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THEMES ABORDES :
Affaire Kechichian
Conseil d’Etat, Assemblée, 30 novembre 2001, n° 219562, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ M. Kechichian et autres



Conclusions sous Conseil d’Etat, Assemblée, 30 novembre 2001, n° 219562, Ministre de l’économie et des finances c/ M. Kechichian et autres

Par Alain SEBAN
Maître des Requêtes au Conseil d’Etat

Le juge administratif doit-il retenir une faute lourde ou une faute simple pour engager la responsabilité de l’Etat à raison de la surveillance exercée par la Commission bancaire sur les établissements de crédit ?

Par nature, l’activité de banque comporte des risques puisqu’elle consiste à prêter de l’argent à des gens dont on n’est jamais certain qu’ils seront en mesure de rembourser. Les faillites bancaires, si elles sont moins fréquentes que par le passé, sont une réalité : dans les années 1980, environ 200 établissements ont fait faillite chaque année aux États-Unis ; au plan international, on se souvient des défaillances du Banco Ambrosiano en Italie, des institutions de prévoyance de l’Ohio et du Maryland en 1985, de la banque Barings en 1995, etc. ; en France, nous avons vu, dans les années récentes, les faillites de la Lebanese Arab Bank (1989), de la BCCI (1991), de la Banque Majorel (1992), de la Banque commerciale privée (1994), de la Banque Pallas-Stern (1995), de la Compagnie du BTP, et du Crédit Martiniquais (1999).

Malgré cela l’activité bancaire suppose la confiance du public, car la banque ne peut consentir des crédits que pour autant que le public lui donne de l’argent en dépôt. Pour tenter de concilier ces deux antagonistes que sont le risque et la confiance, il existe un peu partout des systèmes de contrôle public des établissements de crédit. Mais l’existence de ces mécanismes n’implique pas pour autant que l’État accepte d’en garantir la solvabilité ; c’est pourquoi l’on observe que, la plupart du temps, la responsabilité publique à raison des défaillances de ce contrôle est strictement limitée.

Aux États-Unis, à la suite de la grave crise financière de 1907, le Congrès a organisé la supervision de l’activité bancaire sous l’égide de la Réserve Fédérale (Federal Reserve Bank) (loi du 23 décembre 1913). La responsabilité de l’État fédéral à raison de cette activité est soumise aux dispositions du Federal Tort Claims Act [1] dont l’article 2680 écarte toute responsabilité lorsque l’autorité de contrôle agit dans le cadre d’un « pouvoir discrétionnaire » [2]. Or, la Cour suprême des États-Unis a estimé dans l’arrêt United States vs Gaubert de 1991 [3] que la surveillance du système bancaire se rattachait à un pouvoir discrétionnaire, ce qui exclut en principe la possibilité de rechercher directement la responsabilité de la Réserve Fédérale à cet égard.

En Angleterre, la Banque d’Angleterre (Bank of England), créée en 1694 et nationalisée en 1946, joue un rôle similaire, formellement inscrit dans le droit positif depuis le Banking Act de 1979. La responsabilité de la « vieille dame de Threadneedle Street » est puissamment limitée par des dispositions législatives [4] au cas de « misfeasance », c’est-à-dire de faute intentionnelle. Les juridictions anglaises semblent aujourd’hui s’orienter vers un assouplissement mesuré de cette notion, à la suite d’un arrêt de la Chambre des Lords du 22 mars 2001 Three Rivers District Council vs Bank of England [5].

En Allemagne, l’Office fédéral de contrôle des banques (Bundesaufsuchtsamt für das Kreditwesen) supervise le système bancaire en liaison étroite avec la Banque fédérale (Bundesbank). La conception allemande de la responsabilité administrative est en principe large, en vertu de l’article 19 (4) de la loi fondamentale du 23 mai 1949, mais elle suppose toutefois que la faute invoquée ait causé au demandeur un préjudice qui lui est propre. Deux arrêts du Tribunal administratif fédéral de 1979 « Wetterstein » [6] et « Herstatt » [7] ont jugé que les déposants d’une banque peuvent faire valoir un droit propre, mais le législateur a rapidement réagi en disposant, en 1984, que la surveillance du système bancaire tend à la protection du public en général [8], ce qui vise clairement à exclure la possibilité d’une action en responsabilité des déposants contre l’Autorité de contrôle des banques et la Bundesbank.

Comme on peut le constater, en dépit de la différence des traditions juridiques et administratives, les mêmes traits se retrouvent : l’existence d’une institution administrative chargée de la surveillance du système bancaire ; une limitation draconienne des conditions dans lesquelles la responsabilité de cette institution peut être engagée.

Dans notre pays, l’article 37 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, dite « loi bancaire », aujourd’hui codifiée au code monétaire et financier, a institué « une commission bancaire chargée de contrôler le respect par les établissements de crédit des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés. Elle examine les conditions de leur exploitation et veille à la qualité de leur situation financière. Elle veille au respect des règles de bonne conduite de la profession. » Service non personnalisé de l’État, la Commission bancaire comprend, selon l’article 38 de la loi, sous la présidence du Gouverneur de la Banque de France, le directeur du Trésor et quatre membres nommés pour six ans par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances : un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de cassation et deux membres choisis en raison de leur compétence en matière bancaire et financière. Votre dernier Rapport annuel la range parmi les « autorités administratives indépendantes » [9], et la qualifie également d’« autorité de régulation » [10].

Les moyens d’action de la Commission bancaire vont de la mise en garde (art. 42), à la sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à la radiation de la liste des établissements de crédit agréés (art. 45), en passant par l’injonction de prendre certaines mesures destinées à établir ou renforcer l’équilibre financier de la banque ou à corriger ses méthodes de gestion (art. 43), et la nomination d’un administrateur provisoire (art. 44). Les dispositions applicables dans la présente affaire prévoyaient que les sanctions disciplinaires et la nomination d’un administrateur provisoire avaient un caractère juridictionnel. Depuis la loi n° 94-679 du 8 août 1994, ce caractère n’est maintenu que pour les sanctions prises par la Commission. Les autres mesures prises par la Commission bancaire ont un caractère administratif.

Les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’État peut être recherchée à raison de l’activité de la Commission bancaire font voir, par comparaison avec les exemples étrangers que nous avons analysés, le libéralisme du droit administratif français.

Il permet, d’une part, que la responsabilité de l’État soit recherchée pour faute lourde à raison de l’activité juridictionnelle de la Commission bancaire, sous la seule réserve de l’impossibilité de remettre en cause les décisions passées en force de chose jugée : c’est ce qui résulte de la décision d’Assemblée du 29 décembre 1978 « Darmont » (Rec. p. 542, AJDA 1979 p. 45 note M. Lombard, D. 1979 p. 279 note M. Vasseur, RDP 1979 p. 1742 note J.-M. Auby). Dégagée à propos de la Commission de contrôle des banques (voir dans le même sens : CE, 12 octobre 1983, Consorts Levi, Rec. p. 406), cette solution de principe vaut pour toutes les juridictions administratives, et en particulier pour la Commission bancaire, qui a succédé à la Commission de contrôle des banques (CAA Lyon, 28 décembre 1990, Mme Fouriat et autres, Rec. T. p. 963, D. 1992 SC p. 20 obs. M. Vasseur ; CAA Paris, 30 mars 1999, El Shikh, AJDA 1999 p. 883 obs. M.H., JCP 2000 n° 10.276 concl. M. Heers).

En ce qui concerne, d’autre part, l’activité administrative de surveillance du système bancaire par la Commission bancaire, il est également de principe que la responsabilité de l’État ne peut être recherchée que pour faute lourde : CE, Sect., 2 février 1960, Kampmann, Rec. p. 107, AJDA 1960.I.46 chron. M. Combarnous et J.-M. Galabert ; Sect., 28 juin 1963, Bapst, Rec. p. 411, AJDA 1963.I.47 chron. M. Gentot et J. Fourré ; Sect., 13 juin 1964, d’André, Rec. p. 329, RDP 1965 p. 65 note M. Waline ; 16 janvier 1966, Dlle de Waligorski et autres, Rec. p. 40 ; CAA Paris, 19 décembre 1995, Kechichian, Rec. p. 671.

Sous le présent numéro, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie se pourvoit régulièrement en cassation contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 25 janvier 2000 « Kechichian et autres » qui, pour la première fois depuis votre décision de Section du 24 janvier 1964 « Ministre des finances c. Achard » (Rec. p. 43, AJDA 1964.I.58 chron. J. Fourré et M. Puybasset), retient la responsabilité de l’Etat à raison du défaut de surveillance de la commission bancaire sur la banque dite « United Banking Corporation » (U.B.C.), mais pour faute simple et non plus pour faute lourde. La cour administrative d’appel de Paris a en effet cru pouvoir abandonner l’exigence de la faute lourde en cette matière dans un arrêt du 30 mars 1999 « El Shikh » (préc.), qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation. Par l’arrêt attaqué, elle a réformé les 75 jugements rendus en première instance par le tribunal administratif de Paris le 17 juillet 1993, et rejetant les demandes d’indemnisation pour absence de faute lourde.

Le ministre a assorti son pourvoi de conclusions à fin de sursis à exécution de l’arrêt attaqué qui ont été rejetées par ordonnance du président de la 6e sous-section le 16 novembre 2000 pour défaut de préjudice difficilement réparable pour l’État.

I. – La principale question que soulève le recours est de savoir si les juges du fond ont commis une erreur de droit en estimant qu’une faute simple suffit pour engager la responsabilité de l’État à raison de la surveillance exercée par la Commission bancaire sur les établissements de crédit. Il est à peine besoin d’indiquer que c’est bien un contrôle d’erreur de droit que vous exercez en cassation sur le point de savoir si un régime de responsabilité est fondé sur la faute simple ou sur la faute lourde (CE, Ass., 9 avril 1993, D***, Rec. p. 110 concl. H. Legal).

1. – Il n’est guère plus nécessaire de vous rappeler les pronostics pessimistes qui, depuis plusieurs années, ont été portés par la doctrine la plus autorisée tout comme par plusieurs de nos prédécesseurs, sur l’avenir de la faute lourde dans la responsabilité administrative, ni les décisions importantes qui sont venues confirmer ces prévisions dans des domaines où la faute lourde paraissait jadis aussi solidement ancrée que les activités médicales (CE, Ass., 10 avril 1992, Epoux V***, Rec. p. 171 concl. H. Legal), les services de secours d’urgence (CE, Sect., 20 juin 1997, Theux, Rec. p. 253 concl. J.-H. Stahl), de secours en mer (CE, Sect., 13 mars 1998, Améon, Rec. p. 82, CJEG 1998 p. 197 concl. L. Touvet, D. 1998 p. 537 note G. Lebreton, AJDA 1998 p. 418 chron. F. Raynaud et P. Fombeur), ou de lutte contre l’incendie (CE, 29 avril 1998, Commune de Hannappes, Rec. p. 185, RDP 1998 p. 1001 note X. Prétot, JCP 1999.II.10109 note Genovese).

Ce mouvement de recul de la faute lourde n’est guère qu’esquissé en ce qui concerne les activités de tutelle ou de contrôle, soumises au régime de la faute lourde depuis l’arrêt d’Assemblée du 29 mars 1946 « Caisse départementale d’assurances sociales de Meurthe-et-Moselle » (Rec. p. 100, GAJA 13e éd. n° 60 p. 372, RDP 1946 p. 490 concl. Lefas, note Jèze, S. 1947.3.73 note Mathiot). Si, dès 1996, l’étude du Conseil d’État sur « La responsabilité pénale des agents publics en cas d’infractions non-intentionnelles  » avançait qu’il « pourrait être envisagé que la jurisprudence poursuive son évolution, en supprimant la nécessité d’une faute lourde pour les activités de tutelle et de contrôle  » [11], ce pronostic n’a pas été pleinement confirmé.

Sans doute plusieurs de vos décisions ont-elles admis la suffisance de la faute simple en ce qui concerne la tutelle de l’État sur les centres de transfusion sanguine (CE, Ass., 9 avril 1993, D***, préc.), la surveillance de l’Office national des forêts sur une forêt communale (CE, 25 mars 1994, Commune de Kintzheim, Rec. p. 162), le contrôle de l’inspection du travail sur le licenciement des salariés protégés (CE, Sect., 9 juin 1995, Ministre des affaires sociales et de l’emploi c. Lesprit, Rec. p. 239, AJDA 1995 p. 745 concl. J. Arrighi de Casanova), le contrôle par l’ordre des architectes du respect par ses membres de l’obligation d’assurance professionnelle (CE, Sect., 6 décembre 1995, Boisson et autres, Rec. p. 430, CJEG 1996 p. 107 concl. A.-F. Roul), le contrôle technique des navires (CE, Sect., 13 mars 1998, Améon, préc.).

On hésite toutefois d’autant plus à déduire de ces précédents un peu hétéroclites une conclusion définitive que des décisions remarquées ont maintenu l’exigence de la faute lourde. Elles concernent, tout d’abord, les activités des services fiscaux qui présentent une difficulté particulière (CE, Sect., 27 juillet 1990, Bourgeois, Rec. p. 242, RFDA 1990 p. 899 concl. N. Chahid-Nouraï, AJDA 1991 p. 53 note L. Richer, Quot. jur. n° 76 30 juin 1990 p. 18 note R. Blancher ; Sect., 29 décembre 1997, Commune d’Arcueil, Rec. p. 512, RJF 2/98 p. 81 concl. G. Goulard, AJDA 1998 p. 112 chron. T.-X. Girardot et F. Raynaud, D. 1999 SC 53 obs. P. Bon et D. Béchillon), au nombre desquelles la vérification de situation fiscale d’un contribuable (CE, 31 octobre 1990, Champagne, Rec. p. 309, Dr. fisc. 1993 n° 813 p. 761 concl. de Mme le président Hagelsteen, D. 1991 Somm. p. 287 obs. P. Bon et P. Terneyre ; 26 juillet 1991, SARL MASI et Lienhard, Rec. p. 309). C’est également une faute lourde qui est requise, d’autre part, en ce qui concerne l’exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités décentralisées (CE, 21 juin 2000, Ministre de l’équipement, des transports et du logement c. commune de Roquebrune-Cap-Martin, n° 202.058, à paraître au recueil, RDP 2000 p. 1257 concl. L. Touvet, RFDA 2000 p. 1096 note P. Bon ; 6 octobre 2000, Ministre de l’intérieur c. commune de Saint-Florent et autres, CTI déc. 200 concl. L. Touvet, RFDA 2001 p. 152 note P. Bon, JCP 2001.II.10516 note M.-C. Rouault, LPA 4 juillet 2001 p. 15 note C. Guettier, AJDA 2001 p. 201 note M. Cliquennois).

2. – Si la ligne directrice de votre jurisprudence en matière de responsabilité administrative se ramenait à l’élimination progressive de la faute lourde, il faudrait – et une partie de la doctrine ne s’en prive pas – stigmatiser ces décisions comme des accidents de parcours. Mais nous pensons au contraire qu’elles ont leur place dans un tableau d’ensemble de la jurisprudence, si on veut bien ne pas le contempler au travers du prisme un peu simpliste du recul ou de la résistance de la faute lourde.

a) Pour brosser à grands traits ce tableau, il convient tout d’abord d’écarter très fermement la tentation de ne faire de la distinction des fautes qu’une question de vocabulaire. Il est bien vrai que, dans le cas des activités médicales, c’est en partie parce qu’elle ne recouvrait plus de réalité bien tangible que vous avez abandonné la faute lourde. Déjà, dans le passé, en matière d’usage d’armes à feu par les forces de l’ordre, vous aviez dû tenir compte d’une évolution similaire, mais encore plus radicale, puisque vous aviez substitué à la faute lourde un régime de responsabilité sans faute par l’arrêt d’Assemblée du 24 juin 1949 « Cts Lecomte » (Rec. p. 307, JCP 1949.II.5092 concl. du président Barbet, note George, D. 1950 p. 5 chron. Berlia et Morange, RDP 1949 p. 583 note M. Waline). Il est vrai également que, des propos de certains de nos prédécesseurs soulignant que la faute s’apprécie in concreto [12], certains commentateurs ont cru pouvoir déduire que le recul de la faute lourde procédait plus, de votre part, d’une opération de communication que d’une véritable inflexion de la jurisprudence et que vous aviez substitué à la distinction de la faute lourde et de la faute simple celle de la faute et de l’erreur non fautive [13].

Nous croyons néanmoins que s’il faut parfois relativiser l’incidence concrète de l’abandon de la faute lourde, faute lourde et faute simple correspondent à des réalités différentes qui appellent du juge des approches différentes. Si la faute doit s’apprécier in concreto, on peut dire, pour fixer les idées, que, dans une conception fondée sur la faute simple, le juge doit rapprocher le comportement du service de ce qu’idéalement il aurait dû être si le service avait correctement fait son travail, c’est-à-dire rechercher ce qu’aurait fait, dans les mêmes circonstances, un bon professionnel.

En revanche, dans une conception fondée sur la faute lourde, il convient de se demander si le service a commis une erreur tellement flagrante qu’un non-professionnel ne l’aurait vraisemblablement pas commise [14] ; elle suppose un fonctionnement gravement déficient du service ; même lorsque l’action de celui-ci est marquée par une grande technicité, c’est une faute qui saute aux yeux. Il s’agit donc de deux niveaux d’exigence nettement distincts, et c’est la raison pour laquelle il convient de se garder de deux tentations.

La première consisterait à maintenir l’exigence théorique de la faute lourde tout en l’assimilant en pratique à la faute simple : c’est ce que vous avez fait autrefois en matière de responsabilité médicale et c’est ce que vient de faire l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 février 2001 « Consorts Bolle-Laroche » (n° 99-13.165, JCP 7 mars 2001 actualité p. 475, D. 2001 IR p. 909), qui concerne la responsabilité de l’État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice judiciaire ; mais la Cour de cassation est tenue par un texte, l’article L.781-1 du code de l’organisation judiciaire, qui exige expressis verbis la faute lourde. Pour vous qui n’êtes pas soumis à la même contrainte, la transposition de la solution de la Cour de cassation cumulerait tous les inconvénients : elle ne limiterait en pratique en rien la responsabilité de l’administration tout en laissant croire que lui est accordé une impunité qu’on peut trouver choquante.

Il convient également de repousser la seconde tentation, qui consiste à transposer la distinction de la faute lourde et de la faute simple, dans la distinction de la faute et de l’erreur non fautive [15]. Il est vrai que, s’agissant de services tels que la Commission bancaire, dont l’activité n’est que peu encadrée par les textes, à la différence de celle, par exemple, des services fiscaux, il serait possible de le faire sans se heurter au principe selon lequel toute illégalité est fautive (CE, Sect., 26 janvier 1973, Ville de Paris c. Driancourt, Rec. p. 77, AJDA 1973 p. 245 note Cabanes et Léger, Rev. adm. 1974 p. 29 note F. Moderne). Mais, s’il s’agissait de créer l’illusion par un simple artifice de présentation, il est à craindre, d’une part, de ne tromper personne et, d’autre part, de voir le domaine de l’« erreur non fautive » reculer irrésistiblement au gré de l’évolution de la jurisprudence et sous la pression des victimes.

b) La distinction entre faute simple et faute lourde n’est donc pas une question de vocabulaire. Elle n’est pas non plus, c’est notre deuxième point, une simple survivance historique, dénuée de fondement juridique : si la faute lourde a indéniablement reculé, elle n’a pas pour autant vocation à disparaître.

Personne ne soutient qu’il faille y renoncer lorsqu’elle vient atténuer un régime d’irresponsabilité prévu par la loi ou le contrat ; dans cette acception, la faute lourde est une notion admise tant en droit administratif (clauses contractuelles : CE, 16 février 1966, Veuve Loor, Rec. p. 117 ; 21 novembre 1980, Delair, Rec. T. p. 793 ; 16 mai 1994, Société des transports internationaux, Rec. p. 241 ; 25 novembre 1994, Société Aticam, Rec. p. 514 ; dispositions législatives : CE, 14 janvier 1959, Kahn, Rec. T. p. 743 ; 8 février 1961, Compagnie Singer, Rec. p. 84 ; 6 juin 1975, Société « Comptoir central des usines Allimann », Rec. T. p. 1183 ; 17 octobre 1986, Ministre des P.T.T.c. Erhardt, Rec. p. 240, AJDA 1986 p. 694 chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre ; 21 novembre 1986, Société Top Service, Rec. p. 264 ; Cass. Ass. plén., 30 juin 1998, Cabane c. Air France, CJEG 1999 p. 47 rapp. Apollis) qu’en droit civil (en matière contractuelle : Req., 24 octobre 1932, D.P. 1932.1.176 note E.P. ; Com., 3 avril 1990, Bull. civ. IV n° 108) [16]. Comme elle joue au bénéfice de la victime et au détriment de l’auteur du dommage, elle n’est guère contestée.

Un assez large consensus existe également pour reconnaître que l’exigence de la faute lourde a vocation à être maintenue en ce qui concerne les activités juridictionnelles [17], et vous l’avez récemment confirmé (CE, 14 janvier 1998, Dagorn, n° 169.344, DA 1998 n° 178 note J.-C.B., LPA 6 juillet 1998 p. 10 concl. de M. le président Bonichot) s’agissant d’une commission départementale des handicapés). La préoccupation essentielle nous semble être ici d’éviter que, par le jeu de l’action en responsabilité, on puisse ouvrir de nouveaux débats sur un procès qui a été définitivement jugé.

Mais au-delà de ces hypothèses particulières, la gradation des fautes existe parce qu’elle répond à un besoin. L’évolution du droit de la responsabilité civile est à cet égard significative. On sait que les rédacteurs du Code civil avaient voulu proscrire la gradation des fautes en trois degrés que Pothier avait découverte dans l’Ancien droit [18]. Ils n’y parvinrent cependant pas entièrement, et l’évolution ultérieure du droit positif et de la jurisprudence devait accentuer la tendance à la gradation des fautes qui demeurait en germe dans le Code civil. Aussi, en droit civil, s’il est vrai que, sauf cas exceptionnels [19], toute faute engage la responsabilité de son auteur, le régime de réparation dépend souvent de la qualification de cette faute. Le législateur est fréquemment intervenu en ce sens, mais la jurisprudence est également allé dans cette direction, notamment par le biais de l’assimilation de la faute lourde au dol selon l’adage culpa lata dolo aequiparatur.

C’est le signe que le juge a besoin de catégories mentales, de « standards », qui lui permettent de guider son appréciation des circonstances pour tenir compte de ce simple fait que les différentes activités humaines s’exercent dans des conditions bien différentes et que les régimes de responsabilité qui en découlent sont nécessairement différenciés. Vous devez prendre en compte ce besoin lorsque vous indiquez la voie à suivre aux juridictions qui vous sont subordonnées.

d) Plutôt qu’une volonté de l’éradiquer, votre jurisprudence récente nous semble procéder d’une réévaluation de la place de la faute lourde dans le droit de la responsabilité administrative, compte tenu de l’évolution des institutions et de la société au cours du siècle passé, et notamment de l’attention plus grande portée aux droits individuels. Cette réévaluation montre que vous avez su entendre la voix des victimes, dont le professeur Chapus avait, dès 1954, perçu les premiers murmures dans sa thèse de doctorat sur Responsabilité publique et responsabilité privée, où il observait déjà que : « la faute lourde, considérée dans sa fonction limitatrice de responsabilité, est peu en harmonie avec le climat juridique actuel […] où l’intérêt des victimes et la volonté de les indemniser le plus largement possible pèsent d’un poids de plus en plus lourd  » [20].

Mais s’il faut avoir la plus grande considération pour les victimes, il faut également, et c’est l’office même du juge administratif, concilier la protection qui doit leur être accordée avec les droits de la puissance publique. C’est donc au cas par cas, selon les domaines d’activité de l’administration, qu’il faut se prononcer. On peut à notre avis le faire en examinant le rapport qui s’établit entre les deux critères qu’analysait déjà le président Romieu dans ses conclusions sur l’arrêt du 10 février 1905 « Tomaso Grecco » (Rec. p. 139 concl. J. Romieu, S. 1905.3.113 note M. Hauriou, GAJA 13e éd. n° 15 p. 86 note) : la nature du service et celle des intérêts lésés.

En s’appuyant sur la formule des arrêts « Rothschild » (CE, 6 décembre 1855, Rothschild, Rec. p. 705) et « Blanco » (TC, 8 février 1873, Blanco, Rec. 1er supplt. p. 61 concl. David) selon laquelle la responsabilité de l’administration « n’est ni générale, ni absolue », notre illustre prédécesseur vous disait alors qu’« il appartient au juge de déterminer, dans chaque espèce, s’il y a une faute caractérisée du service de nature à engager sa responsabilité, et de tenir compte, à cet effet, tout à la fois de la nature de ce service, des aléas et des difficultés qu’il comporte, de la part d’initiative et de liberté dont il a besoin, en même temps que de la nature des droits individuels intéressés, de leur importance, du degré de gêne qu’ils sont tenus de supporter, de la protection plus ou moins grande qu’ils méritent, et de la gravité de l’atteinte dont ils sont l’objet. »

Tout est dit, nous semble-t-il, et c’est la ligne que vous avez suivie ainsi que l’atteste la décision d’Assemblée du 9 avril 1993 « D*** » (préc.) qui admet qu’une faute simple suffit pour engager la responsabilité de l’État du fait de son activité de réglementation et de contrôle de la transfusion sanguine eu égard « tant à l’étendue des pouvoirs » détenus par l’État « qu’aux buts en vue desquels ces pouvoirs [lui] ont été attribués ».

Mais comme la conception de ce que doit être l’équilibre socialement acceptable entre les droits de l’administration et les droits privés s’est transformée, la jurisprudence a évolué.

Elle a fait reculer la faute lourde partout où le souci de ne « pas voir l’action [du service] énervée par des menaces permanentes de complications contentieuses  », selon la formule du commissaire du gouvernement Rivet dans ses conclusions sur l’arrêt du 13 mars 1925 « Clef » (RDP 1925 p. 274) n’a plus paru pouvoir être opposé à la considération spéciale que mérite la situation de victimes atteintes dans leur intégrité même : d’où la jurisprudence en matière d’activités médicales, de transfusion sanguine, de secours d’urgence, d’activités des pompiers, de sauvetage en mer, activités dont l’enjeu est le plus élevé qui soit, la vie humaine.

Cela ne signifie pas que, lorsque des intérêts moins éminents sont en cause, le critère de la difficulté du service a perdu toute pertinence : la jurisprudence en matière fiscale montre que tel n’est pas le cas. La faute simple a donc pu être admise pour des activités qui ne présentent en réalité aucune difficulté particulière, tel que le contrôle par l’ordre des architectes du respect par ses membres de l’obligation d’assurance professionnelle ou encore, selon les conclusions de notre collègue Laurent Touvet, le contrôle technique des navires.

C’est également la faute simple qui a été retenue pour le contrôle par l’inspection du travail du licenciement des salariés protégés, à la fois en raison de la nature des droits des salariés protégés, auxquels le législateur a entendu accorder une « protection exceptionnelle », et aussi de l’absence de réelle difficulté de l’exercice.

En revanche, la faute lourde a été maintenue lorsque la tâche du service est délicate, alors que la situation de la victime ne mérite pas un intérêt particulier. On s’explique alors bien la réaffirmation de la solution en matière fiscale, compte tenu du fait que le préjudice n’est en général que pécuniaire.

On comprend également le maintien de la faute lourde à raison de l’exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités décentralisées : non seulement ce contrôle est délicat compte tenu de la faiblesse des moyens disponibles et de la difficulté des questions juridiques, mais ce sont les illégalités commises par les collectivités contrôlées qui sont, au premier chef, susceptibles d’avoir causé un préjudice. La situation des « victimes » était d’autant moins intéressante dans les affaires récemment tranchées par les sous-sections réunies qu’elles venaient en réalité reprocher à l’État de ne pas les avoir empêchées de commettre des illégalités qui leur étaient largement imputables [21].

3. – Vous devez aujourd’hui décider si l’exigence de la faute lourde continue de se justifier dans le domaine de la responsabilité de l’Etat à raison de la surveillance administrative exercée sur les établissements de crédit par la Commission bancaire.

a) Le critère de la difficulté de l’activité n’est pas ici décisif. Sans doute la difficulté de la tâche de la Commission bancaire est-elle, comme celle de toute autorité de contrôle, certaine. Elle est sans doute plus grande qu’en matière de contrôle technique des navires car elle porte sur des activités dématérialisées, de nature complexe, et qui utilisent des techniques en évolution constante. Dans la présente espèce, la banque a d’ailleurs eu recours à des montages sophistiqués pour tenter de se soustraire à la vigilance de la Commission bancaire. Une telle volonté de fraude peut être très difficile à déceler à l’occasion d’un contrôle sur pièce ou sur place qui ne peut porter que sur les documents comptables standard et ceux que la banque veut bien communiquer à la Commission bancaire, dont les inspecteurs n’ont aucun pouvoir de perquisition ou de saisie.

On doit toutefois observer que les moyens de la Commission bancaire, qui lui sont apportés par la Banque de France, sont loin d’être négligeables. Son budget de fonctionnement était d’environ 440 millions de francs en 1994 ; au total, un peu moins de 500 agents étaient affectés à la surveillance d’environ 1.600 établissements de crédit, de taille il est vrai variable [22]. Ces moyens paraissent honorables lorsqu’on les compare aux 330 personnes affectées par la Banque d’Angleterre à des tâches similaires, ou aux 470 agents de l’Office fédéral de contrôle des banques en Allemagne [23].

b) En deuxième lieu, le préjudice dont les victimes font état est strictement pécuniaire. La gravité que ce préjudice est susceptible de revêtir est en outre atténuée par l’existence de mécanismes de plus en plus extensifs de garantie des dépôts.

Précisons à cet égard que, d’abord organisée par la place, dans le cadre de l’Association française des banques, la garantie des dépôts a été rendue légalement obligatoire d’abord par la loi n° 94-679 du 8 août 1994 portant dispositions diverses d’ordre économique et financier [24], puis par la loi n° 99-532 du 25 juin 1999 relative à l’épargne et à la sécurité financière [25], qui institue un Fonds de garantie des dépôts. Le système actuel prévoit une indemnité plafonnée à 70.000 euros par déposant (environ 460.000 francs), tandis que le système AFB en vigueur au moment du sinistre qui a donné lieu au présent litige était plafonné à 400.000 francs par déposant et 200 millions de francs par an.

En principe, l’indemnisation des déposants les plus modestes en cas de sinistre bancaire, qui est sans doute l’objectif premier que l’intérêt général commande de poursuivre, est donc assurée. Ainsi, dans l’affaire de la faillite de l’UBC, l’AFB est intervenu pour indemniser les déposants à hauteur de 54 millions de francs [26] ; au total, les déposants de la banque ont pu récupérer 63% [27] de leurs avoirs.

c) La nature du service joue à un double titre.

S’agissant en particulier de la Commission bancaire, il y a lieu de noter, en premier lieu, qu’il s’agit, de par la volonté du législateur, d’un organisme dont la nature est double : tantôt, il agit comme juridiction, tantôt comme organe administratif. Un régime de faute lourde présente l’avantage d’unifier le régime de responsabilité à raison de ces différents avatars. Cette simplification n’est pas à négliger alors que les attributions administratives et juridictionnelles sont très étroitement imbriquées et que, bien souvent, ont reprochera à la Commission de n’avoir pas pris une mesure disciplinaire, c’est-à-dire une mesure juridictionnelle.

Mais il convient également de tenir compte, en deuxième lieu, de la mission de la Commission bancaire, qui est d’exercer une surveillance sur des entreprises privées, qui portent au premier chef la responsabilité de leur mauvaise gestion. Aussi ne serait-il pas satisfaisant que la responsabilité de l’Etat puisse être systématiquement mise en jeu à chaque fois qu’une banque tombe en déconfiture. C’est à nos yeux l’argument décisif pour reconnaître une certaine spécificité au régime de responsabilité de la puissance publique du fait d’activités de contrôle ou de tutelle. Le dommage est causé par le contrôlé, la responsabilité du contrôleur n’est que subsidiaire et il ne faut pas substituer la responsabilité de l’un à celle de l’autre, comme le soulignait M. le président Rougevin-Baville dans ses conclusions sur la décision du 20 juin 1973 « Commune de Chateauneuf-sur-Loire » (publiées à l’AJDA 1973.II.545). Si l’on admet trop aisément que puisse être recherchée la responsabilité du contrôleur le risque est grand que, singulièrement lorsque le contrôlé est une personne privée, la responsabilité de ce dernier ne soit absorbée par celle de l’État, dont la solvabilité est assurée.

Il nous aurait semblé raisonnable de répondre à ce souci, qui soulève la question de l’imputabilité du dommage à la faute, par une application stricte de la théorie de la causalité, plutôt que par l’exigence d’une faute qualifiée. Mais cette voie, qui nous semblait de prime abord logique, ne nous paraît, à la réflexion, guère praticable. Dans ce genre d’affaires, l’appréciation du lien de causalité est en effet presque mécanique : compte tenu des moyens d’action dont dispose la Commission bancaire, on doit toujours considérer qu’elle avait les moyens d’éviter sinon la faillite de la banque, du moins d’en limiter les conséquences à condition d’intervenir assez tôt et de façon assez énergique ; dès lors que la faute lourde est reconnue, l’appréciation du caractère direct du lien de causalité ne laisse guère de marge. C’est pourquoi le maintien de la solution de la faute lourde nous paraît, à la réflexion, la meilleure solution pour tenir compte de la situation particulière dans laquelle se trouve la Commission bancaire.

e) Ajoutons, pour terminer sur ce point, que cette solution nous paraît adéquate lorsqu’on la replace dans le contexte général du droit de la régulation.

Sans doute faut-il avoir ce contexte à l’esprit, car la solution que vous retiendrez dans la présente affaire préjugera assez largement de celle qui devrait être adoptée dans les domaines similaires que sont la surveillance des entreprises d’investissement (voir pour le contrôle exercé jadis sur les agents de change : CE, 14 février 1973, Association diocésaine d’Agen, Rec. p. 141), des sociétés mutualistes (CE, 23 décembre 1981, Andlauer, Rec. p. 487), ou des entreprises d’assurance (V. retenant un régime de faute simple : CAA Paris, 13 juillet 1999, Groupe Dentressangle, AJDA 1999 p. 883 obs. M.H.). S’agissant du contrôle de la Commission des opérations de bourse sur les sociétés faisant publiquement appel à l’épargne, vous exigiez traditionnellement la faute lourde (CE, 22 juin 1984, Société Pierre et Cristal et autres, Rec. T. p. 731). Après que vous avez jugé que le contentieux de la responsabilité avait été transféré au juge judiciaire par la loi du 2 août 1989 (CE, Sect., 6 juillet 1990, Compagnie diamantaire d’Anvers et Delcourt, Rec. p. 206, CJEG 1990 p. 380 concl. C. de La Verpillière, AJDA 1990 p. 907 obs. L. Richer, RFDA 1991 p. 293 note F. Llorens, Quot. jur. 8 décembre 1990 p. 7), ce que le Tribunal des Conflits a confirmé (TC 22 juin 1992, Me Mizon, Rec. p. 486), la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ont continué d’exiger la faute lourde (Com, 26 octobre 1993, Rev. droit bancaire et bourse 1993 p. 263 ; CA Paris, 13 janvier 1994, Lezeau, Rev. droit bancaire et bourse 1994 p. 37 ; CA Paris, 26 janvier 1999, Cauval Industries, Rev. droit bancaire et bourse 1999 p. 34). Cette volonté d’appliquer les règles du droit public nous donne à croire que les juridictions judiciaires seront attentives à la solution que vous adopterez.

Le risque, en retenant un régime de responsabilité pour faute simple, est d’ôter au contrôleur comme aux contrôlés toute marge de manœuvre et d’initiative. Aux contrôlés, parce que le contrôleur sera incité, pour tenter de se couvrir, à multiplier des contrôles tatillons ; au contrôleur parce que celui-ci ne voudra plus agir qu’à la condition d’être certain de ne pas commettre d’erreur.

On peut se demander si un tel système est compatible avec l’office même de la régulation, qui est en général d’orienter l’évolution d’un secteur économique en train de s’ouvrir à la concurrence, et qui suppose, par suite, un niveau élevé de flexibilité et de souplesse afin d’assurer une adaptation constante de la réglementation et des techniques de contrôle à une situation mouvante. La régulation exige une marge d’initiative et d’action, que contribuerait à assurer l’octroi d’une « franchise de responsabilité  » , selon l’heureuse formule de Jacques-Henri Stahl.

Il nous semble important de prendre en considération le fait que la régulation est une pièce à trois personnages : régulateur, opérateurs économiques, usagers. Un équilibre doit pouvoir être établi par le régulateur entre la liberté du secteur et la nécessité de protéger les usagers. Dans un régime de faute simple, la pression des usagers peut conduire le régulateur à restreindre drastiquement la liberté du commerce et de l’industrie par un excès de réglementation. Du risque bien connu de capture du régulateur par les opérateurs, on tomberait dans le risque tout aussi redoutable de capture du régulateur par les usagers.

Nous vous proposons donc d’annuler pour erreur de droit l’arrêt déféré à votre censure, qui a retenu, pour engager la responsabilité de l’État, un régime de faute simple et non un régime de faute lourde.

Cela impliquera de rejeter le pourvoi en cassation incident formé par les défendeurs pour obtenir la réévaluation de l’indemnité que l’arrêt attaqué avait condamné l’État à leur verser (CE, 25 janvier 1995, Commune de Simiane-Collongue, Rec. p. 40).

Vous pourrez ensuite régler le litige par application de l’article L.821-2 du code de justice administrative, ce qui vous permettra d’entrer dans le fond de l’affaire, qui est fort intéressant.

II. – L’action en responsabilité contre l’Etat : La banque U.B.C. était un établissement créé en 1976 (sous la dénomination de Middle East Bank) par un financier libanais, M. Joe Kairouz, dont les capitaux, les déposants et les créanciers étaient pour l’essentiel d’origine libanaise. Les difficultés de la banque ont culminé dans les années 1987-1989, c’est-à-dire à un moment où la situation au Liban s’était considérablement dégradée après les événements de Sabra et Chatilah en 1985.

Le 14 avril 1989, la brigade financière informe la Commission bancaire qu’un circuit de cavalerie mettant en cause trois établissements bancaires, dont l’U.B.C., avait été mis au jour. Les dirigeants de la banque sont arrêtés et inculpés. Une inspection sur place est aussi diligentée par la Commission bancaire qui découvre une situation critique quant à la trésorerie et à la solvabilité, ainsi que des manœuvres irrégulières consistant dans la création de sociétés « offshore » afin de contourner la réglementation prudentielle sur la division des risques.

Le 5 mai 1989, la Commission bancaire, au vu de ces constatations, retire l’agrément de la banque qui est placée en état de redressement judiciaire le 9 mai 1989. Dans un jugement du 5 janvier 1994, le tribunal de commerce de Paris fixera au 26 mai 1988 la date de cessation des paiements. Le plan de cession des actifs de l’UBC au profit de l’Association de Défense des Déposants est approuvé le 22 janvier 1991 par le tribunal de commerce.

Parallèlement, les dirigeants de la banque, MM. Obegi, Nasr, Ignace et Joe Kairouz, sont reconnus coupables des délits d’obstacle au contrôle de la Commission bancaire et de communication à cet organisme de renseignements inexacts par deux jugements du tribunal correctionnel de Paris des 4 juillet 1991 et 13 février 1992, confirmé pour le premier par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 22 septembre 1993.

1. – Le contentieux engagé par les déposants de la banque : Entre-temps, une partie des déposants ont demandé à l’État la réparation des préjudices qu’ils estiment avoir subis du fait de la faute lourde de la Commission bancaire dans l’exercice de sa mission de surveillance. Cette demande a été rejetée par le ministre du budget le 24 juillet 1992, puis par le tribunal administratif de Paris par deux jugements du 7 juillet 1993, qui ont considéré que la Commission bancaire n’avait pas commis de faute lourde. Ces deux jugements sont frappés d’appel par 75 des 76 demandeurs de première instance, par deux pourvois enregistrés au greffe de la cour administrative d’appel de Paris sous les n°s 93 PA 0150 et 93 PA 0151 qui pourront être joints.

a) La recevabilité de la demande de première instance doit être examinée au regard de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises [28], puisque la banque faisait l’objet d’une procédure collective. L’article 46 de cette loi disposait que : « sans préjudice des droits reconnus aux contrôleurs, le représentant des créanciers désigné par le Tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt des créanciers.  »

b) Votre jurisprudence ne s’est jamais prononcé sur l’application de l’article 46 de la loi du 25 janvier 1985 ; elle est en revanche fort bien établie sur l’application des articles 47 à 53 prévoyant la suspension ou l’interdiction de toute action en justice de la part des créanciers à compter du jugement d’ouverture ou de la procédure de redressement judiciaire et l’obligation qui leur est faite de déclarer leurs créances. Vous avez jugé que s’il résulte de ces dispositions « qu’il appartient de façon exclusive à l’autorité judiciaire de statuer sur l’admission ou la non-admission des créances déclarées », le juge administratif reste compétent pour statuer sur l’action en garantie décennale introduite par une collectivité publique à l’encontre d’une entreprise admise à une procédure de redressement judiciaire, sans qu’y fasse obstacle le défaut de déclaration de la créance « dès lors que [ces conclusions] ne sont elles-mêmes entachées d’aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l’appréciation relève de la juridiction administrative et ce sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d’avoir sur l’extinction de cette créance.  » (CE, Avis, 20 janvier 1992, Société Jules Viaux et Fils, Rec. p. 31, CJEG 1992 p. 327 concl. de Mme le président Laroque). A lire cet arrêt, la commune requérante pouvait saisir directement la juridiction administrative ; celle-ci n’a à examiner la recevabilité de sa demande qu’au regard des règles qui lui sont propres, et n’a pas à se préoccuper du déroulement de la procédure collective qui n’affecte que l’exécution de la décision par laquelle la juridiction administrative fixe les droits sur lesquels elle a compétence pour prononcer. Cette solution ne fait d’ailleurs que prolonger celle qu’avait déjà retenu, sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967, votre décision de Section du 3 février 1978 « Mariani, ès qualités et société de terrassement et de mécanique dite “Durance-Agrégats” » (Rec. p. 48 concl. de M. le président Gentot).

Mais dans ces deux affaires, c’était la collectivité publique qui recherchait la responsabilité de l’entreprise défaillante, alors que vous avez à connaître d’un cas de figure différent, dans lequel les créanciers de cette dernière poursuivent la collectivité publique. Lorsque vous condamnez l’entreprise défaillante, vous pouvez en effet dire que vous ne faites que fixer les droits de son créancier et que le recouvrement de cette créance est subordonné à l’issue de la procédure devant le juge judiciaire. Mais si vous condamnez l’État à indemniser directement les créanciers qui vous ont saisis pour la part qui les concerne d’un préjudice à caractère collectif, vous allez frustrer la masse des créanciers des sommes en cause, ce qui risque de violer le principe de traitement égal des créanciers.

c) Ce risque n’existe toutefois que pour autant que les déposants sont comme des créanciers comme les autres. En effet, le monopole du représentant des créanciers ne concerne, selon la jurisprudence judiciaire, que les actions exercées dans l’intérêt collectif, défini par la Cour de cassation comme l’aggravation du passif ou la diminution de l’actif par suite des fautes d’un tiers (Com., 7 janvier 1976, Bull. civ. IV n° 6 ; Ass. plen., 9 juillet 1993, D. 1993 jur. p. 469 note Derrida, JCP éd. G. 1993.II.22122 note Pollaud-Dulian, JCP éd. E 1993.I.536 n° 298 obs. Cabrillac) [29]. L’hypothèse classique est celle de la banque qui soutient abusivement l’entreprise défaillante (CA Paris, 11 octobre1994, Jurisdata n° 023542), qu’on peut rapprocher de celle de l’autorité de surveillance qui l’a abusivement laissé poursuivre son activité.

Mais il nous semble que les déposants d’une banque sont, au moins pour le numéraire, des créanciers d’un type un peu particulier, dont l’intérêt ne recouvre pas exactement celui de l’ensemble des créanciers.

En ce sens, on peutnoter tout d’abord que la jurisprudence de la Cour de cassation, sans être d’ailleurs parfaitement fixée, a évolué. Elle a d’abord regardé les déposants comme propriétaires de leurs fonds, qui constituaient alors, à proprement parler, un dépôt au sens de l’article 1915 du code civil (Civ. 2e, 8 février 1961, Gaz. Pal. 1961 2 jur. p. 19). Cette analyse continue de prévaloir pour les dépôts de titres (Com., 9 janvier 1990, D. 1990 p. 173 note Brill, JCP 1990.II.21459 note Stoufflet, Rev. trim. dr. civ. 1990 p. 652 obs. Mestre) ou de valeurs déposées dans un coffre (Civ. 1ère, 29 novembre 1983, Bull. civ. I n° 280).

Pour les dépôts en numéraire, cette conception avait des inconvénients dans la mesure où l’on pouvait soutenir qu’en utilisant les fonds à son profit, la banque commet un abus de confiance et où, d’autre part, en cas de faillite, les déposants passent avant tous les créanciers. La Cour de cassation a donc été amenée à assimiler les déposants à des créanciers, par des arrêts dont chacun a cependant été rendu dans un cas un peu particulier (pour une caisse d’épargne : Civ. 1ère, 20 avril 1983, D. 1984 IR p. 78 obs. M. Vasseur ; pour un dépôt sur un CCP : Civ. 1ère, 7 février 1984, D. 1984 jur. p. 638 note Larroumet). En outre, même pour les dépôts en numéraire, certains arrêts analysent les obligations de la banque au regard des articles 1915 et suivants du code civil (Com., 28 janvier 1992, Bull. civ. IV n° 37).

On ne peut à notre avis en tirer l’idée d’une assimilation en tous points des déposants aux créanciers chirographaires. Une partie de la doctrine civiliste insiste sur le particularisme du dépôt en banque [30], et le professeur Alfandari émet pour sa part l’avis qu’il est plus proche d’un dépôt au sens traditionnel du terme que d’une créance, dès lors qu’on prend en compte la volonté du déposant, qui n’est certes pas de consentir un prêt à sa banque, et la nature fongible de la monnaie, qui implique qu’en cas de retrait, ce sont bien les sommes déposées elles-mêmes qu’on restitue au déposant [31].

L’évolution législative récente soutient notre intuition en accentuant le particularisme des dépôts en numéraire. La loi n° 99-532 du 25 juin 1999 relative à l’épargne et à la sécurité financière est venue dispenser les déposants de la déclaration obligatoire pour les autres créanciers en ce qui concerne leurs dépôts en numéraire y compris pour la fraction qui excède le montant d’intervention du fonds de garantie des dépôts [32]. C’est confirmer, dans le contexte juridique de la mise en place d’une garantie obligatoire mais partielle des dépôts, la nature spécifique de ceux-ci.

Nous sommes donc d’avis que les déposants peuvent faire valoir un droit propre distinct de celui de l’universalité des créanciers et qu’ainsi leur demande est recevable. C’est d’ailleurs ce que vous avez déjà admis de manière implicite dans votre décision de Section du 24 janvier 1964 « Ministre c. Achard et autres » (préc.), alors que la loi du 4 mars 1889 modifiée par la loi du 4 avril 1890 sur la liquidation judiciaire et le décret-loi du 20 mai 1955 posaient déjà un principe de la « suspension de toute poursuite individuelle des créanciers faisant partie de la masse  » [33].

2. – La Commission bancaire a-t-elle commis une faute lourde dans la surveillance de la banque U.B.C. ? La banque avait connu une première dégradation de sa situation financière en 1985, relevée par une inspection sur place de la Commission bancaire. Celle-ci avait engagé une procédure disciplinaire à l’égard de la banque, qui avait réagi en augmentant ses fonds propres de manière suffisante. Compte tenu cependant d’insuffisances persistantes, un avertissement avait été donné à la banque le 10 janvier 1986.

a) Absence de réaction rapide à la suite du rapport d’inspection du 5 mai 1987 : Au début de 1987, une inspection diligentée par la Commission bancaire fait apparaître une nouvelle dégradation de la situation financière. La banque détient des créances sur le Moyen Orient dont 54 millions de francs doivent être considérées comme douteuses et faire l’objet de provisions ; des provisions doivent également être passées pour consolider les risques pays à hauteur de 21 millions de francs ; comme les fonds propres sont au minimum alors exigé par la réglementation (15 millions de francs), la banque a donc besoin d’être recapitalisée à hauteur de près de 75 millions de francs. L’inspecteur relève en outre une insuffisante division des risques, du fait de la concentration de concours sur un petit nombre de clients.

Les dirigeants de la banque se proposent d’apporter immédiatement 25 millions de francs, sous forme d’un emprunt participatif. L’inspecteur remet son rapport le 5 mai 1987, en relevant la bonne volonté des dirigeants. Le 30 juin 1987, le prêt participatif est effectivement mis en place.

Ce n’est cependant que le 6 octobre 1987, que la Commission bancaire envoie à la banque une « lettre de suite » en lui demandant de trouver « dans les meilleurs délais » les 50 millions de francs qui demeurent nécessaires. D’où, selon les requérants, une première faute : compte tenu de la gravité de la détérioration de la situation financière qui conduisait à « s’interroger sur les chances d’avenir de l’établissement », accentuée par le fait que des manquements similaires avaient déjà été relevés lors d’inspections antérieures, la Commission bancaire aurait dû « une fois qu’elle avait pris connaissance des conclusions du rapport, exercer sur la banque une vigilance accrue et […] proposer sans tarder à ses dirigeants les mesures propres à assurer le redressement de la gestion de l’établissement ».

Il apparaît certain que le délai de réaction de la Commission bancaire, soit 5 mois, a été d’une durée inhabituelle : en 1985, alors que les problèmes relevés étaient sensiblement équivalents, la Commission avait réagi en 3 jours.

La Commission bancaire ne soutient pas qu’elle a fait quoi que ce soit pendant ce délai de 5 mois, sinon continuer à observer la situation de la banque « avec vigilance », et recueillir les observations de l’établissement sur le rapport d’inspection afin de respecter le principe du caractère contradictoire de la procédure.

Il reste cependant que le délai de réflexion que la Commission semble avoir voulu se donner peut s’expliquer par les gages de bonne volonté donnés par les dirigeants de la banque qui avaient mobilisé rapidement un prêt participatif de 25 millions de francs. Cet apport de fonds propres permettait de provisionner la moitié des créances douteuses. Il restait certes à provisionner les créances pays, mais cette exigence résultait, en 1987, d’une réglementation nouvelle, d’ailleurs dépourvue de sanction, ce qui peut expliquer que la Commission bancaire a estimé qu’à compter de la fin juin 1987 la situation – si elle méritait certainement un suivi attentif – avait perdu son caractère d’extrême urgence. Enfin, s’il est exact que, comme le relève l’arrêt attaqué, la banque avait déjà connu des difficultés similaires dans le passé, il nous semble excessif d’y voir une circonstance aggravante alors que des mesures correctrices avaient été rapidement prises à la suite des inspections diligentées par la Commission bancaire.

Dans ces conditions, il nous semble que, dans les circonstances de l’espèce, la Commission bancaire n’a pas commis de faute lourde en attendant cinq mois avant d’envoyer la lettre de suite.

b) En deuxième lieu, les demandeurs reprochent à la Commission bancaire l’acceptation du prêt participatif de 25 millions de francs alors que ce prêt, consenti par les actionnaires de la banque, eux-mêmes endettés auprès de celle-ci, ne pouvait constituer une méthode satisfaisante de recapitalisation de l’établissement.

Déjà, en 1985, les fonds propres avaient été augmentés par un apport en capital de 25 millions de francs et un prêt participatif de 25 millions de francs avec des sociétés du groupe Kairouz. En 1987, la Commission bancaire a pris acte d’une augmentation des fonds propres de 25 millions de francs, réalisée selon la même méthode, et exigé une augmentation supplémentaire de 50 millions, ultérieurement ramenée à 20 millions de francs, vraisemblablement sous forme d’un apport en capital.

Il nous semble que c’est ce plan de financement global qu’il faut avoir à l’esprit. La question n’est donc pas de savoir si le prêt participatif était acceptable, mais si la Commission bancaire pouvait admettre qu’une augmentation de fonds propres de 75 millions de francs soit réalisée pour le tiers par un prêt participatif souscrit par des sociétés du groupe Kairouz.

Vu sous cet angle, il nous semble qu’il s’agit d’un faux problème, car prêt participatif ou augmentation de capital, les fonds venaient toujours du groupe Kairouz. Comme la banque finançait le groupe Kairouz, on peut toujours soutenir qu’il s’agit d’un circuit fermé. Aussi faudrait-il démontrer que le prêt participatif a été financé ou refinancé par la banque : cela n’est pas établi au vu du dossier.

c) Attitude de la Commission bancaire entre octobre 1987 et janvier 1988 : La lettre de suite finalement envoyée par la Commission bancaire le 6 octobre 1987 invitait, nous l’avons dit, l’établissement à renforcer ses fonds propres à hauteur de 50 millions de francs « dans les meilleurs délais » sous la menace de sanctions disciplinaires.

A la suite de ce courrier, la Commission a cherché à négocier avec la banque, méthode qui lui avait bien réussi à la suite de l’inspection de 1985 puisqu’elle avait permis un renforcement important des fonds propres. Mais cette négociation a traîné en longueur, et en définitive, lors d’une réunion organisée le 4 décembre 1987, deux mois après l’envoi de la lettre de suite, la Commission bancaire a accepté de laisser à la banque jusqu’à la fin mai 1988 pour augmenter ses fonds propres de 50 millions.

La Commission bancaire a ainsi toléré, selon les termes de l’expert commis par la juridiction d’appel, « le maintien d’une situation particulièrement grave à la banque UBC » alors que « le renforcement des fonds propres était une nécessité immédiate afin de régulariser la situation de la banque au vu de la réglementation bancaire et de rétablir sa solvabilité » [34]. La situation était à vrai dire si grave que, comme l’a jugé le tribunal de commerce, la banque était en était de cessation des paiements dès le 26 mai 1988, c’est-à-dire avant l’expiration du délai octroyé par la Commission bancaire.

Or, aucun élément ne pouvait justifier que la Commission bancaire assouplît ses exigences à l’égard de la banque. La faute de la Commission apparaît sur ce point patente : s’il lui était loisible de négocier avec la banque, cette négociation devait, compte tenu de la gravité de la situation, être menée rapidement, avec détermination et fermeté. En laissant traîner les choses, en accordant des délais excessifs, la Commission bancaire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Et cette faute est une faute lourde parce qu’elle est véritablement inexplicable. Il s’agit d’un cas de figure tout à fait similaire à celui de votre décision de Section du 24 janvier 1964 « Ministre c. Achard et autres » (préc.), dans laquelle vous avez regardé comme une faute lourde de la Commission de contrôle des banques la carence à prendre les mesures nécessaires au suivi du contrôle qu’elle avait effectué et qui faisait apparaître que l’établissement se trouvait dans une situation gravement irrégulière.

d) La Commission bancaire ne s’en est pas tenu là. Le 14 mars 1988, elle revenait également sur ses premières exigences en admettant que soient analysés séparément, au regard de la réglementation prudentielle, et non ensemble, les engagements de la banque sur l’Union Nationale et le Groupe Kairouz, alors que la première société était une filiale de la seconde.

Sans doute, en l’état de la réglementation alors applicable, la Commission bancaire avait seulement la faculté d’exiger le regroupement de ces créances ; mais dès lors qu’elle l’avait fait, il est « inexplicable », pour reprendre la formule de l’expert [35] qu’elle ait ensuite battu en retraite. Aussi, sur ce point, nous sommes d’avis que la Commission bancaire a commis une faute lourde, du même ordre que celle que nous avons déjà admise : il n’était pas raisonnable, alors que la banque était dans une situation sérieuse, de lui céder sur des exigences pourtant minimales.

e) Absence de nouvelle mission d’inspection en 1988 : En dernier lieu, les requérants reprochent à la Commission bancaire de n’avoir pas procédé à un nouveau contrôle sur place pour vérifier la manière dont la banque mettait en œuvre les mesures de redressement qui lui avaient été prescrites.

La banque avait fait l’objet de contrôles sur place en 1979, 1984, 1985 et 1987 ; ces contrôles avaient fait apparaître, pour les derniers d’entre eux, certaines insuffisances, qui justifiaient certainement qu’un nouveau contrôle sur place soit diligenté dans un délai raisonnable. On note d’ailleurs qu’en 1985, alors que la banque avait connu des difficultés comparables, la Commission bancaire avait suivi de très près la situation en diligentant deux inspections dans la même année.

Mais il n’y a pas lieu de s’intéresser à la période postérieure au mois d’avril 1989, puisqu’à cette date, la justice pénale s’est saisie du dossier, la Commission bancaire ayant, pour sa part, prononcé le retrait d’agrément le 5 mai 1989 : à ce moment-là, il n’était plus temps d’inspecter.

Fallait-il pour autant le faire nécessairement entre mai 1988 – terme fixé à la banque pour se recapitaliser – et avril 1989 ? Cela n’a rien d’évident. La Commission bancaire suivait attentivement la situation de la banque ; elle était en relations régulières avec ses dirigeants ; elle pouvait légitimement penser qu’elle connaissait bien les problèmes qui se posaient et qu’une vérification sur place n’aurait rien apporté de nouveau. Elle n’avait aucune raison sérieuse de penser que – comme la suite de l’histoire l’a révélé – les dirigeants de la banque se livraient à des montages compliqués pour lui dissimuler la gravité de la situation de l’établissement. Leur réputation était alors très correcte, et la Commission était fondée à penser qu’ils négociaient avec elle de bonne foi, et dans la transparence.

2. – Vous devez maintenant vous interroger sur l’existence d’un lien direct de causalité entre les deux fautes lourdes imputables à la Commission bancaire et le dommage subi par M. KECHICHIAN et autres, qui réside dans la perte des sommes inscrites en compte dans les livres de la banque.

a) Une première manière de raisonner est esquissée par votre arrêt de Section du 24 janvier 1964 « Ministre des finances c. Achard » (préc.), le seul dans lequel vous avez à ce jour retenu la responsabilité de l’État dans ce domaine : vous avez déclaré l’État responsable « du préjudice que [le] défaut de surveillance pouvait avoir entraîné pour les clients de l’établissement postérieurement au 27 juin 1955 », date à laquelle la Commission aurait dû intervenir autrement qu’elle ne l’avait fait. En filigrane, on trouve l’idée que si la Commission bancaire avait pris, au moment où elle aurait dû agir, la mesure la plus rigoureuse, c’est-à-dire la liquidation de la banque, les clients n’auraient perdu que leurs dépôts à cette date ; la carence de la Commission bancaire leur a fait perdre en outre l’accroissement de ces dépôts entre cette date et la liquidation de l’établissement : soit une certaine somme pour les clients dont les dépôts ont augmenté, et rien pour ceux dont les dépôts ont diminué ou sont restés stables.

b) Cette méthode est sans doute intellectuellement très rigoureuse. Mais, sur le plan de l’équité, il est tout de même difficile de faire comprendre aux déposants dont les avoirs n’ont pas augmenté qu’ils n’ont subi aucun préjudice imputable à la Commission bancaire. Surtout, elle se heurte à une difficulté pratique qui nous semble difficilement surmontable. En effet, les déposants ont pu recouvrer une partie de leurs avoirs, en l’espèce près des deux tiers. Or il ne nous semble pas possible de déterminer quelle fraction de ce remboursement devrait être imputée sur la somme correspondant à l’accroissement des dépôts. C’est pourquoi nous préférons considérer, de manière sans doute plus fruste, que le préjudice est constitué par la fraction non remboursée des dépôts et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute de la Commission bancaire et ce préjudice.

c) Toutefois, ce préjudice a également pour cause, et même pour cause principale, la carence de la banque. Dans une telle situation, il y a lieu à procéder à un partage de responsabilité que M. le président Galmot, dans ses conclusions sur l’arrêt de Section du 14 octobre 1966 « Marais » (publiées au D. 1966 p. 636) qualifie de « forfaitaire », parce qu’il est retenu dans l’hypothèse « où deux faits générateurs concourent chacun à la réalisation d’une partie du dommage » mais où il est « impossible d’évaluer de façon précise la part de préjudice qui incombe à chacun ».

Il nous semble que vous pourrez faire une juste appréciation de la part imputable à l’État en la fixant à 10% du préjudice. Vous condamnerez donc l’État à verser aux demandeurs des sommes ainsi calculées, en assortissant cette condamnation des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts échus aux dates auxquelles elle a été demandée.

V. – Les frais d’expertise ont été taxés et liquidés par une ordonnance du président de la cour administrative d’appel de Paris du 4 février 2000 à la somme de 484.509,90 francs. Vous les mettrez à la charge de l’État.

Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, l’État, qui perd pour l’essentiel sur le fond, doit être regardé comme la partie perdante aussi bien dans l’instance d’appel que dans l’instance de cassation (Rappr. CE, 15 novembre 2000, Association de sauvegarde du site de Courcourt, n° 200.819, à paraître au Recueil). Vous le condamnerez donc à verser à M. KECHICHIAN et autres les sommes qu’ils demandent au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

PAR CES MOTIFS, nous concluons :

• à l’annulation de l’arrêt attaqué ;

• à l’annulation des jugements du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 1993 ;

• à la condamnation de l’État à verser à M. KECHICHIAN et autres la moitié des sommes qu’il avait été condamné à leur verser par l’arrêt attaqué de la cour administrative d’appel de Paris, sauf en ce qui concerne M. Robert MATTA, qui recevra une somme de 48.368 francs, M. Sami SHOUGHAYAR, qui recevra une somme de 14.418 francs et M. et Mme DOUMET et à M. SHOUGHAYAR, qui recevront solidairement une somme de 42.754 francs, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception des demandes indemnitaires par le ministre de l’économie et des finances, les intérêts échus aux 4 novembre 1993, 3 mai 1995, 15 juin 1998, 16 novembre 1999 et 5 février 2001, pour les requérants dont la requête a été enregistrée sous le n° 93PA01250 au greffe de la cour administrative d’appel de Paris, et aux 4 novembre 1993, 3 mai 1995 et 5 février 2001 pour les requérants dont la requête a été enregistrée sous le n° 93PA01251, étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêt ;

• à la condamnation de l’État à verser à M. KECHICHIAN et autres la somme globale de 110.000 francs au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

• au rejet du surplus des conclusions de l’appel de M. KECHICHIAN et autres et de leur pourvoi en cassation incident ;

• à ce que les frais d’expertise exposés en appel soient mis à la charge de l’État.


[1] 28 USCA §§ 2671 à 2680

[2] « discretionary function » c’est-à-dire pour les dommages résultant « de l’action ou de l’omission d’un employé du gouvernement faisant preuve de la diligence requise dans l’exécution d’une loi ou d’un règlement […] ou de l’exercice, la réalisation, le défaut d’exercice ou de réalisation d’un pouvoir discrétionnaire par une agence fédérale ou un employé du gouvernement, même en cas d’abus de ce pouvoir. » (« [a]ny claim based upon an act or omission of an employee of the Government, exercising due care, in the execution of a statute or regulation, whether or not such statute or regulation be valid, or based upon the exercise or performance or the failure to exercise or perform a discretionary function or duty on the part of a federal agency or an employee of the Government, whether or not the discretion involved be abused. » 28 U.S.C. 2680(a))

[3] 499 U.S. 315, 325 n. 7 (1991) – V. également : Emch vs United States, 630 F.2d 523 (7th Cir. 1980) ; Golden Pacific Bancorp. vs Acting Controller of the Currency, 837 F.2d 512 (CA5 DC 1988) ; ALX El Dorado Inc. vs. Southwest Savings & Loan Association, 36 F.3d 409 (CA5 Tex. 1994)

[4] Bank of England : section 1(4) Banking Act 1987

[5] [2001] UKHL / 16

[6] BGHZ 74, 144 à 147

[7] BGHZ 75, 120 à 122

[8] art. 6(4) KWG

[9] Conseil d’État, Rapport public annuel 2001, Paris, La Documentation française, 2001, p. 303

[10] ibid., p. 310

[11] Conseil d’Etat, La responsabilité pénale des agents publics en cas d’infractions non-intentionnelles, Paris, La Documentation française, 1996 (étude adoptée par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 9 mai 1996)

[12] « Toute erreur ne sera pas nécessairement fautive ; certaines d’entre elles n’engageront pas la responsabilité pécuniaire de la collectivité publique. » (concl. Jacques-Henri Stahl sur CE, Sect., 20 juin 1997, Theux, Rec. p. 259) « Il s’agit, à propos des actes accomplis par le médecin hospitalier et selon la nature de chacun d’entre eux, de faire passer la limite de la responsabilité pécuniaire de l’établissement entre d’un côté l’erreur isolée, la maladresse légère ou l’imprudence minime explicable par une situation d’urgence – disons l’erreur non fautive et de l’autre côté la faute […] » (concl. Hubert Legal sur CE, Ass., 10 avril 1992, Époux V***, Rec. pp. 179-180)

[13] p. ex. selon M. le doyen Lebreton, « l’abandon de la faute “lourde” au profit de la faute “simple” ne recouvre dans la plupart des cas aucune réalité tangible […] Hormis le vocabulaire, rien ne change […] vraiment. » (D. 1998 jurispr. p. 538)

[14] selon une conception qu’on peut rapprocher de la formule romaine non intellegere quod omnes intellegunt : la faute lourde sera le plus souvent le fait de ne pas comprendre ce que n’importe qui devrait comprendre, elle supposera en règle générale, selon la formule du doyen Carbonnier « une sorte d’épaisseur de la sottise » (Jean Carbonnier, Droit civil, Paris, Presses Universitaires de France, 12e éd., 1985, tome IV, p. 288 § 73)

[15] distinction préconisée, dans le droit de la responsabilité civile, par André Tunc : International Encyclopaedia of Comparative Law, vol. XI, Torts, chap I, Introduction, n°s 143-146 ; « Fault : A Common Name for Different Misdeeds », Tulane Law Review, January 1973, p. 279 ; La responsabilité civile, 2e éd., 1989 n°s 149 et s. et 165. V. également Jean Penneau, Faute et erreur en matière de responsabilité médicale, Paris, LGDJ, 1974, n°s 321 et s. – Selon M. le doyen Lebreton, « la jurisprudence substitue désormais à l’ancienne distinction faute lourde / faute simple la nouvelle distinction faute / “erreur non fautive” qui lui ressemble étrangement. […] dans les domaines desquels elle a été officiellement bannie ces dix dernières années, la faute lourde survit sous l’étiquette de la “faute”, alors que l’ancienne faute simple se dissimule désormais derrière le masque de l’“erreur non fautive”. […] Par un tour de passe-passe on escamote la faute lourde, qu’on fait réapparaître à travers la “faute”, tandis que la véritable faute simple, sommée de lui céder la place, ressurgit du chapeau de l’“erreur non fautive”, en contradiction avec la jurisprudence selon laquelle toute illégalité est une faute. » (D. 1998 jurispr. p. 539)

[16] voir : M. Jambu-Merlin, « Dol et faute lourde », D. 1955 chron. 89 ; V. Voisenet, La faute lourde, Th. Dijon, 1934 ; Roblot, « De la faute lourde en Droit privé français », RTDC 1943 pp. 15 et s. ; G. Viney, « Sur la distinction entre fautes intentionnelles, inexcusables et lourdes », D. 1975 chron. 263

[17] voir cependant : M. Lombard, note préc. sous CE, Ass, 29 décembre 1978, Darmont, AJDA 1979 p. 45 ; Maryse Deguergue, « Sanctions administratives et responsabilité », in AJDA n° spécial 2001 « Les sanctions administratives » p. 81

[18] Pothier, Traitédesobligations, tome II, Observations générales, p. 411 et s.

[19] responsabilité du fermier en cas d’incendie de la ferme (art. L.415-2 du code rural), responsabilité du salarié à l’égard de l’employeur en raison du résultat défectueux de son activité (Soc., 19 mai 1958, Bull. civ. IV n° 612, D. 1959 p. 20 note Lindon, JCP 1959.II.11143 note Brethe de La Gressaye ; Soc., 27 novembre 1958, Bull. civ. IV n° 2159 ; Soc., 22 mai 1975, Bull. civ. IV n° 265 ; Soc., 22 mars 1979, D. 1979 IR p. 505 ; Soc., 23 septembre 1992, Bull. civ. V n° 466 ; Soc., 6 mai 1997, Bull. civ. V n° 167), responsabilité personnelle de l’employeur en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle (art. L.452-5 du code de la sécurité sociale).

[20] René Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée. Les influences réciproques des jurisprudences administrative et judiciaire, nouveau tirage, Paris, LGDJ, 1957, p. 371

[21] Dans la décision du 6 octobre 2000 « Ministre de l’intérieur c. commune de Saint-Florent et autres » (préc.), la faute lourde de l’Etat est écartée sur l’un des points soulevés au motif que le retard du préfet à dissoudre un syndicat intercommunal dont les communes requérantes étaient membres tenait essentiellement au refus de plusieurs de ces communes d’émettre l’avis qui leur était demandé sur cette dissolution.

[22] source : C. Léguevaques, Op. cit., p. 187

[23] ibid.

[24] ajoutant à la loi bancaire un article 52-1 selon lequel : « tout établissement de crédit agréé en France adhère à un système de garantie destiné à indemniser les déposants en cas d’indisponibilité de leurs dépôts ou autres fonds remboursables. »

[25] voir en outre les règlements d’application du Comité de la réglementation bancaire, n°s 99-05 à 99-09 (JORF 27 juillet 1999, p. 11.151 et s.)

[26] Source : Association française des banques – cité par Duncan Fairgrieve et Kristell Belloir,, art. cit., p. 21

[27] 100 MF sur 158 MF d’encours en mai 1989 – rapport d’expertise, t. I, p. 181

[28] sur cette question voir C. Léguevaques, Op. cit., p. 553 et s. ; id. auct., « De la responsabilité professionnelle de la Commission bancaire », Les Echos, 10 avril 2001

[29] V. Marie-Anne Frison-Roche, « Le caractère collectif des procédures collectives », Rev. jur. com. 1996 p. 296 et s.

[30] Ripert et Roblot, Droit commercial, tome 2, n°s 2361 et s. ; C. Larroumet, note D. 1984 jur. p. 640 ; A. Bénabent, Droit civil : les contrats spéciaux, n° 762 ; Collard-Dutilleul et Delebecque, Contrats civils et commerciaux, n° 822

[31] Elie Alfandari, « Les droits des créanciers et des déposants d’un établissement de crédit en difficulté », D. 1996 chron. p. 277

[32] V. décret n° 2000-1307 du 26 décembre 2000 modifiant le décret n° 84-708 du 24 juillet 1984 pris pour l’application de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, art. 12-3 I.

[33] ancien art. 474 du code de commerce

[34] rapport d’expertise, tome I, p. 132 et 133

[35] rapport, tome I, p. 164

© - Tous droits réservés - Alain SEBAN - 15 juin 2002

 


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