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Conseil d’Etat, 6 octobre 2008, n° 290048, Consorts P.

Les contribuables ne sont en droit d’invoquer, sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 80 A ou de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales, lorsque l’administration procède au rehaussement d’impositions antérieures, que des interprétations ou des appréciations antérieures à l’imposition primitive ; que par suite, les opinions émises par les agents de l’administration lors de la procédure d’imposition conduisant à l’établissement d’impositions supplémentaires ne peuvent, en tout état de cause, être invoquées dès lors que ces opinions ne sont pas antérieures aux impositions primitives ; que les requérants ne peuvent ainsi se prévaloir des termes de la réponse à leurs observations.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 290048

MM. P.

M. Patrick Quinqueton
Rapporteur

Mme Nathalie Escaut
Commissaire du gouvernement

Séance du 5 septembre 2008
Lecture du 6 octobre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section de la section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 février et 8 juin 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Patrice P. et M. Frédéric P., agissant au nom de la succession de M. Michel P., et pour M. Frédéric P. en son nom propre ; MM. P. demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 30 juin 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté leur demande tendant à l’annulation du jugement du 24 avril 2001 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne rejetant leur demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle la succession de M. Michel P. a été assujettie au titre de l’année 1989 ;

2°) réglant l’affaire au fond, de prononcer la décharge de l’imposition en litige ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Patrick Quinqueton, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de MM. P.,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. Michel P. s’est vu attribuer le 28 janvier 1982 des actions de la société Tonna Electronique lors de sa constitution, en rémunération des apports effectués à cette société sous forme d’actions des sociétés Saditel, Sicart et Diela ; qu’au cours de l’année 1989, M. Michel P. et son fils Frédéric, rattaché à son foyer fiscal, ont respectivement cédé 10 664 et 2 615 actions de la société Tonna Electronique ; que l’impôt afférent à la plus-value dégagée lors de cette cession a été régulièrement acquitté ; qu’après le décès de M. Michel P., des déclarations rectificatives de revenus au titre de l’année 1989 ont été adressées à l’administration fiscale pour la succession de celui-ci et pour son fils, accompagnées d’une réclamation demandant l’application de la doctrine contenue dans la réponse ministérielle à M. Corrèze du 19 mai 1979 qui permet d’évaluer le prix d’acquisition de titres acquis avant le 1er janvier 1979 à 50 % du cours de cotation à la date de cession ; qu’un dégrèvement a été prononcé en conséquence le 7 août 1992 ; que toutefois, par une notification de redressements du 4 décembre 1992, l’administration fiscale a procédé au rétablissement de l’imposition initiale ; que la succession de M. Michel P. et M. Frédéric P. ont demandé la réduction à hauteur de 6 396 292 F de la base imposable à l’impôt sur le revenu et au prélèvement social retenue pour l’année 1989 ; qu’ils se pourvoient en cassation à l’encontre de l’arrêt en date du 30 juin 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté leur requête dirigée contre le jugement en date du 24 avril 2001 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne rejetant leur demande de réduction de cette base d’imposition ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 92 B du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur à l’année d’imposition en litige : "Sont considérés comme des bénéfices non commerciaux les gains retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières (.) lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 150 000 F par an." ; qu’aux termes du troisième alinéa du même article permettant au contribuable de bénéficier du sursis d’imposition : "Ces dispositions ne sont pas applicables aux échanges de titres résultant d’une opération d’offre publique, de conversion, de division ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur." ; qu’aux termes de l’article 94 A du même code également dans sa rédaction applicable à cette même année : "1. Les gains mentionnés aux articles 92 B et 92 F sont constitués par la différence entre le prix effectif des titres ou droits, nets des frais et taxes acquittés par le cédant et leur prix effectif d’acquisition par celui-ci. 5. En cas de vente ultérieure de titres reçus à l’occasion d’une opération d’offre publique de conversion, de division ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur, le gain net est calculé à partir du prix ou de la valeur d’acquisition originels." ;

Considérant que, pour rejeter la requête de la succession de M. Michel P. et de M. Frédéric P., la cour administrative d’appel de Nancy a déduit de la seule circonstance que les dispositions de l’article 301 C de l’annexe II au code général des impôts, aux termes duquel "Est assimilée à une fusion l’opération qui aboutit au transfert à une société relevant du statut fiscal des sociétés de capitaux, en voie de formation ou préexistante, de droits représentant 75 % au moins du capital d’une société relevant du même statut", dont se prévalaient les requérants, avaient trait aux droits d’enregistrement, que c’est à bon droit qu’il leur avait été fait application du régime de droit commun, pour le calcul des plus-values de cessions de valeurs mobilières résultant des dispositions précitées du 5 de l’article 94 A du même code, qui prend en compte la valeur effective d’acquisition des titres cédés, sans référence à la valeur d’acquisition des titres apportés en échange lors de l’opération réalisée en 1982 , alors que les requérants faisaient également valoir que l’opération de vente de titres de 1989 devait être appréciée au regard de l’échange de titres de 1982, lequel devait être regardé comme ayant le caractère d’une opération de regroupement au sens du troisième alinéa de l’article 92 B du même code ; qu’en omettant de se prononcer sur ce moyen, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit ; que la succession de M. Michel P. et M. Frédéric P. sont, par suite, fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant, en premier lieu, que les contribuables ne sont en droit d’invoquer, sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 80 A ou de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales, lorsque l’administration procède au rehaussement d’impositions antérieures, que des interprétations ou des appréciations antérieures à l’imposition primitive ; que par suite, les opinions émises par les agents de l’administration lors de la procédure d’imposition conduisant à l’établissement d’impositions supplémentaires ne peuvent, en tout état de cause, être invoquées dès lors que ces opinions ne sont pas antérieures aux impositions primitives ; que les requérants ne peuvent ainsi se prévaloir des termes de la réponse à leurs observations ;

Considérant, en deuxième lieu, que le dégrèvement prononcé le 7 août 1992 par l’administration fiscale, qui n’est assorti d’aucun motif, ne saurait être regardé comme une prise de position formelle de l’administration ;

Considérant, en troisième lieu, que l’erreur commise dans la notification de redressements en ce qu’elle coche la case des revenus de capitaux mobiliers et non celle des bénéfices non commerciaux est matérielle et n’a pu induire en erreur les requérants compte tenu des motifs des redressements opérés au titre d’une plus-value de cession de droits sociaux ; que, par suite, le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure d’imposition doit être rejeté ;

Considérant, en quatrième lieu, qu’il résulte de l’instruction que M. Michel P. et M. Frédéric P., qui avaient acquis avant le 1er janvier 1979 les titres de diverses sociétés, ont fait apport de ces titres en 1982 en vue de la création de la société Tonna Electronique et ont reçu en contrepartie des titres de la société créée ; que cette opération qui a abouti pour la création d’une société nouvelle au transfert à cette société de titres de sociétés préexistantes a le caractère d’une opération de regroupement au sens du troisième alinéa de l’article 92 B précité du code général des impôts ; que, par suite, les gains nets retirés des échanges de titres opérés à l’occasion d’une telle opération étaient éligibles à ces dispositions et ont bénéficié du sursis d’imposition ; qu’il en résulte que ces gains nets tirés de la cession en 1989 des titres de la société Tonna Electronique ont été à bon droit calculés en vertu du 5 de l’article 94 A du même code à partir du prix ou de la valeur d’acquisition originels ;

Considérant, enfin, que les requérants se prévalent de la réponse ministérielle précitée du 19 mai 1979 sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, et demandent que la plus-value de la cession qu’ils ont réalisée en 1989 soit par suite évaluée en retenant comme valeur initiale la moitié de leur cours de cotation à la date de la cession ; qu’aux termes de cette réponse, pour les plus-values de cession de titres non cotés acquis antérieurement au 1er janvier 1979 et faisant l’objet postérieurement d’une cotation "afin de ne pas pénaliser les actionnaires qui ont acquis leurs titres à une date très ancienne et ne sont pas en mesure de justifier de leur prix de revient, il a paru possible d’admettre que le prix d’acquisition soit fixé à la moitié du cours de cotation de ces valeurs à la date de la cession" ; que ne peuvent se prévaloir de cette réponse que les contribuables ayant cédé les titres d’une seule et même société détenus dès l’origine et non ceux ayant reçu des titres en échange des titres de diverses sociétés, et ayant bénéficié du sursis d’imposition avant de les céder ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les requérants ne se trouvent pas dans cette situation et ne peuvent utilement se prévaloir du caractère intercalaire de l’échange de titres de 1982 ; qu’au surplus, s’ils invoquent le caractère aléatoire de la reconstitution des prix de revient des titres du fait de l’ancienneté des prix d’acquisition originels et des modifications intervenues dans le capital des sociétés en cause, il est constant qu’ils avaient pu fixer avec précision la valeur de ce prix de revient dans leur déclaration de revenus pour 1989 ; qu’ils ne peuvent, par suite, se prévaloir de la réponse ministérielle qu’ils invoquent ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la succession de M. Michel P. et M. Frédéric P. ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par son jugement en date du 24 avril 2001, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 1989 ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions présentées en appel et tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 30 juin 2005 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.

Article 2 : La requête de la succession de M. Michel P. et M. Frédéric P. devant la cour administrative d’appel de Nancy est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Patrice P., à M. Frédéric P. et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.

 


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