LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE, siégeant en Commission permanente,
Vu la lettre enregistrée le 02 novembre 1998, sous
le numéro F 1095, par laquelle la société
SERAP a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises
en oeuvre par la société Barbour France ;
Vu le livre IV du code du commerce et le décret
n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié,
pris pour l’application de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre
1986 ;
Vu les observations présentées par la société
Barbour France et par le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
La rapporteure, la rapporteure générale adjointe,
le commissaire du Gouvernement et les représentants des
sociétés SERAP et Barbour France entendus au cours
de la séance du 13 novembre 2001 ;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I)
et les motifs (II) suivants ;
I. - Constatations
La société SERAP expose que, souhaitant devenir
distributeur des produits de marque Barbour, elle a passé,
en 1996, une commande initiale comportant deux modèles
de vestes en deux coloris. La société Barbour
France a refusé de livrer cette commande au motif qu’elle
n’était pas représentative de la gamme des produits
Barbour et a demandé à SERAP de compléter
sa commande.
La saisissante prétend que les pratiques mises en œuvre
par Barbour France ont eu un effet anticoncurrentiel car, en
refusant de satisfaire la commande formulée par SERAP,
Barbour France a, au détriment des consommateurs, écarté
un distributeur qui pratique des prix bas. Elle soutient que
les clauses des conditions générales de vente
de la société Barbour France contreviennent aux
dispositions des articles 81 du traité de Rome et L. 420-1
du code de commerce et que le refus qui lui a été
opposé constitue une pratique illicite au sens des textes
précités.
A. - Les sociétés concernées
1. LA SOCIéTé SERAP
La société anonyme SERAP est principalement implantée
en Ile-de-France. Elle distribue des biens d’équipement
de la maison et de la personne dans des magasins dont l’accès
est réservé aux titulaires d’une carte d’achat
dont l’attribution est conditionnée par un accord préalable
entre la SERAP et le comité d’entreprise, ou une structure
équivalente, du détenteur de la carte.
2. LA SOCIéTé BARBOUR FRANCE
Barbour France est une filiale de la société
anglaise Barbour & Sons Ltd qui fabrique des vêtements
de plein air, distribués dans le monde entier par différentes
catégories de commerces. La société Barbour
France a mis en place un système de distribution sélective
qui comprend 625 distributeurs agréés sur
le territoire national.
B. - Le marché concerné
Barbour fabrique des vêtements et accessoires (vestes
imperméables, manteaux, gilets, pulls, gants, écharpes,
carrés, chapeaux…). La clientèle est principalement
masculine même si certains produits sont également
portés par les femmes (par exemple les vestes en coton
enduit). L’image véhiculée par la marque est celle
de vêtements de grande qualité, très robustes,
destinés aux activités de plein air comme la chasse
ou la pêche. Ils sont, cependant, couramment portés
en ville. De nombreux concurrents proposent des gammes de vêtements
équivalentes.
C. - Les pratiques relevées
Les pratiques mises en cause sont relatives aux critères
d’agrément des points de vente des distributeurs et,
en particulier, à l’obligation pour ces derniers de passer
des commandes représentatives de la gamme Barbour et
à celle de détenir un stock minimum.
Sur les critères d’agrément des points de
vente
Les clauses visées par la notification de griefs concernent
les modalités d’agrément des points de vente.
L’article 7 des conditions générales de
vente (dans la version du 1er octobre 1993)
dispose que le distributeur : "I. devra
assurer que ses locaux sont adaptés à la vente
au détail des produits de la société et
mettent en valeur la grande qualité, l’image et la réputation
de la marque "Barbour" et des produits de la société
(…)
V. devra assurer que ses locaux ont un espace approprié
pour la présentation des produits de la société
(…)
X. ne devra rien faire qui puisse empêcher ou entraver
l’accroissement des ventes des produits de la société
(…)".
Un document, apparemment à usage interne, intitulé
"obligations et responsabilités de l’agent commercial
Barbour" prévoit, sous la rubrique "ouverture
nouveaux comptes", que "1.2. L’agent devra visiter
le détaillant avant toute discussion détaillée
sur la commande initiale (même si l’agent connaît
le détaillant) afin de déterminer la qualité
et la nature du magasin, les marques proposées, l’emplacement
qui pourrait être réservé aux produits Barbour
ainsi que leur présentation (…)
L’agent soumettra un rapport détaillé accompagnant
la fiche information nouveau compte, décrivant le magasin,
son emplacement, sa position vis-à-vis d’autres dépositaires
Barbour dans la région, la proposition de mise en place,
les possibilités de présentation vitrine et les
possibilités de développement".
Un autre document intitulé "J. Barbour &
sons Ltd., Réseau de dépositaires agréés,
procédures à respecter" précise "3. Les
locaux du demandeur devront être appropriés à
la vente au détail des produits de la société.
La société prendra en compte tout facteur important
pour décider si les locaux conviennent, tel que l’emplacement,
la façade, la dimension de la vitrine et sa qualité,
l’espace réservé à la vente, l’éclairage,
le plancher, le mobilier et toutes les installations des locaux
(…)".
L’instruction a fait apparaître que le contenu des rapports
établis par les chefs de secteur, lors de l’instruction
des demandes d’agrément, était très variable.
Pour certains magasins, ces rapports contiennent des informations
précises et complètes, relatives au type de magasin,
à la situation, la clientèle, l’aspect intérieur
et extérieur..., tandis que les rapports relatifs à
d’autres points de vente sont entièrement dépourvus
de telles informations. Pour certaines demandes, une fiche de
renseignements comportant plusieurs rubriques notées
de 1 à 4, voire au-delà, a été
établie par le commercial chargé du secteur, sans
qu’il soit possible de connaître les critères qui
fondent l’attribution des points.
Sur les commandes et le stock
L’article 3 des conditions générales de
vente, relatif aux commandes, stipule que " si le client
désire acquérir des marchandises de la société,
il devra passer un ordre à la société.
La société n’est pas dans l’obligation d’accepter
les commandes reçues du client. Une commande ne devra
être considérée comme acceptée par
la société qu’au moment où la société
aura livré les marchandises faisant l’objet de la commande
du client".
L’article 7. VI. prévoit que le distributeur "devra
détenir un stock suffisant de produits de la société,
stock approprié à ses locaux et au type d’affaire,
et qui représente convenablement la collection de la
société".
Selon le directeur administratif et financier de Barbour France,
"en ce qui concerne l’article 7-6 : le stock minimum
n’est pas défini précisément, il est laissé
à l’appréciation des chefs de secteur en fonction
de l’emplacement géographique, de la taille du point
de vente et de son activité".
En effet, le document intitulé "obligations et responsabilités
de l’agent commercial Barbour" et mentionné ci-dessus
précise, au paragraphe 1.5, que dans le cas d’ouverture
de nouveaux comptes, "l’agent devra s’assurer que la gamme
de produits choisie convienne au magasin et qu’elle soit représentative
de la gamme totale des produits Barbour, prenant en compte les
produits principaux dans des quantités nécessaires
et avec des gammes de tailles complètes, les produits
complémentaires, les accessoires et les produits d’entretien".
La saisissante soutient que le refus de livraison opposé
à sa commande initiale effectuée en 1996, qui
concernait seulement deux modèles de vestes en coton
huilé (Bedale et Border) en deux coloris (navy et vert),
relève d’un traitement discriminatoire.
L’instruction a révélé que des commandes
d’un montant inférieur à celle de la SERAP (212 600 F,
32 410,70 € ), ont été satisfaites mais
ces commandes concernaient un nombre de références
plus important.
Pour autant, la société Barbour France n’a pu
définir avec précision la notion de commande représentative
de la gamme, ni expliciter la notion de stock adapté
aux besoins et locaux d’un commerçant.
D. - Les griefs notifiés
Sur la base des constatations rapportées ci-dessus,
il a été fait grief à la société
Barbour France d’avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles
d’entente en violation des dispositions de l’article L. 420-1
du code de commerce, d’une part, en fixant des critères
imprécis pour apprécier l’adéquation des
lieux de vente et en appliquant ces critères de façon
discriminatoire et, d’autre part, en fixant des clauses d’approvisionnement
minimal imprécises et discriminatoires.
II. - Sur la base des constatations qui précèdent,
le Conseil,
Sur la procédure
Considérant que la société SERAP a sollicité,
par lettre du 7 novembre 2001, un délai supplémentaire
d’un mois, pour avoir accès au dossier et déposer
des observations, au motif qu’un délai de deux mois lui
avait été fixé pour le dépôt
d’observations en réponse à la notification de
griefs du 13 juillet 2001, tandis qu’un délai de
trois mois était accordé à la société
défenderesse et au commissaire du gouvernement ;
Mais considérant, qu’à l’ouverture de la séance
du 13 novembre 2001, le conseil de la société
SERAP, sur interrogation de la présidente, a déclaré
que sa cliente se désistait de cette demande et qu’il
était en mesure de présenter des observations
orales ;
Sur le marché pertinent
Considérant que les vêtements Barbour, bien qu’appartenant
à la gamme des vêtements sportswear qui allient
la mode et le sport de plein air (pêche, chasse, cheval…),
sont majoritairement portés par une clientèle
masculine qui ne pratique jamais le sport auquel ces vêtements
sont destinés ; que le marché pertinent qu’il
convient de retenir est donc celui du vêtement masculin
et non celui du marché du vêtement de sport ;
Considérant que, selon le Centre Textile de Conjoncture
et d’Observation Economique, le marché français
du vêtement masculin s’est élevé, en 1998,
à 43 milliards de francs ; que la part de marché
détenue par Barbour France peut donc être évaluée
à 0,06 % ;
Sur l’application du droit communautaire
Considérant que le règlement de la Commission
européenne CE n° 2790/1999, relatif à l’application
de l’article 81, paragraphe 3 du traité de
Rome à des catégories d’accords verticaux, prévoit
une exemption d’application du paragraphe 1 dudit article
aux accords de distribution dits "accords verticaux"
conclus entre des distributeurs et un fournisseur, notamment
lorsque la part de marché pertinent sur lequel il vend
ses biens ou services ne dépasse pas 30 % ;
Considérant que le contrat de distribution en cause
ne concerne que les conditions de distribution des produits
Barbour sur le territoire national et qu’aucune de ses dispositions
ne régit les relations avec les distributeurs de la Communauté
économique européenne ; qu’il s’ensuit qu’un
tel contrat n’est pas susceptible d’exercer un effet sur les
échanges entre Etats membres et qu’il n’est donc pas
concerné par l’application du droit communautaire ;
que, néanmoins, les dispositions du règlement
de la Commission européenne CE n° 2790/1999, précité,
peuvent constituer un guide d’analyse utile pour la mise en
œuvre au cas d’espèce du droit national ;
Sur les griefs notifiés
Considérant que les contrats de distribution sélective
peuvent améliorer l’efficience économique à
l’intérieur d’une chaîne de distribution grâce
à une meilleure coordination entre les entreprises participantes ;
que la probabilité que de tels gains d’efficience l’emportent
sur les éventuels effets anticoncurrentiels des restrictions
contenues dans un accord de ce type, dépend du pouvoir
de marché des autres entreprises concernées et,
dès lors, du degré de concurrence des autres fournisseurs
de biens et de services que l’acheteur considère comme
interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques,
de leur prix ou de l’usage auquel ils sont destinés ;
que, selon le règlement susvisé de la Commission
européenne, lorsque la part du fournisseur sur le marché
pertinent ne dépasse pas le pourcentage précisé
par ce texte, un accord vertical, à moins qu’il ne comporte
l’une des restrictions qui restent, en tout état de cause,
prohibées, doit être regardé comme ayant
pour effet d’améliorer la production ou la distribution
et de réserver aux consommateurs une partie équitable
du profit qui en résulte ;
Considérant que la société Barbour France
justifie la mise en œuvre du contrat de distribution sélective
en cause par le souci de protéger l’image de haute qualité
de ses produits et que les déclarations de plusieurs
distributeurs font état de la même préoccupation ;
qu’aucun élément du dossier ne permet de penser
que les clauses des conditions générales de vente
applicables entre le fournisseur et ses distributeurs, incriminées
par la notification de griefs, auraient eu un autre objet de
nature anticoncurrentielle ; que, notamment, elles ne portent
pas sur l’une des restrictions énumérées
à l’article 4 du règlement susmentionné,
dont la présence a pour effet de priver l’accord du bénéfice
de l’exemption catégorielle prévue par ce règlement ;
Considérant, par ailleurs, que, compte tenu de la faible
part détenue sur le marché des vêtements
masculins par la société Barbour et de l’existence
de nombreuses gammes de produits concurrentes, le caractère
imprécis des clauses concernées et l’application
discriminatoire qui aurait pu en être faite n’ont pu avoir
d’effet sur le libre jeu de la concurrence ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède
qu’il convient de faire application des dispositions de l’article L. 464-6
du code de commerce ;
DéCIDE
Article unique - Il n’y a pas lieu de poursuivre
la procédure.
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Nguyen-Nied,
par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant
la séance, M. Nasse, vice-président, et M. Robin,
membre, en remplacement de M. Jenny, vice-président
empêché.