COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
N° 98PA03431
ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS
c/ Consorts La G.
M. FOURNIER DE LAURIERE
Président
M. LUBEN
Rapporteur
M. LAURENT
Commissaire du gouvernement
Séance du 19 juin 2002
Lecture du 2 juillet 2002
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
(3ème chambre B)
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 5 octobre 1998, présentée pour l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS, ayant son siège social 3, avenue Victoria 75100 Paris RP, par Me TSOUDEROS, avocat ; l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement en date du 9 juin 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris l’a condamnée à verser à M. Joseph La G. et à Mme Mireille La G. la somme de 100.000 F chacun ainsi que la somme de 50.000 F à Mlle Sandrine La G. au titre du préjudice moral enduré par eux ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement entrepris et de ramener le montant des demandes formées par les consorts La G. à de plus justes proportions ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu, au cours de l’audience publique du 19 juin 2002 :
le rapport de M. LUBEN, premier conseiller,
les observations de Me DERRIDA, avocat, pour les consorts La G.,
et les conclusions de M. LAURENT, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que la faute commise par les praticiens qui n’informent pas le patient des risques que comporte l’intervention envisagée n’entraîne pour l’intéressé que la perte d’une chance de se soustraire ainsi au risque qui s’est réalisé ; que, par suite, l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris, se fondant sur la faute résultant de l’absence d’information du patient et de sa famille, l’a condamnée, sans rechercher si cela était justifié par une perte complète de chance, à réparer intégralement le préjudice moral résultant, pour les parents et la sœur de M. David-Eric La G., du décès de ce dernier à la suite de l’intervention chirurgicale du 7 juillet 1992 ;
Considérant qu’il appartient à la cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens présentés par les consorts La G. susceptibles de justifier la condamnation de l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS à réparer intégralement les conséquences de l’intervention chirurgicale subie par M. David-Eric La G. le 7 juillet 1992 ;
Sur la responsabilité sans faute :
Considérant que l’utilisation d’une thérapeutique nouvelle crée, lorsque ses conséquences ne sont pas encore entièrement connues, un risque spécial pour les malades qui en sont l’objet ; que lorsque le recours à une telle thérapeutique ne s’impose pas pour des raisons vitales, les complications exceptionnelles et anormalement graves qui en sont la conséquence directe engagent, même en l’absence de faute, la responsabilité du service hospitalier ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à supposer même que la valvuloplastie et la ventriculoplastie pratiquées sur M. David-Eric La G. le 7 juillet 1992 puissent être assimilées à une thérapeutique nouvelle, leurs conséquences étaient connues et ne pouvaient être regardées comme une complication exceptionnelle ; que, par suite, les consorts La G. ne sont pas fondés à soutenir que la responsabilité de l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS doit être engagée même en l’absence de faute ;
Sur la faute :
Considérant que lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité, de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligations ;
Considérant que l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, que les risques de mortalité opératoire immédiate et de mortalité post-opératoire liés à la valvuloplastie et la ventriculoplastie envisagées afin de corriger la maladie d’Ebstein dont était atteint M. David-Eric La G. aient été portés à sa connaissance et à celle de sa famille de manière claire ; que l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS ne saurait utilement soutenir que, dès lors que la maladie d’Ebstein dont souffrait M. La G. était mortelle à terme et que la valvuloplastie - ventriculoplastie devait en tout état de cause être tentée, l’insuffisance de l’information délivrée au patient et à sa famille sur les risques liés à ce type d’intervention chirurgicale ne permettait pas de retenir une faute de nature à engager sa responsabilité ; qu’il résulte en effet de l’instruction que ladite intervention chirurgicale ne présentait en tout état de cause aucun caractère d’urgence, eu égard notamment à l’état de santé du patient, qui n’était pas gêné par sa malformation cardiaque, et à la possibilité de lui faire suivre un traitement anti-agrégant plaquettaire, certes palliatif, mais qui lui aurait permis, le cas échéant, d’attendre l’amélioration prévisible des techniques alternatives de correction de la maladie d’Ebstein, qui n’étaient pas encore disponibles à la date de l’intervention réalisée ; qu’ainsi, en s’abstenant d’informer son patient, le praticien a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS ;
Sur les préjudices :
Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que les complications post-opératoires liée à une insuffisance cardiaque et à une insuffisance rénale, qui ont causé le décès de M. David Eric La G. deux jours après l’intervention chirurgicale, ait été à l’origine de souffrances physiques pour ce dernier, qui a séjourné en réanimation jusqu’à son décès ;
Sur l’évaluation du préjudice moral :
Considérant que la douleur morale dont souffrent M. et Mme La G. et Mlle Sandrine La G. résulte de la perte, par M. David-Eric La G. , d’une chance de se soustraire au risque dont ni lui ni sa famille n’avaient été informés et qui s’est réalisé ; que la réparation de ce dommage doit être fixé à une fraction dudit préjudice ; qu’il résulte de l’instruction, et sans qu’il soit utile d’ordonner une expertise complémentaire, que si l’une des alternatives chirurgicales de traitement de la maladie d’Ebstein, l’exérèse de la valve tricuspide, était délicate et ne donnait, à la date de l’intervention, que des résultats médiocres, il aurait été également possible de proposer à M. David-Eric La G. de suivre un traitement palliatif anti-agrégant plaquettaire dans l’attente de l’amélioration prévisible à court terme des techniques de fermeture de la communication inter-auriculaire par largage par voie endocavitaire, qui n’étaient pas techniquement réalisables à la date de l’opération, du fait notamment de défaillances du matériel employé ou d’un stade encore expérimental, mais qui auraient pu dispenser le patient d’une chirurgie cardiaque ; qu’ainsi, compte tenu du rapprochement entre l’issue mortelle inéluctable à moyen terme d’une évolution naturelle de la maladie d’Ebstein, les risques opératoires et post-opératoires mortels connus de la valvuloplastie - ventriculoplastie réalisée, les risques également connus de la technique chirurgicale alternative de celle retenue, l’exérèse de la valve tricuspide, et enfin la possibilité de proposer un traitement médical palliatif dans l’attente de l’amélioration prévisible à court terme de la technique de correction de la maladie d’Ebstein par la pose d’une ombrelle sur la communication inter-auriculaire larguée par voie endocavitaire, donc sans chirurgie cardiaque, cette fraction doit être fixée aux trois quarts ;
Considérant que, dans les circonstances de l’affaire, il sera fait une juste appréciation de la réparation du préjudice moral enduré par les consorts La G. en la fixant à la somme de 25.000 euros chacun à M. Joseph La G. et à Mme Mireille La G. , père et mère de M. David-Eric La G. , et à la somme de 15.000 euros à Mlle Sandrine La G. , sœur de M. David-Eric La G. ; que, compte tenu de ce qui vient d’être dit, le montant de l’indemnité due par l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS aux consorts La G. doit être fixé, compte tenu de la perte de chance, aux trois quarts des sommes de 25.000 et 15.000 euros, soit 18.750 euros chacun à M. Joseph La G. et à Mme Mireille La G. et 11.250 euros à Mlle Sandrine La G. ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que les consorts La G. ont droit aux intérêts des sommes précitées à compter du 3 mai 1996, date d’enregistrement de leur requête ; qu’ils ont demandé la capitalisation de ces intérêts le 2 juillet 1997 et le 24 mars 2000 ; qu’à ces dates, il était dû au moins une année d’intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS à payer une somme de 1.000 euros aux consorts La G. au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 9 juin 1998 est annulé.
Article 2 : L’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS est condamnée à verser à M. Joseph La G. et à Mme Mireille La G. la somme de 18.750 euros chacun, et la somme de 11.250 euros à Mlle Sandrine La G..
Article 3 : Les sommes susvisées porteront intérêts au taux légal à compter du 3 mai 1996. Les intérêts échus le 2 juillet 1997 et le 24 mars 2000 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS et de l’appel incident des consorts La G. est rejeté.