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Conclusions sous Conseil d’Etat, 27 Octobre 1999, Fédération Française de Football

Par Edmond HONORAT
Maître des requêtes au Conseil d’Etat

La présente affaire est l’un des nombreux épisodes judiciaires de l’affaire dite « OM-VA », dont le Conseil d’Etat a déjà eu à connaître avec l’arrêt de Section du 5 mai 1995, Burruchaga, p. 197, aux conclusions de Ronny Abraham. Elle met en cause les sanctions prises par la Fédération Française de Football à l’égard de Bernard TAPIE.

La présente affaire est l’un des nombreux épisodes judiciaires de l’affaire dite « OM-VA », dont le Conseil d’Etat a déjà eu à connaître avec l’arrêt de Section du 5 mai 1995, Burruchaga, p. 197, aux conclusions de Ronny Abraham. Elle met en cause les sanctions prises par la Fédération Française de Football à l’égard de Bernard TAPIE.

1°) On rappellera que l’affaire trouve son origine dans la tentative de corruption de trois joueurs de l’Union sportive de Valenciennes-Anzin (MM. GLASSMAN, ROBERT et BURRUCHAGA) par des dirigeants (MM. TAPIE et BERNES) et un joueur (M. EYDELIE) de l’olympique de Marseille, à l’occasion d’un match décisif pour l’attribution du titre de champion de France 1993, qui a eu lieu à Valenciennes, le 20 mai 1993.

A la suite d’une réclamation du club de Valenciennes à la mi-temps et de déclarations de Jean-Jacques GLASSMAN à l’issue de ce match, la Ligue Nationale de Football a diligente une enquête interne qui a débouché sur une plainte devant le tribunal de grande instance de Valenciennes (4 juin 1993) et sur la saisine de la Commission supérieure juridique et de discipline de la Ligue (23 juillet 1993).

a) La Commission de discipline a décidé, le 4 septembre 1993, de surseoir à statuer sur les procédures disciplinaires jusqu’à ce que les faits soient plus clairement établis dans le cadre de la procédure judiciaire en cours.

Le Conseil fédéral de la Fédération Française de Football a alors décidé, à la demande de 15 de ses membres, « d’évoquer » l’affaire, dans « l’intérêt supérieur du football », en application de l’article 24 des statuts de la fédération.  Il a entendu les protagonistes, le 21 septembre 1993.

b) Le 22 septembre 1993, le Conseil fédéral a décidé que les joueurs en cause, dont José BURRUCHAGA, ne pourraient se voir délivrer de licence jusqu’à nouvel ordre. Il a réservé, en revanche, sa décision en ce qui concerne les présidents de clubs, dont M. TAPIE.

C’est cette décision qui a été attaquée par M. BURRUCHAGA, dont vous avez rejeté le recours par la décision de Section à laquelle nous faisions allusion en introduction.

c) Après avoir procédé à de nouvelles auditions, le Conseil fédéral a notamment décidé, le 22 avril 1994, de retirer à M. TAPIE sa licence et de lui interdire à l’avenir d’exercer quelque fonction que ce soit dans le football français, et, en particulier, de représenter un club.
 

- que MM.  EYDELIE, ROBERT et BURRUCHAGA ne pourraient obtenir à nouveau une licence dans le football français avant le 1er juillet 1996, la fédération ne s’opposant pas toutefois, à partir du 1er juillet 1994, à ce qu’ils aillent jouer à l’étranger ;

- que M. BERNES ne pourrait prétendre, « à vie, à la délivrance d’une licence lui permettant d’exercer une quelconque fonction officielle dans le football » ;

- que la licence de dirigeant de M. Bernard TAPIE lui serait retirée et qu’il serait « interdit de lui délivrer une licence dans le football français à quelque titre que ce soit et notamment pour représenter officiellement un club ».

2) C’est cette dernière décision que M. Bernard TAPIE a déférée à la censure du TA de PARIS, le 1er août 1994, après une infructueuse tentative de conciliation devant le CNOSF, et que le TA a annulée par un jugement du 2 juillet 1996.

Le TA a retenu que la mesure litigieuse n’avait pas, contrairement à la précédente, le caractère d’une mesure conservatoire mais bien le caractère d’une mesure disciplinaire et que cette mesure avait été prise selon une procédure irrégulière, l’un des membres du conseil fédéral, M. Noël LE GRAET, président de la Ligue nationale de football, ayant publiquement pris partie sur les faits litigieux et sur la responsabilité de M. TAPIE dans une interview donnée quelques mois plus tôt (le 7 octobre 1993 exactement) dans le journal « La Croix ».

Saisie d’un appel contre ce jugement par la fédération française de football, la cour d’appel de Paris a entièrement confirmé ces motifs par l’arrêt contre lequel la Fédération Française de Football se pourvoit régulièrement.

3) A l’exception d’un moyen tiré de ce que la cour d’appel n’aurait pas répondu à toutes les « conclusions » formées devant elle, qui doit être regardé comme abandonné car non repris dans le mémoire ampliatif, et qui n’est de toutes façons pas fondé, la fédération requérant soulève deux moyens.

4) Tout d’abord, vous dit-elle, la cour aurait inexactement qualifié la décision attaquée de « mesure disciplinaire » alors que celle-ci n’avait, comme la précédente mesure prise à l’encontre de M. Tapie, qu’un caractère conservatoire.

Vous n’aurez guère de peine à écarter ce moyen tant il est clair que la décision attaquée sanctionnait, à titre, définitif M. Tapie, et se limitait pas à prendre, comme vous l’avez retenu dans votre arrêt BURRUCHAGA à propos de la précédente décision, des mesures conservatoires dans l’attente de la position définitive du conseil fédéral. Les motifs de la décision attaquée (où il est dit que le conseil fédéral a pris « les mesures administratives ou disciplinaires appropriées pour sauvegarder »l’intérêt supérieur du football) sont très explicites à cet égard.

C’est donc à bon droit que le TA puis la cour ont distingué la mesure attaquée de la précédente qui, elle, avait bien un caractère conservatoire, ce qu’ils ont fait d’ailleurs sciemment puisqu’ils avaient l’un et l’autre connaissance de votre arrêt Burruchaga.

5) Ensuite, vous dit la fédération, et c’est là le seul moyen susceptible de retenir votre attention, c’est à tort que la cour aurait qualifié les déclarations faites par M. LE GRAET, le 7 octobre 1993 au journal « La Croix » d’atteinte au principe général d’impartialité qui s’impose à la fédération.

a) Ainsi que vous le savez, l’obligation d’impartialité est un principe général du droit qui s’impose aux autorités administratives (voir 29 avril 1949 BOURDEAUX, S. 1949.1968) comme juridictionnelles (Section 2 mai 1973, Mlle ARBOUSSET, p. 180, avec les conclusions du président Braibant, RDP 1973, p. 1066). Vous avez fait d’ailleurs application de ce principe au conseil fédéral de la Fédération Française de Football par votre décision de Section BURRUCHAGA.

Comme vous le disait notre collègue Sylvie Hubac dans ses conclusions sous l’arrêt de Section du 27 avril 1988, Sophie, Rec. 160, la partialité, c’est l’existence d’un préjugé ou d’un parti pris. Elle peut emprunter deux formes : elle peut, d’une part, se manifester par l’expression préalable de l’opinion d’un de ceux qui va siéger ou résulter de ce que ce dernier est intéressé pour des raisons diverses au sens de la décision qui sera prise. Elle peut résulter, d’autre part, indépendamment de tout parti pris exprimé, de considérations organiques ou fonctionnelles : il s’agit alors de rechercher si la personne en cause ne présente pas un risque « objectif » de partialité et offre, en apparence, des garanties telles que tout doute légitime sur son impartialité soit exclu.

b) Nous pensons que la question de savoir si un comportement est constitutif ou non d’un manquement à cette obligation est une question suffisamment importante puisqu’elle se rapporte au respect d’un principe général du droit et dont l’appréciation à un contenu suffisamment spécifique pour que vous exerciez sur ce point votre contrôle de qualification juridique des faits.

Si vous ne reteniez pas cette solution, vous pourriez vous borner à un simple contrôle de dénaturation des pièces du dossier.

c) L’élément à l’origine de la censure par le juge administratif est l’une des réponses faites par Noël LE GRAET, président de la Ligue national de football, à un journaliste de « La Croix », dans une interview parue le 7 octobre 1993.

Dans cette interview, présentée sous le titre « Sauver économiquement l’olympique de Marseille » et avec le sous-titre « Il est inévitable que Tapie parte », M. LE GRAET a répondu dans les termes suivants à une question portant sur l’absence éventuelle de sanctions à l’encontre des dirigeants du club :

« Ecoutez, il y a déjà des joueurs qui avouent avoir donné de l’argent et d’autres qui reconnaissent en avoir reçu. Ensuite, au niveau des dirigeants suprêmes de l’OM, de Tapie par exemple, considérez-vous qu’un patron est responsable des ses équipes, cadres ou pas ? Alors, coupable, je n’irai pas jusque-là aujourd’hui, mais responsable, oui, sûrement. Là, actuellement, il faut accorder à Tapie le mérite de se battre comme personne pour son club mais je crois qu’il se rend compte aussi que, tous les jours, il y a une affaire qui le concerne et que l’on n’est pas sur la voie de l’apaisement.  Je pense que son départ est inévitable. »

La cour a motivé sa décision par une citation quasi complète de cette réponse, à l’exception de la troisième phrase relative aux mérites de Bernard Tapie. Elle a retenu que ces déclarations publiques faisaient obstacle à ce que M. LE GRAET puisse participer à la délibération du conseil fédéral.

Comme on peut le constater à sa seule lecture, la prise de position de M. LE GRAET sur le sort à réserver à Bernard Tapie est dépourvue d’ambiguïté.  Il est vrai que cette déclaration est antérieure de plusieurs mois à la décision attaquée, et qu’elle doit être replacée dans le cadre plus général de l’interview, qui portait sur d’autres points, et dans le contexte de cette affaire très médiatisée, où les dirigeants du football étaient fortement sollicités.

Si ces éléments de contexte peuvent vous conduire à relativiser la portée des propos de tel ou tel dirigeant, et donc à une certaine indulgence, il n’en reste pas moins que l’intérêt qui s’attache au respect de l’obligation d’impartialité doit vous conduire à rappeler quand c’est nécessaire aux membres des organismes administratifs et notamment aux organismes de nature disciplinaire toutes les conséquences, c’est à dire, toutes les contraintes qui s’attachent à un tel principe.

Il nous paraît difficile d’admettre que le président d’un organisme qui est appelé à prendre des sanctions lourdes de conséquence puisse prendre clairement et publiquement partie sur le sort à réserver aux personnes mises en cause, quelle que soit la pression, médiatique ou autre, qui peut s’exercer sur lui.

La fédération requérante prétend que cette déclaration est d’une teneur équivalente à celle de deux déclarations faites antérieurement par M. LE GRAET, dont le TA puis vous mêmes avaient jugé, dans l’affaire Burruchaga, qu’elles n’étaient pas de nature à porter atteinte au principe d’impartialité.

En réalité, tel n’était pas le cas. Dans les déclarations invoquées par la fédération, M. LE GRAET, interrogé par d’autres journalistes en juillet et septembre 1993 au sujet de l’inactivité à laquelle se trouvaient contraints les joueurs mis en cause, avait répondu, en substance, que cela n’avait rien de choquant et qu’il n’avait aucune tendresse particulière pour des joueurs qui étaient particulièrement bien rémunérés.

Le TA puis vous-mêmes avaient considéré qu’il n’y avait pas là atteinte au principe d’impartialité ni, surtout, une marque d’animosité contre les joueurs en question.

Il n’a donc pas de contradiction entre ce que vous avez jugé en 1995 et ce que nous vous proposons de juger aujourd’hui.

La cour administrative d’appel de Paris ne nous paraît donc avoir commis aucune erreur dans la qualification juridique des faits.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

© - Tous droits réservés - Edmond HONORAT - 27 octobre 1999

 


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