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(IMPRESSION)
A LIRE EGALEMENT :
Conclusions sous Cour administrative d’appel de Nancy, formation plénière, 18 juin 2002, M. Trippa
Conclusions sous Conseil d’Etat, Assemblée, 30 novembre 2001, n° 219562, Ministre de l’économie et des finances c/ M. Kechichian et autres
Conclusions sous Conseil d’Etat, Assemblée, 6 avril 2001, n° 206764, S.A. Razel Frères et M. Christian LE LEUCH
Conclusions sous Conseil d’Etat, Assemblée, 27 octobre 2000, n° 196046, Mme Marie-Françoise DESVIGNE
Conclusions sous Conseil d’Etat, Section, 22 novembre 2000, n° 207697, Société Crédit agricole Indosuez Cheuvreux
Conclusions sous Conseil d’Etat, Section, 28 février 2001, Préfet des Alpes-Maritimes et Société Sud-Est Assainissement
Conclusions sous Conseil d’Etat, 28 septembre 2001, n° 217490, M. Nucci
Conclusions sous Tribunal Administratif de Nouméa, 20 Avril 2000, Monsieur Didier LEROUX, Front de libération national kanak socialiste et Monsieur Louis MAPERI ¢ congrès de Nouvelle Calédonie
Conseil d’Etat, Assemblée, 23 Février 2000, Société LABOR METAL
Conclusions sous Conseil d’Etat, 27 Octobre 1999, Fédération Française de Football
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Conclusions sous Conseil d’Etat, Assemblée, 3 Décembre 1999, M. Jean-Louis DIDIER
Par Alain SEBAN
Maître des Requêtes au Conseil d’Etat
La loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières a créé un Conseil des marchés financiers (CMF) qui réunit les attributions antérieurement exercées par le Conseil des bourses de valeurs et le Conseil du marché à terme.
La loi n° 96-597 du 2
juillet 1996 de modernisation des activités financières a
créé un Conseil des marchés financiers (CMF) qui réunit
les attributions antérieurement exercées par le Conseil des
bourses de valeurs et le Conseil du marché à terme. Cet organisme
professionnel se compose de seize membres nommés par arrêté
du ministre chargé de l’économie et des finances pour une
durée de quatre ans, et qui sont soit des professionnels des marchés,
soit des personnalités qualifiées. Doté de la personnalité
morale, le Conseil est investi d’attributions étendues. Il prend
des décisions réglementaires relatives au fonctionnement
des marchés réglementés et à l’activité
des prestataires de services d’investissement, des entreprises de marché
et des chambres de compensation, en contrôle l’application, et en
sanctionne la méconnaissance par les entreprises précitées
ainsi que par les personnes placées sous leur autorité ou
agissant pour leur compte.
Par décision du 27
janvier 1999, le Conseil des marchés financiers, statuant disciplinairement,
a infligé à M. DIDIER, responsable des activités d’arbitrage
de la société Dynabourse, la sanction du retrait de la carte
professionnelle pour une durée de 6 mois assortie d’une sanction
pécuniaire de 5 millions de francs. M. DIDIER vous défère
régulièrement cette décision, et ce recours est un
recours de pleine juridiction dont il vous appartient de connaître
en premier et dernier ressort, aux termes de l’article 8 du décret
n° 96-872 du 3 octobre 1996.
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I. Cette affaire est portée
directement devant votre formation afin que soit réexaminé
le bien-fondé de la jurisprudence – dite ci-après " jurisprudence
Méric " – dont la formulation la plus nette se trouve dans votre
avis
de Section du 31 mars 1995 " Ministre du budget c/ SARL Auto-Industrie
Méric " (Rec. p. 154, JORF 2 mai 1996 p. 6901, RJF 5/95
p. 326 concl. J. Arrighi de Casanova), selon lequel : " l’article 6
[de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme]
[…] n’énonce […] aucune règle ou aucun principe dont le champ
d’application s’étendrait au-delà des procédures contentieuses
suivies devant les juridictions, et qui gouvernerait l’élaboration
ou le prononcé de sanctions, quelle que soit la nature de celles-ci,
par les autorités administratives qui en sont chargées par
la loi ".
M. DIDIER soutient en effet
que la participation du rapporteur de l’affaire au délibéré
du Conseil des marchés financiers a méconnu le principe d’impartialité
qu’il rattache aux stipulations de l’article 6 par. 1 de la Convention.
1. Il n’est pas douteux que,
d’un point de vue matériel, les stipulations de l’article 6-1, que
nous croyons inutile de rappeler, sont bien applicables : le litige,
saisi dans son ensemble, touche à la fois à des droits et
obligations de caractère civil et à des accusations en matière
pénale au sens de la convention, étant rappelé
que ces notions s’apprécient de manière autonome par rapport
au sens qu’elles revêtent dans le droit national.
a/ Il est certain qu’eu égard
à la nature des sanctions que peut infliger le CMF, celui-ci doit
être regardé comme statuant sur des accusations en matière
pénale au sens de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour déterminer
si une infraction relève de la matière pénale au sens
de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme se fonde
sur trois critères dégagés pour la première
fois dans l’arrêt " Engel et autres c/ Pays-Bas " du 8 juin 1976
(série A n° 22) :
la qualification
donnée par le droit interne est un critère de " valeur
relative " c’est-à-dire non déterminant : la Cour recherche
si l’infraction relève du droit pénal dans l’état
en cause, et examine si la solution retenue est identique dans les " législations
respectives des divers états contractants " en ne s’attachant
pas uniquement à la qualification de l’infraction mais également
aux règles de fond et de procédure applicables, qu’elle compare
à celles du droit pénal ;
la nature même de
l’infraction " considérée aussi en rapport avec celle
de la sanction correspondante " (CourEDH, 21 février 1984,
Oztürk c/ Allemagne, série A n° 73 § 52) : " selon
le sens ordinaire des termes, relèvent en général
du droit pénal les infractions dont les auteurs s’exposent à
des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif
et qui consistent d’habitude en des mesures privatives de liberté
et en des amendes " (ibid., § 53). La nature pénale de
l’infraction est établie par " le caractère général
de la norme et le but à la fois préventif et répressif
de la sanction " (ibid.) ;
le degré de sévérité
de la sanction que risque de subir le contrevenant est un critère
alternatif par rapport au précédent, comme l’a précisé
la Cour dans l’arrêt " Lutz c/ Allemagne " du 25 août 1987
(série A n° 123 § 55). Lorsque le critère précédent
est satisfait, la Cour considère que les éléments
de l’" accusation en matière pénale " au sens de l’article
6 sont réunis, même si la sanction est de faible portée
(par exemple : une amende légère pour une infraction peu
grave au code de la route dans l’arrêt " Oztürk c/ Allemagne
" précité).
Ces critères sont en
principe alternatifs : il suffit qu’un seul d’entre eux soit satisfait
pour que le caractère pénal de la matière s’en évince.
Toutefois, lorsque aucun d’eux n’apparaît vérifié de
manière déterminante, il reste à les cumuler pour
effectuer une pesée globale de la situation (CourEDH, 24 février
1994, Bendenoun c/ France, série A n° 284 § 47, RFDA
1995 p. 1198 ; 24 septembre 1997, Garyfallou Aebe c/ Grèce, §
33).
La Cour de Strasbourg n’hésiterait
sans doute pas longtemps avant d’estimer que les sanctions financières
infligées par le CMF ressortissent à la matière pénale
au sens de la Convention. Il s’agit d’amendes, technique caractéristique
de la matière pénale et, au surplus, d’amendes qui peuvent,
comme en l’espèce, atteindre des montants substantiels. En outre,
et au regard du second critère, l’amende présente bien un
caractère répressif – sanctionner une irrégularité
– et préventif – dissuader l’intéressé de recommencer
– par opposition à une indemnité qui réparerait un
préjudice. Enfin, l’amende peut être fortement modulée,
voire écartée, en fonction d’une appréciation du comportement
de l’intéressé. La Cour a d’ailleurs reconnu le caractère
pénal au sens de la Convention à des sanctions prononcées
dans le cadre de la procédure de contrôle administratif des
prix, consistant en une amende et la fermeture temporaire d’un magasin
(CourEDH, 27 février 1980, Deweer c/ Belgique, série A
n° 35), ce qui n’est pas très différent des sanctions
infligées en l’espèce, à savoir une amende et le retrait
temporaire de la carte professionnelle.
Votre jurisprudence est dans
le même sens. La qualification d’accusation en matière pénale
au sens de la Convention découle de votre avis de Section du
31 mars 1995 " Ministre du budget c/ SARL Auto-Industrie Méric "
(Rec. p. 154, JORF 2 mai 1996 p. 6901, RJF 5/95 p. 326 concl. J.
Arrighi de Casanova), qui tire les conséquences d’un arrêt
de la Cour de Strasbourg (CourEDH, 24 février 1994, Bendenoun
c/ France, préc.), et dans lequel vous avez estimé que
: " Les principes que fixe […] [l’]article 6 sont […] applicables à
la contestation devant les juridictions compétentes des majorations
d’impositions prévues à l’article 1729-1 du code général
des impôts en cas de manœuvres frauduleuses qui, dès lors
qu’elles présentent le caractère d’une punition visant à
empêcher la réitération des agissements qu’elles visent
et n’ont pas pour objet la seule réparation d’un préjudice,
constituent … des accusations en matière pénale au sens des
stipulations de l’article 6… ". Vous avez ainsi, dans une très
large mesure, faite vôtre l’interprétation de la " matière
pénale " donnée par la Cour européenne des droits
de l’homme dans les arrêts précités : vous ne vous
attachez pas à la qualification pénale de la matière
au regard du droit interne (voir également pour les amendes infligées
par la Cour de discipline budgétaire financière : CE,
Sect., 30 octobre 1998, Lorenzi, Rec. p. 374 ; pour les amendes infligées
par la Cour des comptes : CE, 16 novembre 1998, SARL Deltana et M. Perrin,
n° 172.820, à paraître au recueil, à nos conclusions
; pour la contribution spéciale prévue par l’article L.341-7
du code du travail : CE, Sect., 28 juillet 1999, G.I.E. Mumm-Perrier-Jouët,
n° 188.973, à paraître au recueil) ; mais vous recherchez
si les mesures prévues présentent " le caractère
d’une punition visant à empêcher la réitération
des agissements " incriminés. Cette condition est bien remplie
s’agissant des sanctions financières que le CMF est susceptible
d’infliger. Il est donc certain que, dans l’exercice de son pouvoir
disciplinaire, le CMF statue sur des " accusations en matière
pénale " au sens de l’article 6.
b/ Dès lors, on peut
ne pas se demander si le CMF statue également sur des droits et
obligations de caractère civil. Indiquons néanmoins qu’il
n’est pas non plus douteux que la matière civile est également
en cause puisque l’interdiction d’exercer une profession peut être
infligée par le CMF (voir à cet égard : CE, Ass.,
14 février 1996, Maubleu, Rec. p. 34 concl. M. Sanson ; et d’autre
part : Cour EDH, 28 juin 1978, König c/ Allemagne, série
A n° 27 ; 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique,
série A n° 43 ; 30 novembre 1987, H. c/ Belgique, série
A n° 127-B ; 26 septembre 1995, Diennet c/ France, série A n°
325).
2. Dès
lors que le litige entre dans le champ de la convention, votre jurisprudence
fait dépendre l’application de l’article 6-1 d’un critère
fonctionnel. Pour que l’article 6-1 puisse être regardé comme
applicable, il ne suffit pas que le litige concerne des " accusations
en matière pénale " ou des " contestations sur des
droits et obligations en matière civile ". Il faut encore que
la décision contestée émane d’un " tribunal
" ou, en d’autres termes, qu’elle ait un caractère juridictionnel.
Le moyen tiré de la violation de l’article 6-1 est donc regardé
comme inopérant lorsqu’il est invoqué à l’encontre
d’une décision à caractère non pas juridictionnel,
mais administratif : telle est la jurisprudence constante confirmée
par votre avis de section du 31 mai 1995 " Ministre du budget c/ SARL
Auto-Industrie Méric et autre " (préc.[1])
et appliquée à tous les organismes administratifs amenés
à infliger des sanctions dans des conditions proches du CMF : le
Conseil supérieur de l’audiovisuel (CE, 14 juin 1991, Association
Radio-Solidarité, Rec. p. 232 ; 9 octobre 1996, Association " Ici
et Maintenant ", n° 173.073) ; l’ancien Conseil des bourses de
valeurs (CE, Ass., 1er mars 1991, Le Cun, Rec. p. 70),
l’ancien Conseil du marché à terme (CE, 4 mai 1998, Société
de bourse Patrice Wargny, Rec. p. 192), le Conseil de discipline des
organismes de placement collectif en valeurs mobilières (CE,
26 mai 1995, Girardet, n° 140.985 ; 21 octobre 1998, Mme Drevet et
autres, n°s 177.424, 177.468, 178.139, 178.399, 178.589 et 178.609).
La question se pose de manière
récurrente de la compatibilité de cette jurisprudence avec
celle de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est qu’à
vrai dire, le débat est obscurci par le fait, qu’on n’a peut-être
pas assez relevé, que les questions qui vous sont soumises ne sont
pas de même nature que celles que la Cour de Strasbourg a à
trancher.
a/ La Cour européenne
des droits de l’homme doit dire si la procédure interne a permis
au requérant de bénéficier du " droit à
un procès équitable " consacré par l’article 6-1.
Elle se prononce au vu de l’ensemble de la procédure – c’est l’objet
même de la condition d’épuisement des voies de recours internes
préalable à la saisine de la Cour – en recherchant si l’un
au moins des différents organes qui ont été appelés
à se prononcer constituait un tribunal répondant à
l’ensemble des prescriptions de l’article 6-1.
La méthode de la Cour
consiste donc à analyser les différentes décisions
qui ont été prises successivement à l’égard
du requérant en recherchant si l’une au moins d’entre elles émane
d’un organe répondant à deux conditions cumulatives : d’une
part, pouvoir être regardé comme un tribunal répondant
aux prescriptions de l’article 6-1 ; d’autre part, puisque l’article 6-1
exige que ce tribunal soit à même de " décider ", avoir
eu compétence pour connaître, en droit comme en fait, de l’ensemble
des aspects du litige (par exemple : CourEDH, 23 juin 1981, Le Compte,
Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série A n° 43 § 51
; 10 février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, série
A n° 58 ; 26 avril 1995, Fischer c/ Autriche, série A n°
312) et, lorsque la matière pénale est en cause, pour
réformer en tout point la décision entreprise (CourEDH,
23 octobre 1995, Gradinger c/ Autriche, série A n° 328).
Dans cet examen, la Cour va passer rapidement sur deux types de décisions
:
d’une part, les décisions
qui sont prises par un organe qui est assurément un tribunal mais
qui n’est saisi que des questions de droit et non pas des questions de
fait, comme peut l’être un juge de cassation (CourEDH, 23 juin
1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série A n°
43 § 51 ; 10 février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique,
série A n° 58 ; 26 septembre 1995, Diennet c/ France, série
A n° 325), mais aussi certaines juridictions administratives dans
certains systèmes nationaux (CourEDH, 28 juin 1990, Obermeier
c/ Autriche, série A n° 179) ;
d’autre part, les décisions
qui sont prises par un organe purement administratif, tel qu’un chef d’état,
un ministre ou un préfet (voir par exemple, jugeant que la Couronne
néerlandaise ne peut par hypothèse être regardée
comme un tribunal : CourEDH, 23 octobre 1985, Benthem c/ Pays-Bas, série
A n° 97), un tel organe ne pouvant être un tribunal car cette
notion suppose l’indépendance par rapport au pouvoir exécutif
(CourEDH, 27 juin 1968, Neumeister, série A n° 8 § 23
; 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c/ Belgique, série A n°
12 ; 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série
A n° 43 § 55).
L’examen de la Cour va donc
se porter de manière plus particulière sur les juridictions
à compétence générale et sur les organes administratifs
spécialisés, tels que " les juridictions ordinales " ou "
les autorités administratives ou corporatives ", selon les formulations
de l’arrêt du 26 octobre 1984 " De Cubber c/ Belgique " (série
A n° 86 § 32). A leur égard, la jurisprudence de la
Cour est désormais clairement fixée.
En premier lieu, la Cour
ne considère pas que l’article 6-1 renferme une norme qui exclurait
par principe que de semblables organismes puissent prendre une décision
à l’égard d’accusations en matière pénale ou
de droits et obligations de caractère civil : " L’article 6 par.
1 (art. 6-1), s’il consacre le droit à un tribunal […] n’astreint
pas pour autant les états contractants à soumettre les "contestations
sur (des) droits et obligations de caractère civil" à des
procédures se déroulant à chacun de leurs stades devant
des "tribunaux" conformes à ses diverses prescriptions. Des impératifs
de souplesse et d’efficacité, entièrement compatibles avec
la protection des droits de l’homme, peuvent justifier l’intervention préalable
d’organes administratifs ou corporatifs, et a fortiori d’organes juridictionnels
ne satisfaisant pas sous tous les rapports à ces mêmes prescriptions
; un tel système peut se réclamer de la tradition juridique
de beaucoup d’états membres du Conseil de l’Europe " (CourEDH,
23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série
A n° 43 § 51). Si la Cour semble considérer que la
dépénalisation de certaines incriminations, relevant de ce
qu’on pourrait appeler " la matière pénale par excellence
", ne serait pas acceptable en raison de la généralité
des normes répressives en cause et de la gravité des sanctions
(jugé uniquement a contrario : CourEDH, 21 février
1984, Oztürk c/ Allemagne, série A n° 73 § 56 ; 23
octobre 1995, Schmautzer c/ Autriche, série A n° 328 §
52 ; 23 septembre 1998, Malige c/ France, § 45, RJF 11/98 n° 1384),
la présente espèce n’entre pas dans cette exception éventuelle
faute de caractère suffisamment général de la sanction,
qui ne saurait toucher n’importe quel citoyen, mais uniquement certaines
entreprises prestataires de services d’investissement et leurs employés.
La Cour n’a d’ailleurs vu aucun obstacle à ce qu’un organisme administratif
prononce des interdictions d’exercer une profession (CourEDH, 23 juin
1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, préc. ; 10
février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, préc. ; 26
septembre 1995, Diennet c/ France, préc.), ou même des
sanctions pouvant consister en de lourdes peines privatives de liberté
infligées à des militaires (CourEDH, 8 juin 1976, Engel
c/ Pays-Bas, série A n° 22).
En second lieu, puisqu’il
n’y a pas de contre-indication de principe à l’intervention d’organes
administratifs dans le champ d’application de l’article 6-1, la Cour recherche
s’ils méritent l’appellation de tribunal au sens de l’article 6-1,
et ce quelle que soit la qualification que leur donne le droit interne
(par exemple : CourEDH, 22 octobre 1984, Sramek c/ Autriche, série
A n° 84, § 36). Si la procédure devant ces organismes
administratifs ne présente pas les caractères du procès
équitable, elle examine ensuite la procédure devant les juridictions
saisies de recours contre leurs décisions. Par exemple, si elle
constate que, dans le cours de la procédure, la seule juridiction
ayant statué en audience publique n’avait pas compétence
pour se prononcer sur l’ensemble des questions de droit et de fait que
soulevait le litige, la Cour en déduit que l’article 6-1 a été
méconnu et ce que le défaut de publicité de l’audience
ait affecté un organisme qui était lui-même une juridiction,
tel que le conseil de discipline d’un ordre professionnel (CourEDH,
23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, préc.
; 10 février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, préc.
; 26 septembre 1995, Diennet c/ France, préc.), ou un organe
qui présentait un caractère administratif mais qui n’était
soumis, sur le fond, qu’à un contrôle réduit d’une
juridiction administrative (CourEDH, 28 juin 1990, Obermeier c/ Autriche,
série A n° 179).
b/ Pour ce qui vous concerne,
vous êtes saisis d’une décision administrative ou juridictionnelle
dont vous avez à apprécier la légalité. La
Cour de Strasbourg n’a pas à se livrer à une telle appréciation
: elle n’a à se prononcer que sur la question de savoir si le système
juridique national garantit le droit au procès équitable
; si ce droit n’est pas garanti par la procédure prise dans son
ensemble, la responsabilité n’en est pas imputée à
telle ou telle des décisions prises à l’égard du requérant.
Cette appréciation-là, en revanche, vous échappe car
par hypothèse, lorsque vous statuez, la procédure interne
n’est pas achevée et, d’autre part, vous n’êtes saisis que
d’une des étapes de la procédure. Votre rôle et celui
de la Cour sont donc différents, et c’est la raison pour laquelle
les décisions de la Cour ne sauraient vous lier, pas même
par l’autorité de la chose interprétée. Toutefois,
parce que vous êtes une juridiction suprême, et que votre décision
va mettre un terme à la procédure en droit interne, vous
êtes en mesure, dans certains cas, d’apprécier, en statuant
sur le moyen de légalité tiré de l’article 6-1, si
l’objet de cet article aura ou non été rempli par la procédure
nationale prise dans son ensemble. Même si, en effet, le moyen qui
vous est présenté est tiré de la violation de telle
ou telle composante du procès équitable, et présenté
comme un très classique moyen de légalité, il n’est
opérant qu’eu égard à la portée de l’article
6-1, c’est-à-dire le droit à un procès équitable
: l’opérance du moyen est subordonnée à la condition
que la violation dont le requérant se plaint l’ait empêché
de jouir de son droit à un procès équitable.
Lorsque vous êtes saisis
par la voie de la cassation d’une décision juridictionnelle, par
exemple une décision de sanction prise par une juridiction ordinale,
vous pouvez affirmer que pour que le droit au procès équitable
ait été assuré, il est nécessaire que les stipulations
de l’article 6-1 aient été respectées par les juges
du fond : le moyen tiré de leur méconnaissance est donc bien
opérant. Lorsque vous êtes saisis par la voie du recours pour
excès de pouvoir ou d’un recours spécial de pleine juridiction
d’une décision administrative, la situation est en principe inverse
: le moyen est inopérant non pas parce que la décision est
administrative, mais parce qu’on peut avoir la conviction raisonnable que
le droit au procès équitable est garanti devant le Conseil
d’état statuant au contentieux. Pour que le moyen devienne opérant,
il faudrait que le requérant démontre en outre qu’il ne bénéficie
pas d’un procès équitable devant le Conseil d’état.
La jurisprudence issue de votre avis de section du 31 mai 1995 " Ministre
du budget c/ SARL Auto-Industrie Méric et autre " (préc.)
est donc bien fondée, mais elle ne l’est que parce que le Conseil
d’état est une juridiction satisfaisant à l’ensemble des
prescriptions de l’article 6-1 et disposant du pouvoir de statuer sur l’ensemble
des questions de fait ou de droit que soulève le litige. C’est ce
que cherche à marquer une récente décision de vos
6ème et 2ème sous-sections réunies
du 9 avril 1999 " G.I.E. Oddo Futures " (n°s 182.421 et 184.097,
qui sera mentionnée aux tables, à nos conclusions) dans laquelle,
saisis d’un recours dirigé contre une sanction disciplinaire prise
par un organisme administratif, le conseil du marché à terme,
vous avez écarté le moyen tiré de la violation de
l’article 6-1 faute pour cette instance d’avoir statué en audience
publique en relevant " que l’examen en séance publique, par le
Conseil d’état d’un recours [de pleine juridiction] assure le respect
de la publicité de l’audience exigée par l’article 6-1
".
Cette décision a suscité
certaines interrogations. Pour notre part, lorsque nous avions eu l’honneur
de conclure devant vos sous-sections réunies sous la décision
"
G.I.E. Oddo Futures ", nous n’avions pas proposé la solution
qui a été retenue, mais celle consistant à écarter
le moyen comme inopérant conformément à la jurisprudence
" Méric ". Cela ne nous empêche pas de reconnaître que
cette décision a le mérite de souligner que c’est bien l’existence
du recours au Conseil d’état qui fonde la jurisprudence " Méric
". Nous trouvons en revanche que la décision " G.I.E. Oddo Futures
" présente le défaut de paraître reposer sur une
approche différente de celle de la Cour, en ce qu’elle semble considérer
que la méconnaissance d’une prescription de l’article 6-1 par un
organisme administratif est effacée par le respect de la même
prescription par le Conseil d’état, alors qu’elle ne peut être
rattrapée que par le respect par le Conseil d’état de l’ensemble
des prescriptions de l’article 6-1. Si l’organisme saisi en première
instance, par exemple, est reconnu comme manquant d’impartialité,
et si le recours exercé contre sa décision est jugé
par un tribunal qui échappe à ce reproche, mais qui statue
en audience non publique, la Cour de Strasbourg constatera une violation
de l’article 6-1 parce que le procès n’a été équitable
devant aucun des organes saisis. Ainsi, si l’on peut juger qu’il est sans
conséquence qu’un organisme administratif méconnaisse telle
ou telle prescription de l’article 6-1, c’est parce que sont réunies
deux conditions : d’une part, la décision de cet organisme peut
être déférée à un juge administratif
par la voie d’un recours qui lui permet d’examiner l’ensemble des questions
de fait et de droit ; d’autre part, ce juge administratif répond
lui-même à l’ensemble des prescriptions de l’article
6-1.
Ce n’est que si le recours
devant le juge administratif ne répondait pas à ces deux
conditions que l’article 6-1 pourrait être appliqué à
la phase administrative. Le pouvoir législatif ou réglementaire
a sans doute le pouvoir de décider que des organismes administratifs
devront satisfaire à tout ou partie des prescriptions de l’article
6-1 ; mais le juge ne peut en revanche faire produire aux stipulations
de cet article plus de droit qu’elles n’en contiennent. L’article 6-1 a
pour seul objet de consacrer le droit à un procès
équitable ; si ce procès équitable a bien été
organisé par le droit interne devant le juge administratif, le requérant
a été rempli dans les droits qu’il tient de l’article 6-1
; vous ne pouvez donc vous fonder sur cet article pour le remplir une seconde
fois dans les mêmes droits devant un organe administratif. L’objet
de l’article 6-1 étant épuisé par le procès
qui se tient devant vous, vous ne pouvez non plus écarter les dispositions
législatives ou réglementaires applicables à un organe
administratif qui méconnaîtraient telle ou telle prescription
de cet article 6-1. Ces prescriptions ne sont que les diverses composantes
du droit au procès équitable, et non une collection de règles
et de principes dont il appartiendrait au juge national d’étendre,
de restreindre ou de moduler l’application en fonction de considérations
d’ordre interne.
3. Afin de répondre
au moyen de M. DIDIER, il est donc nécessaire d’examiner successivement
trois questions : la nature administrative ou juridictionnelle de la décision
attaquée ; la question de savoir si le recours au Conseil d’état
suffit à assurer le respect de l’article 6-1 ; dans la négative,
la question de savoir si l’article 6-1 a été méconnu
devant le Conseil des marchés financiers.
a/ La nature administrative
ou juridictionnelle de la décision attaquée n’importe à
vrai dire qu’en tant qu’elle détermine la nature du recours en Conseil
d’état. Or, par une particularité de la rédaction
des textes applicables, cette qualification serait ici sans conséquence
du point de vue de l’application de l’article 6-1. En effet, l’article
8 du décret n° 96-872 du 3 octobre 1996 dispose que les décisions
du CMF vous sont soumises par la voie d’un recours de pleine juridiction.
Si vous regardiez le Conseil des marchés financiers comme une juridiction,
ces dispositions ne pourraient se comprendre que comme signifiant que ses
décisions vous sont soumises par la voie de l’appel. Dans tous les
cas, le recours au Conseil d’état permet donc de réexaminer
entièrement, en droit comme en fait, les questions qui ont été
tranchées par le Conseil des marchés financiers. Il permet
en outre, s’agissant d’un recours de plein contentieux, la réformation
de la décision entreprise, de sorte qu’il n’y a pas ici à
se poser la question de savoir si le recours pour excès de pouvoir
assorti d’un contrôle normal suffirait à répondre aux
exigences semble-t-il plus rigoureuses de la Cour de Strasbourg quant aux
pouvoirs du tribunal saisi du litige lorsque la matière pénale
est en cause.
Indiquons cependant qu’il
n’est guère douteux que la décision attaquée est une
décision administrative et non juridictionnelle.
Tout d’abord, on note que
si le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de la loi
du 2 juillet 1996, il avait antérieurement affirmé l’absence
de caractère juridictionnel du Conseil de la concurrence (CC,
déc. n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Rec. p. 8), du Conseil
supérieur de l’audiovisuel (CC, déc. n° 88-248 DC
du 17 janvier 1989, Rec. p. 18) et de la Commission des opérations
des bourse (CC, déc. n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, Rec.
p. 71). La loi du 2 juillet 1996 (article 27), en s’inspirant de ces
précédents, paraît avoir voulu faire du CMF une autorité
administrative indépendante et on note que, dans un domaine voisin,
celui de la discipline des établissements bancaires, le législateur
a pris soin de préciser expressément que la commission bancaire
statuant en matière disciplinaire est une juridiction.
Ensuite, le commissaire du
gouvernement peut provoquer, même en matière disciplinaire,
une seconde délibération (article 35 de la loi du 2 juillet
1996 - article 7 du décret n° 96-872 du 3 octobre 1996). Cette
possibilité ne peut exister que devant une autorité administrative
car, ainsi que le relevait Maryvonne de Saint Pulgent dans ses conclusions
sous votre arrêt d’Assemblée du 1er mars 1991
" Le Cun " (Rec. p. 70, RFDA 1991 p. 613 concl. M. de Saint
Pulgent), par lequel vous avez estimé que le Conseil des bourses
de valeur, créé par une loi du 22 janvier 1988 rédigée
en termes proches de la loi du 2 juillet 1996, était un organisme
administratif : " Un des grands principes applicables aux juridictions
est qu’elles sont dessaisies d’un litige dès qu’elles y ont statué
: hormis les cas de révision ou de recours en rectification d’erreur
matérielle prévus par la loi, personne, et pas même
elle-même, ne peut amener une juridiction à statuer une deuxième
fois sur le même litige " (RFDA 1991 p. 616).
Enfin, l’article 69 de la
loi du 2 juillet 1996 prévoit que le CMF peut s’auto-saisir en matière
disciplinaire ; or si cette possibilité paraît radicalement
incompatible avec un caractère juridictionnel, elle est en revanche
caractéristique des autorités administratives indépendantes.
b/ Nous en venons à
la deuxième condition. La décision attaquée étant
une décision administrative, il faudrait, pour que l’article
6-1 soit opérant à son égard, que le recours de plein
contentieux exercé devant le Conseil d’état ne suffise pas
à garantir le droit du requérant à un procès
équitable.
M. DIDIER esquisse une argumentation
selon laquelle le recours ouvert devant vous ne présenterait pas
un caractère effectif en raison des délais de jugement, qui
sont tels que la sanction de retrait temporaire de la carte professionnelle
qui lui a été infligée aura été entièrement
exécutée à la date à laquelle vous statuerez.
M. DIDIER confond ici le droit à un recours effectif, consacré
par l’article 13 de la Convention, et le droit à un procès
équitable, qui fait l’objet de l’article 6. Or l’article 6-1 ne
contient aucune stipulation dont il pourrait se déduire que, lorsque
la matière pénale est en cause, les recours juridictionnels
devraient être suspensifs. Il se borne à exiger que la procédure
juridictionnelle soit de durée raisonnable.
En dépassant l’argumentation
de la requête, on peut sans doute relever que la Cour de Strasbourg
n’a pas exclu par principe que, dans certains cas, la phase antérieure
à l’ouverture du procès puisse conditionner ce dernier dans
une telle mesure que le droit à un procès équitable
ne serait pas garanti, même devant un tribunal répondant à
toutes les exigences de l’article 6-1. Dans un arrêt du 28 octobre
1993 " Imbrioscia c/ Suisse " (série A n° 275), la
Cour relève que : " l’article 6 a pour finalité principale,
au pénal, d’assurer un procès équitable devant un
tribunal compétent pour décider du bien-fondé de l’accusation,
mais il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des
phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. Ainsi,
le délai raisonnable visé au paragraphe 1 commence à
courir dès la naissance de l’accusation, au sens autonome et matériel
qu’il échet d’attribuer à ce terme […] D’autres exigences
de l’article 6, et notamment son paragraphe 3, peuvent aussi jouer un rôle
avant la saisine du juge du fond si et dans la mesure où leur inobservation
risque
de compromettre gravement le caractère équitable du procès…
" (§ 36). Nous ne voyons aucune autre manière de rattacher,
fût-ce de manière fort lâche, à la jurisprudence
de la Cour de Strasbourg, la position prise par la Cour de cassation dans
deux arrêts récents qui ont censuré, en se fondant
sur l’article 6-1, la participation au délibéré du
rapporteur devant deux organismes administratifs investis d’un pouvoir
de sanction et relevant, par une attribution expresse de compétence,
du contrôle des juridictions de l’ordre judiciaire : la Commission
des opérations de Bourse (Cass., Ass. plen., 5 février
1999, Commission des opérations de bourse c/ Oury et Agent judiciaire
du Trésor, n° Y.97-16.440, Gaz. Pal. 24-25 février
1999 p. 8 concl. M.-A. Lafortune) et le Conseil de la concurrence (Cass.
com., 5 octobre 1999, SNC Campenon Bernard et autres c/ ministre de l’économie,
des finances et du budget, n° D.97-15.617).
Si nous nous référons
aux conclusions de M. l’avocat général Lafortune et au rapport
(publié au Bulletin d’information de la Cour de cassation n°
490 du 1er avril 1999) de M. le conseiller Métivet sous
le premier de ces arrêts, nous croyons comprendre que le raisonnement
de la Cour de cassation consiste, sans remettre en cause le caractère
équitable du procès devant la Cour d’appel de Paris : a)
à considérer qu’il va de soi qu’en matière pénale,
les stipulations des paragraphes 2 et 3 de l’article 6 doivent être
respectées pendant toute phase préalable à la saisine
du juge [2] ; b) à considérer que ces stipulations
ne font qu’expliciter les garanties du paragraphe 1, à l’exception
de la publicité de l’audience, mais en incluant le principe de l’égalité
des armes et celui de l’impartialité du tribunal ; c) et à
en déduire enfin l’application de toutes les stipulations du paragraphe
1 à l’exception de la publicité de l’audience dès
la phase administrative. Telle est la solution dégagée dès
1996 par la chambre commerciale de la Cour de cassation selon qui : " ainsi
que l’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme, des
impératifs de souplesse et d’efficacité peuvent justifier
l’intervention préalable dans la procédure répressive
d’une autorité administrative […] ne satisfaisant pas sous tous
leurs aspects aux prescriptions de forme du paragraphe 1er
de l’article 6 […] " (Cass. com., 9 avril 1996, Haddad c/ Agent
judiciaire du Trésor, Bull. civ. IV n° 115 ; RJA 5/96 p.
438 concl. contraires sur ce point de Mme l’avocat général
M.-C. Piniot).
En dépit des acclamations
avec lesquelles une large partie de la doctrine spécialisée
dans le droit des affaires a accueilli ces arrêts de la Cour de cassation,
la solution ne nous convainc guère. En premier lieu, il suffit de
se reporter aux paragraphes 2 et 3 de l’article 6, qui sont relatifs à
la présomption d’innocence et aux garanties fondamentales des droits
de la défense, pour constater qu’ils ne se réfèrent
en rien au principe d’impartialité qui n’apparaît qu’au paragraphe
1. En deuxième lieu, contrairement à l’analyse faite de sa
jurisprudence par l’arrêt du 9 avril 1996, la Cour européenne
des droits de l’homme n’a jamais fait de distinction entre les prescriptions
de forme de l’article 6-1 et les prescriptions de fond, et ce pour une
raison évidente : c’est que les diverses prescriptions que renferme
l’article 6-1 sont les composantes indivisibles de l’unique droit qu’il
consacre, le droit à un procès équitable. Enfin, vous
avez jugé dans l’avis de Section du 31 mai 1995 " Ministre du
budget c/ SARL Auto-Industrie Méric et autre " (préc.)
que les stipulations des paragraphes 2 et 3 ne s’appliquent pas plus que
celles du paragraphe 1 aux procédures administratives, et la jurisprudence
" Imbrioscia c/ Suisse " n’exige l’application des paragraphes 2 et 3 à
une phase antérieure à la saisine du juge – et encore une
phase bien particulière puisqu’il s’agit de l’instruction pénale
– que " si et dans la mesure où leur inobservation risque
de compromettre gravement le caractère équitable du procès…
". Or, nous ne pensons pas que la méconnaissance alléguée
de l’obligation d’impartialité devant le Conseil des marchés
financiers serait de nature à compromettre gravement le caractère
équitable du procès devant le Conseil d’état.
En premier lieu, ni le fait
que la matière soit technique, ni celui que le Conseil des marchés
financiers soit un organisme spécialisé composé de
professionnels, ne sont de nature à vous amener à faire preuve
d’une retenue particulière dans votre contrôle de ses décisions.
Observons d’ailleurs qu’à l’égard des décisions disciplinaires
du Conseil des bourses de valeurs, dont vous étiez saisis par la
voie du recours pour excès de pouvoir, vous n’aviez pas hésité
à vous reconnaître un contrôle normal (CE, Ass.,
1er mars 1991, Le Cun, préc.). Le contentieux des
installations classées, pour ne prendre qu’un exemple, nous semble
d’une technicité autrement plus redoutable que celui des décisions
disciplinaires du Conseil des marchés financiers, et nous trouvons
bien plus difficile de décider quel est le système de filtrage
des émanations nuisibles d’une usine chimique le mieux adapté
et le plus efficace, que de déterminer si M. DIDIER avait ou non
entendu apporter des titres à une offre publique d’achat. Or, nous
ne savons pas que, dans le contentieux des installations classées,
la technicité de la matière vous ait jamais fait hésiter
à exercer la plénitude des pouvoirs du juge de pleine juridiction.
Si l’on estimait que la technicité de la matière rend illusoire
le contrôle du juge, alors, à chaque fois que l’administration
au sens strict décide elle-même dans une matière technique,
comme en matière d’installations classées (contentieux qui
entre sans doute dans le champ d’application de l’article 6-1 : CourEDH,
23 octobre 1985, Benthem c/ Pays-Bas, série A n° 97), il
n’y aurait jamais de procès équitable : il n’y en aurait
pas devant le juge administratif parce que l’affaire aurait été
trop engagée par la décision de l’administration ; et l’administration
ne peut jamais être considérée comme un tribunal au
sens de l’article 6-1. Peu importerait, d’ailleurs, que l’article 6-1 ait
ou non été violé devant l’administration, car l’absence
de violation de cet article ne rend pas le contentieux moins technique.
L’arbre des autorités administratives indépendantes ne doit
pas cacher cette forêt-là.
En deuxième lieu,
la jurisprudence précitée de la Cour de Strasbourg ne concerne
manifestement pas les procédures de sanctions administratives. Elle
n’a fait l’objet que de rares applications, sans rapport avec cette question,
concernant le respect par des enquêtes préalables à
la saisine du juge pénal de certaines des garanties fondamentales
des droits de la défense inscrites à l’article 6 par. 3,
à savoir le droit de se défendre soi-même et le droit
de ne pas contribuer à sa propre incrimination (CourEDH, 28 octobre
1993, Imbrioscia c/ Suisse, préc. ; 8 février 1996, John
Murray c/ Royaume Uni, Rec. 1996-I p. 49, Rev. science crim. 1997 p.
476 ; 26 septembre 1996, Miailhe c/ France n° 2, Rec. 1996-IV p.
1338). Elle apparaît en réalité comme une sorte
de " soupape " à la jurisprudence traditionnelle selon laquelle
la Cour de Strasbourg refuse de se prononcer sur les modes d’administration
de la preuve devant le juge national.
En troisième lieu,
quand bien même voudriez-vous appliquer à l’espèce
la jurisprudence " Imbrioscia c/ Suisse ", une abondante jurisprudence
de la Cour de Strasbourg montre que le vice invoqué en l’espèce,
c’est-à-dire le défaut d’impartialité, peut toujours
être rattrapé par un recours devant un tribunal répondant
aux prescriptions de l’article 6-1 et que, par voie de conséquence,
un défaut d’impartialité à un stade de la procédure
ne saurait être de nature à compromettre irrémédiablement
le caractère équitable du procès. De la manière
la plus nette, dans l’arrêt du 19 décembre 1997 " Helle
c/ Finlande " (n° 157/1996/776/977 § 46) : " La
Cour rappelle […] que d’après sa jurisprudence constante, une violation
de l’article 6-1 de la convention ne peut être fondée sur
le manque allégué d’indépendance ou d’impartialité
d’un organe juridictionnel, ni sur le manquement par cet organe à
une garantie procédurale essentielle si la décision rendue
était soumise au contrôle subséquent d’un organe judiciaire
doté de la plénitude de juridiction et offrant les garanties
de l’article 6 ". Cette jurisprudence s’applique a fortiori
aux organes administratifs : ainsi, dans l’arrêt du 25 octobre
1995 " Bryan c/ Royaume Uni " (série A n° 355), la
Cour de Strasbourg après avoir considéré que l’inspecteur
du logement et de l’urbanisme chargé par le droit britannique d’examiner
certains recours en matière d’urbanisme ne pouvait être regardé
comme un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article
6-1, car le ministre conservait la possibilité d’évoquer
l’affaire, a admis que ce défaut d’impartialité était
rattrapé par le recours ouvert devant la Haute Cour (§ 48).
Un raisonnement similaire est effectué dans l’ arrêt du
26 août 1997 " De Haan c/ Pays-Bas " (n° 84/1996/673/895).
De la même manière, dans l’arrêt du 29 avril 1988
" Belilos c/ Suisse " (série A n° 132), la Cour saisie
d’un moyen tiré du défaut d’impartialité d’une commission
de police chargée par le droit helvétique d’infliger des
sanctions administratives, n’a pas considéré que ce vice
ne pouvait être purgé par un recours effectif devant un tribunal
impartial, mais a au contraire recherché si le recours devant le
Tribunal fédéral présentait les caractéristiques
d’un recours de plein contentieux, pour conclure en l’espèce par
la négative. Enfin, dans l’affaire qui a donné lieu à
votre arrêt d’Assemblée du 1er mars 1991 " Le
Cun " (préc.), la Commission, saisie d’un moyen tiré
de la violation de l’article 6-1 en raison de la participation du rapporteur
au délibéré du Conseil des bourses de valeurs français,
prédécesseur du CMF, a conclu à l’irrecevabilité
de la requête et écarté le moyen en raison du respect
de l’article 6-1 par le Conseil d’état saisi par le requérant
(ComEDH, 30 juin 1993, J.-P. L. c/ France, n° 18845/91).
En dernier lieu, ainsi que
l’exposait le président Labetoulle dans ses conclusions sous l’arrêt
de Section du 27 octobre 1978 " Debout " (Rec. p. 395), votre
pouvoir autonome d’interprétation de la Convention doit être
manié " avec le souci de concilier, dans la mesure du possible,
deux préoccupations : d’une part éviter toute solution qui
serait radicalement incompatible avec la jurisprudence de la cour ; d’autre
part, éviter aussi toute solution qui sur un point marquerait une
rupture avec le droit national antérieur. " En l’espèce,
aucun arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme n’envisage
une situation similaire, et c’est votre jurisprudence actuelle qui est
en pleine harmonie avec celle de la Cour, alors que son abandon, même
partiel, aurait pour effet de créer, au contraire, une divergence
de jurisprudence avec la Cour de Strasbourg. D’autre part, les conséquences
d’une évolution ne pourraient sans doute que malaisément
être cantonnées au domaine d’intervention des autorités
administratives indépendantes, et risqueraient d’entraîner
une large remise en cause de la jurisprudence " Méric ", et, par
suite, des procédures administratives non contentieuses. S’agissant
enfin des autorités administratives indépendantes, l’enjeu
d’une application de certaines garanties de l’article 6-1, particulièrement
le principe d’impartialité auquel il confère une valeur supra-législative,
ne se limitera pas à la question relativement secondaire de la participation
du rapporteur au délibéré, mais impliquera la remise
en
cause des dispositions, y compris législatives, concernant les pouvoirs
du commissaire du gouvernement et la possibilité d’auto-saisine
en matière disciplinaire. Or la possibilité d’auto-saisine
est l’un des principes constitutifs du droit des autorités administratives
indépendantes, et l’une des conditions essentielles de l’efficacité
de leur pouvoir disciplinaire. Elle résulte d’un choix du législateur,
qui a reçu l’approbation du Conseil constitutionnel. N’y a-t-il
pas quelque paradoxe à vouloir remettre en cause ce choix au nom
de stipulations conventionnelles qui ne s’appliquent qu’aux juridictions
?
c/ Nous ne pouvons nous arrêter
là puisque M. DIDIER invoque également le principe d’impartialité
de l’action administrative, qui est un principe général du
droit interne (CE, Sect., 20 juin 1958, Louis, Rec. p. 368), applicable
aux autorités administratives indépendantes (CC, déc.
n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, Rec. p. 71 : la Commission des
opérations de bourse " est, à l’instar de tout organe
administratif, soumise à une obligation d’impartialité pour
l’examen des affaires qui relèvent de sa compétence ").
Pour lui faire reste de droit, nous profiterons de l’examen de cette branche
de son argumentation pour vous exposer que la participation du rapporteur
au délibéré de la formation disciplinaire n’a pas
plus méconnu ce principe que la règle d’impartialité
contenue dans les stipulations de l’article 6-1, dont le contenu, tel
qu’explicité par la Cour de Strasbourg, rejoint celui que votre
jurisprudence donne au principe général d’impartialité
en matière juridictionnelle ou administrative.
Le principe d’impartialité
comporte deux aspects : il implique tout d’abord que les membres de l’organisme
en cause soient exempts d’arrière-pensées personnelles ;
il exige en second lieu que l’indépendance de l’organisme ne puisse
légitimement être soupçonnée. Le premier aspect
du principe, dit " impartialité subjective ", n’est pas ici en cause.
La contestation porte sur le second aspect, dit " impartialité objective
", que consacre tant la Cour de Strasbourg (CourEDH, 21 septembre 1982,
Piersack c/ Belgique, série A n° 53 § 30) que votre
jurisprudence (CE, 2 octobre 1996, Commune de Sartrouville, Rec. T.
p. 1101).
L’obligation d’impartialité
interdit de cumuler la qualité de juge et celle de partie. Il
s’agit à la fois d’une question d’impartialité et d’égalité
des armes, ainsi que l’exprime une de vos décisions qui relève
que : " le principe général du caractère contradictoire
de la procédure et du respect dû aux droits de la défense
s’oppose à ce que, dans le cours d’une procédure juridictionnelle
de caractère répressif, une même personne puisse être
à la fois juge et partie " (CE, 14 janvier 1981, Putot, Rec.
p. 17).
C’est la raison pour laquelle
les représentants du ministère public, lorsqu’il en existe
un, ne sauraient participer au jugement de l’affaire (CourEDH, 17 janvier
1970, Delcourt c/ Belgique, Série A n° 11, a contrario
; 21 septembre 1982, Piersack c/ Belgique, préc. § 30
– d’autre part : Cass. crim., 13 septembre 1827, Bull. crim. n°
237 ; 7 janvier et 6 novembre 1986, D. 1987 Jur. p. 237 note Pradel ; 26
avril 1990, Bull. crim. n° 162 ; 10 janvier 1996, Bull. crim. n°
9). Le ministère public est en effet partie au procès
: ceci est vrai dans tous les cas en matière pénale ; c’est
vrai dans certains cas en matière civile, et dans les autres cas,
le ministère public a la qualité de " partie jointe " ; devant
les juridictions administratives, il n’existe en règle générale
pas de ministère public, à quelques rares exceptions qui
confirment la règle, comme devant les chambres régionales
des comptes, où le commissaire du gouvernement est bien une partie
puisqu’il peut faire appel du jugement rendu contrairement à ses
conclusions.
C’est également par
extension du même principe qu’un magistrat ou un fonctionnaire ne
peut juger un recours dirigé contre une décision dont il
est l’auteur ou à laquelle il a participé (CE, 11 février
1953, Société industrielle Bozel Malétra, Rec. p.
62 ; Sect., 2 mai 1973, Dlle Arbousset, Rec. p. 190 ; 30 novembre
1994, Pinto, Rec. T. p. 1125 – et d’autre part : CourEDH, 28 septembre
1995, Procola c/ Luxembourg, série A n° 326 et : Crim.,
26 janvier 1982, Bull. crim. n° 31 ; 27 mars 1990, Bull. crim. n°
134 ; Civ. 2e, 7 novembre 1988, Bull. civ. II n° 210 ; 21
juin 1989, Bull. civ. II n° 131 ; 5 mai 1993, Bull. civ. II n°
159 ; 3 novembre 1993, Bull. civ. II n°s 306 et 307 ; 10 octobre 1996,
Bull. civ. II n° 233).
C’est enfin la même
extension du principe qui justifie que ne puisse siéger l’auteur
de la plainte qui a saisi une juridiction disciplinaire (CE, Sect.,
2 mars 1956, Berson et Mouillard, Rec. p. 104 ; 16 décembre 1960,
Colombel, Rec. p. 113, a contrario), bien qu’il ne soit pas
à proprement parler partie à l’instance (CE, 30 juillet
1949, Faucon, Rec. p. 409). En revanche, devant un organisme administratif
vous considérez qu’aucun principe général du droit
n’interdit que siège au sein de l’instance disciplinaire la personne
qui a engagé les poursuites disciplinaires (en matière de
contentieux de la fonction publique : CE, 11 juillet 1958, Tordo, Rec.
p. 431 ; 11 mai 1960, Ministre de l’agriculture c/ Laniez, Rec. p. 316
; 12 juillet 1969, Lebris, Rec. p. 380 – revenant sur une jurisprudence
contraire : CE, 22 mai 1935, Dme Teissier, Rec. p. 579 – devant
une autorité administrative indépendante : CE, Ass., 1er
mars 1991, Le Cun, préc.). Cette jurisprudence sera peut-être
amenée à évoluer, car une évolution vers une
conception plus rigoureuse de l’impartialité objective semble se
dessiner aussi bien dans la jurisprudence de la Cour de cassation que dans
celle de la Cour de Strasbourg, et vous pourriez vouloir en tenir compte.
Mais, en l’espèce, la question ne se pose pas, puisque le CMF a
été saisi par le président de la COB.
L’obligation d’impartialité
interdit également, dans une assez large mesure, la confusion de
deux fonctions relevant d’offices judiciaires distincts, lorsque l’exercice
de l’une de ces fonctions implique un " pré-jugement " sur ce qui
devra être jugé dans le cadre de l’autre.
Ainsi, lorsqu’il
existe des juridictions spécialisées dans l’instruction,
le magistrat qui y a participé ne peut ensuite participer au jugement
de l’affaire au fond. Dans ce cas, l’instruction est en effet " une
sorte d’avant-procès permettant de rechercher quelles sont les preuves
qui conduiront à établir l’existence d’une infraction et
à déterminer si les charges relevées à l’encontre
des personnes poursuivies sont suffisantes pour qu’une juridiction de jugement
soit saisie " [3]. Quel que soit l’acte qui clôt
la phase d’instruction le juge d’instruction effectue une sorte de préjugement
de l’affaire, en se prononçant sur les présomptions de culpabilité
des personnes mises en examen, et en décidant, selon qu’il estime
que ces présomptions sont ou non suffisantes, leur mise hors de
cause ou leur renvoi devant une juridiction d’accusation ou de jugement.
Ayant ainsi préjugé des principales questions à trancher
sur le fond, on peut craindre qu’il serait difficile au juge, lors de l’instance
au fond, et quelle que soit la pertinence des arguments nouveaux échangés
par les parties, de revenir sur sa première opinion. Telle est la
source du principe d’interdiction du cumul des fonctions de juge d’instruction
et de juge du fond, solidement établi depuis le Code d’instruction
criminelle de 1808 et qui figure aujourd’hui à l’article 49 du CPP,
mais qui découle également du principe d’impartialité
contenu dans l’article 6-1 ; ce dernier interdit d’exercer successivement
des fonctions de juge d’instruction, ou de juge de la détention
provisoire, et de juge de fond, lorsque les premières ont conduit
à trancher des questions similaires à celles que le juge
du fond a à trancher (CourEDH, 26 octobre 1984, De Cubber c/
Belgique, série A n° 86 ; 24 mai 1989, Hauschildt c/ Danemark,
série A n° 154 § 49). Ce n’est que lorsque les questions
à trancher par le juge saisi en premier lieu sont sensiblement différentes
de celles qu’a à trancher la juridiction saisie au fond que l’article
6-1 n’est pas méconnu (CourEDH, 16 décembre 1992, Sainte-Marie
c/ France, D. 1993 Somm. p. 384 obs. Renucci ; 24 février
1993, Fey c/ Autriche, série A n° 255 ; 26 février 1993,
Padovani c/ Italie, série A n° 257 B, JCP 1994.I.3742 note
Sudre, Rev. sc. crim. 1993 p. 369 obs. L.-E. Pettiti ; 24 août
1993, Nortier c/ Pays-Bas, série A n° 267 § 35 ; 22 avril
1994, Saraiva de Carvalho c/ Portugal, § 37, JCP 1995.I.3823 ; 22
février 1996, Bulut c/ Autriche, JCP 1997.1.4000 n° 25 obs.
Sudre, Rev. science crim. 1997 p. 473), position plus souple que celle
de la Cour de cassation pour qui tout acte d’instruction est " de nature
à initier le magistrat à la connaissance des faits incriminés
et à influencer son appréciation " (Cass. crim., 21
mars 1935, Bull. crim. 1935 n° 35 – voir ensuite : Cass. crim.,
18 mai 1976, Bull. crim. 1976 n° 168).
Le principe d’impartialité
ne joue pas seulement entre juridictions d’instruction et juridictions
de jugement : il s’étend à tout cumul d’offices judiciaires
distincts lorsque les questions à trancher sont similaires. La Cour
de cassation interdit ainsi au juge qui statue sur une demande de référé-provision
en raison du caractère non sérieusement contestable de l’obligation
de participer ensuite au jugement du fond (Cass., Ass. plen., 6 novembre
1998, n° 430 P, Gaz. Pal. 1998.2.865, D. 1999 Jur. p. 1 concl.
du procureur général Burgelin).
Il en va ainsi a fortiori
lorsque les questions à trancher sont identiques, comme c’est le
cas entre la première instance et l’appel. Cette règle est
consacrée tant par la Cour de cassation (Cass. crim., 8 novembre
1951, Bull. crim. n° 290 ; 26 janvier 1982, Bull. crim. n° 31 ;
26 septembre 1996, Bull. crim. n° 333 – Cass. civ. 1ère,
16 juillet 1991, Bull. civ. I n° 247 – Cass., Civ. 2e,
3 juillet 1985, D. 1986 p. 546 concl. L. Charbonnier ; 3 novembre
1993, JCP 1994.IV.3 – Cass. civ. 3e, 27 mars 1991, Bull. civ.
III n° 105) que par vous (CE, 30 novembre 1994, Pinto, préc.
; 30 juillet 1997, Mme Lévy, Rec. T. p. 1013), et par la Cour
de Strasbourg (CourEDH, 23 mai 1991, Oberschlick c/ Autriche (n°
1), série A n° 204).
En dehors de cette dernière
hypothèse, votre jurisprudence n’a guère eu l’occasion de
se prononcer sur la possibilité de cumuler des fonctions relevant
d’offices différents qu’en ce qui concerne les rapports entre le
pénal et le disciplinaire, et toujours pour affirmer l’indépendance
des deux actions (CE, Sect., 27 avril 1988, Sophie, Rec. p. 160).
Peut-être cette jurisprudence sera-t-elle amenée à
évoluer. Mais, là non plus, la question ne se pose pas dans
la présente affaire.
En effet, les fonctions
d’instruction du rapporteur devant le CMF participent de l’office même
de cet organisme, c’est-à-dire ses attributions disciplinaires.
Le rapporteur intervient après que la formation disciplinaire a
été saisie. Si nous réservons le cas de l’auto-saisine,
le Conseil est saisi, selon l’article 60 de la loi du 2 juillet 1996, "
soit
à la demande du commissaire du gouvernement, soit à la demande
du président de la Commission des opérations de bourse, soit
à la demande du gouverneur de la Banque de France, président
de la Commission bancaire, soit à la demande d’une entreprise de
marché ou d’une chambre de compensation ". En l’espèce,
le Conseil a été saisi, nous l’avons dit, par le président
de la COB. Selon l’article 4 du décret n° 96-872 du 3 octobre
1996 : " Le président désigne, pour chaque affaire, la
formation saisie et un rapporteur parmi les membres de celle-ci. Le rapporteur,
avec le concours des services du Conseil des marchés financiers,
procède à toutes investigations utiles. Il peut recueillir
des témoignages. Il consigne le résultat de ces opérations
par écrit. " Le président du CMF a donc désigné
une formation disciplinaire et un rapporteur, M. Alain Ferri.
Le rapporteur ainsi désigné
n’avait pas à formuler les griefs faits à M. DIDIER : conformément
aux dispositions combinées des articles 2 et 4 du décret
du 3 octobre 1996, sa désignation intervient au plus tôt au
moment de la notification des griefs faite par le président à
la personne poursuivie. Sa fonction ne s’apparentait donc en rien à
celle d’un accusateur. Il n’avait pas non plus à se prononcer sur
le sérieux des griefs et n’avait pas le pouvoir de clore la procédure
ou de renvoyer les personnes mises en cause devant la formation disciplinaire.
Sa fonction était donc sans rapport avec celle d’un juge d’instruction.
Son seul rôle était, en menant une instruction à charge
et à décharge, de réunir l’ensemble des éléments
de fait qui permettraient au Conseil de se prononcer sur les griefs dont
il était saisi par la plainte de la Commission des opérations
de bourse, et de rendre en toute connaissance de cause la décision
qu’il lui incombait de prendre dès lors que la saisine avait ouvert
la procédure disciplinaire. Le rapporteur agissait, en quelque sorte,
comme délégué du Conseil des marchés financiers,
afin d’accomplir des actes d’instruction qu’en vertu de ses pouvoirs généraux,
le Conseil aurait certainement pu décider d’accomplir lui-même
au moment de sa réunion, essentiellement l’audition de témoins
à laquelle, selon l’article 6 alinéa 3 du décret du
3 octobre 1996, il peut également être procédé
lors de la réunion du Conseil. Enfin, le rapporteur n’avait même
pas à prendre parti dans son rapport, et M. Ferri ne l’a pas fait
en l’espèce, sur l’issue qui lui semblait devoir être celle
de la procédure disciplinaire : il n’avait donc pas manifesté
de parti pris ni exprimé de pré-jugement avant la délibération
au cours de laquelle, comme les autres membres du collège, il a
arrêté sa propre opinion.
Or, l’obligation d’impartialité
ne saurait interdire à une juridiction, et il en va a fortiori
de même d’un organisme administratif, d’exercer les diverses fonctions
qui relèvent de son office, même lorsque celui-ci comporte
à la fois des fonctions d’instruction et des fonctions de jugement.
Tel est d’ailleurs généralement le cas. Ainsi, devant les
juridictions pénales, une partie de l’instruction a lieu à
l’audience : c’est la phase dite d’instruction définitive qui vise
à l’administration de la preuve à partir des éléments
du dossier constitué par le juge d’instruction, en les complétant
par les actes d’instruction utiles à la manifestation de la vérité
: interrogatoire du prévenu, audition de témoins et d’experts,
examen de pièces à conviction et, le cas échéant,
prescription de nouvelles mesures d’instruction confiées à
l’un des juges (art. 463 CPP). En matière criminelle, le président
de la cour d’assises peut ordonner tout acte pouvant faciliter l’administration
de la preuve et aider à la manifestation de la vérité
(art. 310 CPP). Il en va de même devant les juridictions civiles
(articles 143 et suivants du NCPC) : ainsi, devant la Cour d’appel, c’est
le conseiller chargé de la mise en état qui rapporte ensuite
l’affaire au civil, et la Cour de cassation n’y fait aucune objection (Cass.
civ. 2e, 13 mars 1996, D. 1996 IR 121). Il en va de même
devant les juridictions administratives. Il en va également ainsi
devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui peut ordonner
diverses mesures d’instruction en en chargeant, le cas échéant,
certains de ses juges, selon l’article 42 du règlement général
de procédure, et désigne dans chaque affaire un ou plusieurs
juges rapporteurs qui, selon l’article 49 2. a) du règlement général
de procédure, peuvent effectuer certains actes d’instruction.
Il est à cet égard
sans importance que les actes d’instruction qui procèdent de l’office
même du juge soient accomplis avant l’audience, comme c’est généralement
le cas devant les juridictions administratives, ou au cours de celle-ci,
comme c’est généralement le cas devant les juridictions pénales.
D’abord, ce principe n’a rien d’absolu : c’est bien à l’audience
que la juridiction administrative décidera de certaines mesures
d’instruction telles que l’interrogatoire, et c’est souvent au moment de
l’audience qu’est décidée, avant-dire-droit, une visite des
lieux ou une expertise ; et, d’autre part, devant les juridictions judiciaires,
les mesures d’instruction décidées à l’audience peuvent
entraîner la suspension de celle-ci, comme lorsque est mis en œuvre
l’article 463 du CPP. Surtout, qu’il soient effectués avant ou pendant
l’audience, les actes d’instruction sont effectués pendant le procès,
lequel a été ouvert par l’assignation devant le juge civil,
par le renvoi ou la citation directe devant le juge pénal, par la
requête devant le juge administratif de droit commun.
L’étendue des pouvoirs
d’instruction et l’usage effectif qui en a été fait ne sont
pas non plus des considérations primordiales, même si l’on
peut noter qu’ils sont ici assez limités et ne sont assortis d’aucun
pouvoir de contrainte. De tous les magistrats, c’est le président
de la cour d’assises qui a les pouvoirs d’instruction les plus étendus
: ces pouvoirs sont à peu près sans limite ; et pourtant,
on ne s’est jamais avisé de soutenir qu’ils l’empêchaient
de délibérer. Et les pouvoirs d’instruction de la sous-section
saisie de l’affaire au Conseil d’état sont également bien
plus importants que ceux du rapporteur devant le CMF. Ce n’est que pour
se livrer à une appréciation en l’espèce des conséquences
à tirer du cumul de fonctions relevant d’offices distincts que la
Cour de Strasbourg prend en considération, ainsi que nous l’avons
rappelé, l’importance des mesures d’instruction accomplies par le
magistrat.
Il est enfin sans conséquence
que les mesures d’instruction soient décidées par la juridiction
elle-même ou par un magistrat délégué par celle-ci.
Certes, nombre des commentaires qui ont été présentés
à propos des arrêts de la Cour de cassation concernant la
Commission des opérations de bourse et le Conseil de la concurrence
sont d’un avis différent (voir notamment : Bull. Joly Bourse 1999
p. 129 note N. Rontchevsky ; LPA 10 février 1999 n° 29 note
P.M. et note C. Ducouloux-Favard ; JCP 3 juin1999 n° 22 p. 957 note
E. Garaud) ;. ils relèvent que le rapporteur qui a conduit l’instruction
de l’affaire dispose d’une connaissance approfondie d’un dossier complexe
qui le met en situation d’exercer, au cours du délibéré,
une influence décisive sur les autres membres du collège.
Nous pensons toutefois que cet argument procède d’une confusion
entre l’exigence d’impartialité, qui interdit tout préjugement,
et la règle de l’égalité des armes inscrite dans le
principe général du caractère contradictoire de la
procédure. Sur le fondement du principe de l’égalité
des armes, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé
que la note du rapporteur devant la Cour de cassation devaient être
communiquée aux parties dans les mêmes conditions qu’elle
l’est à l’avocat général (CourEDH, 31 mars 1998,
Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ France, D. 1998 Somm. p. 366 obs.
G. Baudoux, D. 1999 Jur. p. 281) ; mais elle n’a pas remis en cause l’appartenance
du rapporteur à la formation de jugement. Car l’opinion qu’un magistrat
se forme sur un dossier dans le for de sa conscience ne constitue pas un
préjugement ; et ce n’est pas parce que cette opinion repose sur
une connaissance particulièrement approfondie du dossier qu’elle
acquiert ce caractère, sauf à estimer qu’il n’est de bonne
justice que rendue par des juges complètement ignorants de l’affaire
jusqu’au moment où il leur faut opiner. Poussée à
l’extrême, cette logique voudrait que Thémis eût non
seulement les yeux bandés, mais qu’elle fût également
sourde, muette, et si possible encore dans les langes, et l’on se prend
à songer aux réquisitions de l’avocat général
qui concluait, sous un arrêt du Parlement d’Aix-en-Provence du 14
juin 1689, que " les aveugles sont d’autant plus
propres à remplir [la] fonction [de juge] qu’ils sont plus recueillis
et moins distraits par les objets extérieurs " [4].
On peut d’ailleurs s’amuser de noter que tandis que la doctrine spécialisée
dans le droit des affaires s’offusquait de voir un rapporteur participer
aux débats de la Commission des opérations de bourse, d’éminents
pénalistes comme les professeurs Merle et Vitu estimaient pour leur
part " qu’il n’y aurait qu’avantage à voir
siéger dans la juridiction de jugement le juge qui a instruit l’affaire,
celui-ci connaissant bien le délinquant et sa personnalité
" [5].
En réalité,
ainsi que le juge de manière constante la Cour de Strasbourg, la
connaissance approfondie qu’un magistrat peut acquérir du dossier
n’implique pas un préjugé empêchant de le considérer
comme impartial au moment du jugement sur le fond (CourEDH, 24 août
1993, Nortier c/ Pays-Bas, préc. § 35 ; 22 avril 1994, Saraiva
de Carvalho c/ Portugal, préc. § 38). C’est la raison pour
laquelle, sauf texte contraire, rien ne s’oppose à ce qu’après
cassation, une affaire soit rejugée par une formation dans laquelle
siègent plusieurs des juges qui avaient participé au premier
jugement (CourEDH, 26 septembre 1995, Diennet c/ France, série
A n° 325 § 38), quoique la Cour de cassation en juge différemment
(Civ. 2e, 14 octobre 1987, Bull. civ. II n° 194 ; Civ.
3e, 11 juin 1987, Bull. civ. III n° 122), ou bien que
les mêmes juges rejugent un accusé qu’ils avaient auparavant
condamné par défaut (CourEDH, 10 juin 1996, Thomann c/
Suisse, D. 1997 Somm. p. 207 obs. Renucci).
Si vous nous avez suivis
jusqu’ici, le rejet du moyen s’impose, car il ne saurait être question
d’imposer à une autorité administrative des règles
plus contraignantes que celles qui pèsent sur les juridictions.
Si un juge-rapporteur investi de pouvoirs d’instruction peut participer
au délibéré de la formation de jugement, il s’en évince
nécessairement qu’il en va de même pour le rapporteur qui
remplit une fonction similaire devant un organisme administratif, sans
qu’aucun principe général du droit n’y fasse obstacle, car
si un tel principe existait, il heurterait la plupart des dispositions
de droit positif. Or, ainsi que le rappelait le président Labetoulle
dans ses conclusions sous l’arrêt de Section du 27 octobre 1978
" Debout " (préc.), " l’affirmation d’un nouveau principe
général du droit est moins la création ex nihilo d’une
règle vraiment nouvelle que la reconnaissance et la consécration
d’une norme jusqu’alors inexprimée mais néanmoins sous-jacente
".
*
*
*
*
II. Les trois autres moyens
appellent de moins amples développements.
1. Le deuxième moyen
est tiré d’une violation des droits de la défense
faute pour le rapporteur d’avoir versé au dossier un certain nombre
de documents recueillis durant ses investigations.
Le moyen manque en fait s’agissant
de la note du service de l’inspection du CMF concernant " l’impact
financier ex post pour Dynabourse des opérations parallèles
à l’OPA d’Allianz sur les AGF ". Cette note figure en annexe 6 du
rapport de M. Ferri, dont le requérant a reconnu avoir pris connaissance
le 19 janvier 1999. Dans son mémoire complémentaire, M. DIDIER
reproche au rapporteur de n’avoir pas versé au dossier une version
préliminaire de cette note, mais il va de soi que seule la version
définitive importait, puisqu’elle remplaçait par hypothèse
les autres versions provisoires.
En ce qui concerne le
courrier du président de la COB du 19 mai 1998 au président
du CMF lui transmettant le rapport d’inspection établi par les services
de la COB, il se bornait à une brève récapitulation
des éléments contenus dans le rapport, qui a bien été
versé au dossier. N’apportant aucun élément nouveau,
ce courrier n’avait pas à être discuté contradictoirement
(CE, 16 mai 1952, Garry, Rec. p. 259 ; 13 mars 1959, Alaux, Rec. p.
179).
En ce qui concerne deux
courriers du 28 août 1998 adressés par le président
du CMF au président de CAIC, société venue aux
droits de la société Dynabourse, lui transmettant le dossier
de la procédure, ainsi qu’un envoi complémentaire du 7 septembre
1998, ils étaient sans rapport avec la situation personnelle de
M. DIDIER, mais concernaient la procédure disciplinaire engagée
par ailleurs contre la société Dynabourse, devenue la société
CAIC. Ils n’avaient donc pas à être versés au dossier
concernant M. DIDIER.
En ce qui concerne une
lettre d’information qui aurait été adressée au commissaire
du gouvernement, il ressort des termes mêmes de la décision
attaquée que, conformément à l’article 3 du décret
du 3 octobre 1996, les observations de M. DIDIER ont été
transmises au commissaire du gouvernement, sans autres observations.
En ce qui concerne la
description de l’intervention que le CMF aurait effectuée auprès
de Dynabourse au moment où se sont déroulées les
interventions litigieuses, cette intervention n’a été mentionnée
que par M. Perrollaz, président de Dynabourse, lors de son audition
par le CMF, et uniquement pour en nier l’existence. Aucune pièce
du dossier ne corrobore l’allégation de M. DIDIER selon laquelle
tant le rapporteur que le chef du service de l’inspection du CMF auraient
fait référence à une telle intervention. Tout donne
à croire que le document en cause n’existe pas.
2. La réponse au troisième
moyen appelle un rapide exposé des faits. Ceux-ci s’inscrivent dans
le contexte de l’offre publique d’achat lancée par la société
Allianz sur les actions et obligations convertibles de la société
des Assurances Générales de France (AGF). L’article 5-2-11
du règlement général du CMF prévoit que : "
Les
personnes qui désirent présenter leurs titres en réponse
à l’offre transmettent leurs ordres aux intermédiaires qualifiés
de leur choix. Ces ordres peuvent être révoqués à
tout moment jusque et y compris le jour de clôture de l’offre.
" Cette date a été fixée par le CMF au 20 mars 1998,
mais il était laissé jusqu’au 3 avril 1998 pour la centralisation
des offres présentées par les intermédiaires financiers.
Informé que certains professionnels pensaient pouvoir réserver
leur décision définitive jusqu’à cette dernière
date, le CMF a diffusé, le 25 mars 1998, un communiqué rappelant
que les offres devenaient irrévocables à la date de clôture
de l’offre, soit dès le 20 mars 1998. Simultanément, la Commission
des opérations de bourse diligentait une enquête auprès
de certains intermédiaires financiers. Les investigations menées
au siège de la société Dynabourse Arbitrage laissaient
apparaître que celle-ci avait cédé sur le marché
près de 4,2 millions de titres AGF entre le 24 mars et le 3 avril
1998.
Or, selon les inspecteurs
de la COB, sur ce montant, plus de 4 millions de titres avaient été
apportés à l’offre par la Société Dynabourse
Arbitrage le 20 mars 1998, date de clôture de l’offre. C’est le motif
qu’a retenu le CMF pour sanctionner M. DIDIER.
La seule chose qui soit certaine
est qu’une télécopie a été envoyée le
20 mars 1998 par la Société Dynabourse Arbitrage à
la société Dynabourse concernant l’offre publique d’achat
sur les AGF. Cette télécopie ayant été reprise
par son émetteur et malencontreusement détruite, son contenu
exact demeure inconnu.
M. DIDIER soutient qu’il
croyait en toute bonne foi qu’en tant qu’intermédiaire financier,
il pouvait attendre jusqu’au 3 avril 1998 avant de prendre sa décision
définitive. La télécopie du 20 mars 1998 était
un document préparatoire, qui aurait d’ailleurs été
envoyé par erreur par un de ses collaborateurs qui n’avait pas le
pouvoir de donner un ordre au service conservation de la société
Dynabourse, lequel l’aurait par erreur interprété comme un
ordre d’apport.
On peut s’étonner
qu’un professionnel au fait du fonctionnement des marchés puisse
de bonne foi commettre une erreur aussi grossière que celle de confondre
la date de clôture d’une OPA et le délai technique de centralisation
des ordres, et puisse de bonne foi s’imaginer qu’en méconnaissance
du principe de base de l’égalité de traitement des actionnaires,
le CMF aurait fixé des dates de clôture différentes
pour les intermédiaires financiers et pour les autres actionnaires.
Mais, surtout, on observe
que le service conservation de la société Dynabourse a manifestement
interprété la télécopie du 20 mars 1998 comme
un ordre d’apport, quel qu’en ait été le libellé et
nonobstant la personnalité de son signataire, puisque dès
le 24 mars 1998 était confectionné un bordereau récapitulatif
post-daté du 3 avril qui mentionnait les titres apportés
par la société Dynabourse Arbitrage, et qui a dû ensuite
être rectifié au correcteur afin d’effacer la ligne correspondante.
Et sans doute l’hésitation était-elle au moins permise, puisque
la télécopie a elle-même été détruite.
En outre, il est évidemment troublant d’observer que cette télécopie
a été envoyée précisément le 20 mars,
date de clôture de l’offre, c’est-à-dire la date qu’en pratique
un professionnel attendra avant de prendre sa décision.
On observe également
que les titres en question ont été cédés sur
le marché le 25 mars 1998. Or, ce jour-là, l’agence Reuter
avait diffusé des informations favorables au cours de l’action des
AGF, lequel s’était établi, à la clôture de
la séance du 24 mars, à un niveau supérieur à
celui de l’offre. Les apparences sont bien que, le 25 mars, M. DIDIER s’est
avisé qu’il avait eu tort d’apporter ses titres à l’offre
publique d’achat, s’est arrangé avec le service conservation pour
que l’ordre d’apport soit effacé sur le bordereau établi
la veille et a fait détruire la télécopie qui le matérialisait.
En l’absence de preuve matérielle
formelle, il faut se former une opinion sur la base d’une intime conviction.
En l’espèce, les apparences nous semblent bien aller contre la thèse
de la requête. Nous vous proposons donc d’écarter le moyen
et d’estimer que le CMF a pu tenir les faits pour établis.
3. En dernier lieu, M. DIDIER
soutient que l’amende de 5 millions de francs qui lui a été
infligée excédait le plafond fixé par l’article
69 de la loi du 2 juillet 1996 à " quatre cents mille francs
ou au triple des profits éventuellement réalisés
". Le CMF a considéré que l’opération litigieuse avait
permis à la SNC Dynabourse arbitrage de réaliser un profit
de 22 millions de francs, et évalué le profit personnel de
M. DIDIER au prorata de ses parts dans cette société, soit
21,74%, ce qui laisse un montant de 4,9 millions de francs.
M. DIDIER conteste en premier
lieu l’évaluation du profit réalisé à 22 millions
de francs, sur la base de l’écart entre le cours auquel les actions
ont été effectivement cédées sur le marché
et le prix de l’offre publique d’achat en faisant valoir que les titres
auraient dû être évalués au cours de marché
à la date de la révocation de l’ordre d’apport. Mais cette
argumentation ne saurait convaincre : la méthode de valorisation
retenue par la décision attaquée est celle qui s’imposait,
c’est-à-dire la différence entre ce que la société
Dynabourse aurait perçu si elle avait, comme elle aurait dû
le faire, apporté ses titres à l’offre et le montant que
la vente irrégulière des titres lui a effectivement procuré.
M. DIDIER rétorque
en second lieu que le calcul de la part lui revenant sur ces bénéfices
est purement théorique et qu’en l’absence de cession de sa participation,
il n’a tiré aucun profit de l’opération. Cependant la société
dont il est actionnaire a vu sa valorisation augmenter du bénéfice
réalisé, dont M. DIDIER a pu percevoir une partie sous forme
de distribution de dividendes, et dont l’autre partie peut être réalisée
par la vente de ses titres. Il ne s’agit pas d’un profit hypothétique,
mais d’un profit réalisable, même s’il n’a pas été
réalisé. Si l’on suivait l’argumentation de la requête,
selon laquelle seul les profits effectivement réalisés peuvent
être pris en compte, le plafond de l’amende varierait selon l’astuce
de la personne poursuivie, selon qu’elle aurait ou non attendu la décision
du CMF pour réaliser son bénéfice. Pour pallier cet
inconvénient, il nous semble possible de comprendre autrement le
texte en rattachant l’adverbe " éventuellement " au mot " réalisés
" : il faut entendre que le plafond de la sanction est égal au triple
des profits réalisés éventuellement, c’est-à-dire
réalisés ou non.
Mais, surtout, le plafond
de l’amende est à notre avis indépendant de la part des bénéfices
réalisés revenant à la personne sanctionnée.
La loi du 2 juillet 1996 a pour objet de permettre de sanctionner des fautes
professionnelles, que celles-ci aient ou non permis à leurs auteurs
de s’enrichir personnellement. On note en ce sens que la Cour de cassation
a interprété les dispositions de l’article 10-2 de l’ordonnance
n° 67-833du 28 septembre 1967, concernant le délit d’initié,
qui fixent l’amende au maximum au décuple " du profit éventuellement
réalisé ", comme n’impliquant pas que les profits aient
été réalisés par le prévenu lui-même
(Cass. crim., 26 octobre 1995, Bull. crim. n° 324). En l’espèce,
il est constant qu’ils l’ont été par la société
Dynabourse Arbitrage, de sorte que l’amende qui pouvait être infligée
à M. DIDIER pouvait atteindre le triple de ces profits, soit 66
millions de francs.
Par ces motifs, nous concluons
au rejet de la requête.
Notes de bas de page
1) Note critique
: L. Maublanc-Fernandez et J.-P. Maublanc, « Dynamique européenne
et résistances internes : propos sur l’application de l’article
6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme en matière
fiscale », RFDA 1995 pp. 1181-1188 (retour au texte)
2) Voir également,
dans le même sens : Guy Canivet, « La procédure de sanction
administrative des infractions boursières à l’épreuve
des garanties fondamentales », RJDA 5/96 pp. 423 sqq. (retour
au texte)
3) J. Vincent,
S. Guinchard, G. Montagnier, A. Varinard, La justice et ses institutions,
4e édition, Paris, Dalloz, 1996, p. 731 (retour au
texte)
4) Cité
par Merlin de Douai, Répertoire universel et raisonné
de jurisprudence, 1827, tome X, V° magistrat (retour
au texte)
5) Roger
Merle et André Vitu, Traité de droit criminel. Procédure
pénale, 4e édition, 1989, tome II, n° 1021 (retour
au texte)
© - Tous droits réservés - Alain SEBAN - 3 décembre 1999
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