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Conseil d’Etat, 14 décembre 2001, n° 231106, M. B.

L’extradition d’une personne exposée à un emprisonnement de très longue durée, par l’effet d’un cumul de peines prévu par la loi de l’Etat requérant, n’est contraire ni à l’ordre public français, ni aux stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 231106

M. B.

Mme de Margerie, Rapporteur

Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement

Séance du 14 novembre 2001

Lecture du 14 décembre 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

Vu, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 8 mars et 30 avril 2001, la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour M. Richard B ; M. B demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret du 12 février 2001 accordant son extradition aux autorités des Etats-Unis d’Amérique ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention d’extradition franco-américaine du 6 janvier 1909, complétée par la convention additionnelle du 10 février 1970 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 ;

Vu la loi du 10 mars 1927 ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme de Margerie, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. B,

- les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par le décret attaqué en date du 12 février 2001, l’extradition de M. B a été accordée aux autorités des Etats-Unnis d’Amérique, pour des infractions qualifiées de fraude sur titres et fraude par télécommunications, sur le fondement d’un mandat d’arrêt établi le 27 mars 2000 par un juge du tribunal fédéral du district sud de New York ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la convention d’extradition conclue le 6 janvier 1909 entre la France et les Etats-Unis d’Amérique, complétée par la convention du 12 février 1970 : "Le Gouvernement français et le Gouvernement des Etats-Unis s’engagent à se livrer réciproquement les individus qui, poursuivis ou condamnés pour l’un des crimes ou délits spécifiés à l’article suivant, commis dans la juridiction de l’un des Etats contractants, ... seront trouvés sur le territoire de l’autre" ; qu’en vertu des stipulations de l’article 3 de la même convention, la demande d’extradition concernant un "fugitif ... inculpé" doit être "accompagnée d’une copie authentique du mandat d’arrêt et des dépositions ou autres preuves sur lesquelles le mandat a été décerné" ;

Considérant que le mandat d’arrêt délivré à l’encontre de M. B a été dressé sur la base d’une "plainte", établie sous serment par un agent du Bureau fédéral d’investigation, exposant les faits reprochés à l’intéressé, donnant leur qualification et comportant une analyse détaillée des dépositions justifiant cette "plainte" ; que, dans une déclaration faite sous serment, un substitut du procureur fédéral pour le district sud de New York a confirmé officiellement les charges retenues à l’encontre de M. B ; que, par suite, et alors même que la mise en accusation de celui-ci n’a pas été précédée de la saisine et de la délibération d’un "grand jury", le requérant doit être regardé comme une personne poursuivie au sens des stipulations de l’article 1er de la convention du 6 janvier 1909 et comme une personne inculpée au sens des stipulations de l’article 3 de cette convention ;

Considérant que le moyen tiré de ce que la demande d’extradition présentée par les autorités des Etats-Unis n’aurait pas été accompagnée d’une copie authentique du mandat d’arrêt et de la "plainte" mentionnés ci-dessus manque en fait ;

Considérant qu’aucune stipulation de la convention franco-américaine d’extradition n’imposait que les procès-verbaux des auditions des victimes des agissements reprochés à M. B fussent annexés à la "plainte" de l’agent du Bureau fédéral d’investigation ;

Considérant que l’article 1er de la loi du 10 mars 1927 dispose que cette loi s’applique aux points qui n’auraient pas été réglementés par les traités ; que la convention d’extradition du 6 janvier 1909 détermine, sous forme d’une énumération, les faits pour lesquels l’extradition est accordée, lorsqu’ils sont punis comme crimes ou délits par les lois des deux Etats ; que ces stipulations réglementent ainsi les faits pouvant donner lieu à extradition ; qu’elles excluent, par là même, que puissent recevoir concurremment application les dispositions de l’article 4 de la loi du 10 mars 1927 en vertu desquelles ne peuvent donner lieu à extradition des faits punis de peines correctionnelles que pour autant que le maximum de la peine encourue est de deux ans au moins ; qu’ainsi, le moyen tiré de la violation de l’article 4 de la loi de 1927 ne peut qu’être écarté ;

Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la convention du 6 janvier 1909 : "L’extradition sera accordée pour les faits suivants, lorsqu’ils sont punis comme crimes ou délits par les lois des deux Etats : ... 7° abus de confiance et détournements ; 8° escroquerie ; ... 18° usage de la poste ou d’autres moyens de communication en relation avec des manœuvres destinées à tromper le public ou dans le but d’obtenir de l’argent ou des biens" ; que l’infraction qualifiée de fraude sur titres est au nombre des faits mentionnés aux 7° et 8° de l’article 2 de ladite convention ; que l’infraction qualifiée de fraude par télécommunications constitue également une escroquerie et relève, en outre, des stipulations du 18° du même article ; que ces deux infractions sont prévues et réprimées tant par la législation pénale fédérale américaine que par le code pénal français ; qu’ainsi, le requérant n’est pas fondé à prétendre que le décret attaqué aurait été pris en méconnaissance du principe de la double incrimination ou des stipulations de l’article 2 de la convention du 6 janvier 1909 ;

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les charges retenues à l’encontre de M. B aient été relevées dans des conditions contraires à l’ordre public français ou au principe de la présomption d’innocence ; que, si le requérant se prévaut de ce qu’il a engagé à ce sujet une action contre les autorités des Etats-Unis devant les juridictions de la Confédération helvétique, cette circonstance est sans influence sur la légalité du décret attaqué ;

Considérant que les dispositions du § 3553 du code pénal et de procédure pénale des Etats-Unis imposent à la juridiction saisie de déterminer sa sentence en tenant compte de la personnalité de l’intéressé ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que M. B risquerait d’être condamné sans prise en compte de sa personnalité doit être écarté ;

Considérant que, s’il peut exister des différences entre les durées des peines privatives de liberté encourues respectivement aux Etats-Unis et en France, par les auteurs des infractions mentionnées ci-dessus, cette circonstance est sans influence sur la légalité du décret attaqué ;

Considérant que l’extradition d’une personne exposée à un emprisonnement de très longue durée, par l’effet d’un cumul de peines prévu par la loi de l’Etat requérant, n’est contraire ni à l’ordre public français, ni aux stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que le requérant n’apporte aucune précision au soutien de ses allégations selon lesquelles les conditions d’exécution de son éventuelle condamnation aux Etats-Unis seraient susceptibles de constituer une violation des mêmes stipulations ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B n’est pas fondé à demander l’annulation du décret attaqué ;

Sur l’application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer la somme que M. B demande pour les frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Richard B et au garde des sceaux, ministre de la justice.

 


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