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Le vote blanc et le droit électoral

Par Eric LAFOND
Doctorant en Droit Public, Chargé d’enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon 3

A niveau constant entre 1945 et 1993 (environ 2,5 % des votants), le vote blanc et nul connaît un accroissement régulier depuis 1993 et se rapproche de la barre des 5% [1] (hors référendum [2]). A quelques mois de l’élection présidentielle et des élections législatives, il est bon de s’interroger sur la place de ce vote blanc dans notre droit électoral. Souvent évoqué et jamais appliqué, le principe de la reconnaissance du vote blanc comme un suffrage exprimé semble constituer une gêne au bon fonctionnement du système électoral [3]. Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi. De la révolution française au milieu du XIXème siècle [4], il constituait une alternative électorale reconnue pour l’électeur. Certes, il ne s’agissait pas encore du suffrage universel direct, ni même du suffrage masculin universel et direct fruit de l’avènement de la troisième République. Pourtant, sans entrer dans les détails du système électoral de cette période [5], nous garderons à l’esprit que le vote blanc constituait un choix électoral possible tant que la qualité d’électeur ne concernait qu’un faible nombre d’habitants. Nos ancêtres avaient peut-être alors moins le souci de l’efficacité électorale et davantage celui d’être fidèle, dans une certaine mesure, à la rhétorique démocratique ; à savoir la reconnaissance, à travers le vote, d’un droit d’expression et d’un droit de révocation des représentants [6]. Le passage progressif au suffrage universel a conduit à occulter le droit d’expression par le biais du bulletin de vote et à privilégier celui de la révocation des élus en place.

Or, l’accroissement régulier du nombre de bulletins blancs et nuls ne constitue-t-il pas un indice d’une imperfection du système électoral ? Ce constat est-il l’indicateur d’une volonté d’un électorat d’obtenir autre chose ou davantage du droit électoral ? La réponse est très certainement affirmative si on associe à la réflexion l’augmentation conséquente de l’abstentionnisme et du nombre de non-inscrits [7] qui, ensemble, portent à 50 % la population qui n’exerce plus son droit de vote. Certes, disposer d’un droit est aussi celui de ne pas s’en servir, mais cette faible participation conduit à transformer le droit électoral en une mécanique dont l’objectif, la légitimité des élus, se fragilise.

Nombre d’écrits universitaires ont abordé la question de l’abstention, essentiellement sous l’angle sociologique ou plus largement sous celui de la science politique [8], pour essayer de comprendre les raisons de ce phénomène. La question du vote blanc est le plus souvent intégrée à ces études. A l’inverse, les juristes semblent désarçonnés par ces questions et se refusent à voir là un dysfonctionnement du système électoral. Une position respectueuse des disciplines universitaire, car la problématique affleure trop les notions de psychologie du votant et du mécanisme de représentation. Une position peut-être confortable qui consiste à laisser aux mains de la science politique ce que n’ose aborder le droit. Il faut reconnaître qu’il est difficile d’appréhender juridiquement l’abstention. Elle participe en effet, à l’heure actuelle, au seul calcul du seuil permettant de valider une élection à la majorité absolue dès le 1er tour [9]. A l’inverse, le vote blanc est accessible à la réflexion juridique, car il est déjà intégré, bien que ce soit de façon paradoxale (comptabilisé, déclassé et oublié) dans le droit électoral. C’est pourquoi, il faut s’intéresser à sa qualification juridique et aux principes juridiques dont il peut être le porteur. Et de s’apercevoir qu’un changement de statut du vote blanc pourrait porter une autre application des principes forts utiles à la démocratie que sont les droits d’expression et de révocation, puis générer des conséquences concrètes sur le fonctionnement des scrutins électoraux et sur les résultats des élections [10]. C’est pourquoi, il importe de s’interroger sur les conditions de la restauration de ce droit d’expression dans le mécanisme électoral (I), mais aussi sur les modifications à apporter à un droit de révocation élargi (II).

I.- La reconnaissance du vote blanc ou la restauration du droit d’expression dans le système électoral

Dans un sondage réalisé par le Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique (CECOP), les motivations du vote blanc apparaissent comme étant les suivantes [11] :
- refus des candidats en présence (36%)
- hostilité à l’égard de la politique (35%)
- difficulté à choisir entre les candidats (20%)
- désintérêt (13%)
- manque d’information (11%)

Au-delà des réserves traditionnelles face à cet outil statistique, il convient d’admettre que ce vote est motivé. Par ailleurs, même s’il est admis qu’il est actuellement impossible de différencier le vote nul du vote blanc [12], les bulletins de vote raturés et annotés peuvent aussi être considérés comme relevant d’un processus d’expression, de contestation. Dès lors, se pose la question de la reconnaissance de cette expression, quand bien même serait-elle marginale. Elle est aujourd’hui parfois qualifiée « d’abstentionnisme civique [13] », mais cette dénomination n’est finalement que le reflet d’un système électoral qui ne confère pas à ce vote une dimension d’expression.

En effet, la mécanique électorale actuelle se réfère à un mode d’expression unilatérale, des candidats vers les électeurs : « nous vous proposons ; en votant pour nous vous acceptez ». La reconnaissance du vote blanc permet alors l’instauration d’une expression bilatérale où l’électeur peut aussi s’adresser aux candidats en leur signifiant qu’aucun d’entre eux ne le convainc, que leurs différences ne sont pas assez marquées ou que leurs propositions manquent de clarté.

Dans une élection à deux tours, il permet aussi l’installation d’un dialogue électoral entre les candidats franchissant le 2ème tour et les électeurs. Ce dialogue se définirait comme étant du type « oui, mais » ou « non, mais ». Les candidats seraient amenés à en tenir compte pour espérer convaincre ces électeurs de voter pour eux au second tour.

Enfin, il est possible que le vote blanc permette de clarifier la signification des choix électoraux. En effet, il est acquis que parmi les voix se portant sur les candidats représentant les extrêmes de l’échiquier politique, certaines constituent une forme de protestation à l’égard des partis majoritaires et non l’adhésion aux propositions de ces candidats. Dès lors, l’hypothèse que nous émettons ici est la suivante. En reconnaissant au vote blanc une capacité d’expression, il concentrera les messages de contestation, d’insatisfaction et d’attente d’autre chose. Par conséquent, les résultats électoraux offriront une lecture plus affinée du poids que représente chaque parti en présence.

Ainsi, la reconnaissance du vote blanc dans le système électoral consacre la restauration d’un droit d’expression à triple facettes qui offre une responsabilité à l’électeur, facilite le dialogue avec les candidats et clarifie les résultats électoraux. Dans le même temps, il implique bien sûr de faire évoluer le droit de révocation, constitutif de la règle démocratique.

II.- Un droit de révocation élargi

Il faut entrer dans la mécanique électorale pour comprendre les modifications importantes que peut apporter la reconnaissance du vote blanc. Aujourd’hui, les votes blanc et nul sont comptabilisés lors du dépouillement (quantification), mais le pourcentage obtenu par chaque candidat est calculé par une règle de 3 (nombre de voix exprimées en faveur d’un candidat / nombre total de votes – votes blanc et nul). Ainsi, en écartant les votes blanc et nul (disqualification), le résultat électoral obtenu se réfère-t-il à environ 95% des personnes qui se sont déplacées pour voter.

La qualification du vote blanc [14] offrirait alors, comme première conséquence, et lors d’un premier tour électoral, une somme des voix obtenues par les différents candidats inférieure à 100%, la différence étant assurée par le vote blanc. Lors d’un second tour, cela implique l’hypothèse qu’il soit possible que le vainqueur de l’élection ne soit pas élu à la majorité absolue, mais seulement relative [15]. Ainsi, dans le cas de l’élection présidentielle, il faudrait modifier l’article 7 de la Constitution du 4 octobre 1958 [16] afin de prévoir que le Président pourra être élu, au second tour, à la majorité relative [17].

La révision de la constitution est symbolique de l’ampleur de la réforme afférente à la reconnaissance du vote blanc. Il convient d’examiner à leur tour les autres conséquences qui doivent être envisagées. Ainsi, la réflexion doit-elle être menée à propos des seuils d’accès au second tour. Si pour l’élection présidentielle [18] elle ne se pose pas, car il y aura toujours deux premiers, elle est majeure pour les élections législatives et les élections municipales.

Rappelons pour ce qui concerne les législatives, qu’il est nécessaire d’atteindre, nonobstant le pourcentage obtenu, le seuil de 12.5 % des inscrits pour figurer au deuxième tour. Mécaniquement, la reconnaissance du vote blanc ne rend pas plus difficile l’accession à ce plancher. A l’inverse, lors des élections municipales, le système électoral devient plus complexe. En effet, lors du résultat du premier tour sont examinés les pourcentages obtenus par rapport au nombre de votants. Les listes dépassant le seuil de 5% ont seulement le droit de fusionner avec les liste ayant obtenu 10% et plus. Ces dernières ont aussi le droit de se maintenir au second tour. Par conséquent, la reconnaissance du vote implique de réfléchir au maintien ou à la diminution de ces seuils [19], car si un faible pourcentage de vote blanc ne modifie pas considérablement les résultats, un chiffre aux alentours de 8 à 10% aurait des conséquences importantes sur le scrutin électoral. Le droit de révocation prend ici une dimension inattendue au sens où il peut produire, dans le schéma actuel, l’exclusion des petits partis du jeu électoral. Dès lors, afin de ne pas aboutir à un résultat paradoxal que constituerait l’appauvrissement du jeu démocratique, la reconnaissance du vote blanc semble conduire, de façon concomitante, à un abaissement des seuils d’accès au second tour.

Dans cette logique, et si nous poursuivons notre raisonnement, il apparaît nécessaire d’imaginer un seuil à partir duquel le vote blanc remet en cause le scrutin électoral en tant que tel. En effet, qu’adviendrait-il de la légitimité des candidats si au second tour d’une élection le vote blanc recueillait un chiffre proche voir davantage de suffrages que les deux candidats ou les X listes en présence ? Le droit de révocation peut-il conduire à l’annulation d’une élection ? Le principe d’efficacité propre au mode de scrutin majoritaire s’oppose à cette conséquence [20]. Pourtant, il est le résultat logique de l’addition du droit d’expression et du droit de révocation.

Enfin, il convient d’examiner l’aspect financier, car ce dernier fait partie intégrante du système électoral. La loi en vigueur dispose que l’accession au remboursement des frais de campagne est conditionné par l’obtention d’un résultat égal à 5% des suffrages exprimés. Nous tirons ici les mêmes conditions que lors de nos propos précédents, à savoir le nécessaire abaissement de ce seuil.

L’approche des élections présidentielles et législatives de 2002 et la crainte d’un fort désintéressement de nos concitoyens motive partiellement cette réflexion. Plus fondamentalement, l’abstention récurrente et croissante nécessite une réflexion à laquelle les juristes doivent participer. En effet, qu’elle est la valeur de l’article 3 de notre constitution selon lequel « Le suffrage peut-être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est universel, direct et secret » si le droit d’expression et le droit de révocation propre à la Démocratie sont partiels ? Une clause de style ?


[1] En moyenne nationale pour les élections législatives ou présidentielles. Il dépasse ce chiffre dans de nombreuses circonscription ou lors des élections locales.

[2] Le référendum relatif à l’adoption du quinquennat organisé le 20 septembre 2000, outre un taux d’abstention record, a connu un niveau record de vote blanc et nul (16.18 %).

[3] Depuis 1988, douze propositions de loi (dont 6 depuis juin 1997) ont été déposées visant à reconnaître le vote blanc comme une expression électorale. Toutefois, aucune de ces propositions n’a franchi l’étape du bureau de l’Assemblée, faute d’être complète sur le plan constitutionnel et légal.

[4] 1852, cf. infra.

[5] Pour l’anecdote, on peut préciser qu’il était admis d’écrire et de faire des propositions sur les bulletins de vote. Le recensement desdites propositions était bien sûr facilité par le caractère réduit du corps électoral.

[6] En référence évidemment à la tradition démocratique grecque.

[7] Les études des cartes électorales montrent que le vote blanc ou nul et l’abstention sont deux phénomènes complémentaires. En effet, là où l’abstention est plus faible, le vote blanc et nul est plus important et inversement. Notes et Etudes documentaires, n° 5066, « La France aux urnes », 1998, pp.17-42.

[8] MAYER (N.) (dir.), Les modèles explicatifs du vote, Ed. l’Harmattan, Paris, 1997, 288 p. et plus particulièrement, SUBILEAU (F.), « L’abstentionnisme : apolitisme ou stratégie ? », pp.245-267.

[9] Il faut qu’au minimum 25 % des inscrits se soient déplacés pour qu’un candidat crédité de plus de 50% des suffrages au 1er tour soit élu et que le 2nd tour ne soit pas organisé. Il est à noter que cette règle s’applique uniquement pour les élections cantonales (art. L.193 du code électoral) et les élections législatives (art. L.126 du code électoral), sans qu’il soit aisé d’expliquer pour quels motifs les autres élections échappent à son application.

[10] Il est à noter que la Suède est le seul pays européen où le vote blanc est comptabilisé.

[11] Avril 1998. Le total des résultats est supérieur à 100% en raison de la possibilité de donner plusieurs réponses. Le même sondage mentionne la fait que 62% des personnes interrogées seraient favorables à la reconnaissance du vote blanc.

[12] Sont comptabilisés comme vote nul : les enveloppes vides, les enveloppes comprenant plus de 1 bulletin, les enveloppes comprenant des bulletins déchirés, ou sur lesquels des inscriptions ont été ajoutées, etc. Les procès-verbaux officiels dénombrent ainsi treize catégories de ces formes de vote. Pour mémoire, nous rappellerons que l’assimilation du vote blanc et du vote nul date d’une décision de la Chambre de 1839, confirmée par décret le 2 février 1852 et par une loi de 1915.

[13] Notes et Etudes documentaires, op.cit. Voir aussi, SUBILEAU (F.), Communication du Centre d’étude de la vie politique française, mai 1997.

[14] Légalement, il s’agira de modifier l’article L 65 du code électoral. Pour ne pas trop complexifier la présentation, nous engloberons les votes nuls.

[15] Il faut noter ici qu’en Grèce où le vote blanc est reconnu, le pourcentage obtenu par le vote blanc est automatiquement ajouté au parti vainqueur de l’élection afin de favoriser l’efficacité du scrutin majoritaire. La méthode est surprenante car elle atténue le droit d’expression et fragilise le droit de révocation.

[16] « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. »

[17] Il ne s’agit pas là d’une hypothèse d’école, car si on se réfère aux chiffres de 1995, la comptabilisation des votes blanc modifie le score de M. CHIRAC qui passe de 52.64 % à 49.6 %.

[18] Idem pour les élections cantonales.

[19] Pour éclairer nos propos, prenons l’exemple d’une liste ayant réalisé 5,1% des suffrages exprimés au premier tour des élections avec le système actuel. Le taux de vote blanc et nul est de 4,5%. En comptant tous les suffrages, elle n’obtient plus que 4,88 %, ce qui signifie qu’elle ne peut plus fusionner au 2nd tour.

[20] A l’identique, la faible participation des électeurs lors de scrutins partiels ou à lors de plusieurs scrutins successifs (élections cantonales de 1988) plaide pour éviter la multiplication des consultations.

© - Tous droits réservés - Eric LAFOND - 25 mai 2002

 


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