CONSEIL D’ETAT
N° 311893
M. B.
M. Jean-François Mary
Rapporteur
Mme Emmanuelle Prada Bordenave
Commissaire du Gouvernement
Séance du 12 mars 2008
Lecture du 28 mars 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
Le Conseil d’Etat,
(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux
Vu, enregistré le 27 décembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le jugement du 12 décembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Lille, avant de statuer sur la demande présentée par M. M’Barek B., tendant, d’une part, à l’annulation de l’arrêté du 30 juillet 2007 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une carte de séjour sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans un délai de trente jours suivant la notification du jugement, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier au Conseil d’Etat en lui soumettant la question suivante : une décision faisant obligation de quitter le territoire français peut-elle être prise sans que, dans le même acte, aucune décision refusant ou retirant à un étranger le droit de demeurer sur le territoire national ne soit également prise, cette dernière étant intervenue, soit avant, soit après le 29 décembre 2006, date d’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’intégration et à l’immigration ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Jean-François Mary, Conseiller d’Etat,
les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
REND L’AVIS SUIVANT
L’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de l’article 52 de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’intégration et à l’immigration, en vigueur à la date de la décision attaquée, dispose que : " I.- L’autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, pour un motif autre que l’existence d’une menace à l’ordre public, peut assortir sa décision d’une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé s’il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa././ L’étranger dispose, pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d’un délai d’un mois à compter de sa notification. Passé ce délai, cette obligation peut être exécutée d’office par l’administration./ II.- L’autorité administrative peut, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants :/ 1° Si l’étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ;/ 2° Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d’un premier titre de séjour régulièrement délivré ;/. 4° Si l’étranger n’a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois suivant l’expiration de ce titre . ".
L’article 42 de la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile a, postérieurement à la date de la décision attaquée devant le tribunal administratif, ajouté au premier alinéa du I de l’article L. 511-1 du même code une phrase ainsi rédigée : " L’obligation de quitter le territoire français n’a pas à faire l’objet d’une motivation ".
Il résulte des dispositions du I de l’article L. 511-1 de ce code, éclairées par les travaux préparatoires, que le préfet ne peut prendre une décision obligeant un étranger à quitter le territoire français sans lui avoir dans la même décision refusé, de manière explicite, un titre de séjour. Ces dispositions ne font, en revanche, pas obstacle à ce que le préfet décide de ne pas assortir son refus de titre de séjour d’une telle obligation.
Si l’administration ne statue pas sur une demande de titre de séjour dans le délai de quatre mois qui lui est imparti par l’article R. 311-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, elle est réputée avoir refusé implicitement le titre de séjour demandé mais sans que ce refus soit assorti d’une obligation de quitter le territoire français. L’administration ne peut prononcer une telle obligation qu’après avoir opposé, à nouveau et de manière explicite, un refus à la demande de titre de séjour.
Lorsque, à une date antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006, soit avant le 29 décembre 2006, l’étranger avait fait l’objet d’une décision de refus de titre de séjour, sans que cette mesure soit assortie d’un arrêté de reconduite à la frontière, il a été indiqué par l’avis n° 306901 en date du 28 novembre 2007 du Conseil d’Etat, pris sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, que les dispositions de cette même loi permettaient à l’administration, à titre transitoire, et dans un délai raisonnable qui ne pouvait excéder un an à compter de l’entrée en vigueur de cette loi, de réexaminer une demande de titre de séjour à laquelle un refus aurait été opposé au titre des anciennes dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et d’opposer un refus de séjour explicite assorti, le cas échéant, d’une décision portant obligation de quitter le territoire français.
Lorsque un arrêté de reconduite à la frontière, pris avant le 29 décembre 2006, n’a pas été exécuté pendant un délai anormalement long, la mesure d’exécution de cet arrêté après la date d’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006, si elle révèle l’existence d’une nouvelle décision de reconduite à la frontière, n’est pas pour autant entachée d’illégalité dès lors que l’étranger à qui un refus de séjour a été opposé, se trouve, par ailleurs, dans les prévisions du II de l’article L. 511-1 en raison de l’irrégularité de sa situation au regard du droit au séjour.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Lille, à M. M’Barek B. et au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.