La Fonction Consultative.
L’article 52 de la Constitution
de l’An VIII énonce premièrement le rôle consultatif
que doit remplir le Conseil d’Etat. Pendant très longtemps, la fonction
de conseil de la juridiction administrative était restée
discrète afin de préserver les relations étroites
existantes entre elle et le gouvernement. Par ailleurs, la doctrine très
peu intéressée par cette fonction ainsi qu’un rôle
quasiment réduit à néant sous la IIIème République
a étouffé complètement l’activité consultative
du Conseil d’Etat. Mais, à partir de 1958, la situation change.
Les raisons sont doubles : tout d’abord la Constitution reconnaît
expressément un rôle consultatif au Conseil d’Etat et, ensuite,
le Conseil d’Etat acquiert une compétence d’étude avec la
création de la Section du Rapport et des Etudes.
Le caractère secret
de l’institution pouvait se résumer dans la litterature du XIXème
sièclee ; partir de la deuxième guerre mondiale lorsque
ce caractè à cette expression : " Qu’est ce qu’un Conseiller
d’Etat ? C’est un Monsieur qui conseille l’Etat. ". Ce caractère
secret de la fonction consultative a commencé à être
levé &agravre consultatif a fait l’objet de diverses études
de la part de la doctrine. Mais, le véritable changement se fit
sentir à partir du moment où sous l’impulsion du gouvernement
[et des conseillers d’Etat qui le compose], la publication des avis s’est
de plus en plus accrue avec le point ultime à savoir la publication
à partir de 1989 du rapport annuel du Conseil d’Etat. Ainsi, il
était plus facile de prendre connaissance de l’exercice de cette
fonction par l’intermédiaire de la lecture de ce rapport à
une réserve près, à savoir la respect du principe
de confidentialité qui demeure le principe et n’est pas devenu l’exception.
La fonction consultative aidant à la préparation des textes
n’est pas une originalité purement française. Certains Etats
ont une juridiction administrative ayant soit une fonction consultative
obligatoire [ex : Suisse], soit une fonction consultative facultative [ex :
Pays nordiques]. Ainsi deux points se détachent de cette fonction
consultative à savoir que depuis le début du XIXème
siècle, une grande permanence se rencontre notamment dans les techniques
utilisées et, par ailleurs, cette fonction connaît un rôle
de plus en plus élargi.
I - La grande permanence
des techniques utilisées.
Cette permanence se rencontre
au travers de 4 domaines à savoir : les structures mêmes,
les méthodes, l’objet de ce rôle et les suites données.
A - Les structures.
La permanence de l’institution
consultative se rencontre tout d’abord au travers des 4 sections administratives
classiques dont 3 datent de la création du Conseil d’Etat par Napoléon.
Par ailleurs, cela se rencontre également au travers de l’existence
de l’Assemblée Générale. Néanmoins, dans cette
stabilité des innovations ont eu lieu. En effet, il y a eu la création
de l’Assemblée Générale Ordinaire et de l’Assemblée
Générale Plénière à partir de 1963 ainsi
que l’apparition en 1945 de la Commission permanente chargée
d’examiner les textes en urgence.
B - Les méthodes.
La permanence se retrouve
au travers de la façon dont le Conseil d’Etat est amené à
intervenir, dont il est saisi. Même si les choses se sont précisées,
le Conseil d’Etat dans sa formation consultative est uniquement saisi par
le gouvernement et lui seul.
Ensuite, autre permanence
est le travail individuel du rapporteur qui est l’héritage du Conseil
du Roi. Cette institution est un des éléments essentiels
au Conseil d’Etat. Dès qu’un texte arrive pour être étudié,
le Président de la Section Administrative saisie le confie à
un rapporteur qui travaillera seul, de manière solitaire en relation
avec les représentants des ministres.
Enfin, dernière méthode
conservant le caractère permanent de l’institution est la discussion
et le vote par la formation compétente (section ou assemblée
générale) et cela sur la base du texte du rapporteur pour
une discussion en section ou sur la base du texte de la section pour une
discussion en assemblée générale. Le travail ne s’effectue
jamais sur la base du texte du gouvernement. Néanmoins, en cas de
différence, le Conseil d’Etat expliquera dans une note adressée
au gouvernement la raison de son désaccord.
C - L’objet.
Le Conseil d’Etat statuant
en formation consultative intervient sous 3 formes : les demandes d’avis
portant sur une question particulière, la soumission des projets
de loi ou décret les plus importants et les affaires individuelles.
1 - Les demandes d’avis portant
sur une question particulière.
Ce n’est pas dans les thèmes
abordés que se retrouvent la permanence mais plutôt dans le
nombre de demandes d’avis qui est stable et varie entre 60 et 100 demandes
par an. Mais, il y a eu des moments dans la vie politique où ce
nombre a eu l’occasion d’augmenter : suite à la mise en place de
nouvelles constitutions [comme en 1958].
2 - La soumission des projets
de loi ou de décret.
Le nombre de textes soumis
au Conseil d’Etat varie mais reste relativement stable au cours des années
[entre 80 et 100 textes]. Lors de ce rôle le Conseil d’Etat a plusieurs
rôles : il a la possibilité de modifier le texte formellement,
c’est à dire [ et il ne s’en prive pas], dans les tournures de phrases.
Ensuite, il peut modifier le texte de manière juridique en fonction
des règles de droit afin de rendre le texte légal par rapport
aux lois, normes internationales existantes, mais également et ce
fût le cas à plusieurs reprises, par rapport à la Constitution.
Mais, l’un des points qui différencie cette fonction consultative
de la fonction contentieuse est que le Conseil d’Etat pour modifier le
projet du Gouvernement pour des raisons d’opportunité. Son rôle
de conseiller ne lui fait-il pas jouer un rôle politique ? Non car
il existe deux opportunités : une opportunité politique (qui
correspond à un choix d’options et qui ressort de la compétence
du gouvernement) et une opportunité administrative (qui correspond
à la meilleure manière de prendre le texte et ceci dans un
soucis de bonne administration de la justice et qui ressort de la compétence
du Conseil d’Etat).
3 - Les affaires individuelles.
Dans de nombreux cas, le
Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur des affaires individuelles
dans le cadre de sa fonction consultative. Mais il y a eu une évolution
notable à savoir une diminution très importantes du nombre
de ces affaires. Le Gouvernement a en effet estimé que cela n’était
plus nécessaire de faire intervenir le Conseil d’Etat [cf. cas du
changement de nom patronymique].
D - Les suites données.
Le texte du Conseil d’Etat
est renvoyé après l’étude au gouvernement avec une
note explicative des modifications notamment pour ce qui concerne les modifications
pour des raisons d’opportunité. Plusieurs choix s’offrent alors
au gouvernement : il ne peut choisir que le texte modifié par le
Conseil d’Etat ou son propre texte. Seulement, en ce qui concerne l’avis
d’opportunité donné par le Conseil d’Etat, les suites données
sont moins univoques. Le Gouvernement ne suit pas toujours cet avis d’opportunité.
Lorsque l’avis adopté est fondé sur des qualités rédactionnelles
ou, sur des raisons juridiques, il va souvent de soit que le Gouvernement
suive cet avis.
Par ailleurs, depuis 1953,
la non consultation obligatoire du Conseil d’Etat est une règle
touchant à l’auteur de l’acte. En effet, en cas de défaut
de consultation, le Conseil d’Etat dans sa formation contentieuse pourrait
relever d’office le moyen et annuler le décret qui n’aurait pas
suivi ce chemin en se fondant sur l’incompétence de l’auteur. Cette
jurisprudence semble faire du Conseil d’Etat, dans sa formation consultative,
un co-auteur de l’acte. Cette règle permet d’affirmer une portée
efficace et concrète aux avis du Conseil d’Etat.
II - Elargissement au
cours des dernières années.
L’un des objets de la réforme
de 1995/1996 était de décharger le Conseil d’Etat de nombre
d’affaires contentieuses afin de redorer le blason de la fonction consultative.
En fait, cet élargissement s’est fait à partir de 1963 avec
la création de la Section du Rapport et des Etudes.
A - Elargissement du champ.
En 1963, il y a eu la création
de la Section du Rapport et des Etudes. C’est un bureau d’études
de problèmes sur lesquels le gouvernement souhaite un avis aussi
éclairé que possible. Autrefois, le rapport annuel du Conseil
d’Etat faisait des propositions de réformes. Cela s’est automatisé
et est devenu indépendant du rapport annuel par l’intermédiaire
des rapports menés par le Bureau d’Etude de la Section du Rapport
et des Etudes et à la demande du Premier Ministre.
Par ailleurs, l’élargissement
est la conséquent de l’étude des textes communautaires :
en effet, le gouvernement est tenu de soumettre au Conseil d’Etat les projets
de textes communautaires qui auraient en France des conséquence
sur le domaine législatif tel que défini par l’article 34
de la Constitution.
Enfin, le Conseil d’Etat
joue un rôle important pour la législation et lois d’Outre-Mer.
Par exemple, le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie a donné
aux organes de cette île un pouvoir législatif : les fameuses
lois du pays. Ces lois sont obligatoirement soumises à un
contrôle du Conseil d’Etat ce qui fait de lui une sorte de juge "pré-constitutionnel".
B - Assouplissement de
la confidentialité.
Le principe est toujours
le même : celui de la non-communicabilité des avis. En effet,
le Conseil d’Etat est en quelque sorte tenu vis-à-vis du gouvernement
du même secret professionnel que l’avocat envers son client. Cette
confidentialité se trouve levée lorsque le gouvernement le
décide soit explicitement soit, implicitement lorsqu’il se réfère
à l’avis dans les visas des textes.
Mais, une fois l’avis rendu
et utilisé par le gouvernement, la confidentialité se trouve
dans la quasi-totalité des cas levée au travers de leur publication
en annexe du Rapport Public chaque année depuis 1989. Ce rapport
a dépassé depuis le simple rapport d’activité en contenant
un thème de réflexion organisée.
C - Lien établi
entre le Conseil d’Etat et les Normes constitutionnelles.
Il n’y a pas d’originalité
de voir le Conseil d’Etat se référer à la Constitution.
Mais, c’est sous l’empire de la Constitution de 1958 et parallèlement
et non contradictoirement avec l’existence et le rôle du Conseil
Constitutionnel que le Conseil d’Etat a établi sa jurisprudence
sur les Principes Généraux du Droit.
Ainsi, lors du rôle
consultatif du Conseil d’Etat, celui-ci se fait avec la prise en compte
des normes constitutionnelles.
D - Lien de plus en plus
étroit avec les normes internationales.
Ce lien se fait sentir par
des références de plus en plus nombreuses à des Principes
Généraux du Droit découlant d’accord internationaux.
Par ailleurs, ce lien est notable lors de l’examen de textes ayant pour
but de transposer des directives communautaires : le Conseil d’Etat est
alors appelé à contrôler l’obligation de respecter
les objectifs communautaires.
Conclusion.
En conclusions, deux points
seront abordés. Le premier est relatif à la question de la
indépendance et l’interdépendance des deux fonctions, le
second est relatif à la question de savoir pourquoi le Gouvernement
fait ainsi appel au Conseil d’Etat.
I - Indépendance
et interdépendance.
L’interdépendance
est marqué par la double appartenance. En effet, tous les membres
du Conseil d’Etat exercent des fonctions dans les deux formations (consultative
et contentieuse) ce qui pourrait laisser croire à peu de divergence
d’opinion entre les deux formations. Mais, cette double appartenance n’empêche
pas que le Conseil d’Etat, statuant au contentieux puisse annuler un décret
ayant reçu un avis favorable. Cela pourrait être notamment
la cause d’une plus grande information de la Section du Contentieux grâce
à un délai d’étude plus long. Mais il faut remarquer
que cette annulation ne pourrait intervenir qu’au niveau de la plus haute
formation de jugement à savoir l’Assemblée du Contentieux.
Face à cette situation
de double appartenance, un arrêt de la Cour Européenne des
Droits de l’Homme est intervenu : l’arrêt Procola qui indique qu’un
juge qui a siégé dans une formation administrative n’a plus
son indépendance et ne peut donc plus siéger pour la même
affaire dans une formation contentieuse. La France, dans un arrêt
Dame Arbousset, a indiqué qu’il n’y avait pas de perte d’impartialité
ni d’indépendance du juge. Dans la même direction, le Conseil
d’Etat (au mois de décembre 1999) a jugé en substance qu’un
juge ne perd pas son impartialité en jugeant dans une formation
administrative auparavant et cela contrairement à la jurisprudence
de la Cour de Cassation.
La collaboration, l’interdépendance
des deux formations est tout de même un bien : cela permet d’éviter
d’importantes et récurrentes divergences juridiques entre les deux
formations et d’éviter des catastrophes contentieuses. Par ailleurs,
il a été rappelé à cette occasion qu’un membre
de la formation consultative siègeant ensuite dans une formation
contentieuse pouvait le faire car sa bonne foi lui permettait de garder
sa totale impartialité sur l’affaire et que dans tous les cas, des
mesures avaient été prises en France afin d’éviter
qu’une même personne soit amenée à donner deux avis
sur une même affaire.
II - Pourquoi faire appel
au Conseil d’Etat ?
La première raison
est que le gouvernement est incapable de maîtriser tous les éléments.
Il se doit d’anticiper sur les décisions rendues par d’autres juridictions
[Conseil Constitutionnel, Cour Européenne des Droits de l’Homme,
Cour de Justice des Communautés Européennes] et seul le Conseil
d’Etat peut l’aider dans cette tâche.
La seconde raison est purement
pécuniaire. En effet, le risque juridique a un coût, et la
moindre erreur du gouvernement pourrait le contraindre à supporter
le coût financier de plusieurs centaines de recours contre des décisions.
C’est véritablement l’élément déterminant du
recours au Conseil d’Etat.
Ainsi, entre être sanctionné
et devoir réparer, il faut mieux consulter.