CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 231091
SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE
M. Bereyziat
Rapporteur
M. Collin
Commissaire du gouvernement
Séance du 30 avril 2003
Lecture du 23 mai 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 mars et 29 juin 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE, dont le siège est 30-32, rue Chabrol à Paris (75010), représentée par son président directeur général en exercice ; la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 21 décembre 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté sa demande tendant à la réformation du jugement du 9 juillet 1996 du tribunal administratif de Nancy, en tant que celui-ci a rejeté sa demande en décharge de la cotisation supplémentaire à l’impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l’exercice 1988, à raison de la réintégration, dans sa base d’imposition, du montant de la perte future pour restructuration qu’elle avait provisionnée au cours de cet exercice ;
2°) statuant au fond, de lui accorder la décharge du supplément d’imposition restant en litige ;
3°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 20 000 F au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Bereyziat, Auditeur,
les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE,
les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 21 décembre 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté sa demande tendant à la réformation du jugement du 9 juillet 1996 du tribunal administratif de Nancy, en tant que celui-ci a rejeté sa demande en décharge de la cotisation supplémentaire à l’impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l’exercice 1988, à raison de la réintégration, dans sa base d’imposition, du montant de la perte future pour restructuration qu’elle avait provisionnée au cours de cet exercice ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que l’arrêt attaqué relève que la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE a constitué, à la clôture de l’exercice 1988, une provision pour perte future liée aux opérations de restructuration de l’usine de Badonviller, dont le principe avait été adopté en 1988 et dont la mise en œuvre devait se poursuivre au cours du premier semestre de l’année 1989 ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du document intitulé "provision pour restructuration de Badonviller", numéroté 7 dans l’ordre des pièces jointes à la requête introductive d’appel et enregistré le 17 septembre 1996 au greffe de la cour administrative d’appel de Nancy, que pour justifier le caractère déductible de cette provision, la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE a établi un bilan prévisionnel de la production de cette usine pour le 1er semestre 1989, qui précise notamment le prix de vente unitaire et les recettes totales escomptées de cette production, compare ces recettes aux coûts fixes et variables prévisionnels engendrés par cette même production et détermine, par différence, le montant de la perte probable constatée au terme de ce semestre, soit 4 920 000 F ; que, dès lors, en jugeant que les éléments de calcul fournis par la société à l’appui de sa requête prenaient en compte la valorisation de la production en cause à son prix de revient complet et non pas au montant des recettes escomptées, la cour a dénaturé les pièces qui lui étaient soumises ; que la requérante est donc fondée à demander, pour ce seul motif, l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu pour le Conseil d’Etat de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’aux termes de l’article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables (...)" ; qu’il résulte de ces dispositions qu’une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d’un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu’ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d’être évaluées avec une approximation suffisante, qu’elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l’exercice et qu’elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l’entreprise ; qu’en outre, en ce qui concerne les provisions pour perte, elles ne peuvent être déduites que si la perspective de cette perte se trouve établie par la comparaison, pour une opération ou un ensemble d’opérations suffisamment homogènes, entre les coûts à supporter et les recettes escomptées ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE établit, par les justificatifs et éléments d’analyse qu’elle produit devant le juge de l’impôt, qu’à la date de clôture de l’exercice 1988, il était probable qu’elle eût à supporter une perte d’un montant de 4 920 000 F au cours de l’exercice suivant, du fait des opérations de restructuration décidées en 1988 qui devaient affecter son usine de Badonviller au cours du premier semestre de l’année 1989 ; que, par suite, la société est fondée à demander la décharge, en droits et pénalités, du supplément d’impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie, au titre de l’exercice 1988, à raison de la réintégration dans la base de son imposition de la provision pour perte future qu’elle avait constituée, à la clôture de cet exercice, à hauteur de cette même somme ; qu’il y a lieu de réformer, dans cette mesure, le jugement du 9 juillet 1996 du tribunal administratif de Nancy ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l’Etat à payer à la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle devant le Conseil d’Etat et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 21 décembre 2000 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.
Article 2 : La SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE est déchargée, en droits et pénalités, du supplément d’impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie, au titre de l’exercice 1988, à raison de la réintégration dans la base de son imposition d’une provision pour perte future d’un montant de 4 920 000 F.
Article 3 : Le jugement du 9 juillet 1996 du tribunal administratif de Nancy est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L’Etat paiera à la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SARREGUEMINES VAISSELLE et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.