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11 mars 2004

Egalité des sexes : le Conseil d’Etat restreint l’effet rétroactif de l’arrêt Griesmar

Poursuivant sa construction jurisprudentielle postérieure à l’arrêt Griesmar (29 juillet 2002, n° 141112), le Conseil d’Etat a rendu le 1er mars 2004 (n°243592, M. Castaing), une décision limitant l’effet rétroactif des principes qui y furent posés.

Revenons rapidement sur l’affaire originelle. M. Griesmar est magistrat, père de trois enfants. Un arrêté en date du 1er juillet 1991 lui a concédé une pension de retraite en totalité mais en ne prenant pas en compte trois annuités au titre de l’article L. 12 b) du Code des pensions civiles et militaires de retraite. Cette disposition réserve aux seules femmes le bénéfice de la bonification d’une annuité par enfants. Estimant que cette disposition est contraire aux principes fondateurs du droit européen et repose sur une discrimination fondée sur le sexe, le requérant a saisi la justice.

Dans une première décision en date du 28 juillet 1999 (n° 141112), le Conseil d’Etat avait soulevé une question préjudicielle devant la Cour de justice des Communautés européennes afin d’obtenir l’appréciation de la compatibilité de la disposition française avec les normes de valeur communautaire. Ainsi, le juge français souhaitait connaître tout d’abord, le champ d’application de l’article 119 du Traité de Rome qui précise que "chaque Etat membre assurer et maintient l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins" et notamment savoir si les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires sont au nombre des rémunérations visées par cette disposition. Par ailleurs, le juge demandait à la CJCE d’apprécier, le cas échéant, la compatibilité de l’article L. 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite avec les précisions apportées par l’article 6§3 de l’accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale.

Dans un arrêt en date du 29 novembre 2001 (affaire C-366/99), la CJCE avait estimé que "le principe de l’égalité des rémunérations est méconnu par une disposition telle que l’article L. 12, sous b) du code des pensions civiles et militaires de retraite, en ce qu’elle exclut du bénéfice de la bonification qu’elle instaure pour le calcul des pensions de retraite les fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants".

Tirant les conséquences de cet arrêt, le Conseil d’Etat avait précisé dans son arrêt du 29 juillet 2002 que "le b) de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraire qui institue, pour le calcul de la pension, une bonification d’ancienneté d’un an par enfant dont il réserve le bénéfice aux "femmes fonctionnaires" (...) est incompatible avec le principe d’égalité des rémunérations tel qu’il est affirmé par le Traité instituant la Communauté européenne".

Seulement, plusieurs zones de flou apparaissaient lors de la comparaison des deux décisions. Dans sa décision du 29 novembre 2001, la CJCE avait réservé le bénéfice de la bonification aux seuls "fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants". Erwan Royer, chargé de formation, indiquait que "le juge communautaire établit par cette précise une distinction entre les femmes et les hommes fonctionnaires, seuls les seconds devant faire la preuve qu’ils ont effectivement assumé l’éducation de leurs enfants pour percevoir la bonification". Seulement, le Conseil d’Etat par la voix de son Commissaire du gouvernement n’avait pas suivi ce chemin.

En effet, Francis Lamy estimait qu’aucune preuve ne doit être rapportée par le requérant dès lors que les articles 371-2 et 203 du Code civil posent une présomption selon laquelle les parents assument l’éducation de leurs enfants. En conséquence, il semblerait que ce soit à l’administration d’apporter la preuve que l’homme fonctionnaire n’a pas assuré ladite obligation. Cette position était totalement opposée à celle affirmée par la CJCE qui, pour atténuer les conséquences économiques de l’incompatibilité, affirmait "qu’il n’est pas établi que le nombre de fonctionnaires masculins retraités en mesure de prouver qu’ils ont assumé l’éducation de leurs enfants est de nature à provoquer des répercussions économiques graves".

Néanmoins, le Conseil d’Etat semblait avoir trouvé une parade afin d’atténuer l’impact de ce bouleversement. En effet, le juge précisait, dans le corps de sa décision, que "la demande de révision de la pension (a été formulée) dans le délai d’un prévu à l’article L. 55 du code des pensions civiles et militaires". Cet article prévoit en effet que "la pension et la rente viagère d’invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l’initiative de l’administration ou sur demande de l’intéressé que dans les conditions suivantes (...) dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d’erreur de droit".

Ainsi, seuls les fonctionnaires qui se sont vus notifié la décision voici moins d’un an pourraient bénéficier du principe posé par le Conseil d’Etat, atténuant ainsi fortement l’effet rétroactif de la mesure. Cette échappatoire devait encore être confirmée au regard de l’arrêt de la CJCE qui indiquait au mois de novembre 2001 "que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets dans le temps de cet arrêt".

Par un arrêt du 1er mars 2004, le Conseil d’Etat met fin au doute. En effet, le juge administratif estime que "lorsque postérieurement à la concession initiale de la pension, les bases de la liquidation viennent à être modifiées par une nouvelle décision, le délai prévu, en cas d’erreur de droit, par [les dispositions de l’article L. 55] n’est rouvert, à compter de la date à laquelle cette décision est notifiée, que pour ceux des éléments de la liquidation ayant fait l’objet de cette révision".

En l’espèce, le requérant s’était vu concéder une pension militaire de retraite par un arrêté du 28 février 2000 qui lui avait été notifié le 21 mars 2000. Se fondant sur la décision Griesmar, le requérant déposé une demande de révision le 20 décembre 2001. Néanmoins, le Conseil d’Etat rejette la demande. Il estime que "le délai imparti au requérant pour exciper, au soutien d’une demande de révision de sa pension, de l’erreur de droit qu’aurait commise l’administration en ne prenant pas en compte dans les éléments de liquidation de cette pension la bonification d’ancienneté mentionnée au b) de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, était expiré lorsque, le 20 décembre 2001, l’intéressé a saisi le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et le ministre de la défense d’une telle demande", un second arrêté de concession n’étant pas de nature à rouvrir le délai prévu par l’article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Pour confirmer ce principe, le Conseil d’Etat analyse les motivations de l’arrêt de la CJCE et considère que "la circonstance que, statuant sur une question préjudicielle relative à cette bonification d’ancienneté, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu, le 29 novembre 2001, un arrêt interprétant une disposition du droit communautaire sans limiter les effets dans le temps de cet arrêt n’affecte pas le droit d’un Etat membre de la Communauté européenne d’opposer aux demandes de révision de pensions établies en violation de cette disposition un délai de forclusion, dès lors que ce délai, mentionné à l’article L. 55 précité du code des pensions civiles et militaires de retraite, s’applique de la même manière aux demandes de révision de pension qui sont fondées sur le droit communautaire et à celles qui sont fondées sur le droit interne".

 


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