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Cour administrative d’appel de Nancy, 5 juin 2003, n° 99NC01043, Société Pec-Rhin

La loi du 16 décembre 1964 sur l’eau a confié à plusieurs agences le soin de définir, en fonction des particularités de chaque bassin, leur programme d’intervention et de fixer en conséquence le montant des redevances à percevoir. Dans ces conditions, la circonstance, qui trouve son origine dans les dispositions de la loi, que, dans d’autres bassins, les redevances sont calculées sur des bases différentes, ne révèle pas de manquement au principe d’égalité devant les charges publiques susceptible d’entacher la légalité des redevances contestées.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANCY

N° 99NC01043

SOCIETE PEC-RHIN

M. BRAUD
Président

M. SAGE
Rapporteur

Mme ROUSSELLE
Commissaire du Gouvernement

Arrêt du 5 juin 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANCY

(Première Chambre)

Vu la requête et les mémoires complémentaires, enregistrés au greffe de la Cour les 11 mai 1999, 2 février 2000 et 7 mai 2003, présentés pour la société anonyme PEC-RHIN, dont le siège social est Z.I. Mulhouse Rhin, route CD 52, à Ottmarsheim (Haut-Rhin) et qui est représentée par le président de son directoire et son directeur général en exercice, ayant pour mandataire Me Boivin, avocat ;

La société PEC-RHIN demande à la Cour :

1°) - d’annuler le jugement du 11 mars 1999 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes en décharge des redevances de consommation nette d’eau superficielle auxquelles elle a été assujettie par l’agence de l’eau Rhin-Meuse au titre des exercices 1990 à 1998 ;

2°) - de lui accorder décharge des redevances contestées ;

3°) - de condamner l’agence de l’eau Rhin-Meuse à lui rembourser ces redevances avec intérêts ;

4°) - de condamner l’agence de l’eau Rhin-Meuse à lui verser 20 000 francs au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la communauté économique européenne ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;

Vu la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964, modifiée ;

Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Vu le décret n° 66-700 du 14 septembre 1966, modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été dûment averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 15 mai 2003 :
- le rapport de M. SAGE, Président,
- les observations de Me FERRAND, représentant la société PEC-RHIN, et de Me SCHMITT, représentant l’Agence de l’eau Rhin-Meuse ;
- et les conclusions de Mme ROUSSELLE, Commissaire du Gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu’il ressort de l’examen des dossiers de première instance qu’ils ne contiennent pas de minute du jugement attaqué comportant les visas des mémoires échangés par les parties ; qu’ainsi, la société PEC-RHIN est fondée à soutenir que ce jugement est irrégulier en la forme et doit être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par la société PEC-RHIN devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;

Considérant que les requêtes n° 971321, 972070, 982657 et 986013 présentées par la société PEC-RHIN devant le tribunal administratif de Strasbourg présentent à juger les mêmes questions et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur le bien-fondé des redevances :

Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 14 de la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution : "L’agence établit et perçoit sur les personnes publiques ou privées des redevances, dans la mesure où ces personnes publiques ou privées rendent nécessaire ou utile l’intervention de l’agence ou dans le mesure où elles y trouvent leur intérêt. / L’assiette et le taux de ces redevances sont fixés sur avis conforme du comité du bassin. / Un décret en Conseil d’Etat fixera les modalités d’application du présent article" ; qu’en vertu de l’article 9 du décret du 14 septembre 1966 relatif aux agences financières de bassin, le conseil d’administration de l’agence de bassin délibère sur l’assiette et le taux des redevances dans les conditions prévues à l’article 18 III ; qu’aux termes du 2° de cet article : "III ... / 2° Pour la détermination de l’assiette des redevances établies au titre des prélèvements, le conseil d’administration établit des barèmes répartissant les prélèvements par classes suivant les quantités et la qualité de l’eau prélevée, ainsi que les circonstances de temps et de lieu de nature à influer sur la valeur de la ressource. Le conseil d’administration peut établir des barèmes particuliers à certaines catégories de redevables, comportant des règles simplifiées pour l’assiette des redevances" ;

Considérant que, sur le fondement des textes susmentionnés, le conseil d’administration de l’agence de l’eau Rhin-Meuse, par une délibération n° 89/42 modifiée, applicable au programme couvrant la période 1990-1996 dont les termes ont été repris dans une délibération 96/34 relative au programme 1997-2001, a institué trois redevances dont une pour le prélèvement net sur l’ensemble du bassin dénommée "redevance de consommation nette" ; qu’en vertu de l’article 2.4 de ces délibérations, est soumise à une telle redevance la fraction du volume d’eau exprimée en mètres cubes, prélevée en cours d’année et non restituée ; que pour le calcul de cette redevance, le conseil d’administration a prévu deux modalités, celle de la mesure réelle et celle du forfait ; que les articles 12 et 11 des délibérations susvisées, relatifs au régime de la mesure, précisent qu’il n’est tenu compte du volume réel de consommation nette que si celui-ci est supérieur ou égal à 15 % du volume prélevé pendant la période considérée ; qu’ils indiquent également que si le volume mesuré est inférieur ou égal à 15 % du volume prélevé, il y a lieu de retenir les modalités de détermination forfaitaire de la consommation nette, qui résultent respectivement des articles 11 et 10 ; qu’en application de ces articles, la consommation nette est obtenue en multipliant le volume prélevé au cours de l’année civile par un coefficient de consommation nette qui varie selon la nature d’activité du redevable ; que pour les établissements industriels, artisanaux, commerciaux, ce coefficient est de 0,07 ;

Considérant que la société PEC-RHIN exploite à Ottmarsheim un établissement de fabrication de produits et d’engrais chimiques qui prélève pour les besoins de son activité industrielle 125 millions de mètres cubes par an d’eau superficielle dans le grand canal d’Alsace et 1,5 millions de mètres cubes par an d’eau souterraine dans la nappe phréatique ; qu’elle est imposée depuis 1990 à la taxe de consommation nette pour les eaux superficielles qu’elle prélève pour une consommation de 7 %, imposition qu’elle ne conteste pas dans son principe, mais dans son montant ;

Considérant, en premier lieu, que la société PEC-RHIN soutient que l’agence de l’eau Rhin-Meuse aurait commis une erreur de fait en estimant à 7 % du volume d’eau prélevé sa consommation réelle, alors qu’il résulte d’une étude réalisée par l’Apave Alsacienne qu’elle consommerait seulement 0,0036 % du volume d’eau qu’elle prélève ; que néanmoins, il ressort des pièces du dossier que l’agence de l’eau Rhin-Meuse a estimé que la société PEC-RHIN consommait moins de 15 % du volume prélevé des eaux superficielles, ce qui n’est pas contesté ; qu’au regard des règles ci-dessus rappelées, l’agence de l’eau Rhin-Meuse lui a dès lors appliqué les règles forfaitaires de calcul en multipliant le volume prélevé sur une année par le coefficient de consommation de 0,07, applicable aux établissements industriels artisanaux et commerciaux ; qu’ainsi c’est au titre du régime forfaitaire que l’agence de l’eau Rhin-Meuse a retenu le chiffre de 7 % de consommation, sans prétendre que la société redevable consommait effectivement 7 % ; que dès lors, le moyen sus-invoqué manque en fait et doit être rejeté ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société PEC-RHIN soutient que l’agence de l’eau Rhin-Meuse aurait commis une erreur de droit en lui appliquant le régime forfaitaire ; que cependant, contrairement à ce qu’elle soutient, le simple fait d’avoir mentionné, par erreur, "option mesure" sur les titres de recette n’est pas de nature à ouvrir un droit à l’application du régime de la mesure réelle ; que comme il a été dit ci-dessus, il résulte de articles 12 et 11 des délibérations 89/42 et 96/34 précitées que si le volume mesuré est inférieur ou égal à 15 % du volume prélevé, les modalités de détermination forfaitaire de la consommation nette s’appliquent ; que si l’article 12 précise également qu’"en cas de contestation de la part du redevable, il appartient à celui-ci de fournir toutes justifications utiles sur le volume réellement consommé pendant la période à laquelle s’applique la redevance",en cas d’estimation forfaitaire, il ne peut s’agir que des contestations relatives au seuil de 15 % utile pour déterminer le régime de calcul applicable ; qu’ainsi, faisant état d’une consommation nette inférieure à 7 %, la société PEC-RHIN n’est pas fondée à se prévaloir de l’application du régime de la mesure de sa consommation réelle ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l’agence de l’eau Rhin-Meuse aurait commis une erreur de droit en faisant application, à son égard, du régime forfaitaire doit en conséquence être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, que si la société PEC-RHIN soutient avoir une consommation d’eaux superficielles nette identique à celle des centrales thermique à circuit ouvert auxquelles l’agence de l’eau Rhin-Meuse applique un coefficient de consommation de 0,007 %, il est constant qu’elle n’entre pas dans la catégorie des centrales thermiques : qu’en admettant même que les modalités techniques de fonctionnement des installations de la société soient identiques à celles des centrales thermiques, la société requérante n’établit pas que les circonstances de temps et de lieu, au sens des dispositions précitées de l’article 18 du décret du 14 septembre 1966, seraient comparables pour les deux types d’installations ; qu’en tout état de cause, la circonstance, à la supposer établie, que les dispositions fixant le taux de la redevance applicable aux centrales thermiques seraient entachées d’illégalité en raison d’avantages injustifiés contraires au principe d’égalité devant les charges publiques serait sans influence sur la légalité du taux applicable à la société PEC-RHIN ;

Considérant, en quatrième lieu, que la loi susvisée du 16 décembre 1964 a confié à plusieurs agences le soin de définir, en fonction des particularités de chaque bassin, leur programme d’intervention et de fixer en conséquence le montant des redevances à percevoir ; que, dans ces conditions, la circonstance, qui trouve son origine dans les dispositions de la loi, que, dans d’autres bassins, les redevances sont calculées sur des bases différentes, ne révèle pas de manquement au principe d’égalité devant les charges publiques susceptible d’entacher la légalité des redevances contestées ;

Considérant, en cinquième lieu, que la société PEC-RHIN excipe de l’illégalité des délibérations 89/42 et 96/34 au motif que les modalités du calcul forfaitaire de la redevance de consommation nette rompraient le principe d’égalité devant les charges publiques et méconnaîtraient le principe de conservation, d’amélioration et d’accroissement des ressources en eau, posé par la loi du 16 décembre 1964 susvisée, en soumettant indistinctement les redevables, dont la consommation varierait de 0,01 % à 14,9 % du volume qu’ils prélèvent, au même régime forfaitaire correspondant à un prélèvement net de 7 % ; que néanmoins, d’une part, le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que, dans un but de simplification, certaines catégories de contribuables soient assujetties sur la base d’un forfait ; que, comme il a rappelé ci-dessus, le décret du 14 septembre 1966 relatif aux agences financières de bassin précise que le conseil d’administration établit des barèmes circonstanciés dont certains peuvent comporter des règles simplifiées ; qu’ainsi que l’expose l’agence de l’eau, sans avoir été contestée, en-dessous du seuil de 15 %, le calcul de la consommation nette réelle présente des difficultés et un degré d’aléa important ; que le régime forfaitaire retenu en-dessous de ce seuil n’est pas appliqué de façon uniforme à tous les redevables mais prévoit un coefficient de consommation différent selon la nature de leur activité ; que l’importante différence dont fait état la requérante, selon qu’elle retient une consommation, à la supposer établie, de 0,0036 % ou de 7 %, est davantage due au volume important d’eau qu’elle prélève qu’au régime de calcul applicable ; que, par ailleurs, le régime d’estimation forfaitaire prévu à l’article 11 de la délibération n° 89-42 modifié est calculée en fonction du "volume prélevé au cours de l’année civile" et, ainsi, n’incite pas les redevables à consommer plus d’eau ; qu’en conséquence et au regard de ces éléments, la société PEC-RHIN n’est pas fondée à soutenir que lesdites délibérations méconnaîtraient le principe d’égalité devant les charges publiques, ni celui de la conservation, de l’amélioration et de l’accroissement des ressources en eau, posé par la loi du 16 décembre 1964 ;

Considérant, en sixième lieu, qu’il résulte des stipulations du second alinéa de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que le droit au respect des biens que son premier alinéa proclame ne porte "pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes" ; qu’il ne ressort pas de l’instruction qu’en l’espèce, l’institution d’une redevance forfaitaire ait méconnu les stipulations susmentionnées ;

Considérant, enfin, que les moyens tirés d’une méconnaissance de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des articles 30 et 86 du Traité de Rome et de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ne sont assortis d’aucune précision permettant à la Cour d’en apprécier le bien-fondé ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les demandes présentées par la société PEC-RHIN devant le Tribunal administratif de Strasbourg ne sont pas fondées ;

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’aux termes de l’article L.761-1 du code de justice administrative, substitué à l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation" ;

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’agence de l’eau Rhin-Meuse qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à la société PEC-RHIN la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions susvisées, de condamner la société PEC-RHIN à payer à l’agence de l’eau Rhin-Meuse la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

ARTICLE 1er : Le jugement n° 971321, 972070, 982657 et 986013 du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 11 mars 1999 est annulé.

ARTICLE 2 : Les demandes présentées par la société PEC-RHIN devant le Tribunal administratif de Strasbourg sont rejetées.

ARTICLE 3 : La société PEC-RHIN est condamnée à verser à l’agence de l’eau Rhin-Meuse la somme quatre mille euros (4 000 euros) au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

ARTICLE 4 : Le présent arrêt sera notifié à la S.A. PEC-RHIN et à l’agence de l’eau Rhin-Meuse.

 


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