COUR ADMINISTRATIVE DE DOUAI
N° 01DA01144
Ministre de l’économie, des finances et de Findustrie
C/Commune de Calais
M. Jean-Antoine
Président-rapporteur
M. Evrard
Commissaire du gouvernement
Audience du 13 mars 2002
Lecture du 14 mars 2002
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE DOUAI
3ème chambre
Vu le recours, enregistré par télécopie le 17 décembre 2001 et par courrier postal le 18 décembre 2001 au greffe de la cour administrative d’appel de Douai, présenté par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, qui demande à la Cour :
1 ) d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de l’ordonnance du 28 novembre 2001 par laquelle le vice-président du tribunal administratif de Lille statuant en référé a condamné l’Etat à verser une somme de 2 000 000 F (ou 304 898,03 euros) à la commune de Calais à titre de provision sur le complément de dotations compensatrices lui revenant compte-tenu des rôles supplémentaires de taxe professionnelle émis au titre des années 1987 à 2001 ;
2 ) d’annuler l’ordonnance précitée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n 86-1317 du 30 décembre 1986 portant loi de finances pour 1987 modifiée et complétée par la loi n 91-1322 du 31 décembre 1991 portant loi de finances pour 1992 ;
Vu la loi de finances pour 2002 n 2001-1245 du 28 décembre 2001 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience,
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 13 mars 2002 :
le rapport de M Jean-Antoine, président,
les observations de Me Lévy, avocat de la commune de Calais,
et les conclusions de M Evrard, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article R 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’exécution de l’obligation n’est pas sérieusement contestable Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie" ; et qu’aux termes de l’article R 541-3 : "L’ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d’appel devant la cour administrative d’appel dans la quinzaine de sa notification" ;
Sur la demande de provision :
Considérant que la loi de finances pour 1987 du 30 décembre 1986 et la loi de finances pour 1992 du 31 décembre 1991 ont institué un abattement général de 16 % sur les bases d’imposition à la taxe professionnelle et une réduction pour embauche et investissement, tout en prévoyant une compensation en faveur des collectivités locales pour couvrir leurs pertes de recettes ; que l’administration a toutefois limité ses calculs des dotations annuelles compensatrices aux seuls rôles primitifs de ladite taxe ; que, par un arrêt du 18 octobre 2000 n 209-324 (commune de Pantin), le Conseil d’Etat a estimé que les dispositions légales précitées ne limitaient pas les dotations compensatrices aux bases comprises dans les rôles primitifs de la taxe professionnelle mais qu’elles devaient être calculées en fonction de la totalité des bases d’imposition, qu’il s’agisse des rôles primitifs ou des rôles supplémentaires ;
Considérant que la commune de Calais, en se prévalant de l’arrêt du Conseil d’Etat précité, a présenté devant le juge des référés de première instance une demande de provision de 9 351 625 F (ou 1 425 646 euros) représentant le préjudice qu’elle aurait subi et correspondant aux compléments des dotations compensatrices qui auraient dû lui revenir si l’administration avait légalement pris en compte dans ses calculs les rôles supplémentaires de taxe professionnelle émis au titre des années 1987 à 2001 ; que, par l’ordonnance attaquée, le vice-président du tribunal administratif de Lille statuant en référé a accordé à la commune de Calais une provision de 2 000 000 F (ou 304 898,03 euros) ainsi qu’une somme de 10 000 F (ou 1 524,49 euros) au titre des frais d’instance ;
Considérant, d’une part, que les dispositions de l’article 19 de la loi de finances pour 2002 n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 instaurent une dotation forfaitaire et spécifique au profit des collectivités locales afin de compenser, pour le passé, l’absence de prise en compte des rôles supplémentaires dans le calcul des dotations allouées à celles-ci en contrepartie des pertes de recettes résultant pour elles, d’une part, de l’institution de l’abattement général de 16 % sur les bases de la taxe professionnelle, et d’autre part, de la réduction pour embauche et investissement prévus respectivement aux paragraphes IV et IV bis de l’article 6 de la loi de finances pour 1987 n 86-1317 du 30 décembre 1986 complétée par l’article 46 B de la loi de finances pour 1992 du 31 décembre 1991 ;
Considérant, d’autre part, que le paragraphe IV de l’article 19 de la loi de finances pour 2002 du 28 décembre 2001 dispose : "Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les dotations versées en application du troisième alinéa du IV et du IV bis du même article 6 sont réputées régulières en tant que leur légalité serait contestée sur le fondement de l’absence de prise en compte des pertes de recettes comprises dans les rôles supplémentaires" ;
Considérant qu’il résulte des débats parlementaires portant sur l’article 19 précité de la loi de finances pour 2002 que l’intention du législateur est de mettre un terme aux nombreuses requêtes contentieuses en cours devant la juridiction administrative, tout en instituant, en contrepartie, une compensation forfaitaire et spécifique au profit de l’ensemble des collectivités locales dont le versement est échelonné sur les années à venir ;
Considérant qu’en raison de la promulgation des dispositions précitées du IV de l’article 19 de la loi de finances pour 2002, lesquelles présentent un caractère rétroactif à l’égard des instances n’ayant pas fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée, aucune indemnisation autre que celle envisagée pour l’avenir par cet article 19 ne peut être accordée au profit de la commune de Calais, au titre des années en cause 1987 à 2001 ; qu’eu égard, d’une part, à l’importance des litiges en instance ou prévisibles ainsi qu’aux difficultés importantes rencontrées pour effectuer les régularisations impliquées par l’interprétation de la loi donnée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt précité du 18 octobre 2000, et d’autre part, à la contrepartie financière prévue par l’article 19 de la loi de finances pour 2002 accordant aux collectivités locales une compensation équitable à la perte de leurs recettes, lesdites dispositions présentent un objectif d’intérêt général suffisant et ne sont donc pas, en tout état de cause, incompatibles avec les stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à un procès équitable ;
Considérant qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative d’apprécier la constitutionnalité d’une loi ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l’article 19 de la loi de finances pour 2002 serait contraire aux principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de droit à un recours effectif qui découlent de la Constitution et de l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peut être que rejeté ;
Considérant que si dans le dernier état de ses conclusions d’appel, la commune de Calais soutient que la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée sans faute, sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques, en raison de la promulgation de l’article 19 de la loi de finances pour 2002, le préjudice qu’elle invoque ne peut être indemnisable que s’il est anormal et spécial ; qu’en l’espèce, eu égard aux modalités de l’indemnisation forfaitaire mises en place par le législateur, la créance ne peut être regardée comme n’étant pas sérieusement contestable ; qu’ainsi la demande de provision ne peut être accueillie sur ce nouveau fondement juridique ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie est fondé à demander, d’une part, l’annulation de l’ordonnance en date du 28 novembre 2001 par laquelle le vice-président du tribunal administratif de Lille a accordé à la commune de Calais, une provision de 2 000 000 F (ou 304 898,03 euros), et d’autre part, que soit rejetée la demande de provision sollicitée ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que l’Etat n’étant pas la partie perdante, les dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que celui-ci soit condamné à verser à la commune de Calais la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’ordonnance en date du 28 novembre 2001 accordant une provision de 2 000 000 F (304 898,03 euros) à la commune de Calais est annulée.
Article 2 : La demande de la commune de Calais tendant à l’octroi d’une provision et au paiement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Calais et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie Copie sera transmise au directeur de contrôle fiscal Nord.