Invité par le Centre
de Recherche en Droit Public et Economique de l’Université de Dijon,
Olivier Beaud, Professeur de Droit Public à l’Université
de Paris II est l’auteur de l’ouvrage « Le Sang Contaminé
» [Presses Universitaires Françaises, PUF 1999, 99Frs ]. Le
thème de la conférence était : « Faut-il juger
pénalement les ministres ? »
Voici un résumé
des débats qui ont eu lieu au cours de cette conférence.
Le Pr Beaud a énoncé
au cours de cette conférence les thèmes et thèses
majeurs développés dans son ouvrage paru au début
de l’année.
I - la Thèse «
Révisionniste » du Scandale du Sang Contaminé.
Le terme de révisionniste
est comme l’a indiqué Olivier Beaud à mettre entre beaucoup
de guillemets. En fait, il s’agit plutôt d’une thèse de très
forte contestation des vérités qui ont cru être établies.
Dans son ouvrage, il a voulu donner la parole aux deux parties en présence,
c’est à dire aussi bien aux procureurs à savoir notamment
les journalistes et victimes, mais également aux accusés
à savoir les ministres, les hauts-fonctionnaires et leurs avocats.
Deux exemples ont été
pris pour illustrer cette thèse qu’il appelle « révisionniste
».
En effet, il considère
qu’il y a eu une véritable méconnaissance de la réalité
de cette affaire. Lorsque l’on se demande ce que c’est que l’affaire du
sang contaminé, il est coutume de dire que c’est un scandale car,
on a donné volontairement du sang contaminé, pourri et mortel
à des personnes qui étaient venues se faire soigner et qu’ainsi,
il s’agirait d’un empoisonnement. Selon le Professeur Beaud, cette explication
est totalement fausse. Selon lui, la vérité est que les médecins
ont décidé de Janvier à Juin 1985 de distribuer des
produits sanguins contaminant à des personnes déjà
contaminées et ont réservé les produits sains à
des personnes non contaminées. Cette attitude des médecins
pouvait s’expliquer par le fait qu’il y avait une pénurie du sang
mais également qu’une fois une personne contaminée, celle-ci
ne craignait pas de se faire à nouveau contaminer et que lui donner
du sang contaminé ne pouvait aggraver son cas. Cette méthode
a conduit à ce que quelques hémophiles qui avaient besoin
de sang pour vivre, ont été contaminés par des poches
de produit contaminant alors que ces personnes n’étaient pas auparavant
contaminées. Il y aurait entre 30 et 40 personnes ainsi contaminées
par erreur entre les mois de Janvier et Mars.
Ainsi, l’affaire du sang
contaminé n’est pas selon Olivier Beaud une tragédie, mais
un drame concernant qu’une quarantaine de personnes et non des milliers.
En outre, ce qui a provoqué
cette mise en cause des ministres a été une mauvaise réaction
de l’administration dès que les hémophiles ont commencer
à protester en 1989 suite aux premiers décès. Ces
derniers ont adressés des demandes d’indemnisation à l’administration
qui a soit rejeter ces demandes, soit allouer une indemnisation faible
en échange d’une renonciation à saisir les tribunaux. Cela
s’est déroulé à une époque où les tribunaux
étaient saisis de nombreux recours et attribués de fortes
indemnités. Cette attitude de l’administration de ne pas avoir pris
au sérieux cette affaire a provoqué la colère des
personnes contaminées. En 1991, suite à un article d’une
journaliste affirmant que la situation avait été cachées
et que des Centres de Transfusion Sanguine avaient décidé
délibérément d’écouler du sang contaminé,
un vrai sentiment de trahison vis à vis des médecins de la
part des hémophiles s’est élevé. Cette attitude de
l’administration ainsi que le rôle moteur joué par la presse
et son caractère militant, ont semble-t-il, selon Olivier Beaud,
poussé les victimes à aller jusqu’au bout dans leur lutte.
C’est ainsi que M. Garetta fut condamné en 1992.
II - La Thèse de
la criminalisation des responsables politiques.
Selon le Pr. Olivier Beaud,
la responsabilité pénale mise en oeuvre pour juger les Ministres
[au sens large, à savoir tous les membres du gouvernement, ministres,
secrétaires d’Etat...] est illégitime et aboutit à
une impasse. En effet, pour pouvoir juger les ministres, la France a changé
de droit lorsque M. Mitterrand a décidé de changé
la constitution pour créer la Cour de Justice de la République,
mais également, on a assisté à l’occasion de cette
révision à une ouverture, à une possibilité
pour les particuliers de pouvoir porter plainte. Enfin, le dernier
problème est que la Commission d’Instruction a renvoyé les
Ministres devant la Cour de Justice de la République alors que le
Procureur Général Burgelin avait indiqué qu’il n’y
avait pas lieu de renvoyer. L’impasse s’est surtout fait ressentir en raison
du mélange de deux responsabilités à savoir une responsabilité
politique et une responsabilité pénale.
Traditionnellement dans les
démocraties occidentales, le fait que le gouvernement ne soit pas
soumis au droit pénal est signe de progrès. En effet, la
preuve pénale pour juger les ministres est très difficile
à rapporter ce qui a expliqué l’abandon par la Grande Bretagne
de la procédure de mise en jeu d’une responsabilité pénale
[l’empeachment]. En outre, les deux responsabilités, sont fondamentalement
opposées. En effet, la responsabilité politique est dominée
par l’arbitraire. Le critère de la mise en jeu de cette responsabilité
est un critère d’opportunité et les "juges" doivent uniquement
décider si le gouvernement a bien gouverner ou non. Il s’agit d’un
simple jugement d’opportunité.
Par opposition, la responsabilité
pénale est soumise au principe de légalité des délits
et des peines et donc, il y a la nécessité d’une loi afin
d’éviter l’arbitraire, le jugement d’opportunité.
Selon Olivier Beaud, le principe
de légalité a été violé sur le fond
de l’affaire. D’une part, il y a eu la violation du principe de rétroactivité
étant donné que l’on a créé une Cour de Justice
compétente pour connaître de faits qui se sont déroulés
avant sa création. D’autre part, il y a un arbitraire complet dans
le choix des poursuites puisque par exemple, Laurent Fabius, d’abord poursuivi
pour "mauvaise orientation de décision" et "mauvaise politique sanitaire"
a été ensuite poursuivi sur le fondement d’infraction involontaire.
Par ailleurs, selon le Pr
Beaud, la responsabilité pénale est une responsabilité
personnelle de celui qui a commis un crime, il y a donc la nécessité
de trouver une faute à reprocher aux ministres. Il y a eu, selon
lui, une véritable traque de la faute aboutissant à ce que
l’arrêt de renvoi dise que "le ministre ne pouvait pas ne pas savoir"
et instituant ainsi une présomption irréfragable, impossible
à renverser, que le ministre savait parce que les fonctionnaires
qu’il avait sous ses ordres savaient. L’arrêt de renvoi instituait
donc une responsabilité pénale du fait d’autrui, en contradiction
avec le caractère personnelle de la responsabilité pénale.
Mais, selon lui, cette responsabilité
pénale du fait d’autrui, largement condamnable n’est en fait qu’une
chose : une responsabilité politique. Ainsi, les ministres ne doivent
pas être responsables pénalement pour des fautes, des dysfonctionnement
de leurs services, mais, doivent assumer politiquement leurs erreurs et
mettre en jeu leur responsabilité politique.
La question qui se pose alors
est de savoir comment réactiver cette responsabilité politique
et surtout pas comment élargir la responsabilité pénale
en incluant des ministres et en instituant une responsabilité pénale
du fait d’autrui. Le contrôle parlementaire n’existe actuellement
plus. Il faudrait donc donner plus de pouvoir à des commissions
d’enquête et éviter qu’elles soient mises en échec
par le pouvoir judiciaire.
III - Critique de l’Arrêt
de la Cour de Justice.
Le Professeur Olivier Beaud
a tout d’abord critiqué le déroulement non satisfaisant des
débats avec notamment un Président qui n’était pas
à la hauteur, mais également en raison de la non participation
des victimes. Sur le fond, l’arrêt marque le retour en force de la
justice politique, de la mise en jeu de la responsabilité politique.
En effet, tout d’abord, l’arrêt a inventé un nouveau cas de
dispense de peine à savoir l’atteinte à la présomption
d’innocence mais surtout le secret du délibéré a été
immédiatement violé et, Edmond Hervé a ainsi pu affirmer
que c’étaient les opposants politiques qui avaient voté contre
lui.
Ainsi, il n’y a plus de véritable
avenir pour la Cour de Justice de la République. Alors que faut-il
faire ?
Interrogé sur ce point,
le Professeur Olivier Beaud a émis plusieurs hypothèses.
Tout d’abord, soit, il faut réviser la constitution pour délimiter
très précisément et à des infractions intentionnelles,
les infractions dont pourrait connaître la CJR et remettre les autres
infractions au jugement politique du parlement et de l’opinion publique,
soit, supprimer la Cour de Justice de la République et poursuivre
les ministres pour les grosses infractions intentionnelles devant les juridictions
répressives de droit commun, laissant les petites infractions intentionnelles,
et, les infractions non intentionnelles à la mise en jeu de la responsabilité
politique.