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Le fantôme du Président Lebrun à l’Elysée ?
Par Michel VERPEAUX
Professeur à l’Université de Paris II Panthéon-Assas
Par Bertrand MATHIEU
Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Le fantôme du Président Lebrun, comme celui de ses prédécesseurs, rôde à l’Elysée, profitant de l’affaiblissement du Chef de l’Etat dû tant à une cohabitation durable, mais conforme aux institutions, qu’à une mise en cause du titulaire actuel de la fonctions dans des affaires judiciaires.
En fait, au delà des
attaques portées contre Jacques Chirac, c’est la fonction présidentielle
qui est mise en cause. Elle est attaquée de multiples manières
: réduction de la durée du mandat présidentiel, contestations
des prérogatives présidentielles, banalisation de la situation
du Président face à la justice.
Reprenons chacune de ces
questions.
Indépendamment des
motivations contradictoires et souvent implicites qui ont déterminé
les positions politiques au regard de la réduction de la durée
du mandat présidentiel, c’est à une banalisation de ce mandat
que l’on aboutit. L’hypothétique pas ainsi franchi vers la présidentialisation
du régime ne conduit pas nécessairement au renforcement du
président au sein du système institutionnel. Cinq ans, c’est
moins que sept ans, et la logique des chiffres est ici imparable. En revanche,
il est probable que le septennat non renouvelable se fut inscrit dans la
logique d’une présidence non pérenne mais affirmée.
C’est alors la portée du mandat donné par le Peuple qui est
réduite.
La contestation de la faculté
accordée au Président de la République d’intervenir
dans la fixation de l’ordre du jour du Conseil des ministres, à
propos du projet de loi sur la Corse, s’inscrit dans la même logique,
celle selon laquelle la cohabitation aurait transformé le Président
de la République en soliveau institutionnel. Cette contestation
du rôle du Président de la République n’a d’ailleurs
pas épargné, hier, le Président Mitterrand, lorsque
lui fût contesté le droit de ne pas signer des ordonnances
prises par le gouvernement habilité par le Parlement. C’est alors
la position du Président de la République face au Parlement
qui est affaiblie.
Enfin, lorsque la décision
du Conseil constitutionnel, interprétant la Constitution comme conférant
au Chef de l’Etat une immunité de juridiction durant l’exercice
de ses fonctions, est contestée car censée résulter
d’un échange de bons procédés entre un Président
du Conseil constitutionnel présumé délinquant et un
président de la République qui ne le serait pas moins, la
bassesse du procédé atteint des sommets. C’est alors l’indépendance
du Président de la République vis à vis de l’institution
judiciaire qui est rejetée.
Cette décision du
Conseil constitutionnel, solidement fondée en droit, s’impose à
toutes les autorités de l’Etat, y compris les autorités juridictionnelles.,
comme l’a d’ailleurs pertinemment reconnu le procureur général
auprès de la Cour de cassation, objet, de ce fait, et soit dit en
passant de l’opprobre d’un parlementaire, emporté par son impétuosité.
Dernier avatar en date,
témoignant d’un mépris affiché pour la fonction présidentielle,
un juge d’instruction décide de convoquer, à son cabinet,
comme témoin, le Président de la République en le
menaçant d’user de la force publique s’il se montre récalcitrant.
Cette procédure traduit non seulement une violation du droit mais
aussi une ignorance parfaite de la logique institutionnelle relative
au rôle et à la place du Chef de l’Etat dans les institutions.
En effet, l’article 5 de la Constitution fait du Président de la
République le gardien de la Constitution, l’arbitre qui veille au
fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de la continuité
de l’Etat ainsi que le garant d’un certain nombre d’exigences fondamentales
dont, au titre de l’article 64C, l’indépendance de l’autorité
judiciaire. Ces dispositions placent naturellement le Président
hors d’atteinte du pouvoir parlementaire comme du pouvoir juridictionnel.
Cependant par une procédure qui emprunte à la fois à
la logique politique et à la logique juridictionnelle, sans vraiment
trancher entre ces deux voies, le Parlement peut décider de traduire
le Chef de l’Etat devant la Haute Cour de justice. Ainsi, la Constitution
crée, en faveur du Président de la République une
immunité, contrepartie et garantie de l’exercice de ses fonctions
spécifiques, elle ne crée pas d’impunité. Si le Parlement
estime que le Président a commis des actes pénalement sanctionnables,
qu’il le renvoie devant la Haute Cour de justice, mais que les accusateurs
ne s’abritent pas derrière les manœuvres de juges, dans le meilleur
des cas, s’autoproclamant investis d’une mission rédemptrice.
La vraie question, au delà
de ces manœuvres politiciennes, est celle de savoir s’il est opportun d’abattre
la statue du commandeur érigée, s’agissant le Président
de la République par le texte et la pratique constitutionnels de
la V°République. La réponse semble entendue, à
l’heure de la régulation et du consensus, il convient d’abattre
ce vestige monarchique qu’incarne le Chef de l’Etat. Dans une démocratie
apaisée et moderne, tracée au fil d’une égalité,
plus rêvée que réelle, aucun homme, ne serait ce le
Chef de l’Etat, ne doit disposer d’une puissance qui dépasse sa
condition de citoyen parmi les citoyens. Prenons cependant garde à
ce que derrière cet affaiblissement et cette banalisation de la
fonction présidentielle ne se cachent d’autres puissances. Peut
être celle d’un parlement qui, affaibli tant dans sa fonction normative
que dans celle de contrôle du gouvernement, cherche à retrouver
une force, source de faiblesse politique, bâtie sous la III°République
et que la V°République avait affaibli en la partageant. Plus
sûrement celle d’un pouvoir judiciaire, Janus biface, qui offre à
la fois le visage de la légitimité fondée sur une
indépendance revendiquée et une dangerosité tenant
à l’absence de véritable responsabilité et de contrôle.
C’est alors peut être la figure, revisitée et modernisée,
des parlements d’Ancien Régime qui se dessine sous le prétexte
du combat contre une monarchie, en réalité définitivement
défunte.
Le débat mérite
en tout cas d’être ouvert et conduit avec de vrais arguments et non
pas d’être caché par des attaques sournoises contre tel ou
tel titulaire de la fonction. A force de vouloir effacer la stature donnée
à la fonction présidentielle par le Général
de Gaulle et ses successeurs, c’est le portrait du Président Lebrun
et de ses prédécesseurs qui apparaîtra.
© - Tous droits réservés - Bertrand MATHIEU,
Michel VERPEAUX - 13 avril 2001
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