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NOTES ET COMMENTAIRES :
Xavier MAGNON, L’expulsion d’un étranger pénalement sanctionné disposant d’attaches familiales en France, Les Petites Affiches, 19 mars 2003 n° 56, p.13 (consulter en ligne sur Lextenso.com)

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Tribunal administratif de Lyon, 14 mai 2002, M. E c/ Ministre de l’Intérieur

Le juge lyonnais annule, dans le cadre de l’application de la double peine, une mesure d’éloignement eu égard à l’ancienneté des faits qui sont reprochés, au comportement de la personne durant la période où il a régulièrement séjourné en France de 1997 à 2000, à la durée de son mariage avec une ressortissante française et à la naissance de la fille du couple en 1997. Aux yeux du juge une telle double peine porte une une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF de LYON

M.E

M. Pourny
Rapporteur

M. Martin
Commissaire du gouvernement

Audience du 30 avril 2002

Lecture du 14 mai 2002

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif de LYON

(1ère chambre)

LE LITIGE

1°) M. E. demeurant au Maroc, a saisi le tribunal administratif d’une requête enregistrée au greffe le 22 décembre 2000,

M.E demande au tribunal :
- d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le MINISTRE DE L’INTÉRIEUR a rejeté sa demanda, présentée le 21 juillet 2000, tendant à l’abrogation de l’arrêté en date 26 juin 1995 prononçant son expulsion ;
- de dire qu’il y a lieu d’abroger l’arrêté d’expulsion pris à son encontre le 26 juin 1995 ;
- de condamner l’Etat à lui verser une somme de 8 000 F au titre de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

2°) M. E, résidant an Maroc et élisant domicile chez son épouse, a saisi le tribunal administratif d’une requête enregistrée au greffe le 24 septembre 2001.

M. E. demande au tribunal :
- d’annuler pour excès de pouvoir la décision en date du 24 juillet 2001 par laquelle le MINISTRE DE L’INTÉRIEUR a rejeté sa demande d’abrogation de l’arrêté en date 26 juin 1995 prononçant son expulsion ;
- de condamner l’Etat à lui verser une somme de 5 000 F au titre de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

L’INSTRUCTION DES AFFAIRES

En application de l’article R. 613-1 du code de justice administrative, le président de la formation de jugement a fixé, par une ordonnance en date du 7 janvier 2002, la clôture de l’instruction au 15 février 2002 ;

En application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative, le ministre de l’intérieur a été mis en demeure, par lettre en date du 7 janvier 2002, de produire ses observations ;

L’AUDIENCE

Les parties ont été régulièrement averties de l’audience publique qui a eu lieu le 30 avril 2002 ;

Au cours de cette audience, le tribunal a entendu :
- le rapport de M. Pourny, conseiller,
- les observations de Me F, avocat de M.E,
- les conclusions de M. Martin, commissaire du gouvernement ;

LA DÉCISION

Après avoir examiné les requêtes de M. E, la demande d’abrogation de l’arrêté du 26 juin 1995 et la décision expresse rejetant cette demande, ainsi que les mémoires et les pièces produits par les parties, avant la clôture de l’instruction, et vu les textes suivants :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
- l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée,
- le décret n° 82-440 du 26 mai 1982 modifié,
- le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel,
- le code de justice administrative ;

LE TRIBUNAL

Considérant que M. E, ressortissant marocain né en 1960, entré en France en janvier 1989, a commis un viol en mai 1989 ; que, condamné à six ans de réclusion criminelle pour ce crime, il a été incarcéré du 5 novembre 1991 au 21 novembre 1994, période au cours de laquelle il a épousé, le 5 février 1992, une ressortissante française ; que par un arrêté du 26 juin 1995, le ministre de l’intérieur a pris, sur le fondement de l’article 26 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée, un arrêté d’expulsion à son encontre ; que cet arrêté a été mis à exécution en juillet 1995 ; que l’épouse de M. E l’a rejoint au Maroc de juin 1996 au 1er décembre 1996 puis a repris son emploi en France, où elle a donné naissance à une fille le 18 août 1997 ; que M. E a rejoint sa femme en France, après l’annulation de l’arrêté d’expulsion le concernant par un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 31 décembre 1996 et avant que cet arrêt ne soit infirmé par une décision du Conseil d’Etat en date du 11 juin 1999 ; que, suite à cette annulation, le préfet du Rhône a prescrit, par une décision en date du 5 juin 2000, l’éloignement du requérant à destination du pays dont il a la nationalité ; que M. E a demandé le 21 juillet 2000 l’abrogation de l’arrêté du 26 juin 1995 prononçant une mesure d’expulsion à son encontre ; que le MINISTRE DE L’INTERIEUR a rejeté sa demande par une décision implicite, le 21 novembre 2000, puis par une décision expresse en date du 24 juillet 2001 ;

Considérant que les requêtes présentées pour M. E sont dirigées contre des décisions de refus d’abrogation du même arrêté et présentent à juger les mêmes questions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation des décisions attaquées :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens des requêtes :

Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2° // ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénates, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. " ;

Considérant qu’eu égard à l’ancienneté des faits qui lui ont été reprochés, à son comportement durant la période où il a régulièrement séjourné en France de 1997 à 2000, à la durée de son mariage avec une ressortissante française et à la naissance de la fille du couple en 1997, M. E est fondé à soutenir que les décisions attaquées portent à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises ; que, par suite, ces décisions doivent être annulées pour méconnaissance des dispositions précitées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur les conclusions à fin d’injonction ;

Considérant que les conclusions par lesquelles M. E demande au tribunal de "Dire y avoir lieu à abrogation de l’Arrêté d’Expulsion du 26 juin 1995" doivent être regardées comme tendant à ce que te tribunal enjoigne au MINISTRE DE L’INTÉRIEUR d’abroger cet arrêté ; Considérant qu’aux tenues des dispositions actuellement codifiées à l’article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution." ; que le présent jugement implique l’abrogation de l’arrêté du 26 juin 1995 ; qu’il y a donc lieu de prescrire cette abrogation ;

Sur les frais irrépétibles :

Considérant qu’aux termes des dispositions désormais codifiées sous l’article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances. le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut. même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation" ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à payer à M. E une somme de 750 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D É C I D E

Article 1er : La décision implicite, en date du 21 novembre 2000. et la décision expresse, en date du 24 juillet 2001, par lesquelles le MINISTRE DE L’INTÉRIEUR a rejeté la demande d’abrogation de l’arrêté d’expulsion pris le 26 juin 1995 à rencontre de M. E, sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au MINISTRE DE L’INTÉRIEUR d’abroger l’arrêté d’expulsion pris le 26 juin 1995 à rencontre de M. E

Article 3 : L’Etat versera à M. E une somme de sept cent cinquante euros (750 euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié conformément aux dispositions de l’article R. 751-3 du code de justice administrative.

 


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