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L’usager d’un service public industriel et commercial est aussi un consommateur

Par Benoit Tabaka

Pour la première fois, le juge administratif suprême admet au sein de son corpus juridique les règles du droit de la consommation, et particulièrement les dispositions applicables en matière de clauses abusives.

Référence : Conseil d’Etat, Section, 11 juillet 2001, n° 221458, Société des eaux du Nord

Dans une décision en date du 11 juillet 2001, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel la législation sur les clauses abusives s’applique aux contrats conclus entre les services publics industriels et commerciaux et ses usagers. Il a, en conséquence, déclaré illégale une disposition du règlement du service de distribution d’eau de la communauté urbaine de Lille (Société des eaux du Nord) ayant pour effet de faire peser sur l’abonné la charge de dommages apparus sur le branchement particulier en amont du compteur.

Au cours d’un différend devant le juge civil opposant le service de distribution d’eau de la communauté urbaine de Lille à l’un de ses usagers, le juge administratif a été saisi par voie de question préjudicielle. Le juge civil demandait ainsi au tribunal administratif d’apprécier la légalité des dispositions du règlement de distribution d’eau. En particulier, le juge devait porter son attention à la régularité des articles consacrés à la mise en jeu de la responsabilité du service en raison de dysfonctionnement du branchement d’alimentation en eau.

Par un jugement du 2 juillet 1998, le tribunal administratif de Lille a déclaré que l’article 12 du règlement de distribution d’eau dans la communauté urbaine de Lille est "entaché d’illégalité en ce qu’il stipule que la responsabilité du service des eaux, en cas de dommage résultant de l’existence et du fonctionnement de la partie de l’installation située en partie privative en amont du compteur, ne peut être engagée qu’en cas de faute de service". Faisant appel de la décision, la société des eaux du Nord a saisi la cour administrative d’appel de Douai, qui à son tour, a renvoyé l’affaire devant le Conseil d’Etat.

Le juge administratif suprême a annulé le dispositif adopté par le tribunal administratif de Lille au motif "qu’eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d’abonnement liant le distributeur d’eau et l’usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l’occasion de la fourniture de l’eau, exercer d’autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d’entretien ou de fonctionnement de l’ouvrage public qui assure ladite fourniture". En conséquence, le tribunal ne pouvait se fonder sur les règles applicables au régime de responsabilité du fait des dommages subis par les usagers d’ouvrages publics pour statuer sur la légalité du règlement de distribution d’eau.

Le juge administratif face au droit de la consommation

Devant le Conseil d’Etat, l’abonné soutenait que l’article 12 du règlement de distribution d’eau tombait sous le coup de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 relative à la protection et à l’information des consommateurs de produits et de services, reprises aujourd’hui à l’article L. 132-1 du Code de la consommation. Selon ces dispositions, sont réputées non écrites les clauses abusives contenues dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs. Notamment, prennent cette qualification "les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu’à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l’étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d’exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque ces clauses apparaissent imposées aux non professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confèrent à cette dernière un caractère excessif".

La première question posée au Conseil d’Etat était celle de savoir si les contrats conclus entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers entraient dans le champ d’application du droit de la consommation, et particulièrement dans celui de la réglementation relative aux clauses abusives. La Cour de cassation, pour sa part, avait estimé dans un arrêt du 31 mai 1988 que "les tribunaux de l’ordre judiciaire ne peuvent, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, déclarer que des clauses figurant dans ce décret ou reprises dans un règlement du service d’eau sont abusives au sens de l’article 35 de la loi n° 78 -23 du 10 janvier 1978". Cette solution avait été confirmée par une nouvelle décision le 22 novembre 1994. Tirant conséquence de la position prise par la Cour de cassation, et évitant ainsi un déni de justice, le Conseil d’Etat a intégré le droit des clauses abusives dans le corpus législatif utilisé dans le contrôle de légalité des actes administratifs.

Ensuite, le juge administratif a fait application de l’extension du bloc de légalité et a contrôlé la conformité de l’article 12 du règlement de distribution de l’eau dans la communauté urbaine de Lille. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a considéré que le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même, "mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service".

Dans un second temps, il a fait application de cette définition au cas particulier de l’article 12 du règlement de distribution d’eau attaqué. Le juge a relevé que cet article peut conduire à faire supporter par un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables sans pour autant qu’il lui soit possible d’établir une faute de l’exploitant. Par ailleurs, la clause "s’insère, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion". Enfin, les dispositions contestées "ne sont pas justifiées par les caractéristiques particulières de ce service public". Le Conseil d’Etat en a déduit que l’article 12 présente ainsi le caractère d’une clause abusive au sens de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 et de l’article L. 132-1 du Code de la consommation.

L’extension du corpus législatif en dehors du droit public

L’apport de la décision du Conseil d’Etat est fondamental pour les usagers des services publics industriels et commerciaux. Le juge administratif, en intégrant au bloc de légalité le droit de la consommation, offre une protection supplémentaire aux personnes privées, contractants du concessionnaire de service public. Par ailleurs, et comme l’indique le Conseil d’Etat dans son communiqué, la décision "prend pleinement en compte la nécessité d’assurer le respect, par les actes administratifs intervenant en matière de droit économique, de l’ensemble des règles, et pas seulement celles relevant du droit public, régissant les rapports des acteurs économiques entre eux".

Après l’application du droit de la concurrence par le Conseil d’Etat (voir par exemple, la décision de Section du Conseil d’Etat, du 3 novembre 1997, Société Million & Marais), c’est au tour du droit de la consommation d’intervenir dans le corpus offert au juge administratif pour statuer dans le domaine du droit public économique.

© - Tous droits réservés - Benoit Tabaka - 13 juillet 2001

 


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