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Cour de justice des Communautés européennes, 29 novembre 2001, n° C-366/99, M. Joseph Griesmar c/ Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

Le principe de l’égalité des rémunérations est méconnu par une disposition telle que l’article L. 12, sous b), du code des pensions civiles et militaires de retraite, en ce qu’elle exclut du bénéfice de la bonification qu’elle instaure pour le calcul des pensions de retraite les fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants.

ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPENNES

29 novembre 2001

« Politique sociale - Égalité de traitement entre hommes et femmes - Applicabilité de l’article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) ou de la directive 79/7/CEE - Régime français des pensions civiles et militaires de retraite - Bonification pour enfants réservée aux fonctionnaires féminins - Admissibilité eu égard à l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale ou aux dispositions de la directive 79/7/CEE »

Dans l’affaire C-366/99,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 234 CE, par le Conseil d’État (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Joseph Griesmar

et

Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie,
Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de la Décentralisation,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation des articles 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale (JO 1992, C 191, p. 91), ainsi que de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24),

LA COUR,

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, M. P. Jann, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr, présidents de chambre, MM. A. La Pergola, J.-P. Puissochet, L. Sevón, M. Wathelet, V. Skouris (rapporteur) et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général : M. S. Alber,

greffier : Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées :
- pour M. Griesmar, par Me H. Masse-Dessen, avocat,
- pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger et M. A. Lercher, en qualité d’agents,
- pour le gouvernement belge, par M. P. Rietjens, en qualité d’agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme H. Michard, en qualité d’agent,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de M. Griesmar, représenté par Me H. Masse-Dessen, du gouvernement français, représenté par Mme C. Bergeot, en qualité d’agent, et de la Commission, représentée par Mme H. Michard, à l’audience du 9 janvier 2001,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 février 2001,

rend le présent

Arrêt

1. Par décision du 28 juillet 1999, parvenue à la Cour le 4 octobre suivant, le Conseil d’État a posé, en application de l’article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives à l’interprétation des articles 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) et 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale (JO 1992, C 191, p. 91), ainsi que de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant M. Griesmar au ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ainsi qu’au ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de la Décentralisation, au sujet de la légalité de l’arrêté qui a concédé à M. Griesmar une pension de retraite.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

3. L’article 119, premier et deuxième alinéas, du traité dispose :

« Chaque État membre assure au cours de la première étape, et maintient par la suite, l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail.

Par rémunération, il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. »

4. L’accord sur la politique sociale est entré en vigueur à la même date que le traité CE, à savoir le 1er novembre 1993.

5. L’article 6, paragraphes 1 et 2, de l’accord sur la politique sociale rappelle les règles fixées par l’article 119 du traité. L’article 6, paragraphe 3, de cet accord précise :

« Le présent article ne peut empêcher un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’uneactivité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle. »

6. Depuis le 1er mai 1999, l’article 141 CE dispose :

« 1. Chaque État membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.

[...]

4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. »

7. La directive 79/7 prévoit en son article 3, paragraphe 1, sous a) :

« La présente directive s’applique :

a) aux régimes légaux qui assurent une protection contre les risques suivants :

- [...]

- [...]

- vieillesse,

[...] »

8. L’article 4 de cette directive dispose :

« 1. Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne :

- le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes,

- l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations,

- le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.

2. Le principe de l’égalité de traitement ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme en raison de la maternité. »

9. L’article 7 de la même directive énonce :

« 1. La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application :

a) la fixation de l’âge de la retraite pour l’octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d’autres prestations ;

b) les avantages accordés en matière d’assurance vieillesse aux personnes qui ont élevé des enfants ; l’acquisition de droits aux prestations à la suite de périodes d’interruption d’emploi dues à l’éducation des enfants ;

[...]

2. Les États membres procèdent périodiquement à un examen des matières exclues en vertu du paragraphe 1, afin de vérifier, compte tenu de l’évolution sociale en la matière, s’il est justifié de maintenir les exclusions en question. »

Le droit national

10. Le régime français de retraite des fonctionnaires est fixé par le code des pensions civiles et militaires de retraite (ci-après le « code »). Le code actuellement en vigueur résulte de la loi n° 64-1339, du 26 décembre 1964 (JORF du 30 décembre 1964), remplaçant l’ancien code annexé au décret n° 51-590, du 23 mai 1951, ainsi que de diverses modifications ultérieures.

11. L’article L. 1 du code prévoit :

« La pension est une allocation pécuniaire personnelle et viagère accordée aux fonctionnaires civils et militaires et, après leur décès, à leurs ayants cause désignés par la loi, en rémunération des services qu’ils ont accomplis jusqu’à la cessation régulière de leurs fonctions.

Le montant de la pension, qui tient compte du niveau, de la durée et de la nature des services accomplis, garantit en fin de carrière à son bénéficiaire des conditions matérielles d’existence en rapport avec la dignité de sa fonction. »

12. Selon l’article L. 12, sous b), du code :

« Aux services effectifs s’ajoutent, dans les conditions déterminées par règlement d’administration publique, les bonifications ci-après :

[...]

b) Bonification accordée aux femmes fonctionnaires pour chacun de leurs enfants légitimes, de leurs enfants naturels dont la filiation est établie ou de leurs enfants adoptifs et, sous réserve qu’ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leurvingt et unième année révolue, pour chacun des autres enfants énumérés au paragraphe II de l’article L. 18. »

13. Les enfants visés à l’article L. 18, paragraphe II, du code sont :

« Les enfants légitimes, les enfants naturels dont la filiation est établie et les enfants adoptifs du titulaire de la pension ;

Les enfants du conjoint issus d’un mariage précédent, ses enfants naturels dont la filiation est établie et ses enfants adoptifs ;

Les enfants ayant fait l’objet d’une délégation de l’autorité parentale en faveur du titulaire de la pension ou de son conjoint ;

Les enfants placés sous tutelle du titulaire de la pension ou de son conjoint, lorsque la tutelle s’accompagne de la garde effective et permanente de l’enfant ;

Les enfants recueillis à son foyer par le titulaire de la pension ou son conjoint, qui justifie, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État, en avoir assumé la charge effective et permanente. »

14. L’article R. 13 du code dispose :

« La bonification prévue à l’article L. 12, b, en faveur des femmes fonctionnaires est d’une année pour chacun de leurs enfants légitimes, naturels reconnus ainsi que pour chacun des autres enfants qui, à la date de la radiation des cadres, ont été élevés dans les conditions et pendant la durée prévues audit article. »

15. Pour ce qui concerne la détermination du montant de la pension, les articles L. 13 à L. 15, premier alinéa, du code disposent :

« Article L. 13

La durée des services et bonifications admissibles en liquidation s’exprime en annuités liquidables. Chaque annuité liquidable est rémunérée à raison de 2 p. 100 des émoluments de base afférents à l’indice de traitement déterminé à l’article L. 15.

Article L. 14

Le maximum des annuités liquidables dans la pension civile ou militaire est fixé à trente-sept annuités et demie.

Il peut être porté à quarante annuités du chef des bonifications prévues à l’article L. 12.

Article L. 15

Les émoluments de base sont constitués par les derniers émoluments soumis à retenue afférents à l’indice correspondant à l’emploi, grade, classe et échelon effectivementdétenus depuis six mois au moins par le fonctionnaire ou militaire au moment de la cessation des services valables pour la retraite [...] »

Les faits au principal et les questions préjudicielles

16. M. Griesmar, magistrat, père de trois enfants, s’est vu octroyer une pension de retraite par arrêté du 1er juillet 1991, en application du code.

17. Pour le calcul de cette pension, ont été prises en considération les années de services effectifs accomplies par M. Griesmar, mais il n’a pas été tenu compte de la bonification prévue à l’article L. 12, sous b), du code, dont les fonctionnaires féminins bénéficient pour chacun de leurs enfants.

18. Par requête enregistrée le 7 septembre 1992, complétée par un mémoire du 25 novembre 1992, M. Griesmar a attaqué devant le Conseil d’État l’arrêté du 1er juillet 1991 et a demandé son annulation en tant que cet arrêté n’a pris en compte que les annuités correspondant à ses années de services effectifs, sans y ajouter la bonification prévue à l’article L. 12, sous b), du code au bénéfice des fonctionnaires féminins pour chacun de leurs enfants.

19. À l’appui de son recours, M. Griesmar a notamment soutenu que l’article L. 12, sous b), du code méconnaissait l’article 119 du traité, les objectifs de la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (JO L 225, p. 40), et les objectifs de la directive 79/7.

20. C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires sont-elles au nombre des rémunérations visées à l’article 119 du traité de Rome (article 141 du traité instituant la Communauté européenne) ? Dans l’affirmative, eu égard aux stipulations du paragraphe 3 de l’article 6 de l’accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale, le principe de l’égalité des rémunérations est-il méconnu par les dispositions de l’article L. 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite ?

2) Dans l’hypothèse où l’article 119 du traité de Rome ne serait pas applicable, les dispositions de la directive n° 79/7 (CEE) du 19 décembre 1978 font-elles obstacle à ce que la France maintienne des dispositions telles que celles de l’article L. 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite ? »

Sur la première question

Quant à l’application ratione temporis des dispositions communautaires visées dans la première question

21. Étant donné que, d’une part, l’accord sur la politique sociale est entré en vigueur le 1er novembre 1993 et que, d’autre part, depuis le 1er mai 1999, date d’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, l’article 119 du traité est devenu l’article 141 CE, lequel a ajouté au texte dudit article 119 un paragraphe 4 qui reprend à quelques nuances près l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale, le gouvernement français s’interroge sur la rédaction qu’il faut prendre en considération pour répondre à la première question.

22. Il expose à cet égard que, si l’on se place à la date de l’arrêté concédant une pension de retraite à M. Griesmar, à savoir le 1er juillet 1991, le texte applicable est l’article 119 du traité, sans qu’il y ait lieu de se référer à l’accord sur la politique sociale qui lui est postérieur. En revanche, si l’on se place à la date de la décision de renvoi, à savoir le 28 juillet 1999, le texte applicable serait l’article 141 CE. À cette dernière date, pourrait être également invoqué, à toutes fins utiles, l’accord sur la politique sociale, le traité d’Amsterdam n’ayant pas abrogé le protocole auquel cet accord est annexé, c’est-à-dire le protocole n° 14 sur la politique sociale annexé au traité CE (ci-après le « protocole sur la politique sociale »). Selon le gouvernement français, il n’y a pas de raison de se placer à une date qui serait postérieure à l’entrée en vigueur du traité CE et antérieure à l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam.

23. Cependant, il apparaît clairement à la lecture de la décision de renvoi dans son ensemble que, par sa première question, le Conseil d’État a voulu interroger la Cour sur l’interprétation des articles 119 du traité et 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale. Si l’article 141 CE est mentionné dans la première question à côté de l’article 119 du traité, c’est à titre incident et pour indiquer le numéro que porte depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam la disposition qui a remplacé l’article 119 du traité. En effet, il n’existe aucun élément dans la décision de renvoi permettant de conclure que le Conseil d’État a entendu poser à la Cour une question relative à l’interprétation de l’article 141 CE, notamment de son paragraphe 4.

24. Dans ces conditions, il y a lieu, pour répondre à la première question, de prendre en considération les articles 119 du traité et 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale.

Quant à la première branche

25. Par la première branche de sa première question, la juridiction de renvoi vise en substance à savoir si les pensions servies au titre d’un régime tel que le régime français de retraite des fonctionnaires entrent dans le champ d’application de l’article 119 du traité.

26. Aux termes de l’article 119, deuxième alinéa, du traité, il faut entendre par « rémunération », au sens de cet article, « le salaire ou traitement ordinaire de base ouminimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ».

27. Conformément à une jurisprudence constante, si des avantages participant de la nature des prestations de sécurité sociale ne sont pas, en principe, étrangers à la notion de rémunération, on ne saurait cependant inclure dans cette notion, telle qu’elle est délimitée à l’article 119 du traité, les régimes ou prestations de sécurité sociale, comme les pensions de retraite, réglés directement par la loi à l’exclusion de tout élément de concertation au sein de l’entreprise ou de la branche professionnelle intéressée et obligatoirement applicables à des catégories générales de travailleurs. Ces régimes assurent en effet aux travailleurs le bénéfice d’un système légal au financement duquel les travailleurs, les employeurs et éventuellement les pouvoirs publics contribuent dans une mesure qui est moins fonction du rapport d’emploi entre employeur et travailleur que de considérations de politique sociale (voir, notamment, arrêts du 25 mai 1971, Defrenne, 80/70, Rec. p. 445, points 7 et 8 ; du 13 mai 1986, Bilka, 170/84, Rec. p. 1607, points 17 et 18 ; du 17 mai 1990, Barber, C-262/88, Rec. p. I-1889, points 22 et 23, et du 28 septembre 1994, Beune, C-7/93, Rec. p. I-4471, point 24).

28. Répondant à la question de savoir si les pensions servies en vertu d’un régime de retraite des fonctionnaires tel que celui organisé par l’Algemene Burgerlijke Pensioenwet (loi néerlandaise portant régime général des pensions civiles) entrent dans le champ d’application de l’article 119 du traité, la Cour a précisé, aux points 23 et 43 de son arrêt Beune, précité, que, parmi les critères qu’elle avait retenus au gré des situations dont elle avait été saisie pour qualifier un régime de pension, seul le critère tiré de la constatation que la pension est versée au travailleur en raison de la relation de travail entre l’intéressé et son ancien employeur, c’est-à-dire le critère de l’emploi, tiré des termes mêmes de l’article 119 du traité, pouvait revêtir un caractère déterminant.

29. Certes, la Cour a reconnu que l’on ne saurait donner à ce critère un caractère exclusif, puisque les pensions versées par des régimes légaux de sécurité sociale peuvent, en tout ou en partie, tenir compte de la rémunération d’activité (arrêt Beune, précité, point 44).

30. Cependant, les considérations de politique sociale, d’organisation de l’État, d’éthique, ou même les préoccupations de nature budgétaire qui ont eu ou qui ont pu avoir un rôle dans la fixation d’un régime par le législateur national ne sauraient prévaloir si la pension n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, si elle est directement fonction du temps de service accompli et si son montant est calculé sur la base du dernier traitement du fonctionnaire. La pension versée par l’employeur public est alors absolument comparable à celle que verserait un employeur privé à ses anciens salariés (arrêt Beune, précité, point 45).

31. Pour ce qui concerne le régime en cause dans l’affaire au principal, il convient de relever, premièrement, que les fonctionnaires qui en bénéficient doivent être regardéscomme constituant une catégorie particulière de travailleurs. En effet, ceux-ci ne se distinguent des travailleurs groupés dans une entreprise ou un groupement d’entreprises, dans une branche économique ou un secteur professionnel ou interprofessionnel, qu’en raison des caractéristiques propres qui régissent leur relation d’emploi avec l’État, avec d’autres collectivités ou employeurs publics (voir, en ce sens, arrêt Beune, précité, point 42).

32. Deuxièmement, il résulte de l’article L. 1 du code que la pension y visée est accordée en rémunération des services que les fonctionnaires ont accomplis jusqu’à la cessation régulière de leurs fonctions et que son montant tient compte du niveau, de la durée et de la nature des services accomplis.

33. Il ressort des articles L. 13 à L. 15 du code et des indications fournies par le gouvernement français lors de la procédure devant la Cour que ce montant résulte du produit d’un taux par une base. Le taux est constitué par des annuités, qui sont fonction des années de service retenues. Chaque annuité vaut 2 %, sous réserve que le taux résultant de la prise en compte des années de service ne peut dépasser 75 %. La base est le traitement correspondant au dernier indice de traitement applicable au fonctionnaire pendant ses six derniers mois d’activité. Cet indice dépend du niveau d’emploi, à savoir le grade, et du temps passé dans l’emploi, à savoir l’ancienneté, qui se traduit en échelons. Diverses bonifications peuvent venir accroître le nombre d’annuités.

34. Il en découle que la pension servie au titre du régime français de retraite des fonctionnaires est directement fonction du temps de service accompli et que son montant est calculé sur la base du traitement perçu par l’intéressé pendant les six derniers mois de son activité.

35. Dès lors, cette pension satisfait au critère de l’emploi que la Cour a, dans l’arrêt Beune, précité, considéré comme déterminant aux fins de la qualification, au regard de l’article 119 du traité, des pensions servies au titre d’un régime de retraite des fonctionnaires.

36. Certes, le gouvernement français a fait observer sans être contredit que, à la différence du régime néerlandais dont question dans l’arrêt Beune, précité, qui était un régime de pensions complémentaires fonctionnant par capitalisation et reposant sur une gestion paritaire, le régime français de retraite des fonctionnaires est un régime de base, dans le cadre duquel le montant des pensions servies n’est pas assuré par une caisse de retraite, mais résulte directement de la loi de finances annuelle, sans qu’il y ait donc lieu ni à gestion ni à capitalisation d’un quelconque fonds.

37. Toutefois, il résulte des points 37 et 38 de l’arrêt Beune, précité, que ni le critère tiré du caractère complémentaire d’une pension par rapport à une pension de base servie au titre d’un régime légal de sécurité sociale ni le critère tiré des modalités de financement et de gestion d’un régime de pensions ne sont décisifs pour apprécier si le régime concerné relève de l’article 119 du traité.

38. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première branche de la première question que les pensions servies au titre d’un régime tel que le régime français de retraite des fonctionnaires entrent dans le champ d’application de l’article 119 du traité.

Quant à la seconde branche

Sur l’existence d’une différence de traitement en raison du sexe

39. Il convient de relever, à titre liminaire, que le principe de l’égalité des rémunérations consacré à l’article 119 du traité, tout comme le principe général de non-discrimination dont il est une expression particulière, présuppose que les travailleurs masculins et les travailleurs féminins qui en bénéficient se trouvent dans des situations comparables (voir arrêt du 16 septembre 1999, Abdoulaye e.a., C-218/98, Rec. p. I-5723, point 16).

40. Dès lors, en vue de répondre à la seconde branche de la première question, il y a lieu d’établir si, relativement à l’octroi de la bonification en cause au principal, les situations d’un fonctionnaire masculin et d’un fonctionnaire féminin, respectivement père et mère d’enfants, sont comparables.

41. À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, aux fins de l’application du principe de l’égalité des rémunérations, la situation d’un travailleur masculin n’est pas comparable à celle d’un travailleur féminin lorsque l’avantage accordé au seul travailleur féminin vise à compenser des désavantages professionnels qui résultent pour un tel travailleur de son éloignement du travail, inhérent au congé de maternité (voir arrêt Abdoulaye e.a, précité, points 18, 20 et 22).

42. La Cour a précisé la portée de la protection que le droit communautaire assure à la femme en raison de la maternité dans sa jurisprudence relative à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), selon lequel « [l]a présente directive ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité ».

43. Selon cette jurisprudence, l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207 vise à assurer, d’une part, la protection de la condition biologique de la femme et, d’autre part, les rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l’accouchement, en évitant que ces rapports soient troublés par le cumul des charges résultant de l’exercice simultané d’une activité professionnelle (voir arrêts du 12 juillet 1984, Hofmann, 184/83, Rec. p. 3047, point 25 ; du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 44 ; du 25 octobre 1988,Commission/France, 312/86, Rec. p. 6315, point 13, et du 11 janvier 2000, Kreil, C-285/98, Rec. p. I-69, point 30).

44. Si la Cour a jugé qu’un congé de maternité, accordé à la femme après l’expiration du délai légal de protection, relève du domaine d’application de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207 (arrêt Hofmann, précité, point 26), elle a également précisé que des mesures qui visent la protection des femmes dans leur qualité de parents, qualité que peuvent avoir tout à la fois les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, ne peuvent pas trouver de justification dans cette disposition de la directive (voir arrêt Commission/France, précité, point 14).

45. Les constatations figurant aux points 43 et 44 du présent arrêt sont également valables pour apprécier si les situations d’un travailleur masculin et d’un travailleur féminin sont comparables, aux fins de l’application du principe de l’égalité des rémunérations, s’agissant d’une mesure qui réserve aux travailleurs féminins ayant eu des enfants une bonification d’ancienneté pour le calcul de la pension de retraite.

46. Il convient donc d’établir si ladite bonification vise à compenser des désavantages professionnels qui résultent pour les fonctionnaires féminins de leur éloignement du travail pendant la période qui suit l’accouchement, auquel cas la situation d’un travailleur masculin n’est pas comparable à celle d’un travailleur féminin, ou si elle vise essentiellement à compenser des désavantages professionnels qui résultent pour les fonctionnaires féminins du fait d’avoir élevé des enfants, hypothèse dans laquelle il conviendra d’examiner si les situations d’un fonctionnaire masculin et d’un fonctionnaire féminin sont comparables.

47. Il importe de relever à cet égard que, en ce qui concerne les conditions d’octroi de la bonification en cause au principal, l’article L. 12, sous b), du code opère une distinction entre, d’une part, les enfants légitimes, les enfants naturels dont la filiation est établie et les enfants adoptifs du titulaire de la pension et, d’autre part, les autres enfants énumérés à l’article L. 18, paragraphe II, du code.

48. Alors que, pour la première catégorie d’enfants, la bonification est accordée au fonctionnaire féminin sans autre condition, l’octroi de la bonification au fonctionnaire féminin pour la seconde catégorie d’enfants est subordonné à la condition de les avoir élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt et unième année révolue.

49. M. Griesmar fait valoir que sa qualité de père résulte de l’existence d’enfants de la première catégorie et que, à cet égard, sa situation est comparable à celle d’un fonctionnaire féminin ayant de tels enfants. Il a notamment souligné que, par opposition à la bonification définie par renvoi à l’article L. 18, paragraphe II, du code, la bonification pour les enfants de la première catégorie est accordée au fonctionnaire féminin en raison uniquement de sa qualité de mère, sans qu’il doive prouver avoir élevé lesdits enfants.

50. M. Griesmar ajoute que, pour ce qui concerne ces enfants, la bonification ne vise pas à compenser des désavantages professionnels liés à la condition de mère, parce que son octroi n’est pas lié à l’absence du service entraînée par le congé de maternité. D’une part, la bonification serait accordée même pour des enfants nés à un moment où leur mère n’avait pas encore la qualité de fonctionnaire ou l’avait perdue. D’autre part, la bonification s’appliquerait également pour des enfants adoptifs alors que le congé d’adoption est accordé indifféremment au père ou à la mère. Au surplus, la bonification serait d’un an alors que ni le congé de maternité ni le congé d’adoption n’atteignent une telle durée.

51. Le gouvernement français explique, pour sa part, que la bonification en cause au principal a été réservée aux fonctionnaires féminins qui ont eu des enfants afin de tenir compte d’une réalité sociale, c’est-à-dire les désavantages que ces fonctionnaires subissent dans l’évolution de leur carrière professionnelle du fait du rôle prépondérant qui leur est assigné dans l’éducation des enfants. Ladite bonification aurait donc pour objet de compenser les désavantages auxquels se heurtent dans leur vie professionnelle les fonctionnaires féminins qui ont eu des enfants, quand bien même ils n’auraient pas cessé de travailler pour les élever.

52. À cet égard, il convient de relever, premièrement, que, même si la bonification en cause au principal est notamment accordée aux fonctionnaires féminins pour leurs enfants légitimes et naturels, donc pour leurs enfants biologiques, son octroi n’est pas lié au congé de maternité ou aux désavantages que subirait un fonctionnaire féminin dans sa carrière du fait de son éloignement du service pendant la période qui suit l’accouchement. En effet, d’une part, l’article L. 12, sous b), du code ne comporte aucun élément établissant un lien entre la bonification prévue et d’éventuels désavantages de carrière découlant d’un congé de maternité. Il n’exige même pas que les enfants ouvrant droit à la bonification soient nés à un moment où leur mère avait la qualité de fonctionnaire. D’autre part, la bonification considérée est également accordée pour des enfants adoptifs, sans être liée à l’octroi préalable à la mère d’un congé d’adoption.

53. Les explications fournies par le gouvernement français quant à la finalité de l’article L. 12, sous b), du code non seulement confirment l’absence de lien entre la bonification en cause au principal et la période suivant l’accouchement pendant laquelle la mère bénéficie d’un congé de maternité et est absente de son service, mais soulignent, au contraire, que cette bonification est liée à une autre période, c’est-à-dire celle consacrée à l’éducation des enfants.

54. Cette analyse n’est pas infirmée par la circonstance que, pour les enfants légitimes, naturels ou adoptifs du titulaire de la pension, l’article L. 12, sous b), du code ne subordonne pas l’octroi de la bonification à la condition de les avoir élevés, alors qu’il l’impose pour les autres enfants énumérés à l’article L. 18, paragraphe II, du code.

55. En effet, il apparaît que le législateur national a utilisé un seul critère pour l’octroi de la bonification en cause au principal, à savoir celui relatif à l’éducation des enfants, et que, pour les enfants légitimes, naturels ou adoptifs, il a simplement présumé qu’ils ont été élevés au foyer de leur mère. Il y a lieu, d’ailleurs, de noter à cet égard que, comme l’a signalé le conseil de M. Griesmar lors de l’audience de plaidoiries, sans être contredit, l’origine de ladite bonification remonte à 1924 et son objectif, tel qu’exposé dans les travaux préparatoires, était de faciliter le retour du fonctionnaire féminin à son foyer, afin qu’il soit mieux à même de veiller à l’éducation de ses enfants.

56. Deuxièmement, il convient de constater que les situations d’un fonctionnaire masculin et d’un fonctionnaire féminin peuvent être comparables en ce qui concerne l’éducation des enfants. En particulier, la circonstance que les fonctionnaires féminins sont plus touchés par les désavantages professionnels résultant de l’éducation des enfants parce que ce sont en général les femmes qui assument cette éducation n’est pas de nature à exclure la comparabilité de leur situation avec celle d’un fonctionnaire masculin qui a assumé l’éducation de ses enfants et a été, de ce fait, exposé aux mêmes désavantages de carrière.

57. Or, l’article L. 12, sous b), du code ne permet pas à un fonctionnaire masculin qui se trouve dans une telle situation de prétendre à la bonification en cause au principal, même s’il est en mesure de prouver qu’il a effectivement assumé l’éducation de ses enfants.

58. Dès lors, indépendamment de la question de savoir si une telle preuve devrait être également exigée des fonctionnaires féminins ayant des enfants, il y a lieu de constater que l’article L. 12, sous b), du code introduit une différence de traitement en raison du sexe à l’égard des fonctionnaires masculins qui ont effectivement assumé l’éducation de leurs enfants.

59. Il convient encore de vérifier si l’article L. 12, sous b), du code peut être justifié au titre de l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale.

Sur l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale

60. M. Griesmar fait valoir que, le protocole sur la politique sociale ayant introduit, par le biais de l’accord qui lui est annexé, une règle totalement nouvelle, à savoir la possibilité d’une discrimination non plus en matière d’égalité de traitement, mais d’égalité des rémunérations, il ne saurait être appliqué rétroactivement aux pensions liquidées avant son entrée en vigueur. À titre subsidiaire, il soutient que, la bonification en cause au principal n’étant liée à aucun désavantage relatif à la condition de mère, puisqu’elle est accordée indépendamment de tout congé ou de tout préjudice quant à la carrière, le principe de l’égalité des rémunérations figurant à l’article 119 du traité est méconnu par l’article L. 12, sous b), du code, même si l’on devait considérer comme applicable l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale.

61. Invoquant des données statistiques, le gouvernement français met l’accent sur l’utilisation plus fréquente du congé parental par les femmes, ce qui influencerait leurs droits à pension, et sur la durée des carrières des fonctionnaires féminins qui serait en moyenne plus courte de deux ans que celle des fonctionnaires masculins. Il expose que, même si les statistiques n’établissent pas un lien direct entre le bénéfice du congé parental et la durée des carrières, il ne fait guère de doute que l’éducation des enfants est un élément important et peut-être l’élément principal pour expliquer la moindre durée des carrières des fonctionnaires féminins au moment du départ à la retraite. La bonification instituée par l’article L. 12, sous b), du code viendrait donc compenser, au bénéfice des femmes, les désavantages résultant d’une interruption de carrière pour l’éducation des enfants en ce qui concerne le taux et la base de calcul des pensions de retraite.

62. Il convient de rappeler à cet égard que l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale permet aux États membres de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle.

63. Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l’article 6, paragraphe 3, dudit accord introduit une règle nouvelle, force est de constater que la bonification instituée par l’article L. 12, sous b), du code ne constitue pas une mesure visée par cette disposition de l’accord sur la politique sociale.

64. En effet, l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale autorise les mesures nationales qui ont pour but d’éliminer ou de réduire les inégalités de fait qui résultent de la réalité de la vie sociale et affectent les femmes dans leur vie professionnelle. Il s’ensuit que les mesures nationales couvertes par cette disposition doivent, en tout état de cause, contribuer à aider les femmes à mener leur vie professionnelle sur un pied d’égalité avec les hommes.

65. Or, au vu des éléments invoqués devant la Cour, la mesure en cause au principal n’apparaît pas comme étant de nature à compenser les désavantages auxquels sont exposées les carrières des fonctionnaires féminins en aidant ces femmes dans leur vie professionnelle. Au contraire, elle se borne à accorder aux fonctionnaires féminins ayant la qualité de mère une bonification d’ancienneté au moment de leur départ à la retraite, sans porter remède aux problèmes qu’ils peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle.

66. Il est significatif à cet égard que, alors que l’origine de la mesure prévue à l’article L. 12, sous b), du code remonte à 1924, les problèmes auxquels se heurte la carrière d’un tel fonctionnaire féminin n’ont toujours pas pu, à ce jour, être résolus au moyen de cette disposition.

67. Dès lors, il convient de répondre à la seconde branche de la première question que, nonobstant les stipulations de l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale, le principe de l’égalité des rémunérations est méconnu par une disposition telle que l’article L. 12, sous b), du code, en ce qu’elle exclut du bénéfice de la bonification qu’elle instaure pour le calcul des pensions de retraite les fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants.

Sur la seconde question

68. Cette question est posée dans l’hypothèse où l’article 119 du traité ne serait pas applicable à des pensions servies au titre d’un régime tel que le régime français de retraite des fonctionnaires. Or, il résulte de la réponse apportée à la première branche de la première question que les pensions servies au titre d’un tel régime entrent dans le champ d’application de cette disposition du traité.

69. Par conséquent, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur la limitation dans le temps des effets du présent arrêt

70. Lors de l’audience de plaidoiries, le gouvernement français a demandé à la Cour de limiter dans le temps les effets du présent arrêt si elle apportait à la première question une réponse s’écartant de la thèse qu’il a soutenue.

71. À l’appui de cette demande, le gouvernement français a fait valoir que la mauvaise interprétation que les autorités françaises auraient pu faire des articles 119 du traité et 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale résulterait d’une incertitude juridique que l’on pourrait déceler dans la jurisprudence de la Cour en matière d’actions positives en faveur des femmes. Il s’est référé à cet égard aux arrêts du 17 octobre 1995, Kalanke (C-450/93, Rec. p. I-3051) ; du 11 novembre 1997, Marschall (C-409/95, Rec. p. I-6363) ; du 28 mars 2000, Badeck e.a. (C-158/97, Rec. p. I-1875), et Abdoulaye e.a., précité. Ce dernier arrêt aurait pu inciter les autorités françaises à considérer l’article L. 12, sous b), du code comme justifié.

72. Le gouvernement français a encore affirmé que l’équilibre financier des pensions de retraite des fonctionnaires se trouverait bouleversé si la bonification prévue à l’article L. 12, sous b), du code devait être accordée rétroactivement à tous les fonctionnaires masculins retraités qui ont eu des enfants. Un tel rappel aurait un coût évalué entre 3 et 5 milliards de FRF par an. Ces chiffres ne prendraient pas en compte l’effet que l’arrêt de la Cour aurait sur les pensions résultant d’une réversion, car il serait très difficile de faire des estimations au sujet de celles-ci.

73. Il convient de rappeler que l’interprétation que la Cour donne d’une disposition de droit communautaire se limite à éclairer et à préciser la signification et la portée de celle-ci, telle qu’elle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée envigueur (voir arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C-184/99, non encore publié au Recueil, point 50, et jurisprudence citée).

74. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi (arrêt Grzelczyk, précité, point 51).

75. En outre, il est de jurisprudence constante que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets dans le temps de cet arrêt (arrêt Grzelczyk, précité, point 52).

76. En effet, la Cour n’a adopté cette solution que dans des circonstances bien précises, lorsque, d’une part, il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et que, d’autre part, il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par les institutions communautaires (voir arrêt Grzelczyk, précité, point 53).

77. Il suffit de relever à cet égard que la bonification en cause au principal est, de par ses modalités et sa finalité, complètement différente des mesures qui ont fait l’objet des arrêts invoqués par le gouvernement français, en sorte que ce dernier ne saurait se référer à ces arrêts pour démontrer l’existence d’une incertitude objective et importante quant à la validité, au regard du droit communautaire, de cette bonification. Par ailleurs, compte tenu de la constatation effectuée au point 67 du présent arrêt, il n’est pas établi que le nombre de fonctionnaires masculins retraités en mesure de prouver qu’ils ont assumé l’éducation de leurs enfants est de nature à provoquer des répercussions économiques graves.

78. Par conséquent, il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

Sur les dépens

79. Les frais exposés par les gouvernements français et belge, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractèred’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Conseil d’État, par décision du 28 juillet 1999, dit pour droit :

Les pensions servies au titre d’un régime tel que le régime français de retraite des fonctionnaires entrent dans le champ d’application de l’article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE).

Nonobstant les stipulations de l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale, le principe de l’égalité des rémunérations est méconnu par une disposition telle que l’article L. 12, sous b), du code des pensions civiles et militaires de retraite, en ce qu’elle exclut du bénéfice de la bonification qu’elle instaure pour le calcul des pensions de retraite les fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants.

 


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