format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Tribunal administratif de Toulouse, 25 septembre 2001, n° 01/1141, Elections municipales de Rodez, Mme H.
Conseil d’Etat, 30 juillet 2003, n° 253647, Maire de Balogna
Conseil d’Etat, Avis, 30 avril 2004, n° 263319, Thierry G.
Conseil d’Etat, 22 mars 2001, M. MEYET (1ère espèce)
Conseil d’Etat, 29 juillet 2002, n° 239440, Elections municipales de Chateau-Thierry
Conseil d’Etat, 14 septembre 2001, n° 237208, M. Marini
Conseil d’Etat, 25 juillet 2008, n° 313970, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques c/ M. C.
Conseil d’Etat, 24 novembre 2003, n° 256614, Elections municipales de Vallauris-Golfe-Juan et M. F.
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 22 avril 2003, n° 00BX02467, Ministre de l’intérieur c/ Mme Eliane D.
Conseil d’Etat, Assemblée, 21 janvier 2004, n° 254645, Mme Gabrielle B.




Tribunal de grande instance de Paris, référé, 30 avril 2002, Fabrice G. et autres c/ SA IPSOS, SA CSA TMO, SA IFOP et BVA

Les textes fondamentaux invoqués par les demandeurs ont été pris en compte par le législateur lorsqu’il a déterminé les règles applicables en matière de sondages d’opinion, alors surtout que la réforme de la loi du 19 juillet 1977 par celle du 19 février 2002 est intervenue à la suite de l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 4 septembre 2001, laquelle avait tiré les conséquences du défaut de conventionnalité de certaines des dispositions de la loi du 19 juillet 1977.

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

N° RG : 02/54393

ORDONNANCE DE REFÉRE
rendue le 30 avril 2002

par Jean-Claude MAGENDIE, Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, tenant l’audience publique des Référés,

assisté de Christelle BATARSON, Greffier.

DEMANDEURS

Monsieur Fabrice G.
représenté par Me Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

Monsieur François A.
représenté par Me Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

Monsieur Pascal R.
représenté par Me Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

Monsieur Nicolas M.
représenté par Me Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

Madame Stéphanie B.
représentée par Me Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

Madame Anne-Sophie M.
représentée par Me Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

Madame Isabelle W.
représentée par Me Valéne ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

Monsieur Cédric R.
représenté par Me Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

Monsieur Michel Z.
représenté par Me Valérie ROSANO, avocat au barreau de PARIS - M 395

DEFENDERESSES

SA IPSOS
99-101 rue l’Abbé Groult
75015 PARIS
représentée par Me Nicolas BRAULT, avocat au barreau de PARIS - 106

SA CSA TMO
20 rue du 4 Septembre
75002 PARIS
non comparante

SA IFOP
6-8 rue Eugène Oudine
75013 PARIS
représentée par Me Gérard LOLIVIER, avocat au barreau de PARIS - B968

BVA
191 avenue du Général Leclerc
78222 VIROFLAY CEDEX
représentée par Me Pierre LUBET, avocat au barreau de PARIS - P 134

EN PRESENCE DU MINISTÈRE PUBLIC REPRESENTÉ PAR Monsieur DILLANGE, PREMIER SUBSTITUT DU PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRÈS LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

Nous, Président du tribunal de grande instance de Paris, après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil ;

Les demandeurs soutiennent que les résultats du premier tour de l’élection présidentielle du 21 avril 2002 ont révélé l’inadéquation totale entre les sondages diffusés et la réalité des votes exprimés. Ils attribuent la responsabilité de cette situation aux instituts de sondages qui, dans la réalisation comme dans la diffusion au public des sondages d’opinion en matière électorale, se contentent d’indiquer la date à laquelle l’enquête a été réalisée, le nombre de personnes interrogées, le mode de contact utilisé et les questions posées, ne précisant en revanche à aucun moment qu’ils procèdent à des correctifs, ni les modalités de calcul aboutissant à leurs résultats, ni davantage leurs marges d’erreur. Ils estiment que les instituts de sondages ne respectent pas les obligations qui pèsent sur eux et considèrent que l’absence de telles informations, indissociables des résultats soumis à l’appréciation du public, constitue une violation du droit à l’information du public qui se trouve ainsi dans l’incapacité de lire avec un esprit critique les sondages publiés dans de telles conditions.

Autorisés à ce faire, par ordonnance du 26 avril 2002, pour le mardi 30 avril 2002, ils ont fait assigner à heure indiquée en référée par actes du lundi 29 avril 2002, les instituts IPSOS, CSA TMG, IFOP et BVA. Ils nous demandent :

- de dire et juger que les instituts de sondages assignés ont manqué àleur obligation découlant de l’article 2 de la loi de 1977,

- de dire et juger qu’en ne communiquant pas au public l’existence dans la réalisation de sondages, de correctifs, des méthodes utilisées pour appliquer lesdits correctifs, les marges d’erreur, les instituts de sondage violent le principe du droit à l’information objective et avérée dont chaque citoyen, et notamment les demandeurs, sont titulaires,

- de condamner les quatre instituts de sondages à produire, indissociablement des études réalisées dans le cadre du second tour de scrutin à l’élection présidentielle, les éléments d’information suivants, à destination du public :

- l’application ou non de correctifs,
- dans l’affirmative, les raisons justifiant de l’application desdits correctifs, les méthodes de calcul utilisées pour corriger les réponses brutes fournies par les personnes sondées et les marges d’erreur,
- le droit pour toute personne de consulter auprès de la commission des sondages la notice prévue à l’article 3 de la loi de 1977,
- la prudence avec laquelle les sondages doivent être interprétés,

et ce, sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée.

Ils fondent leurs demandes sur les dispositions de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 27 de la loi du 19 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais aussi sur la loi du 19 juillet 1977 modifiée par celle du 19 février 2002, ainsi que sur les articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile.

Les demandeurs sollicitent en outre la condamnation des défendeurs aux dépens.

La procédure a été dénoncée au procureur de la République.

En réponse, la société IFOP fait valoir qu’il paraît singulier qu’étant en majorité des journalistes, les demandeurs feignent d’ignorer qu’un sondage n’est qu’un instrument d’information parmi d’autres, ayant pour seul objet de mesurer des intentions de vote à un moment donné, et n’ayant aucune valeur prédictive, sauf à enlever tout intérêt aux élections proprement dites. L’IFOP ajoute que les instituts n’ont nullement pour mission de donner des conseils aux électeurs et encore moins de leur dicter leurs votes. Elle observe que les demandeurs paraissent avoir regretté d’avoir choisi l’abstention ou voté pour un autre candidat que celui qui avait leur préférence, en se réservant de lui apporter leurs suffrages au second tour, et qu’ils ne peuvent s en prendre qu’à eux-mêmes de leur déconvenue dont ils sont seuls responsables dès lors qu’avant d’avoir des droits, ils avaient le devoir de participer à l’élection et de voter suivant leurs convictions.

La société IFOP nous demande de déclarer irrecevables les demandes présentées et sollicite une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Faisant valoir, pour l’essentiel, les mêmes arguments que l’IFOP, l’institut BVA sollicite à son tour le rejet des demandes présentées et l’allocation de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L’institut IPSOS nous demande, pour sa part, au principal de nous déclarer incompétent au profit de la Commission des sondages, et sollicite une somme de i 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Estimant qu’il n’est justifié d’aucun trouble manifestement illicite, le représentant du ministère public observe que les demandeurs cherchent à étendre la leçon qu’ils ont eux-mêmes tirée de la configuration du premier tour des élections présidentielles du 21 avril 2002, à l’ensemble de la population, et nous demandent ainsi de rendre un “arrêt de règlement”. Il nous sollicite de rejeter la demande présentée.

SUR CE,

Attendu que la société IPSOS, dont il n’est pas contesté qu’elle n’effectue de sondages que par l’intermédiaire de sa filiale IPSOS Opinion, nous demande de nous “déclarer incompétent au profit de la Commission des sondages instituée par l’article 5 de la loi du 19 juillet 1977” ;

Attendu qu’en application de l’article 96 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile, lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction administrative, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir ;

Attendu, au surplus, que l’exception soulevée par la société IPSOS ne porte pas à proprement parler sur une question de compétence à raison de l’objet de la demande précisément formulée par les demandeurs ;

Attendu qu’en effet, la société IPSOS fait justement valoir que la possibilité est offerte à chaque citoyen, qui “prétend que le sondage contrevient aux dispositions de la loi”, de saisir la Commission des sondages dans les formes prévues par l’article 11 du décret n° 78-79 du 25 janvier 1978 ;

Attendu que, pour apprécier l’intérêt à agir des demandeurs - intérêt contesté par les sociétés BVA et IFOP - il importe de déterminer l’objet de la demande soumise au juge des référés ;

Attendu que les demandeurs sollicitent du juge des référés qu’il dise que les instituts de sondages qu’il a pris l’initiative d’assigner ont “manqué à leur obligation découlant de l’article 2 de la loi de 1977” ;

Attendu que l’article 1er de la loi n° 2002-214 du 19 février 2002, venu compléter l’article 2 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977, a ajouté aux indications précédemment visées, l’exigence d’une “mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice prévue par l’article 3” ;

Attendu que l’examen des documents versés aux débats permet de constater la réalité de quelques manquements aux obligations nouvellement imposées par la loi ;

Attendu cependant que l’article 2 de la loi de 1977 prévoit que les indications légales sont “établies sous la responsabilité de l’organisme qui l’a réalisé” ; qu’une fois ce travail accompli, l’obligation de satisfaire à l’exigence d’”accompagner” la publication ou la diffusion du sondage des mentions obligatoires, incombe à l’organe d’information ;

Attendu que le législateur a ainsi pris soin de distinguer celui qui “réalise le sondage destiné à être publié ou diffusé” et celui qui en “publie ou diffuse les résultats” ;

Attendu, par suite, que la responsabilité des manquements allégués ne saurait incomber aux instituts de sondage, dès lors que seuls les organes d’information assument la mission - et la responsabilité qui y est afférente - de publier ou de diffuser, avec les résultats des sondages, le nom de l’organisme ayant réalisé le sondage, le nom et la qualité de l’acheteur du sondage, le nombre des personnes interrogées, la ou les dates auxquelles il a été procédé aux interrogations, ainsi que la mention litigieuse indiquant le droit de toute personne a consulter la notice déposée auprès de la commission des sondages ;

Attendu que l’article 9 de la loi du 19 juillet 1977 fait obligation aux “organes d’information qui auraient publié ou diffusé un sondage”, de publier sans délai les mises au point demandées par la commission, laquelle “peut, à tout moment, faire programmer et diffuser ces mises au point par les sociétés nationales de radiodiffusion et de télévision” ;

Attendu que l’article 12 de ce texte prévoit la sanction, par des peines portées à l’article L. 90-1 du Code électoral, de ceux qui auront notamment “publié ou diffusé un sondage qui ne serait pas assorti de l’une ou de plusieurs des indications prévues à l’article 2” ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu de trancher ici la question de savoir si un citoyen serait recevable à critiquer la violation des dispositions légales en matière de publication de sondages, alors que la loi du 19 juillet 1881 est en cause, comme le reconnaissent les demandeurs qui fondent leur action sur son article 27, alors même qu’est réservée au ministère public la poursuite du délit de publication de fausses nouvelles ; qu’en effet, force est de constater que les demandeurs n’ont assigné aucun des organes de presse ayant publié les sondages réalisés par les sociétés IPSOS, CSA-TMO, IFOP et BVA ;

Attendu que, pour cette raison, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société IPSOS est dépourvue d’objet, alors surtout que les demandeurs n’ont pas sollicité l’indemnisation du préjudice qui serait résulté de la fausse nouvelle alléguée à tort ;

Attendu que les demandeurs seront, en conséquence, déboutés de ce premier chef de demande ;

Attendu que les demandeurs sollicitent encore qu’il soit jugé “qu’en ne communiquant pas au public l’existence, dans la réalisation de sondages, de correctifs, des méthodes utilisées pour appliquer lesdits correctifs, les marges d’erreur, les instituts de sondage violent le principe du droit à l’information objective et avérée dont chaque citoyen est titulaire” ; qu’ils demandent enfin la condamnation des instituts de sondages “à produire, indissociablement des études réalisées dans le cadre du second tour de scrutin à l’élection présidentielle, les éléments d’information suivants, à destination du public :
• l’application ou non de correctifs,
• dans l’affirmative, les raisons justifiant de l’application desdits correctifs, les méthodes de calcul utilisées pour corriger les réponses brutes fournies par les personnes sondées et les marges d’erreur,
• le droit pour toute personne de consulter auprès de la commission des sondages la notice prévue à l’article 3 de la loi de 1977,
• la prudence avec laquelle les sondages doivent être interprétés, et ce, sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée”,

Attendu que, ce faisant, ils sollicitent du juge qu’il s’érige en législateur, en imposant des exigences nouvelles aux instituts de sondage ;

Attendu que la publication de la loi modificative, deux mois seulement avant le premier tour des élections présidentielles du 21 avril 2002, rend au demeurant vaine toute tentative des demandeurs tendant à soutenir que les indications visées à l’article 2 de la loi relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion ne suffiraient pas à assurer le droit à l’information légitimement revendiqué ;

Attendu qu’en effet, les textes fondamentaux invoqués par les demandeurs ont été pris en compte par le législateur lorsqu’il a déterminé les règles applicables en matière de sondages d’opinion, alors surtout que la réforme de la loi du 19 juillet 1977 par celle du 19 février 2002 est intervenue à la suite de l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 4 septembre 2001, laquelle avait tiré les conséquences du défaut de conventionnalité de certaines des dispositions de la loi du 19 juillet 1977 ;

Attendu que le juge saisi ne peut que rejeter la demande tendant à ce qu’il soit ajouté à une loi reflétant la volonté de la représentation nationale et qu’il lui appartient seulement d’appliquer ;

Attendu que le législateur a lui-même opéré une distinction entre les indications destinées à être portées à la connaissance du public et les informations plus techniques relevant de la notice que l’institut de sondage doit déposer auprès de la commission des sondages instituée aux fins “d’étudier et de proposer des règles tendant à assurer, dans le domaine de la prévision électorale, l’objectivité et la qualité des sondages publiés ou diffusés”, selon les termes de l’article 5 de la loi du 19 juillet 1987 ;

Attendu que l’invocation, par les demandeurs, des articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile, ne justifie pas la saisine du juge des référés ;

Attendu que l’analyse des prétentions des demandeurs ne permet pas d’y déceler l’existence d’une créance légitimant une mesure conservatoire mais seulement d’une dette de citoyenneté ;

Attendu que le respect d’une exigence légale ne peut s’analyser en une “obligation non sérieusement contestable” ; que l’injonction de faire, qui relève de la compétence du président du tribunal, statuant en référé, ne peut porter sur l’application de la loi, laquelle ne peut être requise du juge que par le ministère public ;

Attendu qu’il n’appartient pas à des citoyens de faire respecter les obligations instituées par la loi relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, et ce d’autant moins que le législateur a confié à la commission des sondages “tout pouvoir pour vérifier que les sondages [...] ont été réalisés et que leur vente s’est effectuée conformément à la loi et aux textes réglementaires applicables”, aux termes de l’article 8 de la loi du 19 juillet 1977 ;

Attendu que Messieurs G. et autres ne peuvent, en conséquence, qu’être déboutés de leurs demandes ;

Attendu qu’il apparaîtrait inéquitable que les instituts de sondages, qui ont tous justifié avoir respecté les exigences légales leur incombant, supportent l’intégralité des frais irrépétibles par eux exposés ; que leurs demandes respectives sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile seront satisfaites à hauteur de 1 000 euros pour chacun des instituts de sondages, à l’exception de l’institut CSA-TMO non représenté à l’audience ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, en premier ressort et par ordonnance réputée contradictoire,

Déboutons Messieurs G. et autres de toutes leurs demandes ;

Condamnons Messieurs G. et autres aux dépens ;

Condamnons in solidum Messieurs G. et autres à régler à chacun des instituts de sondages IPSOS, IFOP et BVA, la somme de mille euros par application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

FAIT ET JUGÉ À PARIS, LE 30 AVRIL 2002.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site