Le 29 juin 1987, M. Pascal
Marie, alors détenu à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis,
fit l’objet d’une sanction de huit jours de mise en cellule de punition,
avec sursis, pour s’être plaint, à tort selon l’administration,
du fonctionnement du service médical de l’établissement auprès
d’une autorité extérieure. Il était en effet reproché
à l’intéressé d’avoir adressé à l’inspection
générale des affaires sociales un courrier exposant qu’il
ne parvenait pas à se voir prodiguer de soins dentaires, alors qu’il
souffrait d’une fracture de deux incisives depuis son arrestation - laquelle
s’était en l’occurrence déroulée dans des conditions
quelque peu mouvementées. M. Marie contesta alors la sanction ainsi
prononcée par le chef d’établissement, ainsi qu’une décision
implicite du directeur régional des services pénitentiaires
l’ayant ultérieurement confirmée sur recours hiérarchique,
devant le tribunal administratif de Versailles.
Le 8 novembre 1985, le maître
timonier Philippe Hardouin, qui servait sur le navire de guerre "Le Vauquelin",
se vit pour sa part infliger une punition de dix jours d’arrêts pour
ivresse. Alors que son bâtiment faisait escale aux îles Canaries,
celui-ci avait en effet regagné bord, vers 0 heure 45, en manifestant
des troubles du comportement dans lesquels ses supérieurs virent
autant de témoignages d’une fréquentation excessive des bars
du port de Las Palmas, d’autant que son insistance à refuser de
se soumettre à l’alcootest laissait soupçonner qu’il appréhendait
les résultats d’un tel contrôle. M. Hardouin, qui fit alors
usage de la procédure de "droit de recours" prévue par l’article
13 du décret du 28 juillet 1975 portant règlement de discipline
générale dans les armées, déféra ensuite
au tribunal administratif de Rennes une décision du ministre de
la défense, en date du 14 mars 1986, confirmant la sanction ainsi
prononcée.
Dans ces deux affaires, cependant,
et c’est là la justification de leur présentation commune
devant votre Assemblée -, les tribunaux administratifs ainsi saisis
rejetèrent les demandes des requérants comme irrecevables,
au motif que celles-ci étaient dirigées contre des mesures
d’ordre intérieur insusceptibles de recours contentieux. Tels sont
les deux jugements, en date des 29 février 1988 et 6 avril 1989,
dont MM. Marie et Hardouin relèvent aujourd’hui respectivement appel
devant vous.
Si vous deviez aujourd’hui
vous en tenir à la jurisprudence séculaire dont vous faites
application en telle matière, vous n’auriez évidemment guère
d’hésitation à confirmer la solution des premiers juges.
On sait, en effet, que les sanctions disciplinaires ainsi prononcées
à l’encontre des détenus ou des militaires ont toujours été
analysées jusqu’ici - quelle que soit d’ailleurs, dans le détail,
la variété des formulations retenues à cet égard
par vos arrêts -, comme de simples mesures d’ordre intérieur
ne pouvant, à ce titre, donner lieu à contestation devant
le juge administratif (cf., par exemple : S., 11 juillet 1947, Dewavrin,
p.307, 13 juillet 1968, Sieur Chenal, p.446 ou encore S., 4 mai 1979, Comité
d’action des prisonniers, p.182). On sait, du reste, que cette jurisprudence
s’appliquait traditionnellement dans les mêmes conditions aux sanctions
prises à l’encontre des élèves des établissements
scolaires. Et celle-ci s’est même trouvée, assez récemment
encore, étendue, s’agissant des détenus, au cas d’une mesure
de placement en quartier de sécurité renforcée - alors
même que cette dernière ne présentait pas à
proprement parier de caractère disciplinaire - par une célèbre
décision d’Assemblée du 27 janvier 1984, Caillol, p.28, rendue
sur les conclusions contraires du Commissaire du Gouvernement Genevois.
En outre, il convient de
souligner que la jurisprudence tire de la règle d’irrecevabilité
des recours dirigés contre de telles décisions les conséquences
juridiques les plus vastes. C’est ainsi, notamment, que l’immunité
juridictionnelle de ces mesures s’étend bien entendu aux décisions
les ayant éventuellement confirmées sur recours hiérarchique
ce qui correspond d’ailleurs au cas des présentes espèces
(cf. 20 octobre 1954, Chapou, p. 541 ou 8 décembre 1967, Kayanakis,
p. 475). Et c’est ainsi, surtout, que l’illégalité entachant
ces mesures ne peut utilement servir de fondement à une demande
de plein contentieux tendant à l’indemnisation du préjudice
qu’elles auraient pu causer. A cet égard, on observera en effet
que si, par une décision de Section du 9 juin 1978, Spire, p. 237,
vous aviez paru admettre le principe d’une éventuelle mise en cause
de la responsabilité de l’administration à raison de mesures
d’ordre intérieur, cette jurisprudence n’a en réalité
connu aucune postérité, ainsi qu’en témoignent de
multiples décisions ultérieures déniant, expressément
la possibilité d’une telle responsabilité (cf. par exemple,
en ce sens : 10 mars 1982, Taddei, T. p. 534 ou 20 février 1989,
Mollaret, à la Revue de droit administratif de 1989, n° 178).
Cependant, la constance et
la fermeté avec lesquelles vous avez ainsi écarté
jusqu’à ce jour toute forme de recours contre les actes en cause
masquent mal, à la vérité, la faiblesse des justifications
théoriques de cette jurisprudence. Et cette fragilité se
trouve d’ailleurs mise en lumière par le caractère éminemment
elliptique de la motivation adoptée par les arrêts rendus
en la matière, qui - y compris dans l’espèce Caillol, où
cette solution avait pourtant été réexaminée
dans son principe se sont toujours bornés à affirmer en termes
péremptoires que ces actes "constituaient des mesures d’ordre intérieur",
sans expliciter aucunement les motifs conduisant à leur reconnaître
cette qualification.
Sans doute d’éminents
auteurs, à commencer par Hauriou, dans une note publiée au
Recueil Sirey de 1921 (IIIème partie, p. 9) ou le Président
Odent, dans son Cours (pp. 981 et suivantes), ont-ils pu s’efforcer de
légitimer, dans le cadre plus général d’une "théorie
des mesures d’ordre intérieur", l’irrecevabilité des recours
contentieux dirigés contres ces sanctions disciplinaires. C’est
ainsi qu’ils ont alors tout à la fois fait valoir, d’une part, qu’un
tel principe permettait de mettre l’autorité hiérarchique
mieux à même d’assurer la discipline interne indispensable
au bon fonctionnement des institutions concernées et, d’autre part,
que cette solution évitait fort opportunément au juge d’avoir
à statuer sur des mesures ne comportant en fait que des effets insignifiants
pour leurs destinataires. Mais ni la volonté ainsi affichée
de faciliter l’exercice d’un certain pouvoir de police intérieure
lequel, pour évidemment légitime qu’il soit, ne nous paraît
pas nécessairement requérir l’immunité juridictionnelle
des décisions de l’autorité hiérarchique -, ni la
référence ainsi faite à l’adage " De minimis non curat
praetor" - dont vous ne sauriez, quel que soit l’encombrement structurel
de vos rôles, donner une interprétation exagérément
extensive - n’apportent de fondement véritablement convaincant à
votre jurisprudence. Bien plus, certains des postulats qui président
à celle-ci, tel celui, mis en avant par le Président Odent,
selon lequel le pouvoir de prononcer ces sanctions serait, par nature,
"purement discrétionnaire, (voire) arbitraire", ne nous semblent
plus guère aujourd’hui sérieusement défendables, en
droit, s’agissant de mesures à caractère disciplinaire, tandis
que d’autres, comme celui de l’absence d’effet de ces sanctions sur la
situation juridique des personnes intéressées, sont pour
leur part comme nous le montrerons- très largement erronés
en fait. Aussi ces contributions doctrinales ne parviennent-elles en réalité
qu’à exposer les considérations ayant historiquement conduit
à votre jurisprudence actuelle, et non à fournir à
celle-ci une justification théorique incontestable, de sorte que
nous nous trouvons ici en présence de ce qu’il faut bien appeler,
à nos yeux, une jurisprudence d’opportunité plutôt
que de droit.
Or, l’argument d’autorité
tenant au caractère solidement établi de cette jurisprudence
ne pouvant, dans ces conditions, faire par lui-même obstacle à
son éventuel revirement, l’heure nous paraît aujourd’hui venue
d’envisager une telle évolution.
Indiquons d’emblée
que notre propos ne visera bien entendu nullement ici à remettre
en cause la notion même de mesure d’ordre intérieur. Outre
les circulaires, instructions et directives non réglementaires qui
y sont traditionnellement rattachées, cette catégorie juridique
continuera ainsi en effet à inclure d’innombrables décisions
individuelles dépourvues de tout caractère disciplinaire,
telles que, par exemple, le simple réaménagement des tâches
confiées à un agent public (4 juillet 1958, Commune d’Anglet,
p. 411), l’interdiction faite à un fonctionnaire de pénétrer
dans certains locaux (10 février 1967, Dupré, T. p. 881)
ou encore le refus d’une autorité administrative d’accorder une
audience à un subordonné (cf. 12 octobre 1955, Reix, T p.
771 et 29 juillet 1994, Delestrade, en cours de fichage aux Tables). En
outre, et pour en revenir plus directement aux punitions disciplinaires
infligées aux détenus et aux militaires, nous verrons qu’il
vous sera tout à fait possible de maintenir l’irrecevabilité
des recours dirigés contre celles de ces sanctions qui comportent
les effets les moins graves.
Mais, dans les limites ainsi
définies, plusieurs séries de considérations nous
paraissent rendre aujourd’hui difficilement concevable le maintien de votre
jurisprudence traditionnelle.
En premier lieu, en effet
et c’est là la base même de notre raisonnement -, on ne
peut manquer d’être sensible aux conséquences préjudiciables
qui s’attachent, pour les personnes concernées, au prononcé
de sanctions disciplinaires et, corrélativement, au considérable
progrès du droit que représenterait la soumission de telles
mesures au contrôle du juge.
Au-delà de la fiction
jusqu’ici délibérément entretenue par la jurisprudence,
il faut bien voir, en effet, que la plupart de ces sanctions portent en
réalité des atteintes manifestes tant aux droits et libertés
des intéressés qu’à leur situation juridique ou statutaire.
Ainsi, et s’agissant d’abord
des détenus, l’exemple de la punition de cellule disciplinaire,
dont a en l’occurrence fait l’objet M. Marie, apparaît particulièrement
démonstratif. L’article D. 167 du code de procédure pénale
définit en effet cette sanction comme le placement à l’isolement
dans une cellule spécialement aménagée à cet
effet - c’est-à-dire dépourvue de tout élément
de confort autre que strictement nécessaire à l’entretien
physique du détenu -, cependant que l’article D. 169 précise
pour sa part que : "La mise en cellule de punition entraîne pendant
toute sa durée la privation de cantine et de visites (et) comporte
aussi des restrictions à la correspondance (... )". Or, même
si la sévérité de ce régime disciplinaire se
trouve certes relativisée par le fait que les détenus ont,
par définition, déjà été privés
de leur liberté par la Justice, il est clair que l’application d’une
telle sanction entraîne une très sensible aggravation des
conditions matérielles dans lesquelles s’effectue la détention.
Et cette aggravation s’accompagne d’ailleurs d’une atteinte sensible à
l’exercice de certains droits individuels que l’incarcération de
la personne sanctionnée n’est pas réputée lui avoir
en elle-même retirés. Enfin, cette punition a, au surplus,
des effets d’autant plus sérieux que sa durée maximale -
qui est, en France, de 45 jours - excède très sensiblement
celle admise dans l’ensemble des pays européens voisins, où
elle n’est, par exemple, que de 15 jours en Italie ou de 28 jours en Allemagne.
Sans doute la mise en cellule
de punition correspond-elle, il est vrai, à la plus grave des six
sanctions applicables aux détenus, telles qu’elles sont actuellement
énumérées à l’article D. 250 du code de procédure
pénale. Mais on saisira d’emblée les nuances qu’appelle elle-même
cette observation lorsqu’on saura que cette punition représente
en réalité à elle seule, au plan statistique, les
deux tiers des sanctions disciplinaires prononcées chaque année
dans les établissements pénitentiaires.
En outre - et il convient
d’y insister -, le prononcé d’une telle sanction a indirectement
pour effet de préjudicier aux possibilités de libération
anticipée du détenu puni. L’article 721 du code de procédure
pénale, qui définit le régime d’octroi des réductions
de peines susceptibles d’être prononcées par le juge d’application
des peines, prévoit en effet que celles-ci peuvent être accordées
aux détenus "s’ils ont donné des preuves suffisantes de bonne
conduite". Or, cette ’bonne conduite" se trouve en pratique précisément
appréciée, pour une très large part, en fonction du
relevé des sanctions disciplinaires prononcées au cours de
la détention - étant entendu que la mention, au dossier de
l’intéressé, d’une sanction grave, telle qu’une mise en cellule
de punition, suffit en général à ajourner la réduction
de peine envisagée. Du reste, le lien ainsi établi entre
libération anticipée et sanctions disciplinaires se poursuit
au-delà même de l’octroi d’une telle réduction de peine,
dans la mesure où l’article 721 précité précise
expressément que cette dernière peut être ultérieurement
rapportée "en cas de mauvaise conduite du condamné en détention".
Quant aux punitions prononcées
à l’encontre des militaires, elles n’ont pas moins de conséquences
sur la situation de leurs destinataires.
Il est à peine besoin
d’insister sur le fait qu’une punition comme celle des arrêts, qui
se trouve être celle infligée en l’espèce à
M. Hardouin, comporte, en dépit d’une sévérité
amoindrie par rapport à celle des anciens "arrêts de rigueur"
supprimés par un décret du 11 octobre 1978, des effets directs
sur les libertés individuelles de la personne sanctionnée.
L’article 31 du décret du 28 juillet 1975 déjà cité,
qui fixe la liste des punitions disciplinaires applicables aux militaires,
prévoit en effet, dans sa rédaction issue d’un décret
du 21 août 1985, que les arrêts entraînent l’interdiction,
en dehors du service, de quitter l’unité ou le lieu désigné
par le chef de corps, ainsi que l’impossibilité de prétendre
au bénéfice d’une permission. Une telle sanction, qui peut
d’ailleurs être assortie d’une période d’isolement pur et
simple dans un local fermé, apporte donc à la liberté
d’aller et de venir - à laquelle les militaires ne sauraient être
réputés avoir renoncé, en dehors du service, du seul
fait de leur engagement dans l’Armée - des restrictions importantes.
Mais il convient surtout
de souligner ici que les punitions prononcées à l’encontre
des militaires ont, contrairement à une idée répandue,
des conséquences sensibles sur leur carrière. Sans doute,
en effet, le dispositif juridique en vigueur prend-il soin de distinguer
nettement les sanctions statutaires applicables aux intéressés
qui, seules, sont censées exercer une incidence sur leur situation
juridique-, des simples punitions disciplinaires - auxquelles aucune conséquence
de cet ordre ne serait théoriquement attachée, et dont l’immunité
juridictionnelle se trouverait ainsi légitimée. Mais force
est en réalité d’observer - et ce constat a pour effet de
placer les militaires dans une situation injustement défavorable
par rapport à celle des fonctionnaires civils - que cette distinction
traditionnelle est très largement artificielle et que les punitions
disciplinaires ont elles-mêmes des répercussions d’ordre statutaire.
Il résulte en effet
de l’examen des textes en vigueur que l’essentiel de l’appareil répressif
mis à la disposition de l’autorité militaire relève
précisément du domaine disciplinaire, et non statutaire.
C’est ainsi que l’article 48 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut
général des militaires, qui énumère les sanctions
statutaires en vigueur, n’en comporte en fait que trois - à savoir
la radiation du tableau d’avancement, le retrait d’emploi et la radiation
des cadres -, lesquelles ne sont d’ailleurs toutes trois destinées
à sanctionner que des manquements particulièrement graves.
L’immense majorité des sanctions applicables, quelle que soit la
nature de l’infraction en cause, prennent donc la forme de punitions disciplinaires.
Et cette fâcheuse confusion des genres est d’ailleurs d’autant mieux
entretenue que certaines de ces punitions, telles que la réduction
de grade ou le retrait de la distinction de première classe, prévus,
pour les militaires du rang, par l’article 32 du règlement de discipline
générale, se rapprochent notablement, dans leur esprit, de
sanctions à caractère statutaire.
En outre, l’article 30 du
même règlement dispose, en son paragraphe 4, qu’ "A l’exception
de l’avertissement, les punitions disciplinaires font l’objet d’une inscription
motivée au dossier individuel ou au livret matricule". Il est donc
clair que les sanctions ainsi visées peuvent être prises en
considération par l’autorité hiérarchique à
l’occasion de décisions d’ordre statutaire, telles que, notamment,
la notation ou l’avancement. Et on relèvera, par analogie, que c’est
précisément dans une telle inscription au dossier que, compte
tenu du préjudice de carrière susceptible d’en résulter,
votre jurisprudence situe le critère de la mesure d’ordre intérieur
en matière de décisions individuelles dans la fonction publique
civile. C’est ainsi que, si vous jugez habituellement que la décision
d’adresser à un agent de sévères observations sur
son comportement n’est pas susceptible de recours (cf. 6 mai 1953, Thomassot,
p. 206 ou 10 février 1967, Dupré, précité),
celle-ci perd cependant ce caractère de mesure d’ordre intérieur
dès lors qu’elle spécifie que les observations en cause seront
versées au dossier de l’intéressé (cf. 25 mars 1981,
Ministre du budget c. Arbault, T. p. 859).
Enfin - et au-delà
des textes en eux-mêmes -, il importe de souligner que la mention
au dossier de sanctions disciplinaires a, dans la pratique, une influence
déterminante sur la notation et sur l’avancement des militaires.
Cette tendance s’est d’ailleurs encore renforcée dans les années
récentes où, en raison notamment d’une réduction du
nombre d’emplois de commandement et de divers facteurs démographiques
défavorables, les promotions au sein des armées se sont faites
plus difficiles. Aussi le prononcé d’une punition relativement grave
suffit-il aujourd’hui bien souvent, dans les faits, à freiner l’avancement
de l’intéressé, voire à bloquer définitivement
sa carrière ou, s’il s’agit d’un militaire servant sous contrat,
à entraîner le non-renouvellement de ce contrat.
Au total, on voit que les
punitions infligées tant aux détenus qu’aux militaires comportent
en réalité des effets de droit et de fait qui, non seulement,
s’avèrent plus sensibles que ceux de bien d’autres actes dont le
juge administratif examine chaque jour la légalité, mais,
surtout, rendent à nos yeux indispensable la soumission de telles
sanctions à un contrôle juridictionnel.
Dans la mesure, en effet,
où ces décisions portent ainsi préjudice à
leurs droits individuels et à leur situation juridique, - il apparaît
naturel que leurs destinataires soient recevables à les contester
dans les mêmes conditions que le serait tout autre citoyen à
l’égard d’un acte lui faisant grief. Et l’on ne peut, de ce point
de vue, s’empêcher de voir dans votre jurisprudence actuelle une
manifestation d’archaïsme, sinon constitutive - comme il a parfois
été dit- d’un véritable déni de justice, du
moins difficilement compatible avec les principes de l’Etat de droit tel
qu’il est aujourd’hui entendu.
S’agissant des détenus,
la levée de cet obstacle à l’accès au juge constituerait
au demeurant une étape essentielle dans le nécessaire processus
conduisant - selon l’expression de M. Jean Favard, conseiller à
la Cour de cassation et éminent spécialiste de droit pénitentiaire
de la conception d’un "détenu sujet" à celle d’un "détenu
citoyen". Et on relèvera que, par un avis du 29 octobre 1992, la
Commission nationale consultative des droits de l’homme s’est d’ailleurs
elle-même prononcée, pour sa part, en faveur de la reconnaissance
d’un droit de recours contre les sanctions frappant les détenus,
en allant jusqu’à préconiser que celui-ci soit, à
défaut d’évolution spontanée de votre jurisprudence,
institué par voie réglementaire.
Enfin, et en ce qui concerne
cette fois les militaires, l’état du droit actuel présente
l’inconvénient de porter une certaine atteinte à l’équité,
en aboutissant, comme on l’a vu, à des différences de traitement
par rapport aux fonctionnaires civils que ne suffisent pas à justifier,
à nos yeux, les spécificités inhérentes à
leur état particulier.
Or, le revirement jurisprudentiel
ainsi rendu nécessaire nous apparaît par ailleurs facilité,
en deuxième lieu, par l’évolution récente qu’a connue
notre droit en direction d’un rétrécissement du domaine des
mesures d’ordre intérieur.
Animée du légitime
souci d’élargir les possibilités de contestation de l’action
administrative - et parfois aiguillonnée en ce sens, il est vrai,
par la doctrine ou par des textes écrits -, votre jurisprudence
s’efforce en effet désormais de limiter étroitement la catégorie
des décisions individuelles considérées comme insusceptibles
de recours. Et la méthode que vous avez adoptée pour ce faire
qui mérite d’être ici tout particulièrement soulignée,
eu égard aux effets, déjà explicités, qui s’attachent
aux sanctions disciplinaires - consiste précisément à
exclure de cette catégorie les décisions ayant en réalité
pour effet de porter une atteinte substantielle aux droits et libertés
ou à la situation juridique ou statutaire de leurs destinataires.
Cette évolution est
d’abord perceptible en ce qui concerne les décisions administratives
d’ordre interne dénuées de tout caractère disciplinaire.
C’est ainsi, par exemple,
que les décisions qui, sous couvert d’organisation du service, ont
pour effet de remettre en cause les attributions essentielles d’un agent,
sont aujourd’hui systématiquement analysées comme susceptibles
de recours (cf., par exemple, en ce sens : 3 novembre 1989, Fassiaux, à
la Revue de droit administratif de 1990, n°40 ou 5 avril 1991, Dame
Imbert-Quaretta, T. p. 999), alors que la jurisprudence rendue dans des
hypothèses de ce type se montrait naguère souvent plus restrictive.
C’est ainsi encore que, s’agissant
des décisions prises au sein d’établissements scolaires,
vous excluez désormais de la catégorie des mesures d’ordre
intérieur celles qui sont, à quelque titre que ce soit, de
nature à perturber la scolarité des élèves
(cf. par exemple, pour un refus de passage dans la classe supérieure :
6 juillet 1949, Andrade, p. 331, pour le rejet d’une demande de changement
d’option en cours d’année scolaire : S., 5 novembre 1982, Attard,
p. 374, et même, pour le refus d’admettre un enfant en classe de
neige : S., ler avril 1977, Epoux Deleersnyder, p. 173, aux conclusions
du Président Galabert).
C’est ainsi, enfin, qu’en
ce qui concerne les mesures prises dans les établissements pénitentiaires,
vous considérez aujourd’hui - contrairement à d’anciennes
jurisprudences progressivement abandonnées - que ne sauraient être
regardées comme des mesures d’ordre intérieur les décisions
qui comportent des effets pécuniaires (cf., pour le refus de restituer
les sommes bloquées sur le compte d’un détenu : 3 novembre
1989, Pitalugue, T. p. 772) ou celles qui mettent en cause des libertés
ou des droits protégés (cf., pour une décision portant
atteinte au secret de la correspondance entre un détenu et son avocat :
12 mars 1980, Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines,
p. 141 ; pour la décision d’installer un portique de contrôle
des visiteurs à l’entrée d’une prison : 21 octobre 1988, Syndicat
des avocats de France, p. 373 ; et même, pour une décision
du ministre de la justice interdisant à un détenu de recevoir
des publications relatives aux armes à feu et des cartes géographiques
manifestement destinées à favoriser son évasion : 10
octobre 1990, Garde des Sceaux c. Hyver, T. p. 91 1).
En outre, il convient de
signaler que, par une décision du 15 janvier 1992, Cherbonnel, p.
19, abondamment commentée par la doctrine, vous avez récemment
eu l’occasion d’admettre la recevabilité du recours formé
par un détenu contre les décisions d’un chef d’établissement
pénitentiaire ayant prétendument méconnu les dispositions
du code de procédure pénale relatives aux possibilités
d’achat en cantine, ainsi qu’à la composition et à l’espacement
des repas. Or, bien que la portée proprement novatrice de cet arrêt
nous semble, à la vérité, avoir été
quelque peu exagérée - dans la mesure où les décisions
en cause s’inscrivaient dans une hypothèse de compétence
liée, ce qui suffisait en principe, même dans l’état
du droit ancien, à leur conférer le caractère d’actes
faisant grief -, nous ne sommes pas pour autant très sûrs
que ces décisions n’auraient pas été effectivement
analysées comme des mesures d’ordre intérieur, il y a quelques
années à peine, du simple fait qu , elles concernaient l’organisation
interne d’une prison.
Ce mouvement de rétrécissement
du domaine des mesures d’ordre intérieur a par ailleurs trouvé
l’une de ses concrétisations dans l’élimination de cette
catégorie juridique de certains actes autonomes qui y étaient
naguère encore rattachés.
Depuis un arrêt de
Section du 25 janvier 1991, Vigier, p. 29, vous considérez ainsi
comme susceptibles de recours les décisions prises par les arbitres
des compétitions sportives ainsi que celles des fédérations
organisatrices relatives aux résultats de ces compétitions,
alors que celles-ci avaient jusqu’alors été traitées,
notamment à l’occasion d’un précédent arrêt
de Section "Association Club athlétique de Mantes-la-Ville" du 13
juin 1984, p. 218 -et même si cette qualification n’était
d’ailleurs pas formellement employée à leur sujet -, comme
des mesures d’ordre intérieur. Du reste, la motivation de cette
décision Vigier s’avère, sur un plan théorique, des
plus frappantes, puisqu’on peut notamment y lire qu’ "il appartient (au
juge administratif) d’exercer son contrôle sur le respect des principes
et des règles qui s’imposent aux auteurs de tout acte accompli dans
l’exercice d’une mission de service public" - formulation qui, prise à
la lettre, paraîtrait presque condamner le principe même des
mesures d’ordre intérieur..
De même, et s’agissant
du cas certes assez différent mais néanmoins révélateur
des règlements intérieurs des assemblées délibérantes
des collectivités locales, dans lesquels une très ancienne
jurisprudence voyait également de telles mesures d’ordre intérieur,
cette solution s’est trouvée récemment remise en cause, à
l’initiative, cette fois, du législateur. La loi d’orientation du
6 février 1992 relative à l’administration territoriale de
la République a en effet désormais prévu, en son article
31, la possibilité de déférer au juge le règlement
intérieur de certaines communes. Et cette innovation a par suite
conduit le Commissaire du Gouvernement Savoie à conclure devant
votre Section, il y a tout juste une semaine, dans deux affaires n°s
129168 et 147378, Riehl et Commune de Coudekerque-Branche, à un
revirement complet de votre jurisprudence en la matière, telle qu’elle
résultait en dernier lieu d’un arrêt d’Assemblée du
2 décembre 1983, Charbonnel, p. 474.
Enfin et surtout, il convient
de souligner que, dans le domaine même des mesures à caractère
de sanctions auxquelles nous nous intéressons plus directement aujourd’hui,
votre jurisprudence traditionnelle s’est déjà trouvée
fortement ébranlée par votre avis d’Assemblée Générale
du 27 novembre 1989 relatif au port de signes d’appartenance religieuse
dans les établissements scolaires, rendu à l’occasion de
l’affaire dite du "foulard islamique" et publié notamment à
l’A.J.D.A. de 1990, p. 39. Après avoir notamment, par cet avis,
renvoyé au règlement intérieur des établissements
scolaires le soin d’opérer la nécessaire conciliation entre
le principe de laïcité et la liberté d’expression et
de manifestation religieuse, puis confié à l’autorité
disciplinaire la responsabilité de sanctionner le port de signes
distinctifs ostentatoires, vous avez en effet alors été conduits
à poser en principe que tant ce règlement intérieur
que les sanctions ainsi éventuellement prononcées pourraient
être déférés au juge. Ce faisant, vous êtes
donc en réalité revenus sur votre jurisprudence traditionnelle
qui, comme il a déjà été indiqué, voyait
jusqu’alors dans de telles sanctions des mesures d’ordre intérieur,
et reconnaissait d’ailleurs cette même qualification, en vertu d’un
arrêt de Section du 21 octobre 1938, Lote, p. 786, au règlement
intérieur lui-même - ainsi que l’avait notamment rappelé,
à propos du règlement resté célèbre
d’un lycée parisien de jeunes filles interdisant le port du pantalon
de ski, la décision Chapou du 20 octobre 1954, précitée.
Or, vos formations contentieuses se sont depuis lors bien entendu alignées,
par une décision du 2 novembre 1992, Kherouaa, p. 389, aux conclusions
du Commissaire du Gouvernement Kessler, sur la nouvelle orientation ainsi
définie.
Et celle-ci s’était
d’ailleurs entre-temps déjà trouvée renforcée
par un important décret du 18 février 1991 fixant, pour la
première fois, les droits et obligations des élèves
des lycées et collèges. Il est donc désormais admis
que les sanctions ainsi prononcées dans les établissements
scolaires puissent être déférées au juge administratif,
et l’actualité médiatique se charge d’ailleurs de nous rappeler
fréquemment que de tels contentieux sont, en pratique, effectivement
engagés.
Or, dès lors que vous
avez ainsi opéré, dans l’un des trois domaines d’élection
des mesures d’ordre intérieur à caractère disciplinaire,
le revirement jurisprudentiel que nous venons d’exposer, on voit à
la vérité assez mal ce qui interdirait d’élargir le
champ de celui-ci aux deux autres domaines en cause que constituent, traditionnellement,
l’Armée et les établissements pénitentiaires.
En définitive, la
solution que nous vous proposons aujourd’hui d’adopter s’inscrit donc dans
une évolution largement entamée dans les années récentes.
Et il suffira, pour s’en convaincre, de comparer les commentaires formulés
à ce sujet, dans les éditions successives de son Traité
de droit du contentieux administratif, par le Professeur Chapus. C’est
ainsi que si celui-ci présentait en un premier temps la jurisprudence
relative aux mesures d’ordre intérieur comme "immobile", il n’en
a pas moins été en mesure d’affirmer, dans l’édition
la plus récente -et sans que cette apparente contradiction lui soit
en rien imputable- que "dans les premières années de la décennie
1990, le vent du changement a commencé à souffler sur la
jurisprudence"...
Or, s’agissant des sanctions
qui nous occupent, le renversement de votre position traditionnelle nous
paraît par ailleurs impliqué, en troisième lieu, par
un facteur juridique qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec cette évolution
plus générale du droit des mesures d’ordre intérieur :
Nous
voulons parler des obligations résultant de certains engagements
internationaux souscrits par la France et, tout particulièrement,
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
Sans doute le principe de
l’irrecevabilité des recours dirigés contre certaines décisions
d’ordre disciplinaire n’est-il pas en lui-même incompatible, il est
vrai, avec les exigences de cette convention, laquelle peut fort bien s’accommoder
de la survivance de mesures d’ordre intérieur. Mais encore faut-il
que ces dernières demeurent strictement entendues. Or, s’agissant
des sanctions en cause, il n’est guère douteux que le dispositif
français actuel est susceptible de contrevenir à certaines
des stipulations de ladite convention, à savoir ses articles 6 et
13, relatifs respectivement au droit à un procès équitable
et à l’existence d’un recours effectif devant une instance nationale.
L’article 6, dont vous avez
déjà eu à connaître à maintes reprises
dans d’autres contextes, dispose en effet, en son paragraphe premier, que :
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement
(... ) par un tribunal indépendant et impartial (... ) qui décidera,
soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière
pénale dirigée contre elle". Or, d’une part, cette disposition
a fort logiquement été interprétée par
la Cour européenne
des droits de l’homme, à l’occasion d’un arrêt Golder
du 21 février 1975 (au Recueil, série A, n° 18),
comme garantissant, outre le droit au caractère équitable
des procès en tant que tel, le droit à l’existence même
d’un procès -c’est-à-dire la possibilité, en toute
matière civile ou pénale, d’accéder à un juge.
D’autre part et surtout, la notion d’ "accusation en matière pénale"
ainsi visée ne saurait bien entendu, eu égard à la
diversité des systèmes juridiques nationaux, coïncider
exactement avec la définition qui en est donnée dans chacun
des Etats parties à la Convention, et qui ne peut donc être
qu’indicative. Or, il a d’ores et déjà été
jugé, dans le domaine qui nous occupe, que cette notion était
susceptible de s’appliquer à certaines procédures qualifiées
en droit interne de "disciplinaires", dès lors que ces dernières
présentaient en fait, de par leur gravité, un caractère
proche de celui des poursuites pénales. En effet, par un arrêt
Engel c. Pays-Bas du 8 juin 1976 (série A, n°22), qui concernait précisément des
punitions disciplinaires infligées à des militaires, la Cour
a considéré qu’il lui appartenait de déterminer le
caractère pénal d’une accusation au cas par cas, en se fondant
en particulier sur la nature de l’infraction en cause, ainsi que sur le
degré de sévérité de la sanction encourue.
Puis, procédant à une telle appréciation en l’espèce,
la Cour a alors notamment jugé qu’une sanction d’affectation en
unité disciplinaire devait bien être regardée, eu égard
à ses importants effets privatifs de liberté, comme relevant
de la matière pénale, et entrait ainsi dans le champ d’application
de l’article 6.
On ajoutera que cette jurisprudence
a depuis lors été étendue, dans le même esprit,
aux sanctions prononcées à l’encontre des détenus
dans les établissements pénitentiaires. C’est ainsi que,
par un important arrêt Campbell
et Fell c. RoyaumeUni du 28 juin 1984 (série A, n°80), la
Cour a estimé qu’une telle sanction, en ce qu’elle emportait en
l’occurrence une perte substantielle de jours de remise de peine, s’apparentait
à une privation de liberté, et revêtait donc également
un caractère pénal au sens de la Convention. Aussi cette
mesure devait-elle, tout comme dans l’affaire Engel, pouvoir être
contestée devant un juge -ce qui donna du reste à la Cour
l’occasion d’affirmer solennellement dans son arrêt que "la justice
ne saurait s’arrêter à la porte des prisons".
Or, tant l’arsenal des punitions
actuellement applicables aux militaires que celui des sanctions prévues
à l’encontre des détenus, tels qu’ils résultent respectivement,
en France, du décret du 28 juillet 1975 et de l’article D. 250 du
code de procédure pénale, nous paraissent comporter certaines
sanctions susceptibles de relever de cette même jurisprudence.
Quant à l’article
13, il dispose pour sa part que : "Toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans la (... ) Convention ont été violés,
a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale."
Cette stipulation exige donc que tout détenu ou militaire qui soutiendrait
être lésé, par l’effet de sanctions disciplinaires,
dans l’exercice de droits et libertés par ailleurs protégés
par la Convention (tels que, par exemple, la liberté d’aller et
de venir, le secret de la correspondance ou encore la libre consultation
d’un avocat) soit en mesure de porter une réclamation devant une
autorité compétente, à la seule condition -posée
par la jurisprudence de la Courque ses allégations soient ’plausibles’.
Il est vrai que l’instance
de recours ainsi visée n’a pas, selon l’expression utilisée
notamment dans un arrêt Leander
c. Suède du 26 mars 1987 (Série A, n°116), à
revêtir obligatoirement la forme d’une "institution judiciaire stricto
sensu". Mais, comme le laisse bien entendre cette formulation, il doit
alors s’agir d’une autorité qui, de par son statut, offre à
tout le moins de sérieuses garanties d’indépendance par rapport
à celle ayant pris la décision contestée. C’est ainsi,
notamment, qu’un simple recours gracieux ne saurait évidemment être
considéré comme un "recours effectif" au sens de cet article
13, cependant que les recours hiérarchiques, tels que ceux adressés
par exemple au ministre compétent, ne sont eux-mêmes regardés
comme conformes aux exigences de cette stipulation que sous certaines réserves,
et au bénéfice d’une appréciation au cas par cas (cf.
notamment, sur ce point, et s’agissant précisément de décisions
visant des détenus, les arrêts de la Cour Silver
et autres du 25 mars 1983 (série A, n°61) et Boyle
et Rice, du 27 avril 1988 (série A, n°131) ou encore l’arrêt
Campbell et Fell, déjà
cité).
Or, si les sanctions prononcées
contre les détenus peuvent bien être théoriquement
contestées, en France, devant le directeur régional des services
pénitentiaires, ce droit de recours, dont la base juridique est
au demeurant incertaine, et qui, surtout, n’aboutit guère, en pratique,
à un véritable réexamen du dossier, ne satisfait certainement
pas aux exigences de cette jurisprudence. En outre, si les militaires disposent
certes, par le biais du "droit de recours" de l’article 13 du règlement
de discipline générale, de la possibilité de saisir
l’autorité hiérarchique de réclamations, qui sont
pour leur part soigneusement étudiées, on ne saurait pour
autant affirmer avec certitude qu’une telle procédure présente
elle-même, compte tenu notamment de son caractère interne
aux armées, des. garanties suffisantes à cet égard.
Aussi l’absence, dans ces mêmes matières, de toute possibilité
de recours devant le juge administratif paraît-elle bien aboutir,
au moins dans certains cas, à une infraction de notre pays au regard
de la stipulation en cause.
Comme on le voit, l’abandon
de votre jurisprudence traditionnelle présenterait donc l’avantage
de mettre aujourd’hui un terme à une situation à bien des
égards précaire au regard de la Convention, et qui pourrait
d’ailleurs ainsi se traduire, dans l’avenir, par d’éventuelles condamnations
prononcées par la Cour de Strasbourg.
Au surplus et bien que les
manquements à cet autre engagement international ne soient pas assortis
de semblables risques contentieux, il convient de relever que l’état
du droit actuel contrevient sans doute, pour les mêmes raisons et
dans la même mesure que celles qui viennent d’être indiquées,
au Pacte international de l’Organisation des Nations unies du 16 décembre
1966 relatif aux droits civils et politiques, dont les articles 2 et 14
comportent des stipulations respectivement équivalentes à
celles des articles 13 et 6 de la Convention.
Il est vrai que, s’agissant
des punitions visant les militaires, la France avait pris la précaution,
à l’occasion de la ratification de la Convention, en 1974, d’émettre
précisément une réserve excluant l’application de
l’article 6 en la matière -ainsi qu’elle l’a du reste à nouveau
fait, lors de la ratification du Pacte, en 1980, en ce qui concerne son
article 14.
Mais, d’une part, si elle
ôte ainsi au revirement jurisprudentiel envisagé tout caractère
impératif au regard des stipulations en cause, l’existence de telles
réserves ne vous empêche évidemment pas pour autant
de procéder à celui-ci sur le fondement d’autres considérations.
D’autre part, on observera que ces réserves, qui ne portent que
sur le seul principe de l’accès au juge, ne dispensent cependant
pas la France de son obligation d’assurer aux militaires le droit de recours
effectif par ailleurs prévu par les articles 13 de la Convention
et 2 du Pacte, dont le respect soulève lui aussi, comme on l’a vu,
quelques difficultés. Enfin, et plus fondamentalement, il nous apparaît
que l’argument qui pourrait être tiré de telles réserves
est susceptible, à la vérité, de se retourner, car
l’existence même de celles-ci fait évidemment figure d’aveu
de l’incompatibilité du régime disciplinaire des militaires
français avec les traités multilatéraux en cause.
Or, il est à nos yeux permis de se demander s’il est bien opportun
que la France se trouve ainsi amenée à se soustraire, contrairement
à sa vocation naturelle, à une obligation admise par les
autres Etats démocratiques comme une des exigences minimales requises
en matière de protection des droits de l’homme. A quoi s’ajoute
que nous voyons mal, en opportunité, comment vous pourriez vous
fonder sur ces réserves pour exclure les seules sanctions prises
dans l’Armée du renversement de jurisprudence envisagé et
limiter ainsi la portée de celui-ci aux mesures visant les détenus.
Pareille solution, qui aurait pour effet de placer ces derniers dans une
situation de droit plus favorable que celle des militaires, n’irait en
effet tout de même pas sans comporter quelque paradoxe eu égard
aux mérites comparés des deux populations respectives et
serait d’ailleurs, à n’en. pas douter, fort mai perçue au
sein des armées...
Parmi les éléments
qui militent fortement en faveur de la recevabilité des recours
dirigés contre les sanctions disciplinaires figure également,
en quatrième lieu, le constat suivant lequel de tels recours sont
possibles -par suite d’ailleurs précisément, dans certains
cas, d’ajustements récents liés à une mise en conformité
avec les traités précités- dans la plupart des Etats
comparables au nôtre.
Sans vouloir nous livrer
à un panorama de droit comparé exhaustif, que la grande variété
des systèmes juridictionnels nationaux rendrait d’ailleurs difficile
à dresser, on relèvera en effet d’abord ici que la grande
majorité des pays européens connaissent un mode des contestation
des sanctions frappant les détenus.
C’est ainsi, à titre
d’exemple, qu’en Grande-Bretagne, où ces sanctions ne sont d’ailleurs
pas prononcées par les chefs d’établissements pénitentiaires
mais par des "comités de visiteurs" eux-mêmes composés
en partie de magistrats et dotés d’un statut quasi-juridictionnel,
il est admis par la jurisprudence, depuis 1978, que les décisions
de ces comités puissent être contestées devant la Haute
Cour de Justice selon la procédure anglo-saxonne des mandats de
certiorari. De la même manière, en Allemagne, les sanctions
ainsi infligées aux détenus sont susceptibles d’être
déférées, comme d’ailleurs toute autre décision
concernant ceux-ci, devant le Tribunal régional du Land, lequel
comporte notamment une "chambre d’exécution des peines" spécialisée
en la matière. Ce système de contestation devant une juridiction
spécifique est d’ailleurs également pratiqué, selon
des modalités différentes, dans d’autres Etats européens,
tels que l’Italie ou l’Espagne, où les sanctions en cause sont soumises
au juge chargé de l’application des peines, parfois dénommé
"juge de la surveillance pénitentiaire". Enfin, certains Etats du
Nord de l’Europe ont pour leur part mis en place des voies de recours plus
originales, telle la Finlande, où les détenus peuvent adresser
leurs réclamations à un "ombudsman" habilité à
saisir éventuellement la justice. De manière générale,
les possibilités de contestation juridictionnelle sont donc, en
la matière, très largement ouvertes, même si certains
pays, comme la Grèce ou le Portugal, en limitent la portée
à la seule punition de mise en cellule disciplinaire -formule qui
demeure d’ailleurs elle-même, à tout prendre, en avance sur
le droit français.
Quant aux sanctions visant
les militaires, elles sont elles aussi, au moins pour les plus sévères,
soumises au contrôle du juge dans la plupart des Etats voisins.
Ainsi, en Grande-Bretagne,
les principales sanctions, à savoir notamment celles qui comportent
une grave privation de liberté, sont-elles prononcées par
des "Cours martiales", dont les jugements sont eux-mêmes susceptibles
d’appel ou de certiorari, cependant que les punitions mineures, prononcées
par les officiers, peuvent pour leur part faire l’objet de divers recours
successifs remontant, dans certains cas, jusque devant la Chambre des Lords.
De même, en Allemagne, les punitions d’arrêts sont-elles soumises
au contrôle d’un "tribunal militaire disciplinaire", puis, par la
voie du recours constitutionnel, à celui du Tribunal constitutionnel
fédéral de Karlsruhe -ce qui a notamment donné l’occasion
à ce dernier de définir, par d’importants arrêts rendus
dès 1970, les conditions dans lesquelles les libertés individuelles
devaient se concilier avec la discipline militaire. Enfin, de telles voies
de recours existent également, par exemple, aux Pays-Bas, où
les sanctions infligées sont susceptibles de réclamation
devant une "Haute cour militaire", et, pour les punitions les plus graves,
en Espagne, où ont été institués à cet
effet des tribunaux militaires territoriaux.
Comme on le voit, -le dispositif
français accuse donc, tant en ce qui concerne les droits des détenus
que ceux des militaires, un très net retard, que seul permettrait
de combler - en l’absence de toute voie de recours ouverte aux intéressés,
en l’état actuel du droit, devant une éventuelle juridiction
spécifique - un renversement de votre jurisprudence.
Or, ce renversement nous
paraît par ailleurs favorisé, en cinquième lieu, par
la notable évolution sociologique qu’ont connue le milieu pénitentiaire
et l’Armée dans les dernières décennies, et qui les
a conduits tout à la fois à mieux reconnaître les droits
de l’individu et à s’ouvrir à un contrôle extérieur.
Le temps n’est plus, en effet,
où ces deux institutions, vivant repliées sur elles-mêmes,
étaient communément perçues par la société
comme largement soustraites au droit -et où la notion de mesure
d’ordre intérieur pouvait ainsi trouver à s’appliquer, sans
que personne n’en fût choqué, à des actes -portant
en réalité des atteintes substantielles aux libertés
ou à la situation juridique de leurs destinataires.
Ainsi, et s’agissant d’abord
du monde pénitentiaire, on ne peut manquer d’être frappé
par les progrès accomplis, depuis une vingtaine d’années,
dans le sens de l’affirmation des droits et du respect de la dignité
des détenus, depuis l’accès, en 1975, au vote par procuration
qui permit pour la première fois aux nombreux détenus jouissant
du droit de vote d’exercer effectivement celui-ci-, jusqu’à l’allégement
sensible des contraintes de la vie carcérale par un décret
du 28 janvier 1983, en passant par la reconnaissance du droit aux activités
culturelles et sportives ou à certains loisirs, tels que la télévision.
Or, cette évolution, d’ailleurs aujourd’hui stimulée par
des "règles pénitentiaires européennes" précisant
les droits minimaux reconnus aux détenus par les instances du Conseil
de l’Europe, s’accompagne d’un contrôle croissant de l’institution
pénitentiaire par le monde extérieur. C’est ainsi, à
titre d’exemple, que le service médical des prisons, naguère
encore confié à des médecins pénitentiaires
spécialisés, est aujourd’hui généralement assuré,
sous forme de vacations, par des médecins de ville. Et il convient
tout particulièrement d’insister, dans le même ordre d’idées,
sur le retentissement psychologique qu’a connu une importante mission d’enquête
effectuée dans les établissements pénitentiaires français,
en octobre et novembre 1991, par le Comité européen pour
la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants, dont le rapport a été publié
par la Revue universelle des droits de l’homme (volume 5, p. 77). A cette
occasion, en effet, le milieu pénitentiaire a dû se soumettre,
en pleine lumière, à un regard extérieur critique,
et a d’ailleurs ensuite été conduit, par la volonté
du Gouvernement, à aménager certaines de ses pratiques pour
se conformer aux observations du Comité. C’est dire que les services
concernés ont dû aujourd’hui à tout le moins se résigner
au principe d’une inspection de leur comportement par des tiers et que
votre choix de soumettre l’exercice du pouvoir disciplinaire à un
contrôle du juge s’insérerait ainsi dans un contexte beaucoup
moins réticent à une telle perspective qu’il ne l’était
il y a quelques années encore.
Quant à la situation
au sein des armées, elle a connu une évolution qui apparaît
plus nette encore, et qui rend même ici l’introduction d’un contrôle
du juge sur les punitions si naturelle que celle-ci semble aujourd’hui
souhaitée, à la vérité, par la hiérarchie
elle-même. D’une part, en effet, le monde militaire, qui a lui aussi
fait l’objet d’une pénétration croissante du droit, manifeste
aujourd’hui, de manière générale, une sensibilité
accrue à la protection des libertés individuelles. On en
trouvera du reste un significatif et récent témoignage dans
l’organisation par le ministère de la défense, en décembre
1994, d’un colloque juridique intitulé "Droit et défense",
au cours duquel ont pu être notamment débattus des thèmes
aussi sensibles que le droit d’expression des militaires ou leur liberté
d’adhésion à un parti politique. D’autre part, l’instauration,
par l’article 13 du décret du 28 juillet 1975, d’un "droit de réclamation",
devenu depuis lors le "droit de recours" précédemment évoqué
qui s’est d’ailleurs accompagnée d’un allégement concomitant
de l’appareil disciplinaire lui-même-, a eu pour conséquence
de modifier considérablement les conditions d’exercice du pouvoir
de sanction. Dans la mesure, en effet, où les officiers prononçant
des punitions encourent désormais une possible censure de l’autorité
hiérarchique, ceux-ci se trouvent d’ores et déjà amenés,
par la même, à veiller attentivement à la régularité
de leurs décisions. Aussi l’éventuelle introduction d’un
contrôle complémentaire du juge ne modifierait-elle guère
les habitudes en la matière. Enfin, on ne saurait oublier que vous
admettez déjà de longue date la recevabilité des recours
formés par les militaires à l’encontre de sanctions à
caractère statutaire et, depuis un arrêt de Section Pierron
du 22 avril 1977, p. 184, à l’encontre des notations. La hiérarchie
militaire est donc d’ores et déjà accoutumée à
un tel contrôle, et l’impact psychologique d’une éventuelle
extension de celui-ci au domaine des sanctions disciplinaires s’en trouve
ainsi relativisé d’autant.
Au total, et au-delà
de l’inévitable désagrément que procure en elle-même
la remise en cause de tout privilège, un renversement de votre jurisprudence
ne devrait donc pas heurter profondément les institutions concernées
même si celui-ci gagnerait sans doute à être accompagné,
à l’initiative des ministères concernés, d’une action
pédagogique auprès des personnels les plus attachés
à l’état du droit actuel, c’est-à-dire essentiellement
les surveillants pénitentiaires et les sous-officiers.
Enfin -et c’est là
notre dernier argument en faveur de la solution proposée-, il nous
apparaît que celle-ci permettra de remédier, en ce qui concerne
les sanctions visant les détenus, à l’une des plus graves
incohérences auxquelles ait donné lieu, dans les années
récentes, le principe de séparation des juridictions administrative
et judiciaire.
Il faut savoir, en effet,
que, compte tenu des incertitudes juridiques ayant toujours affecté
la détermination du juge compétent pour connaître des
décisions relatives aux détenus -lesquelles peuvent tantôt
s’analyser comme relevant du fonctionnement interne du service pénitentiaire,
tantôt comme liées à l’exécution de la peine
ou à l’instruction pénale - cette question avait été
soumise, dans l’affaire Caillol, déjà évoquée,
au Tribunal des Conflits. Et c’est précisément à la
suite d’une décision par laquelle celui-ci avait attribué
compétence en l’espèce à la juridiction administrative
(cf. 4 juillet 1983, Caillol, p. 541) que vous avez rendu votre arrêt
d’Assemblée précité du 27 janvier 1984 confirmant
votre jurisprudence traditionnelle relative aux mesures d’ordre intérieur.
Or, si ces deux décisions successives n’étaient certes pas
incompatibles en pur droit, on ne peut évidemment manquer de voir
quelque paradoxe, en logique, dans une démarche consistant ainsi,
pour une juridiction expressément désignée à
l’effet de statuer sur une requête, à rejeter aussitôt
celle-ci comme irrecevable pour un motif de principe -et ce, alors même
que les juges judiciaires ne lui auraient sans doute pas opposé
pour leur part une telle irrecevabilité.
A cet égard, le revirement
de jurisprudence aujourd’hui suggéré permettrait donc de
mettre fin à une anomalie souvent mise en exergue, à juste
titre, par la doctrine étant ici observé que cette remarque
ne fait d’ailleurs pas obstacle à ce que, pour l’avenir, le contentieux
en cause soit en définitive éventuellement transféré
à la juridiction judiciaire, ainsi que nous l’envisagerons plus
loin.
Il nous restera, pour vous
convaincre, à tenter de réfuter à ce stade les divers
arguments d’opportunité habituellement invoqués par les tenants
du maintien de votre jurisprudence traditionnelle.
Le premier d’entre eux, tiré
de ce que l’existence d’une voie de recours juridictionnelle à l’encontre
des sanctions prononcées serait de nature à porter atteinte
à l’autorité du commandement hiérarchique et à
la discipline, ne nous arrêtera pas longtemps. Pareille affirmation
procède en effet d’une conception à nos yeux erronée
de ces dernières notions, lesquelles ne sauraient en aucun cas se
confondre avec celle d’arbitraire. Et les quelques indications de droit
compare que nous avons fournies s’avèrent du reste éclairantes
sur ce point, car on ne sache pas que les armées ou les systèmes
pénitentiaires des divers Etats européens où existent
de telles voles de recours soient réputés pour leur désorganisation
particulière.
Plus sérieux pourrait
apparaître un second argument, parfois présenté comme
rédhibitoire, et tiré de ce que la possibilité de
contester ces sanctions se traduirait immanquablement par un afflux de
recours de nature à encombrer les rôles, déjà
chargés, des juridictions administratives.
Mais, pour autant que nous
puissions nous risquer ici à un tel exercice divinatoire, il nous
semble que le nombre de recours spontanément induits par un renversement
de votre jurisprudence devrait en réalité s’avérer
plus modéré qu’il n’a souvent été dit.
De fait, il ne faut pas se
dissimuler que, pour de multiples raisons d’ordre sociologique ou pratique,
l’introduction de tels recours par les personnes sanctionnées ne
se révélera pas toujours très aisée. Sans qu’il
y ait naturellement lieu ici de s’en réjouir, on ne peut ainsi notamment
s’empêcher d’imaginer que la crainte de réactions défavorables
de l’autorité ayant prononcé la sanction sera, dans bien
des cas, de nature à dissuader les intéressés de s’adresser
au juge, cependant que, s’agissant des détenus, le faible niveau
d’instruction et d’information d’une grande partie de la population concernée
fera parfois également obstacle à l’exercice effectif d’une
telle démarche. Du reste, il convient de souligner, à titre
indicatif, que les voies de recours internes déjà prévues
à l’encontre des sanctions disciplinaires ne sont en pratique que
très peu utilisées. C’est ainsi que, s’agissant des militaires,
le nombre de recours déposés contre des punitions au titre
de l’article 13 du règlement de discipline générale
n’est, toutes armées confondues, que de l’ordre d’une centaine par
an, dont seule une dizaine subsiste d’ailleurs au stade du recours ultime
porté devant le ministre de la défense. Et, en ce qui concerne
les sanctions frappant les détenus, les recours hiérarchiques
formés devant les directeurs régionaux des services pénitentiaires
dont, il est vrai, on a déjà souligné le caractère
purement formel - sont, dans les faits, rarissimes.
Ce constat est, au surplus,
d’autant moins alarmant que le revirement de jurisprudence envisagé
nous paraît comporter en lui-même certains germes d’autolimitation
du contentieux. Il est ainsi notamment permis de penser que la reconnaissance
d’une possibilité de recours à l’encontre des décisions
en cause serait de nature à entraîner (surtout en ce qui concerne
les détenus) un relatif tassement du nombre global de sanctions
prononcées, et que celui-ci résulterait d’ailleurs précisément
d’une raréfaction des punitions les plus fragiles au plan juridique
ce qui constituerait ainsi un double facteur allégement des contestations
potentielles.
Au demeurant, nous rappellerons,
à titre de comparaison historique, que de semblables craintes d’engorgement
des juridictions administratives avaient été émises
lorsque vous aviez admis, par votre décision de Section Camara du
23 novembre 1962, p. 627, la recevabilité des recours contentieux
en matière de notation des fonctionnaires. Or, force est de constater
que le flot de requêtes ainsi annoncé ne s’est pas produit,
alors que c’est par centaines de milliers que se comptent, chaque année,
les décisions prises à ce titre dans les différentes
administrations. En outre, et dans le même ordre d’idées,
on observera que votre jurisprudence Vigier du 25 janvier 1991, précitée,
par laquelle vous avez consacré la possibilité de contester
une catégorie d’actes aussi vaste que celle des décisions
d’arbitrage et des résultats de compétitions sportives, n’a
pas davantage entraîné d’afflux contentieux notable -même
si ce second exemple est rendu moins probant, il est vrai, par le fait
que votre décision excluait d’emblée du contrôle juridictionnel
les questions touchant à l’application des règles techniques
ou à l’appréciation des performances sportives.
Enfin, il nous semble qu’il
serait en tout état de cause concevable, dans le souci de limiter
le volume de ce nouveau contentieux, de subordonner la possibilité
de saisir le juge à une obligation de recours administratif préalable.
Entre autres avantages, une telle obligation s’avérerait en effet
d’autant plus efficace, de ce point de vue, que l’intérêt
réel de la contestation d’une punition diminue sensiblement avec
le temps écoulé depuis son exécution.
S’agissant des sanctions
prononcées dans les établissements scolaires auxquelles votre
nouvelle jurisprudence pourrait être, à nos yeux, également
applicable -, le droit actuel est d’ailleurs d’ores et déjà
orienté en ce sens. Le décret du 30 août 1985 relatif
aux établissements publics locaux d’enseignement organise en effet,
en son article 31, un recours hiérarchique en la matière
devant le recteur d’académie, auquel vous avez précisément
reconnu un caractère obligatoire préalablement à tout
recours contentieux par une décision du 13 mai 1992, Epoux Boudil
et autres, p. 198.
En ce qui concerne les militaires,
on sait qu’un système très élaboré de recours
hiérarchiques successifs a dé à été
institué par l’article 13 du règlement de discipline générale.
Or, si vous n’avez jamais eu l’occasion de vous prononcer sur ce point
dans la mesure où la procédure ainsi prévue n’est
pas applicable, selon votre jurisprudence, aux décisions statutaires,
qui étaient précisément jusqu’ici les seules dont
vous aviez à connaître -, la rédaction de ce texte
permettrait à nos yeux de voir dans l’exercice des recours ainsi
prévus un préalable obligatoire à la saisine du juge.
Pareille interprétation aurait au demeurant les faveurs appuyées
du ministère de la défense, qui, eu égard aux conditions
très satisfaisantes dans lesquelles fonctionne aujourd’hui la procédure
de l’article 13, souhaiterait en assurer la préservation en l’état.
Enfin, on observera que si l’affaire que vous soumet M. Hardouin ne vous
oblige nullement à trancher aujourd’hui cette question précise
dès lors que ladite procédure a en l’occurrence effectivement
été mise en oeuvre par l’intéressé et que seule
la décision ultime du ministre se trouve attaquée devant
vous -, le même résultat pourrait évidemment être
en tout état de cause atteint, le cas échéant, par
une modification en ce sens de la réglementation elle-même.
Quant aux sanctions visant
les détenus, on relèvera qu’il serait également concevable
de prévoir, par exemple, que celles-ci doivent faire l’objet d’un
recours préalable devant le Garde des Sceaux, ou encore d’un recours
désormais mieux organisé et rendu obligatoire devant le directeur
régional des services pénitentiaires - étant d’ailleurs
observé qu’une telle réforme pourrait éventuellement
se greffer sur un projet plus général de révision
du régime disciplinaire des détenus qui se trouve être
actuellement en cours d’élaboration.
On ajoutera, pour en terminer
sur ce chapitre, qu’il n’y a pas lieu, à notre sens, de s’effrayer
davantage de la charge de travail que pourrait occasionner au juge le traitement
de requêtes tendant au sursis à exécution des sanctions
en cause. D’une part, en effet, et en dépit des délais d’instruction
abrégés applicables en telle matière, ces requêtes
ne pourront généralement être jugées avant l’exécution
de la sanction et se solderont dès lors par un non-lieu à
statuer. D’autre part, il nous apparaît que la condition de préjudice
difficilement réparable exigée, comme on sait, pour l’octroi
d’un tel sursis ne sera en tout état de cause qu’assez rarement
remplie. Mise à part l’hypothèse de sanctions portant des
atteintes particulièrement graves aux libertés individuelles,
votre jurisprudence, qui se montre déjà très restrictive
quant à l’appréciation de cette condition dans le cadre du
contentieux disciplinaire classique de la fonction publique, devrait en
effet probablement faire preuve ici de la même rigueur.
Enfin, un dernier argument
couramment invoqué dans le sens du maintien de votre jurisprudence
actuelle tient à ce que, compte tenu du caractère non suspensif
du recours contentieux et des délais de jugement habituels des juridictions
administratives, le contrôle qui serait exercé sur la légalité
des sanctions en cause ne serait plus guère utile au moment où
il interviendrait.
A la vérité,
cette considération de bon sens apparaît difficilement contestable
dans son principe, car il est de fait que le mode de fonctionnement des
tribunaux administratifs n’est, guère adapté à un
contentieux de ce type. Et l’objectivité conduit à constater
que cette insuffisance s’étend même aux procédures
de sursis à exécution qui, comme on vient de le voir, ne
pourront effectivement aboutir, dans la plupart des cas, avant que la sanction
ait été (au moins en partie) exécutée.
Mais, d’une part, il nous
semble qu’il y aurait tout de même quelque paradoxe à exclure
en la matière tout contrôle juridictionnel au motif que celui-ci
serait d’une efficacité réduite. La relative inadaptation
d’un juge à la nature de sa tâche demeure en effet, à
tout prendre, très certainement préférable à
l’absence de juge pure et simple.
D’autre part, l’affirmation
de la prétendue inutilité de ce contrôle néglige
abusivement le fait que la constatation de l’illégalité d’une
sanction sera, dans certains cas, susceptible d’ouvrir droit à une
éventuelle indemnisation de l’intéressé sous forme
de réparation pécuniaire. Il importe en effet de souligner
à ce stade que, dès lors que les décisions qui nous
occupent cesseront d’être analysées comme des mesures d’ordre
intérieur, l’irrecevabilité de principe qui a toujours été
opposée jusqu’ici aux conclusions de plein contentieux fondées
sur leur éventuelle illégalité se trouvera elle aussi
levée du même coup. A quoi s’ajoute qu’il n’y a lieu de sous-estimer
ici ni la satisfaction morale procurée par l’annulation contentieuse
à la personne injustement punie, ni l’intérêt pédagogique
que peut revêtir une telle annulation pour l’auteur de la sanction.
Enfin et surtout, il est
possible d’envisager -et il pourrait même, à la vérité,
paraître souhaitable- que soit instituée, dans le sillage
du renversement de votre jurisprudence, une procédure particulière
de traitement des affaires en cause, afin de tenir compte, précisément,
de la nécessité d’en assurer un jugement rapide. Ce contentieux
pourrait ainsi, par exemple, être confié à un "juge
de proximité" statuant de manière accélérés,
selon une formule éventuellement inspirée de celle prévue
par la loi du 10 janvier 1990 en matière de contestations par les
étrangers des arrêtés de reconduite à la frontière.
Et, s’agissant spécifiquement des sanctions visant les détenus,
on observera d’ailleurs que ce juge pourrait à notre sens fort bien
relever, eu égard à la nature des questions traitées,
de l’ordre judiciaire.
Si vous nous suivez pour
procéder au revirement de jurisprudence ainsi envisagé, il
restera alors à en préciser, pour autant que les présentes
espèces s’y prêtent, la portée exacte.
Il ne nous apparaît
en effet ni indispensable en droit, ni souhaitable en opportunité,
d’admettre aujourd’hui la recevabilité des recours dirigés
contre l’ensemble des sanctions susceptibles d’être prononcées
en matière disciplinaire, et dont certaines ne comportent en vérité
que des effets tout à fait mineurs.
Aussi vous proposerons-nous
ici de limiter la possibilité de contester de telles mesures aux
seules sanctions qui, de par leur nature et leur gravité, rendent
un tel contrôle effectivement nécessaire au regard des diverses
considérations précédemment exposées. Et nous
vous suggérerons alors de définir les sanctions ainsi susceptibles
de recours comme celles qui entraîneraient, soit une atteinte sensible
à des libertés ou droits protégés -critère
qui intégrerait d’ailleurs notamment l’éventuelle aggravation
sensible des conditions de vie de la personne punie-, soit une atteinte
substantielle à la situation statutaire ou administrative de l’intéressé
critère qui couvrirait en particulier, pour sa part, les éventuelles
conséquences de la mesure sur les perspectives de carrière.
Outre qu’il nous paraissent
s’imposer en bon sens, ces deux critères sont en effet précisément
ceux sur lesquels se fonde d’ores et déjà votre jurisprudence,
ainsi que nous l’avons montré plus haut, pour définir les
limites de la notion de mesure d’ordre intérieur dans les matières
autres que disciplinaires. Et ces critères correspondent du reste
également -au moins pour le premier, qui intéresse plus directement
l’objet de la Convention européenne des droits de l’homme- à
ceux que retient la Cour de Strasbourg pour distinguer les accusations
pénales au sens de cette convention des poursuites disciplinaires.
Il est vrai que, s’il appartiendra
à votre jurisprudence ultérieure de se prononcer sur le sort
à réserver à chacune des diverses sanctions prévues
par les textes en vigueur en fonction des critères ainsi définis,
un rapide examen de celles-ci amène à conclure que bien peu
d’entre elles conserveront, à la vérité, leur caractère
d’actes insusceptibles de recours.
Ainsi, s’agissant des militaires,
et compte tenu notamment de la disposition précitée de l’article
30 du règlement de discipline générale prescrivant
l’inscription au dossier de la totalité des sanctions à l’exception
de l’avertissement, seul ce dernier nous paraîtrait à coup
sûr échapper à la possibilité de contestation
contentieuse. De même, en ce qui concerne les détenus, les
quelques sanctions qui, à l’exemple de l’interdiction d’achat en
cantine ou de la privation de certains matériels d’agrément,
emporteraient des effets suffisamment mineurs pour continuer à pouvoir
être analysées comme des mesures d’ordre intérieur,
seraient en fait fort peu nombreuses.
Mais, d’une part, on observera
qu’en ce qui concerne en revanche les sanctions prononcées dans
les établissements scolaires, les critères ainsi définis
permettraient tout de même de soustraire au champ de votre nouvelle
jurisprudence les innombrables punitions sans gravité infligées
chaque jour aux élèves et qui ne requièrent effectivement
sans doute pas le contrôle d’un juge -à commencer par les
mises au piquet ou les verbes à conjuguer.
D’autre part et surtout,
il convient ici de relever que la définition et le régime
des différentes sanctions applicables aux détenus et aux
militaires, tels qu’ils résultent des dispositions actuellement
en vigueur, pourraient être éventuellement modifiés,
à l’initiative du Gouvernement, par suite de l’intervention même
de vos décisions d’aujourd’hui. Et il serait, à cette occasion,
possible d’enrichir les catégories de mesures qui, au regard de
cette nouvelle jurisprudence, continueraient à échapper au
contrôle du juge, notamment en prévoyant des sanctions mieux
graduées ou en revenant sur le principe de l’inscription au dossier
de certaines d’entre elles. Un raisonnement à textes constants ne
permet donc pas ici de délimiter avec certitude les contours de
l’état du droit futur.
Enfin, la dernière
question de principe qui demeurera alors à trancher sera de déterminer
le degré du contrôle qu’il conviendra d’exercer, si vous nous
suivez, sur l’adéquation des sanctions prononcées à
la gravité des fautes commises.
En effet, si vous vous livrerez
évidemment ici, comme en toute matière disciplinaire, à
un plein contrôle de qualification juridique sur le caractère
fautif des faits, on pourrait en revanche a priori hésiter, en ce
qui concerne le choix de la sanction, à transposer en la matière
le contrôle d’erreur manifeste d’appréciation que vous appliquez,
dans le contentieux disciplinaire des fonctionnaires, depuis votre arrêt
de Section Lebon du 9 juin 1978, p. 245. Ainsi pourriez-vous sans doute
être tentés, compte tenu notamment des difficultés
pratiques que comportera nécessairement l’appréciation des
faits de chaque espèce dans le cas de sanctions intervenues dans
le secret des prisons ou des casernes, d’exclure purement et simplement
un tel contrôle, comme vous le faites encore dans certains contentieux
résiduels, tels que ceux de l’attribution de décorations
ou des résultats de concours. Mais, outre qu’il nous semblerait
tout de même difficilement justifiable, tant en droit qu’en équité,
de ne pas étendre au contentieux qui nous occupe les règles
jurisprudentielles ainsi déjà dégagées s’agissant
des fonctionnaires, il est clair que les contestations soulevées
par les militaires ou les détenus punis porteront en réalité
précisément, dans bien des cas, sur la gravité de
la sanction prononcée. Dans ces conditions, nous voyons mal comment
vous pourriez aujourd’hui admettre la recevabilité des recours contre
les décisions en cause pour exclure aussitôt la possibilité
d’invoquer un tel moyen -ce qui reviendrait à priver votre nouvelle
jurisprudence d’une grande partie de son intérêt. Aussi vous
proposerons-nous d’exercer sur ce point un contrôle d’erreur manifeste.
.Si vous nous avez suivi
jusqu’ici, vous serez amenés à constater, dans les deux affaires
qui vous sont aujourd’hui soumises, que les sanctions respectivement infligées
à MM. Marie et Hardouin présentaient bien, eu égard
à leur nature et à leur gravité, le caractère
de décisions susceptibles de recours. Et nous soulignerons, en particulier,
que le fait que la punition de cellule prononcée à l’encontre
du premier ait été assortie d’un sursis ne saurait à
nos yeux justifier une solution inverse. Ne serait-ce que parce qu’elle
exerce des incidences du même ordre qu’une punition de cellule ferme
sur l’octroi d’éventuelles réductions de peine, une telle
sanction avec sursis satisfait bien, en effet, aux critères que
nous avons précédemment définis.
Annulant les jugements attaqués,
vous serez dès lors amenés à statuer par voie d’évocation
sur les conclusions de première instance des intéressés.
Or, quitte à commettre
l’imprudence tactique de nous écarter d’une tradition qui voudrait
que vos revirements de jurisprudence soient plutôt adoptés
à l’occasion de décisions de rejet, nous vous proposerons,
dans le cas de la requête de M. Marie, d’annuler la sanction attaquée.
De fait, on observera d’abord
que cette sanction reposait en l’espèce sur des faits non établis,
et même probablement inexacts. Pour considérer comme fautive
la réclamation de l’intéressé critiquant l’insuffisance
des soins médicaux qui lui étaient dispensés, l’administration
a en effet essentiellement relevé, dans sa décision, que
celui-ci avait été reçu au service dentaire de la
maison d’arrêt le 9 juin 1987 - soit cinq jours après avoir
adressé son courrier à l’inspection générale
des affaires sociales. Or, une telle circonstance ne démontre évidemment
en rien - on serait tenté de dire au contraire...- que cette réclamation
ait été injustifiée à la date à laquelle
elle a été formée.
Mais on relèvera aussi
et surtout, en tout état de cause, que l’article D. 262 du code
de procédure pénale, qui autorise les détenus à
adresser des correspondances à certaines autorités administratives
et judiciaires, ne prévoit la possibilité de prononcer une
sanction à raison de l’exercice de ce droit que dans l’hypothèse
où celui-ci aurait été mis à profit "soit pour
formuler des outrages, des menaces ou des imputations calomnieuses, soit
pour multiplier des réclamations injustifiées ayant déjà
fait l’objet d’une décision de rejet". Or, si la sanction litigieuse
était bien fondée sur le caractère prétendument
injustifié de la réclamation de M. Marie, il n’est pas même
allégué au dossier que cette dernière ait succédé
à d’autres réclamations du même type, ainsi que l’auraient
pourtant exigé ces dispositions pour rendre l’intéressé
passible d’une sanction disciplinaire. Aussi l’administration s’est-elle
en l’occurrence fondée, pour prendre la décision attaquée,
sur des faits qui n’étaient pas légalement de nature à
la justifier.
Il est vrai que, devant le
juge, le Garde des Sceaux s’est pour sa part efforcé de légitimer
néanmoins cette sanction en faisant valoir que la réclamation
incriminée aurait par ailleurs comporté des imputations calomnieuses
à l’encontre des services pénitentiaires. Mais, d’une part,
il ne nous apparaît pas que le document en cause ait en l’espèce
revêtu, quelle que soit la vivacité de ses termes, un caractère
véritablement calomnieux. D’autre part et surtout, le ministre ne
saurait en tout état de cause utilement invoquer devant vous un
grief qui ne figurait pas dans les motifs de la décision attaquée,
et qu’il ne lui est évidemment pas possible de substituer a posteriori
à celui initialement retenu.
L’annulation est donc ici
encourue à tous égards, et on observera que ce constat confirme
d’ailleurs, s’il en était besoin, l’utilité d’un contrôle
du juge dans le domaine disciplinaire. L’exemple de la sanction en cause,
qui apparaît fâcheusement teintée d’arbitraire, témoigne
en effet, à nos yeux, des errements auxquels peut conduire l’habitude
d’une immunité juridictionnelle trop longtemps maintenue en la matière.
La requête de M. Hardouin
nous semble en revanche vouée, pour sa part, à une solution
de rejet.
Pour contester la punition
qui lui a été infligée, l’intéressé
fait d’abord valoir que celle-ci aurait été prononcée
en méconnaissance des droits de la défense. Mais il ressort
des pièces du dossier que le requérant avait bien été
mis à même, conformément à la procédure
prévue à l’article 33 du règlement de discipline générale,
de s’expliquer préalablement devant son chef de corps sur les faits
qui lui étaient reprochés.
M. Hardouin fait ensuite
grief à la décision du ministre de la défense ayant
rejeté son recours hiérarchique de ne pas avoir été
motivée, alors que les sanctions disciplinaires entrent évidemment
dans le champ d’application de la loi du 11 juillet 1979. Mais, après
quelques hésitations jurisprudentielles sur ce point, vous avez
précisément jugé, par une décision du 30 novembre
1994, Guyot, en cours de publication au Recueil, que la décision
d’une autorité hiérarchique se bornant comme en l’espèce-
à rejeter un recours formé contre une décision régulièrement
motivée, n’avait pas à être elle-même motivée.
Le requérant soutient
alors que les faits d’ivresse ayant justifié la sanction
litigieuse ne seraient pas
établis, dès lors qu’il avait refusé de se soumettre
à l’alcootest et qu’il n’avait alors pas fait l’objet, comme une
instruction interne à la marine le prévoyait normalement
en telle hypothèse, d’une prise de sang. Il faut savoir, en effet,
qu’un contrôle d’imprégnation alcoolique par cette dernière
méthode s’était en l’espèce avéré impossible
pour des raisons d’ordre technique. Mais, pour regrettable qu’elle soit,
cette circonstance ne saurait à notre sens justifier une éventuelle
annulation de la punition prononcée -ce qui reviendrait en l’occurrence
à donner une certaine prime à la mauvaise foi. Aussi vous
proposerons-nous de considérer les faits comme suffisamment établis
par le témoignage de l’officier de garde faisant état, chez
l’intéressé, de signes d’ébriété manifestes.
Enfin, il est clair que ces
faits étaient bien de nature à justifier une sanction disciplinaire
et il nous apparaît qu’en choisissant d’infliger, à raison
de ceux-ci, la punition de dix jours d’arrêts, l’autorité
militaire n’a en l’espèce commis aucune erreur manifeste d’appréciation.
Par l’ensemble de ces motifs,
nous concluons
- dans l’affaire n°97754,
à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles
en date du 29 février 1988, ainsi qu’à l’annulation de la
décision du directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
du 29 juin 1987 et de la décision implicite confirmative du directeur
régional des services pénitentiaires ;
- et, dans l’affaire n°107766,
à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes en
date du 6 avril 1989, ainsi qu’au rejet de la demande présentée
par M. Hardouin devant ce tribunal et au rejet du surplus des conclusions
de la requête.