CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 221781
M. L.
Mme Le Bihan-Graf, Rapporteur
M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement
Séance du 4 février 2002
Lecture du 27 février 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 6 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Lucien L. ; M. L. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision du 6 avril 2000 par laquelle la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté sa demande tendant au sursis à statuer dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat appelé à se prononcer sur une requête en suspicion légitime, à la récusation des membres des organismes sociaux composant la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, à la récusation du président dudit conseil et du rapporteur, à la saisine du Conseil d’Etat ou de la Cour de justice européenne d’une question préjudicielle relative à la conformité de la composition de la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes et à l’appréciation de la légalité de l’article 1er du décret du 6 décembre 1996 au regard des dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au sursis à statuer dans l’attente d’une instruction pénale en cours visant des membres du Conseil national, à l’annulation de la décision du 2 juillet 1996 par laquelle la section des assurances sociales du Conseil régional de l’Ordre des chirurgiens-dentistes d’Ile-de-Françe lui a infligé l’interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pendant 6 mois, à l’obtention du bénéfice de l’amnistie ;
2°) de condamner le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes à lui verser la somme de 20 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie ;
Vu le décret n° 67-671 du 22 juillet 1967 modifié portant code de déontologie des chirurgiens-dentistes ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Le Bihan-Graf, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat de M. L. et de la SCP Bore, Xavier et Bore, avocat de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine,
les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que l’article 7 du code de déontologie des chirurgiens-dentistes énonce que la pratique de l’art dentaire est soumise aux principes suivants : "Libre choix du chirurgien-dentiste par le patient, liberté des prescriptions du chirurgien-dentiste, entente directe entre malade et chirurgien-dentiste en matière d’honoraires, paiement direct des honoraires par le malade au chirurgien-dentiste" ; qu’aux termes du même article, ces principes s’imposent à tout chirurgien-dentiste "sauf dans les cas où leur observation serait incompatible avec une prescription législative ou réglementaire, ou serait de nature à compromettre le fonctionnement rationnel et le développement normal des services ou institutions de médecine sociale" ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. L. a eu recours, dans le cadre d’un accord avec un organisme mutualiste, à un système de
tiers-payant qui dispensait du paiement de tout ou partie des honoraires l’ensemble des patients qui souhaitaient bénéficier de ce système, qu’ils aient ou non été affiliés à cet organisme mutualiste ; que si une telle pratique a pu constituer une méconnaissance des dispositions précitées de l’article 7 du code de déontologie des chirurgiens-dentistes qui énonce le principe du paiement direct des honoraires par le malade au chirurgien-dentiste et fixe les conditions dans
lesquelles il peut y être dérogé, elle n’a en tout état de cause pas revêtu, dans les circonstances de
l’espèce, le caractère d’un manquement à l’honneur professionnel ou à la probité ; qu’en excluant ces faits du bénéfice de l’amnistie, la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a fait une inexacte application de la loi du 3 août 1995 susvisée ; que la sanction infligée à M. L. étant en partie fondée sur les faits ainsi amnistié
celui-ci est fondé à demander l’annulation de la décision attaquée de la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de renvoyer l’affaire devant la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine à payer à M. L. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. L. , qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme qu’elle demande au titre des frais qu’elle a exposés ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision en date du 6 avril 2000 de la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes est annulée.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes.
Article 3 : Les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine tendant
à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. L. est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Lucien L., à la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, au Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes et au ministre de l’emploi et de la solidarité.