle, que la SOCIETE EIFFAGE n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la première instance, soit condamné à verser à la SOCIETE EIFFAGE la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire partiellement droit aux demandes, d’une part de l’Etat, d’autre part des sociétés Grupo Dragados SA, Bouygues Travaux Publics, DTP Terrassement et DV Construction, présentées sur le fondement des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner la SOCIETE EIFFAGE à payer à l’Etat la somme de 5 000 euros et la même somme, globalement, à ces quatre sociétés, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE EIFFAGE est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE EIFFAGE versera la somme de 5 000 euros à l’Etat et la même somme, globalement, aux sociétés Grupo Dragados SA, Bouygues Travaux Publics, DTP Terrassement et DV Construction, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

Article 3 : Le surplus des conclusions de l’Etat et des sociétés Grupo Dragados SA, Bouygues Travaux Publics, DTP Terrassement et DV Construction est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE EIFFAGE, à la société Grupo Dragados SA, à la société Bouygues Travaux Publics, à la société DTP Terrassement, à la société DV Construction, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer et au ministre des affaires étrangères.

 


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