CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 266902
DEPARTEMENT DU VAR
Ordonnance du 29 avril 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE JUGE DES REFERES
Vu la requête, enregistrée le 26 avril 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat présentée pour LE DEPARTEMENT DU VAR, représenté par le président du conseil général en exercice ; LE DEPARTEMENT DU VAR demande au juge des référés du Conseil d’Etat :
1) d’annuler l’ordonnance du 8 avril 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, suspendu l’exécution de l’arrêté en date du 24 février 2004 du président du conseil général du Var mettant fin à l’activité de la maison de retraite " Les Quatre Saisons " qu’exploite l’EURL " Les Quatre Saisons " à Toulon, chemin de la Chapelle Notre-Dame à Toulon (83200) ;
2) de rejeter la demande présentée par l’EURL " Les Quatre Saisons " devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice ;
3) de condamner l’EURL " Les Quatre Saisons " à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; le département du Var soutient que, contrairement à ce qu’a relevé le juge des référés du tribunal administratif, les circonstances invoquées en première instance par l’EURL ne révélaient aucune situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, dès lors, notamment, que l’intéressée a attendu la veille de la prise d’effet de l’arrêté du 24 février 2004 pour saisir le juge des référés et que les personnes hébergées dans l’établissement en cause ont, dès la fermeture de celui-ci, été hébergées dans d’autres structures ; que c’est également à tort que le juge des référés a considéré que la fermeture définitive de la maison de retraite portait une atteinte grave à la liberté d’entreprendre, dès lors que, si cette dernière présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2, l’arrêté contesté a été pris en application des dispositions du code de l’action sociale et des familles dont l’article L. 313-1 soumet à autorisation la création, la transformation ou l’extension des établissements accueillant des personnes âgées et dont l’article L. 313-15 permet à l’autorité compétente de mettre fin à l’activité de l’établissement fonctionnant sans l’autorisation requise ; qu’en l’espèce, la mesure litigieuse a été justifiée par la circonstance que l’EURL, qui avait été initialement autorisée à exploiter un établissement doté de 13 lits, avait installé, sans autorisation, des lits supplémentaires ; que, contrairement à ce qu’a estimé le juge des référés, l’arrêté du 24 février 2004, qui a été pris sur une procédure régulière, n’est entaché d’aucune illégalité manifeste ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2004, présenté pour l’EURL " Les Quatre Saisons ", dont le siège est 250, chemin de la Chapelle Notre-Dame, Toulon (83200) ; l’EURL " Les Qautre Saisons " conclut au rejet de la requête et à la condamnation du département du Var à lui verser une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que la requête est irrecevable, dès lors que le président du conseil général ne justifie pas de ce que l’assemblée départementale l’ait autorisé à former appel de l’ordonnance attaquée ; que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a considéré que les circonstances invoquées en première instance par l’EURL révélaient une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que c’est également à juste titre que le juge des référés a estimé que la fermeture de l’établissement en cause, intervenue en méconnaissance du principe du respect des droits de la défense, portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre, qui présente la caractère d’une liberté fondamentale ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 29 avril 2004, présenté pour le département du Var qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l’action sociale et des familles ;
Vu la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 modifiée, relative aux institutions sociales et médico-sociales ;
Vu le décret n° 95-185 du 14 février 1995 relatif à la procédure de création, de transformation et d’extension des établissements et des services sociaux et médico-sociaux ;
Vu le décret n°2003-1135 du 26 novembre 2003 relatif aux modalités d’autorisation de création, de transformation ou d’extension d’établissements et services sociaux et médico-sociaux ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, le département du Var, d’une part, et, d’autre part, l’EURL " les Quatre Saisons " ;
Vu le procès verbal de l’audience publique du jeudi 29 avril 2004 à 11h00 au cours de laquelle ont été entendus :
Me GARREAU, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du département du Var ;
La représentante du département du Var ;
Me BALAT, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’EURL " les Quatre Saisons " ;
La représentante de l’EURL " les Quatre Saisons " ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. " ; que le second alinéa de l’article L. 523-1 du même code dispose : " Les décisions rendues en application de l’article L. 521-2 sont susceptibles d’appel devant le Conseil d’Etat dans les quinze jours de leur notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures. " ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par l’EURL " Les Quatre Saisons " :
Considérant qu’il résulte tant de la nature même de l’action en référé ouverte par les dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, laquelle ne peut être exercée qu’en cas d’urgence et ne permet, en vertu de l’article L. 511-1 du même code, que de prendre des mesures présentant un caractère provisoire, que la brièveté du délai imparti pour saisir le Conseil d’Etat d’une ordonnance rendue en première instance sur le fondement de ces dispositions, que le président d’un conseil général peut se pourvoir au nom du département contre une telle ordonnance sans avoir à en demander l’autorisation au conseil général ; que, par suite, alors même qu’il n’a produit aucune délibération du conseil général du Var l’ayant autorisé, en application de l’article L. 3221-10 du code général des collectivités territoriales, à contester, au nom du département, l’ordonnance en date du 8 avril 2004 du juge des référés du tribunal administratif de Nice, le président de ce conseil général est recevable à former appel de ladite ordonnance ;
Sur le bien-fondé de l’ordonnance attaquée :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 24 février 2004, pris en application de l’article L. 313-15 du code de l’action sociale et des familles, le président du conseil général du Var a mis fin à l’activité de la maison de retraite qu’exploite l’EURL " Les Quatre Saisons " à Toulon ; que cette mesure est principalement motivée par la circonstance que l’intéressée, qui avait été autorisée, par un arrêté du 17 janvier 1997 du président du conseil général, intervenu sur le fondement de l’article 9 de la loi du 30 juin 1975, alors en vigueur, à exploiter un établissement d’une capacité de 13 lits, avait installé, sans autorisation préalable, un certain nombre de lits supplémentaires ; que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés a prononcé la suspension de l’exécution de l’arrêté du 24 février 2004 en se fondant, notamment, sur le caractère grave et manifestement illégal de l’atteinte que le président du conseil général aurait porté à la liberté d’entreprendre ;
Considérant que, si la liberté d’entreprendre est une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, cette liberté s’entend de celle d’exercer une activité économique dans le respect de la législation et de la réglementation en vigueur et conformément aux prescriptions qui lui sont légalement imposées, tout spécialement lorsqu’elles poursuivent une exigence aussi impérieuse que la protection de la santé publique ;
Considérant qu’il résulte tant des dispositions de la loi du 30 juin 1975, applicable à la date de l’arrêté susmentionné du 17 janvier 1997, et notamment de ses articles 9 à 16, que des dispositions du code de l’action sociale et des familles, applicable à la date de l’arrêté contesté du 24 février 2004, et notamment de ses articles L. 313-1 à L. 313-25, que la création, la transformation ou l’extension des établissements privés qui hébergent des personnes âgées sont soumises à l’obtention d’une autorisation délivrée par l’autorité administrative compétente et l’activité de ces établissements assujettie à un contrôle exercé par la même autorité ; que les restrictions ainsi apportées dans ce domaine à la liberté d’entreprendre résultent de la loi elle-même ; que, par suite, lorsque l’autorité concernée fait usage, dans les conditions et pour les motifs que la loi prévoit, du pouvoir de prononcer la fermeture définitive d’un établissement dont l’extension n’a pas donné lieu à l’autorisation requise, elle ne peut être regardée comme portant atteinte à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, dès lors, l’une des conditions cumulatives auxquelles est subordonnée la mise en œuvre de la protection juridictionnelle particulière prévue par cet article n’est pas satisfaite en l’espèce ; qu’il s’ensuit et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que le département du Var est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’EURL " Les Quatre Saisons " à payer au département du Var la somme de 3 000 euros que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que le département du Var, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à l’EURL " Les Quatre Saisons " la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle ;
O R D O N N E :
Article 1er : L’ordonnance en date du 8 avril 2004 du juge des référés du tribunal administratif de Nice est annulée.
Article 2 : La demande présentée par l’EURL " Les Quatre Saisons " devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice est rejetée.
Article 3 : L’EURL " Les Quatre Saisons " versera au département du Var une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de l’EURL " Les Quatre Saisons " tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au DEPARTEMENT DU VAR et à l’EURL "Les Quatre Saisons".
Une copie en sera adressée pour information au ministre de la santé et de la protection sociale et au préfet du Var.