CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 287590
M. T.
M. F.
Mme Agnès Fontana
Rapporteur
M. Nicolas Boulouis
Commissaire du gouvernement
Séance du 14 mai 2008
Lecture du 11 juillet 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 novembre 2005 et 30 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Philippe T. et M. Pierre F. ; MM. T. et F. demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 21 septembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté leur requête tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la commune de Châtres et de l’établissement public de coopération intercommunale "Val Bréon" à leur verser la somme de 13 428 250 euros avec intérêts à compter du 1er juillet 1997 en réparation du préjudice subi à la suite de la rupture des engagements contractuels qui les liaient à ces collectivités ;
2°) réglant l’affaire au fond, de condamner ces collectivités publiques à leur verser cette somme assortie des intérêts ;
3°) de mettre la somme de 8 000 euros à la charge de la commune de Châtres et de la communauté de communes de Val Bréon en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 mai 2008, présentée pour MM. T. et F. ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. Philippe T. et de M. Pierre F. et de Me Haas, avocat de la commune de Châtres et de la société Etablissement public de coopération intercommunal "Val Bréon",
les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MM T. et F. ont réalisé pour le compte de la commune de Châtres et de la communauté de communes de Val-Bréon diverses études et conduit diverses négociations en vue de la réalisation d’une zone logistique sur le territoire de cette commune, après avoir conclu les 6 avril et 27 juillet 1994 deux conventions, aux termes desquelles ils devaient réaliser les différents documents destinés à être soumis à l’enquête publique et supporter eux-mêmes tous les débours y afférents cependant que la commune ou la structure intercommunale qui lui serait le cas échéant substituée s’engageait à mettre les documents d’urbanisme en accord avec le projet ; que les parties convenaient enfin de stipuler entre elles une convention d’aménagement de la zone d’aménagement concertée dans le cadre de laquelle devait être réalisée la zone logistique, et de se réunir dans ce but afin de mettre au point et de rédiger une convention ;
Considérant que, les négociations entre MM. T. et F. et la communauté de communes créée dans l’intervalle n’ayant pas abouti, celle-ci a, après que la commune ait constaté l’arrivée à expiration de la convention du 27 juillet 1994 et en l’absence de toute exécution de celle du 6 avril 1994, décidé de réaliser le projet sans faire appel aux services de MM. T. et F. ; que ces derniers ont présenté, tant à la commune de Châtres qu’à la communauté de communes de Val-Bréon, une demande préalable, datée du 11 avril 1997, tendant au versement à leur profit d’une indemnité de 82 581 600 francs ; qu’une décision implicite de rejet est née du silence gardé par les deux collectivités publiques ; que les intéressés ont alors présenté devant le tribunal administratif de Melun une demande tendant à voir ces collectivités condamnées à leur verser la somme de 88 083 520 francs ; que par jugement du 9 novembre 2000, le tribunal administratif a rejeté leur demande ; que par l’arrêt attaqué du 21 septembre 2005, la cour administrative d’appel de Paris a de même rejeté leur appel ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité du pourvoi ;
Sur la régularité de l’arrêt :
Considérant que le moyen tiré de la nullité de la convention du 27 juillet 1994, faute pour le maire d’avoir transmis à l’autorité préfectorale la délibération l’autorisant à signer ce contrat, avait été soulevé par MM. T. et F. en première instance ; qu’il a été repris dans le mémoire en appel que ceux-ci ont présenté à la cour administrative d’appel le 17 janvier 2001 ; qu’ainsi la cour administrative d’appel était saisie de ce moyen qui a été soumis au débat contradictoire ; qu’il en résulte que MM. T. et F. ne sont pas fondés à soutenir que la cour aurait soulevé d’office le moyen tiré de la nullité de la convention du 27 juillet 1994, sans le communiquer aux parties ;
Sur le remboursement des dépenses utiles et l’indemnisation du préjudice né de la faute commise par la commune en concluant un contrat nul :
Considérant que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que les fautes éventuellement commises par l’intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l’administration, ce qui fait obstacle à l’exercice d’une telle action ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte d’une faute de l’administration, le cocontractant peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration ; qu’à ce titre il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l’exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par sa nullité, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée ;
Considérant que, pour statuer sur les conclusions de MM. T. et F. tendant au remboursement des dépenses utiles et à l’indemnisation du préjudice subi à raison de la nullité de la convention du 27 juillet 1994, la cour administrative d’appel a, d’une part, relevé que les requérants n’apportaient pas la preuve du caractère utile à la collectivité des dépenses exposées par eux et, d’autre part, estimé qu’ils ne justifiaient pas d’un préjudice imputable à la faute commise par la commune et ayant entraîné la nullité de la convention dès lors que la convention dont la nullité a été constatée ne prévoyait aucune rémunération pour le travail fourni et que le préjudice dont la réparation était demandé, né du défaut de conclusion d’une convention d’aménagement, était sans lien avec cette faute ;
Considérant que l’appréciation du caractère utile des dépenses exposées par le titulaire d’une convention qui se trouve entachée de nullité relève de l’appréciation souveraine des juges du fond ; que, les documents versés au dossier par les requérants ne permettant pas une comparaison entre le projet finalement réalisé et le leur et l’expertise, produite au stade de la cassation et élaborée de façon non contradictoire, n’ayant pas été soumise aux juges du fond, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la cour qui, contrairement à ce qu’ils soutiennent, n’a pas réduit leur argumentation tendant à l’établissement du caractère utile de leurs dépenses à la seule production d’un communiqué de presse et a ainsi suffisamment motivé son arrêt sur ce point, aurait dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant qu’ils n’apportaient pas la démonstration du caractère utile des dépenses exposées par eux ;
Considérant qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour a fait une exacte application des principes précédemment rappelés ; qu’elle était en particulier fondée à rechercher, dans les termes de la convention même déclarée nulle, pour limiter les prétentions de MM. T. et F., le montant de la rémunération que ceux-ci auraient tirée de son exécution et à constater que cette rémunération était nulle ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutiennent MM. T. et F., la cour, qui n’a pas limité son examen à la seule perte de bénéfice, n’a pas commis d’erreur de droit en écartant tout préjudice né de la faute commise par la commune en concluant une convention nulle ;
Sur l’indemnisation du préjudice né de la rupture des pourparlers et de promesses non tenues :
Considérant que contrairement à ce que soutiennent les requérants, la cour n’a pas dénaturé l’ensemble des pièces constitué par la convention conclue par eux le 27 juillet 1994 avec la commune de Châtres, et celle qu’ils ont signée avec le syndicat intercommunal auquel a succédé la communauté de communes de Val-Bréon le 6 avril 1994, ensemble son avenant du 10 mai 1994, en jugeant que ces collectivités s’étaient engagés vis-à-vis des requérants à négocier entre eux une convention relative à l’aménagement de la zone logistique, mais non nécessairement à la signer, et qu’elle a pu ainsi légalement en déduire que MM. T. et F. ne pouvaient se considérer comme titulaires d’un engagement ferme et définitif de se voir confier la future convention d’aménagement dont la conclusion comportait nécessairement, de surcroît, une part d’aléa ;
Considérant enfin que le caractère fautif de la rupture des pourparlers entre MM. T. et F. et la communauté de communes de Val-Bréon n’était pas invoqué devant le juge d’appel ; qu’ainsi la cour administrative d’appel de Paris, qui n’était pas tenue, à la supposer établie, de relever d’office une telle faute, n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que MM. T. et F. ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 21 septembre 2005 ;
Sur les conclusions aux fins de prononcé d’une mesure d’expertise et d’octroi d’une provision :
Considérant qu’il n’appartient pas au juge de cassation d’ordonner une expertise ou d’accorder une quelconque provision ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Châtres et de la communauté de communes de Val-Bréon, qui ne sont pas, dans la présente affaire, la partie perdante ; qu’il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de MM. T. et F. une somme de 1 500 euros chacun à verser à la commune de Châtres et une somme de 1 500 euros chacun à verser à la communauté de Val-Bréon au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de MM. T. et F. est rejetée.
Article 2 : MM. T. et F. verseront chacun, d’une part une somme de 1 500 euros à la commune de Châtres, d’autre part une somme de 1 500 euros à la communauté de communes de Val-Bréon en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Philippe T., à M. Pierre F., à la commune de Châtres et à la communauté de communes de Val-Bréon.