CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 219874
VILLE D’ANGERS
Mme Imbert-Quaretta, Rapporteur
Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement
Séance du 27 mai 2002
Lecture du 14 juin 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 10 avril et le 10 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la VILLE D’ANGERS, représentée par son maire en exercice ; la VILLE D’ANGERS demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt en date du 30 décembre 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a, à la demande de la société Etandex, réformé le jugement en date du 6 juin 1996 du tribunal administratif de Nantes, et l’a condamnée à verser à ladite société une indemnité de 207 485 F (31 630,88 euros) avec intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 1991 et capitalisation des intérêts ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique
le rapport de Mme Imbert-Quaretta, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la VILLE D’ANGERS et de la SCP Gatineau, avocat de la société Etandex,
les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de la VILLE D’ANGERS tend à la cassation de l’arrêt du 30 décembre 1999 de la cour administrative d’appel de Nantes en tant que celui-ci, réformant partiellement le jugement du 6 juin 1996 du tribunal administratif de Nantes, à la demande de la société Etandex, l’a condamnée à verser à cette société une indemnité de 207 485 F (31 630,88 euros), avec intérêts, pour des travaux supplémentaires de réparation de 1 700 mètres linéaires de fissures sur la piste du vélodrome d’Angers, non prévus dans la masse initiale des travaux du marché à prix forfaitaire conclu le 14 novembre 1989 entre la VILLE D’ANGERS et le groupement composé des entreprises Fonteneau et Etandex, pour la rénovation de son vélodrome ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un rapport d’expertise annexé audit marché, le laboratoire du centre d’études techniques de l’équipement (CETE) d’Angers a, sur la base du sondage auquel il avait procédé, évalué à 50 m linéaires pour un quart de piste, l’étendue des fissures à réparer ; que, si l’article 2 du cahier des clauses administratives particulières a inclus ledit rapport parmi les pièces constitutives du marché, il ressort de l’article 2 de l’acte d’engagement que le détail des travaux à effectuer pour le prix forfaitaire convenu résultait du détail quantitatif estimatif annexé audit marché ; qu’ainsi, en relevant, d’une part, que l’expertise du laboratoire du centre d’études techniques de l’équipement d’Angers avait évalué l’étendue des fissures à réparer à 500 mètres linéraires, d’autre part, que ce rapport déterminait l’étendue des travaux à effectuer pour le prix forfaitaire convenu par les parties, la cour administrative d’appel de Bordeaux a dénaturé les pièces du dossier ; qu’il résulte de ce qui précède que la VILLE D’ANGERS est fondée à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 30 décembre 1999 en tant qu’il l’a condamnée à verser à la société Etandex une somme de 207 485 F (31 630,88 euros) hors taxe, avec intérêts ;
Considérant qu’aux termes de l’article L.821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Sur les conclusions présentées par la société Etandex tendant à la condamnation de la VILLE D’ANGERS :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’ordre de service du 22 octobre 1990 par lequel la VILLE D’ANGERS a proposé à la société Etandex le règlement d’une somme de 100 000 F (15 244,90 euros) hors taxes en sus des montants prévus au marché concernait, non les travaux de réparation des fissures affectant la dalle de béton de la piste, et effectués spontanément par la société Etandex en l’absence de tout ordre de service, mais des travaux de reprise des défauts de planéité de la couche de roulement de la piste, demandés par la VILLE D’ANGERS à la société Etandex ; que, par suite, l’acceptation de cet ordre de service du 22 octobre 1990 par la société Etandex est sans incidence sur la recevabilité de sa demande tendant à ce que la VILLE D’ANGERS soit condamnée à lui verser une somme de 207 485 F (31 630,88 euros) hors taxe au titre des travaux supplémentaires de réparation des fissures réalisés par cette société ;
Considérant que les dispositions de l’article 15.3 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, qui prévoient l’indemnisation des travaux supplémentaires réalisés au-delà de la masse initiale des travaux et sur ordre de service du maître d’ouvrage, pour des montants, dans le cas des marchés à prix forfaitaire, excédant le vingtième de la masse initiale, ne fait pas obstacle à l’indemnisation de travaux supplémentaires réalisés sans ordre de service du maître d’ouvrage, mais indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art, quel qu’en soit le montant ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’article 2 de l’acte d’engagement a fixé à 4 165 564,42 F (635 036,20 euros) hors taxes le montant total du marché pour la rénovation du vélodrome de la VILLE D’ANGERS, dont 900 000 F (131 204,12 euros) hors taxes pour la réparation de la couche de roulement, et a renvoyé au détail quantitatif estimatif pour la détermination des travaux à réaliser ; que le détail quantitatif estimatif, qui constituait, en vertu de l’article 2 du cahier des clauses administratives particulières, un document contractuel annexé au marché, s’est borné à prévoir la réparation de 50 mètres linéaires de fissures pour chaque quart de la piste ; que l’entreprise Etandex reconnaît avoir eu connaissance, lors de la conclusions du marché, de la nécessité qu’il y avait de réparer 300 m linéaires de fissures supplémentaires ; qu’en évaluant, à l’occasion de sa soumission audit marché, à 500 mètres linéaires les fissures à réparer, et alors qu’elle n’était pas en mesure, à l’époque, de connaître l’importance des fissures situées sous la couche de roulement et des obligations auxquelles elle acceptait de souscrire dans le cadre d’un marché à prix forfaitaire, la société Etandex n’a commis aucune faute ni aucune négligence ; que, dès lors, la réparation de 1 700 mètres linéaires de fissures qu’elle a effectuée a constitué des travaux supplémentaires non prévus par les stipulations du marché, indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art, dont elle était fondée à demander la rémunération ; qu’il résulte de ce qui précède que la société Etandex est fondée à demander l’annulation du jugement du 6 juin 1996 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la VILLE D’ANGERS à lui verser une somme de 207 485 F (31 630,88 euros) hors taxes ;
Sur les intérêts :
Considérant que la société Etandex a droit aux intérêts de la somme de 207 485 F (31 630,88 euros) à compter du 10 juillet 1991, date non contestée de la présentation à la VILLE D’ANGERS de sa réclamation en date du 5 juillet 1991 ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 9 juillet 1999 ; qu’à cette date, il était dû au moins une année d’intérêts ; que la société Etandex a, en outre, demandé le 6 avril 2001 la capitalisation des intérêts afférents à l’indemnité que la cour administrative d’appel de Bordeaux lui a accordée ; qu’à cette date, au cas où l’arrêt attaqué n’aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d’intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur l’appel en garantie de l’Etat présenté par la VILLE D’ANGERS :
Considérant que le laboratoire du centre d’études techniques de l’équipement d’Angers n’a, en tout état de cause, commis aucune faute en évaluant à 50 mètres linéaires par quart de piste l’étendue des fissures à traiter, alors qu’il n’était pas en mesure d’évaluer l’importance exacte des fissures situées sous la couche de roulement de la piste du vélodrome ; que, par suite, l’appel en garantie formé par la VILLE D’ANGERS doit être rejeté ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner la VILLE D’ANGERS à verser à la société Etandex la somme de 3 000 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 30 décembre 1999 est annulé en tant qu’il condamne la VILLE D’ANGERS à verser à la société Etandex une somme de 207 485 F (31 630,88 euros) avec intérêts.
Article 2 : La VILLE D’ANGERS est condamnée à verser à la société Etandex une somme de 31 630,88 euros (207 485 F) avec intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 1991. Les intérêts échus le 19 juillet 1999 et le 6 avril 2001 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu’il a rejeté la demande de la société Etandex tendant à la condamnation de la VILLE D’ANGERS à lui verser une somme de 31 630,88 euros.
Article 4 : La VILLE D’ANGERS versera à la société Etandex une somme de 3 000 euros (19 678,71 F) en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par la VILLE D’ANGERS tendant à ce que l’Etat soit appelé à la garantir des condamnations prononcées à son encontre sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la VILLE D’ANGERS, à la société Etandex et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.