CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 286635
M. F.
M. Philippe Mettoux
Rapporteur
M. Bertrand Dacosta
Commissaire du gouvernement
Séance du 3 mars 2008
Lecture du 2 avril 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 3 novembre 2005 et le 3 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Dominique F. ; M. F. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la notation d’officier de police judiciaire, établie le 8 juillet 2005 par le procureur général près la cour d’appel de Basse Terre, qui lui a été notifiée le 5 septembre 2005 ;
2°) d’enjoindre à l’Etat de lui octroyer une notation révisée et conforme à ses mérites dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Philippe Mettoux, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. F.,
les conclusions de M. Bertrand Dacosta, Commissaire du gouvernement
Considérant que M. F., lieutenant de gendarmerie, commandant la brigade des recherches de Saint-Claude (Guadeloupe) au moment des faits, demande l’annulation de sa notation d’officier de police judiciaire établie le 8 juillet 2005 par le procureur général près la cour d’appel de Basse Terre pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que le premier alinéa de l’article 19 du code de procédure pénale dispose : " Les officiers de police judiciaire sont tenus d’informer sans délai le procureur de la République des crimes, délits et contraventions dont ils ont connaissance. Dès la clôture de leurs opérations, ils doivent lui faire parvenir directement l’original ainsi qu’une copie certifiée conforme des procès verbaux qu’ils ont dressés ; tous actes et documents y relatifs lui sont en même temps adressés ; les objets saisis sont mis à sa disposition " ;
Considérant qu’il résulte des articles D. 44 à D. 47 du code de procédure pénale que les fonctionnaires de police ou les militaires de la gendarmerie habilités à exercer les attributions attachées à la qualité d’officier de police judiciaire font l’objet d’une notation annuelle établie par le procureur général près la cour d’appel, sur proposition du procureur de République du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouve le service ou l’unité auquel ils appartiennent ; que selon l’article D. 46 du code de procédure pénale, cette notation doit comporter, outre une appréciation générale circonstanciée, une note chiffrée et une appréciation sur divers éléments qui caractérisent l’activité de police judiciaire de l’intéressé ; qu’en vertu d’une circulaire du ministre de la justice du 15 mars 2000, la période de référence à retenir pour la notation des officiers de police judiciaire de la gendarmerie nationale est l’année civile ; qu’il résulte de ces dispositions que la notation d’un officier de police judiciaire, par ailleurs prise en compte pour toute décision d’avancement, doit constituer une appréciation par l’autorité judiciaire des qualités et des aptitudes dont cet officier a fait preuve pendant l’ensemble de la période de notation ;
Considérant que, si l’appréciation générale dont M. F. a fait l’objet souligne ses qualités de motivation, de compétence et son excellente technicité, la notation contestée présente par rapport à celle de l’année précédente une régression substantielle des notes chiffrées relatives à l’évaluation de l’habileté professionnelle et du degré de confiance accordé, au motif que cet officier de police judiciaire aurait " perdu de vue, dans le cadre d’une procédure judiciaire, les prescriptions de l’article 19 du code de procédure pénale, en s’abstenant de porter sans délai à la connaissance du procureur de la République, des faits constitutifs d’une infraction pénale dont il avait été informé en sa qualité de commandant d’une unité de recherche " ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’après avoir été informé, le 22 avril 2004, de la présence dans les locaux de la préfecture de la copie d’une commission rogatoire datée du 19 avril précédent non encore parvenue à son unité qui en était délégataire, le lieutenant F. a tenté de joindre le magistrat instructeur mandant et décidé d’attendre le retour de métropole de celui-ci, avant de dénoncer une éventuelle violation du secret de l’instruction et son recel, afin de s’assurer directement auprès de lui de la réalité de cette pièce de justice mettant en cause un élu local dans un contexte pouvant laisser craindre une manipulation ou une provocation ; que, ce faisant, il n’a pas contrevenu aux dispositions de l’article 19 du code de procédure pénale ; que, par suite, en fondant uniquement la notation d’officier de police judiciaire pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 sur la circonstance que le requérant n’avait pas avisé sans délai le procureur de la République de la découverte de faits constitutifs d’une infraction pénale, le procureur général près la cour d’appel de Basse Terre a entaché cet acte d’illégalité ; qu’il suit de là que M. F. est fondé à demander l’annulation de sa notation d’officier de police judiciaire établie le 8 juillet 2005 par le procureur général près la cour d’appel de Basse Terre dont, au surplus, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle ait été établie, ainsi que l’exige l’article D. 45 du code de procédure pénale, sur la base d’une proposition faite par le procureur de la République, après recueil des observations du ou des juges d’instruction ;
Sur les conclusions aux fins d’injonction sous astreinte :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution " ;
Considérant qu’en application des dispositions précitées, il y a lieu d’enjoindre au ministre de la justice de faire établir, dans les deux mois à compter de la présente décision et au regard de ses motifs, une nouvelle notation d’officier de police judiciaire pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2004, sans qu’il y ait lieu d’assortir la présente injonction d’une astreinte ;
Sur les conclusions aux fins d’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. F. de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La notation d’officier de police judiciaire de M. F. établie pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 par le procureur général près la cour d’appel de Basse Terre est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de la justice de faire procéder à la notation annuelle d’officier de police judiciaire de M. F. pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 dans les deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L’Etat versera une somme de 2 000 euros à M. F. en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. F. est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Dominique F. et au ministre de la justice.