A une époque où l’on s’interroge sur le préjudice de vie devant les juridictions judiciaires, cette décision du Conseil d’Etat vient rajouter un élément au débat, mais certes par une voie plus dérobée. Par une décision en date du 26 octobre 2001, le juge administratif suprême a statué sur la responsabilité de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris du fait de la transfusion sanguine d’un malade appartenant aux témoins de Jéhovah et a refusé de reconnaître une quelconque faute de la part du centre hospitalier.
M. X a été hospitalisé le 2 janvier 1991 dans un centre hospitalier de l’Ouest parisien en raison d’une insuffisance rénale aiguë, puis transféré dans un autre centre hospitalier en raison de l’aggravation de son état. Avant son transfert M. X avait déclaré qu’il refusait, en tant que témoin de Jéhovah, que lui soient administrés des produits sanguins, même dans l’hypothèse où ce traitement constitueraient le seul moyen de sauver sa vie. Il avait eu l’occasion de répéter à plusieurs reprises ce refus. Or, avant son décès, plusieurs transfusions sanguines ont été pratiquées à la suite de l’apparition d’une grave anémie.
Son épouse, également témoin de Jéhovah, a décidé de saisir la juridiction administrative afin de voir réparé le préjudice qui serait résulté pour son mari de la méconnaissance de la volonté qu’il a exprimé. Dans une première instance, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le 5 avril 1995 la demande. Cette solution a été ensuite confirmée le 9 juin 1998 par un arrêt de la Cour administrative de Paris.
Dans cet arrêt la Cour précisait que "l’obligation faite au médecin de toujours respecter la volonté du malade en l’état de l’exprimer trouve sa limite dans l’obligation qu’à également le médecin conformément à la finalité même de son activité, de protéger la santé, c’est-à-dire, la vie elle-même de l’individu". Cette position tendant de manière générale à faire prévaloir l’obligation de sauvegarder la vie sur le respect de la volonté du malade a été jugée contraire au droit par le Conseil d’Etat dans cette affaire.
Néanmoins, souhaitant juger l’affaire au fond, le Conseil d’Etat a examiné lui-même le fond de la requête. Le juge administratif relève tout d’abord que "compte-tenu de la situation extrême dans laquelle M. X se trouvait, les médecins qui le soignaient ont choisi, dans le seul but de tenter de le sauver, d’accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionnée à son état". Dans ces conditions, et "quelle que fût par ailleurs leur obligation de respecter une volonté fondée sur des convictions religieuses", le centre hospitalier n’a commis aucune faute.
Ainsi, le Conseil d’Etat admet la possibilité pour le médecin d’aller à l’encontre de la volonté de son patient (fondée sur des convictions religieuses). L’acte doit être indispensable à la survie du patient et être proportionné à son état.
Au surplus, le juge administratif relève que les transfusions sanguines étaient imposées comme le seul traitement susceptible de sauvegarder la vie du malade. Ainsi, on ne pouvait reprocher en aucune sorte au centre hospitalier de n’avoir pas mis en oeuvre d’autres traitements, potentiellement alternatifs.
En outre, le Conseil d’Etat a repoussé les conclusions de la requérante tendant à considérer que les transfusions sanguines administrées constitueraient un traitement inhumain et dégradant.
Cette décision est assez intéressante. En effet, le patient perd d’une certaine manière la possibilité d’exprimer son opinion et même de refuser telle ou telle opération. L’obligation de recueillir préalablement à toute intervention l’aval du patient ne tiendrait plus dès lors que la survie du malade serait en cause. Cette dernière deviendrait alors prioritaire. (BT)