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7 janvier 2001
Décision n° 2000-D-66 du 7 janvier 2001 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution des laits infantiles
LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre en date du 5 octobre 1993, enregistrée sous le numéro
F 654, par laquelle le ministre de l’économie a saisi le Conseil
de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des laits
infantiles en raison de l’existence du système " des tours de laits
" ;
Vu le livre IV du code du commerce et le décret n° 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié, pris pour application de l’ordonnance
du 1er décembre 1986 ;
Vu les observations présentées par les sociétés
Laboratoire Gallia SA (ex Nutripharm Elgi), Nestlé France SA, Milupa
SA, Nutricia France SA, Sodilac SAS, Bristol Myers Squibb SA, ITM Marchandises
International SA, ITM Entreprises SA, SCA Sucres et Dérivés,
Carrefour France SA, Auchan France SA, la Société Française
des Laits Médicaux Materna SA, la SA Ancenis Distribution, la SA
Lunel Distribution et le commissaire du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement et les représentants du Laboratoire Gallia SA, des
sociétés Nestlé France SA, Milupa SA, Nutricia France
SA, Sodilac SAS, Bristol Myers Squibb SA, de la Société Française
des Laits Médicaux Materna SA, de la SA Ancenis Distribution, de
la SA Lunel Distribution, d’ITM Marchandises International SA, d’ITM Entreprises
SA, de la SCA Sucres et Dérivés, de Carrefour France SA,
de Auchan France SA entendus lors de la séance du 31 octobre 2000
;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et
sur les motifs (II) ci-après exposés :
I. - Constatations
A. - LE SECTEUR CONCERNE
1. Le marché des laits infantiles
a) Les produits
Les laits infantiles sont des aliments lactés diététiques
destinés aux enfants de la naissance jusqu’à l’âge
de douze mois. Ils peuvent être utilisés dès la naissance
à titre exclusif ou à titre de complément de l’allaitement
maternel.
Les laits infantiles sont donc des produits qui concurrencent un produit
humain et s’adressent à des consommateurs particulièrement
vulnérables, les nourrissons. Compte tenu de ces deux caractéristiques,
ces produits sont encadrés par un ensemble de règles internes
et internationales qui ont pour but d’assurer leur qualité physiologique
et d’éviter que leur mise sur le marché ne s’effectue au
détriment de l’allaitement maternel.
a.1) Le cadre réglementaire :
Les arrêtés du 1er juillet 1976 et du 30 mars 1978
Ces textes définissent les mentions qui doivent figurer sur l’emballage
des laits infantiles et la qualité physiologique de ces produits.
S’agissant de l’emballage, l’arrêté de 1978 prévoit
qu’il doit comporter une mention précisant le ou la catégorie
de consommateurs concernés, notamment " nourrissons âgés
de plus de quatre mois ", et " enfants en bas âge ". Ces deux décrets
ne créent pas d’obligation en matière de publicité.
La directive du 14 mai 1991 et la loi n° 94-442 du 3 juin 1994
La directive du 14 mai 1991 relative aux préparations pour nourrissons
et aux préparations de suite a été établie
à partir des recommandations émises en 1981 par l’OMS dans
le " code international de commercialisation des substituts du lait maternel
".
Dans son avis n° 87-A-02 du 31 mars 1987 relatif au code de bonnes
pratiques commerciales préconisé par les fabricants de laits
infantiles, soumis à son avis, le Conseil relevait que le code précité
avait été élaboré pour s’élever contre
l’influence néfaste qu’avaient les opérations publicitaires
des fabricants d’aliments lactés diététiques sur l’allaitement
maternel et était destiné à mettre un terme aux surenchères
auxquelles se livraient les producteurs de lait maternisés pour
s’attirer les faveurs des consommateurs et des établissements d’accouchement.
Le code précité préconisait notamment que les méthodes
de commercialisation des substituts du lait maternel ne devaient pas nuire
à la promotion de l’allaitement au sein. Ainsi, il retenait que
:
" il ne devrait y avoir ni publicité ni aucune forme de promotion
auprès du grand public de produits visés par le présent
code " (article 5.1) ;
" les fabricants et distributeurs ne devraient fournir ni directement
ni indirectement aux femmes enceintes, aux mères ou aux membres
de leurs familles des échantillons de produits visés par
le présent code " (article 5.2) ;
" Conformément aux paragraphes 5.1 et 5.2, il ne devrait y avoir
pour les produits visés par le présent Code ni publicité
aux points de vente, ni distribution d’échantillons, ni aucune autre
pratique promotionnelle de la vente directe aux consommateurs au niveau
du commerce de détail, telle qu’étalages spéciaux,
bons de réduction, primes, ventes spéciales, ventes à
perte et ventes couplées. Cette disposition ne devrait pas restreindre
l’élaboration de politiques de pratiques en matières de prix
visant, à long terme, à fournir des produits à meilleur
marché. " (article 5.3).
En ce qui concerne l’étiquetage, l’article 9.2 du code prévoyait
notamment que l’emballage devrait comporter : " (...), b) une mention de
la supériorité de l’allaitement au sein ; c) la mention du
fait que ce produit ne doit être utilisé que sur avis d’un
agent de santé qui en aura indiqué la nécessité
et expliqué le mode d’emploi correct (..) ".
La directive du 14 mai 1991 a défini, tout d’abord, dans son
article 1er, alinéa 2, ce que l’on entend par nourrisson, préparation
pour nourrissons et préparations de suite :
" a) nourrissons, les enfants âgés de moins de douze mois
(...°) ;
c) les préparations pour nourrissons, les denrées alimentaires
destinées à l’alimentation particulière des nourrissons
pendant les quatre à six premiers mois de leur vie et répondant
à elles seules aux besoins nutritionnels de cette catégorie
de personnes ;
d) préparations de suite, les denrées alimentaires destinées
à l’alimentation particulière des nourrissons de plus de
quatre mois et constituant le principal élément liquide d’une
alimentation progressivement diversifiée de cette catégorie
de personnes ".
S’agissant de la commercialisation de ces produits, elle précise,
dans son article 7, les mentions obligatoires que doivent comporter les
emballages : " une mention relative à la supériorité
de l’allaitement au sein " (alinéa 4, a) et " une mention recommandant
de n’utiliser le produit que sur avis de personnes indépendantes
qualifiées dans le domaine de la médecine, de la nutrition
ou de la pharmacie, ou d’autres spécialistes responsables des soins
maternels et infantiles " (alinéa 4, b) ;
S’agissant de la publicité, l’article 8 alinéa 2 précise
que, pour les préparations pour nourrissons, il ne doit pas y avoir
de publicité ou toutes autres pratiques promotionnelles de ventes
directes aux consommateurs au niveau du commerce de détail. Enfin,
l’alinéa 3 de cet article prévoit, que " les fabricants et
les distributeurs de préparations ne peuvent fournir au grand public
ni aux femmes enceintes, aux mères ou aux membres de leur famille
des produits gratuits ou à bas prix, des échantillons ou
tout autre cadeau promotionnel, ni directement ni indirectement par l’intermédiaire
des services de santé de leurs agents ".
Cette directive a été partiellement transposée
en droit interne par la loi n° 94-442 du 3 juin 1994. Les dispositions
retenues par la loi ont été introduites dans le code de la
consommation. Elles concernent la définition des laits infantiles
(article L 121-50 du code de la consommation), la publicité (article
L 121-51) et la promotion (articles L 121852 et L 121-53).
Il résulte de ces éléments qu’étaient en
vigueur à l’époque des pratiques objets de la présente
saisine les arrêtés de 1976 et 1978 et la directive de 1991.
a.2) Les familles de produits
Il existe deux principales familles de produits au sein des laits infantiles,
ainsi que cela ressort des textes précités : les laits premier
âge ou " préparations pour nourrissons " qui constituent un
substitut direct du lait maternel pendant les quatre premiers mois de la
vie du nourrisson, les laits deuxième âge au delà du
quatrième mois ou " préparations de suite ", qui ont pour
substitut direct le lait de vache.
Au sein de ces deux familles de produits, on distingue les laits infantiles
standard, qui représentent 95 % des ventes de laits, et les laits
hypoallergéniques destinés aux nourrissons victimes ou porteurs
de gènes allergiques (ou laits spéciaux), qui ne sont délivrés
qu’en pharmacie sur prescription médicale, à la différence
des laits standard, commercialisés librement dans les pharmacies
et les circuits de distribution alimentaire classiques depuis 1989.
Les laits élaborés par les différentes marques
sont très proches, ainsi que cela ressort des tableaux comparatifs
figurant dans le rapport d’enquête annexé au rapport. Cette
situation résulte, comme l’avait déjà souligné
le Conseil dans son avis n° 87-A-02 du 31 mars 1987, de la réglementation
précitée qui laisse peu de latitude aux producteurs. Cette
analyse est également partagée par les professionnels de
santé (sages-femmes, pédiatres, gynécologues, pharmaciens)
rencontrés au cours de l’enquête qui reconnaissent unanimement
qu’à l’exception des laits hypoallergéniques, les laits infantiles
sont équivalents et parfaitement substituables entre eux. Ainsi
par exemple :
Hôpital Notre Dame de Bon Secours à Paris : " (...) Sauf
pour les laits H.A (laits hypoallergéniques) ils sont équivalents
entre les marques (...) ".
Polyclinique de Courlancy à Reims : " (...) En terme de qualité
il est possible de considérer que les laits des différentes
marques sont équivalents (...)".
Polyclinique Saint-Vincent à Epernay : " (..) Les laits
sont d’ailleurs équivalents entre eux (...) ".
b) La demande
Le niveau de consommation des laits infantiles dépend directement
du nombre des naissances et du choix des mères d’allaiter ou non
leur(s) enfant(s). Actuellement, en France, le nombre des naissances oscille
entre 750 000 et 780 000 par an et l’allaitement au sein est choisi dès
la naissance par la moitié des mères. Par la suite, on constate
que 40 % des mères allaitantes ont arrêté au bout de
quatre semaines, 50 % après six semaines, 60 % après huit
semaines et 80 à 90 % après trois mois.
La consommation de laits infantiles (premier âge, deuxième
âge standard, laits spéciaux) est donc relativement stable,
autour de 16 000 tonnes par an. Les laits spéciaux représentent
5 % du marché. Les laits premier âge voient leur part relative
diminuer progressivement pour atteindre environ 50 % du marché (80
% en 1980). En revanche, les laits deuxième âge ont progressé
pour atteindre 45 % du marché (15 % en 1980). Cette évolution
traduit un changement de comportement de la demande qui s’oriente vers
des produits plus " techniques ", prolongeant la consommation de laits
" médicalisés ". Depuis que ces produits sont diffusés
en grande distribution, les producteurs ont appréhendé ce
phénomène et s’efforcent de le prolonger au delà de
douze mois en proposant des laits dits " de croissance " supplémentés
en fer, vitamines et acides gras essentiels, destinés aux enfants
de un à trois ans.
La demande des laits infantiles se manifeste d’abord dans les maternités
(publiques et privées : 925 en 1992) au moment de la naissance et
du court séjour hospitalier postnatal (quatre à huit jours).
La quasi-totalité des naissances ont lieu dans les maternités
; celles-ci représentent 10 % de la demande de lait infantile. Les
maternités doivent promouvoir l’allaitement maternel conformément
au code OMS, mais elles doivent aussi fournir du lait infantile aux mères
qui ne désirent pas allaiter leur enfant, cette fourniture faisant
partie intégrante de la prestation globale couverte par le prix
de journée. Ce lait, livré gratuitement par les fabricants
de laits infantiles dans la quasi totalité des maternités
(cf infra) sous forme de biberons liquides prêts à l’emploi
(nourettes) est préconisé par les établissements d’accouchements
aux parents qui n’exercent en pratique aucun choix sur la marque.
Après le retour au domicile, la demande émane des parents
(90 % de la demande de lait infantile). A ce stade, si les mères
disposent en pratique du choix entre les marques de lait en poudre, sauf
prescription médicale impérative de lait hypoallergénique,
elles restent fidèles à la marque consommée en maternité
pour le lait premier âge comme pour le lait deuxième âge,
ainsi que cela ressort des déclarations des producteurs et d’un
sondage SOFRES de mai 1991, alors qu’elles pourraient changer de marque
sans inconvénient pour leur(s) enfant(s), comme l’ont reconnu les
professionnels de santé précités (§ a.2), notamment
après quatre mois lorsque les nourrissons commencent à avoir
une alimentation diversifiée.
c) L’offre
L’offre émane d’un petit nombre de producteurs. Le marché
des laits infantiles est en effet approvisionné par sept entreprises
: la Société Française des Laits Médicaux Materna
SA, le laboratoire Mead-Johnson, acquis par fusion par la société
Bristol Myers Squibb SA, la SA Nutricia France, la SA Milupa, la SAS Sodilac,
la SA Sopad-Nestlé, devenue par fusion absorption Nestlé
France SA le 30 décembre 1994, la SA Nutripharm-Elgi (devenue Laboratoire
Gallia SA).
L’offre est en outre très concentrée. Il ressort du tableau
ci-après que, sur la période 1980-1992, les deux premiers
producteurs détiennent 60 % du marché, les trois premiers
75 % et les quatre premiers 90 %.
Enfin, ce marché se caractérise par la faiblesse des variations
des parts de marché des quatre principaux producteurs, Nestlé,
Nutripharm, Milupa, Sodilac, ainsi que cela résulte également
du tableau ci-dessous, pour les laits premier et deuxième âge
standard.
|
1980 |
1981 |
1982 |
1983 |
1984 |
1985 |
1986 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
NESTLE |
41 |
42,5 |
40,6 |
40,3 |
37,8 |
35,6 |
39,4 |
35,2 |
36,3 |
35,3 |
35,7 |
35,4 |
NUTRIPHARM |
24,9 |
22,5 |
23,8 |
24,4 |
24,3 |
23,5 |
18,3 |
26,3 |
26,9 |
24,3 |
22,8 |
23,7 |
MILUPA |
15,7 |
16,7 |
16,9 |
18 |
18,4 |
19,1 |
20 |
18,7 |
17,7 |
17,3 |
17,0 |
17,3 |
SODILAC |
14,1 |
14,2 |
15,1 |
14 |
16 |
18,3 |
15,5 |
13,8 |
12,8 |
11,3 |
13,4 |
12,1 |
MEAD-JOHNSON |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
0,4 |
3,7 |
3,6 |
4,4 |
4,5 |
4,8 |
NUTRICIA |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
1,8 |
NC- |
NC- |
5,7 |
5,5 |
5,6 |
MATERNA |
1,4 |
1,4 |
1,3 |
1,2 |
1,4 |
1,3 |
1,3 |
1,3 |
1,4 |
1,2 |
1,1 |
1,1 |
Sources : 1980-1986 : statistiques GERS (circuit officine) ; 1988-1992
: statistiques GERS+NIELSEN
En ce qui concerne la distribution, à l’exception des laits hypoallergéniques
qui restent exclusivement vendus en pharmacie sur prescription médicale,
les laits infantiles sont vendus depuis 1989 à la fois en pharmacie
et dans les circuits classiques de distribution alimentaire. Il est à
noter qu’en l’espace de trois ans (1989-1992), les pharmacies sont passées
d’une quasi-exclusivité à un rôle secondaire (30 %
des ventes) au profit de la grande distribution alimentaire (70 % des ventes),
en raison de prix plus attractifs.
Par ailleurs, il convient de relever que tous les fabricants de laits
infantiles produisent des compléments de nutrition pour enfants
(céréales, aliments de régimes, jus de fruits...)
qui représentent de 17 % (Milupa) à 43 % (Nutripharm) de
leur chiffre d’affaires. Le lait est le produit qui permet de fidéliser
les mères à la marque des fabricants, comme en témoigne
le document de présentation des investissements promotionnels de
la société Milupa, qui précise : " le lait est la
locomotive des céréales et des boissons ". Le directeur général
de la société Nutricia a confirmé ce rôle d’entraînement
joué par les laits infantiles pour les autres produits de la marque
(procès-verbal du 8/04/99).
B - LES PRATIQUES CONSTATEES
1. Le système des " tours de lait " dans les maternités
Les " tours de laits " dans les maternités consistent pour les
fabricants à approvisionner en laits infantiles à tour de
rôle, par année, chaque maternité, en obtenant l’assurance
que les enfants nés au cours d’une période donnée
dans l’établissement seront alimentés exclusivement avec
un produit de leur marque et que seront fournis à la mère
à sa sortie, soit des échantillons gratuits de " dépannage
", soit une fiche ou un livret lui recommandant expressément d’utiliser,
après sa sortie, le produit de la marque considérée.
a) Un système généralisé
Les déclarations recueillies auprès des maternités
et des producteurs ont permis de mettre en évidence que :
le système des tours de lait est pratiqué dans la quasi
totalité des établissements publics et privés :
Société Milupa (procès-verbal du 21/12/1992) :
" D’une façon générale, en maternité, les
laits sont diffusés selon le principe des tours de laits, à
90%. En effet, il existe encore quelques établissements qui prennent
des fournisseurs au coup par coup ".
Société Nestlé (procès-verbal du 17/12/1992)
:
" Pour la diffusion en maternité elle se fait selon le système
des tours de lait ".
Laboratoire Mead Johnson (procès-verbal du 8/12/1992) :
" ... Pour la diffusion en maternitédeslaits, elle se fait
sur la base des tours de lait, lesquels existent traditionnellement depuis
toujours. Ces tours sont établis par les maternités sur la
base de critères essentiellement relationnels... ".
En outre, les documents recueillis lors de l’enquête ont permis
d’établir que, sur les 925 établissements d’accouchement
recensés, Milupa était présente dans 824 établissements
soit 89 %, Materna dans 138 soit 15 %, Nutripharm dans 90 % des maternités,
Nestlé dans 875 soit 95 %, Nutricia dans 54 maternités soit
5,8 %, Mead Johnson dans 476 soit 51 %.
le système des tours de lait concerne les laits normaux premier
âge et les laits hypoallergéniques :
Centre hospitalier de Juvisy (procès-verbal du 6/11/1992) :
- " Les deux grandes catégories de laits, normaux 1er âge
et hypoallergéniques (HA), sont diffusées avec le système
du tour de lait... ".
Centre hospitalier Louise Michel à Evry (procès-verbal
du 5/11/1992) :
" La distribution du lait infantile fonctionne selon le système
des tours de lait ( ...) le tour de lait est établi en quantité
soit en 1er âge 9 fournisseurs, en HA (hypo-allergénique)
3 fournisseurs. (...°) ".
Ce système est ancien et est accepté par les fournisseurs
Hôpital Notre Dame de Bon Secours, Paris (procès-verbal
du 29/10/1992) :
" La mise en place de ces tours de laits remonte à plusieurs
années. Actuellement le système donne satisfaction et nous
nous efforçons de conserver une répartition équitable
entre les marques, lesquelles sont également favorables au système.
Jusqu’à présent aucune d’entre elles ne l’a remis en cause...
".
Centre Hospitalier d’Arpajon (procès-verbal du 3/11/1992) :
" ... Les différents types de laits infantiles utilisés
le sont sur la base du système des tours de laits... Le planning
s’efforce d’accueillir tous les fournisseurs qui se présentent sans
discriminations et à tour de rôle ... Le tour de lait est
en moyenne de 2 mois par fournisseur. Ce système est établi
depuis longtemps et jusqu’à présent est bien accepté
par les fournisseurs ".
Centre Hospitalier Général de Longjumeau (procès-verbal
du 3/11/1992) :
" ... Leur distribution fonctionne suivant le système des tours
de laits. L’établissement s’efforce de travailler à tour
de rôle avec les différents fournisseurs existants, d’autant
plus que les produits qu’ils proposent sont sensiblement équivalents.
(...°) Ce système du tour de lait existe depuis longtemps" et
est bien accepté par les fournisseurs ".
Centre Hospitalier Louise Michel, à Evry (procès-verbal
du 5/11/1992) :
" Jusqu’à présent le système du tour de lait est
bien accepté par tous les partenaires, et le consensus n’a pas été
remis en cause, depuis 10 ans qu’il est établi ici. Les fournisseurs
ont été intégrés au fur et à mesure
au tour de lait dès lors qu’ils ont pu fournir l’établissement
en conditionnement nourette (mini-biberons prêts à l’emploi)
".
Centre Hospitalier de Juvisy (procès-verbal du 6/11/1992) ;
" Ce système est bien accepté par les fournisseurs...
".
Polyclinique Courlancy, Reims (procès-verbal du 4/11/1992) :
" La diffusion des laits fonctionne selon le système des tours
de lait établi depuis longtemps (...)".
Société Milupa (procès-verbal du 21/12/1992) :
" (...) La pratique du tour de lait existe depuis au moins 30 ans ".
Les tours de laits sont définis par année
Hôpital des métallurgistes Pierre Rouques à Paris
11ème (procès-verbal du 30/10/1992) :
" (...°) Le planning des tours de lait est établi chaque
année en fin d’année pour l’année suivante, par l’établissement.
".
Société Nutripharm (procès-verbal du 23/12/1992)
:
" ... Cette diffusion se fait selon la formule des tours de laits c’est-à-dire
que les fournisseurs retenus passent à tour de rôle dans l’année.
Les tours sont établis par la maternité (...) ".
Le tour de lait accordé par les maternités à chaque
marque est déterminé soit par période soit par quantités
Société Milupa (procès-verbal du 21/12/1992) :
" (..°) Le tour de lait consiste en un tour de rôle des fournisseurs
retenus, établi par les pédiatres de façon générale.
Les tours sont établis sur la base de deux critères :
- soit le temps : nombre de semaines ou mois.
- soit en quantité : nombre de prescriptions.
Le 1er critère est le plus fréquent (..°)".
Société Nestlé (procès-verbal du 17/12/1992)
:
" Pour la diffusion en maternité elle se fait selon le système
des tours de lait. Selon le cas le tour de rôle est basé soit
sur une période soit sur du quantitatif (nombre de naissances).
Approximativement on peut estimer le critère de période répandu
à 60%, contre 40% pour le critère quantitatif ".
Société Nutricia (procès-verbal du 11/12/1992)
:
" Pour la diffusion en maternité il faut nécessairement
passer par le système des tours de lait qui existe partout, c’est-à-dire
que les fournisseurs passent à tour de rôle : le plus souvent,
dans la grande majorité des cas ce tour de rôle est défini
par périodes de temps (1 mois à 3 mois en général)
".
Société Sodilac (procès-verbal du 9/12/1992) :
" Cette diffusion se fait selon le système des tours de lait
(T.D.L), c’est-à-dire que dans un établissement les marques
retenues passent à tour de rôle, selon les modalités
variables :
- par périodes de 1, 2, 3 mois ou autres
- par quantités : en nombre de biberons, en nombre de palettes,
etc...
Ce sont les pédiatres ou des personnes appartenant à l’établissement
qui sont décideurs et choisissent leurs marques, les modalités
et la périodicité ".
b) Le versement de dons aux établissements d’accouchements condition
déterminante pour entrer dans les tours de lait
Selon les déclarations des maternités et des producteurs,
le choix des fournisseurs serait notamment établi à partir
des bonnes relations avec les marques, le sérieux de celles-ci en
matière d’approvisionnement, l’étendue de la gamme ou la
volonté de privilégier les marques françaises. Toutefois,
le versement de dons et de prestations annexes en plus de la livraison
gratuite de lait ou à prix très faible aux maternités
est le critère déterminant dans le choix des marques par
les établissements, comme l’ont reconnu les différents producteurs.
b.1) La reconnaissance par les fournisseurs du caractère
déterminant des " dons " pour leur participation aux tours de lait
Société Sodilac (procès-verbal du 9/12/1992) :
" L’attribution des tours de lait se fait selon les critères
suivants :
- qualité ou types de produits (modifiés ou maternisés),(...°).
Les services annexes qui pèsent dans la décision ce sont
:
- des participations financières pour des enseignements post-universitaires
;
- des formations diverses des personnels de l’établissement ;
- des séminaires et congrès à vocation pédiatrie,
gynécologie, puériculture ;
- des versements à des associations pour l’achat de matériel
à vocation médicale.
Les produits étant très proches, ce sont ces services
qui font la différence. Il est fortement probable que si Sodilac
cessait d’attribuer ce service, la marque serait écartée
du tour de lait dans l’établissement concerné, car tout le
monde le fait (...).
Concernant les services annexes précités, ce type de "
partenariat " existe dans 95 % au moins des établissements ".
Société Materna (procès-verbal du 22/12/1992)
:
" Pour y être retenu (dans les maternités) les critères
sont les suivants par ordre d’importance décroissante :
- en premier lieu la participation financière. Il n’est pas possible
d’entrer ou de rester dans une clinique si l’entreprise n’accepte pas de
verser un don ou une subvention, c’est la condition sine qua non dans la
quasi-totalité des cas.
(...) Les exigences des maternités en matière de " subventions
" sont croissantes et il est difficile à Materna compte tenu de
sa taille de suivre sur ce terrain les budgets proposés par les
concurrents plus importants. Le caractère incontournable de ces
budgets et leurs montants constituent une barrière à l’entrée
qui ne fait qu’augmenter au fil du temps (...) ".
Société Nutricia (procès-verbal du 11/12/1992)
:
" Bien que Nutricia soit selon les années 2ème ou 3ème
fabricant en Europe, il lui est très difficile d’entrer dans les
tours de lait (TDL) en France pour les raisons suivantes :
faible notoriété car peu connue ;
gamme peu étendue (..°) ;
impossibilité pour Nutricia, compte tenu de sa taille, d’offrir
des avantages trop importants, comme nous le demandent certaines maternités
;
volonté dans tous les cas de ne verser qu’à des associations
qui n’existent pas partout (...).
Pour les " avantages annexes " Nutricia a défini une éthique
qui consiste à n’octroyer des fonds qu’à des associations
reconnues, et pour un montant limité (3 à 4000 francs en
moyenne), jamais à des personnes physiques ou directement à
une clinique.
Concernant ces avantages la demande en est quasi-systématique.
Pour Nutricia environ 15 % de ses maternités n’ont pas de contreparties.(..°).
Le plus souvent, lorsque Nutricia a été confrontée
à des blocages de la part de cliniques sur ces avantages, ils concernent
plus leur niveau que leur principe même, c’est à dire que
Nutricia ne proposait pas assez ".
Société Nestlé (procès-verbal du 17/12/1992)
:
"(...) En outre pour être retenu dans le tour de lait, il faut
à quelques exceptions près, octroyer à l’établissement
une " aide ", qui peut s’apparenter à une prime de référencement.
En général ces avantages sont négociés chaque
année, parfois ils sont établis pour deux trois ans. (...).
Les aides sont toujours versées à des associations ou
des personnes morales - elles ont pour objet de financer :
l’achat de matériel médical ou l’amélioration
du confort de l’établissement,
l’aide à l’enseignement post-universitaire (EPU),
la participation à des séminaires congrès ".
Société Nutripharm (procès-verbal du 23/12/1992)
:
" Pour la présence dans le tour de lait, la majorité
des établissements réclament une participation financière
sous des formes diverses ".
Société Milupa (procès-verbal du 21/12/1992) :
" A près de 80% actuellement, pour rester dans les tours de
lait il est nécessaire de faire un don à l’établissement.
Pour Milupa ces dons peuvent prendre trois formes :
convention commerciale
versement à une association de l’établissement
achat de matériel par Milupa, livré à l’établissement
".
Laboratoire Mead-Johnson (procès-verbal du 8/12/1992) :
" En ce qui concerne les avantages annexes octroyés à
des maternités, intitulés " subvention " ou " aides financières",
dans un souci d’éviter une surenchère, et dans le souci d’une
certaine éthique, Mead Johnson a mis en place depuis 1992 des principes
et une procédure exposés dans le mémorandum joint
au présent procès-verbal, et qui en substance supprime tout
lien obligatoire entre l’octroi de ces aides et l’obtention de tours de
lait. L’entreprise prévoit d’ailleurs que la mise en place de cette
politique peut provoquer la perte de tours de lait auprès de certains
établissements ".
b.2) Quelques cas de tours de lait
Différents documents recueillis au cours de l’enquête constitués
notamment de fiches de maternités, d’échanges de courriers
entre fournisseurs et maternités ou de rapports de visiteurs relatifs
à des négociations avec des établissements de santé
(rapport administratif p. 85 à 180) ont confirmé le rôle
déterminant des dons pour l’obtention par les fournisseurs des tours
de lait. A titre d’illustration de ce mécanisme, quelques cas de
tours de lait sont décrits à travers des fiches récapitulatives
de la société Nestlé et de la société
Milupa et par les courriers adressés aux maternités par la
société Nutricia.
Les fiches récapitulatives par établissement
Les fiches Nestlé
Elles relèvent le nombre annuel de naissances attribué
a chaque fournisseur présent dans le tour de lait, le coût
total du tour de lait, le coût par naissance, la périodicité
des versements à l’établissement.
Hopital d’Arpajon :
Cette fiche, établie le 17 décembre 1991, récapitule
l’année 1991 et présente le contrat obtenu pour 1992. Celui-ci
est identique au précédent. Six marques sont retenues dont
les deux de la société Nestlé. Sur les 400 naissances,
Nestlé en a obtenu 170 dont 65 à 250 F pour sa marque Guigoz
et 105 à 138 F pour sa marque Nestlé.
Clinique Caron à Athis-Mons :
Cette fiche ne présente que le contrat de l’année 1992,
ce qui signifie qu’il s’agit d’un nouvel établissement pour Nestlé.
Il apparaît que les quatre fournisseurs retenus ont chacun un nombre
de naissances identique (85 naissances sur un total de 340), pour un coût
de 294 F par naissance pour les trois fournisseurs, Jaquemaire, Sodilac,
Mead-Johnson, et de 282 F par naissance pour Nestlé. En outre, Nestlé
a bénéficié du désistement de Mead-Johnson,
85 naissances supplémentaires pour un coût diminué
de moitié (118 F par bébé). Le tour de lait 1992 de
la clinique a donc représenté 99 000 F.
Hôpital de Corbeil :
Cette fiche dresse le bilan de l’année 1992, qui constituait
pour Nestlé un premier tour de lait. Quatre fournisseurs étaient
retenus dans cet établissement pour 803 naissances. Les deux plus
importants fournisseurs étaient présents : Nutripharm avec
deux marques (200 naissances pour Gallia ; 104 pour Jaquemaire) et Nestlé
avec une marque (Guigoz avec 200 naissances). Le reste des naissances était
partagé entre Sodilac (104) et Mead-Johnson (195). Pour 1993, le
nombre de naissances prévues de 782 est en baisse. Mead-Johnson
ne figure plus au tour de lait et ses naissances sont reprises par Nestlé
(260) et Nutripharm (415 pour ses deux marques) pour un coût de 154
F par naissance, Sodilac n’obtenant que 66 naissances à 152 F. On
constate que l’hôpital, malgré un nombre de naissances en
baisse, parvient à obtenir le maintien du montant global des dons
qui représente 120 000 F en 1993 contre 120 450 F en 1992, grâce
à l’augmentation du coût par naissance.
Hôpital d’Etampes :
Sur la période 1988 à 1990, Nestlé et Nutripharm
ont la co-exclusivité de cet établissement. En 1991 et 1992,
sont présents Nutripharm, Wyeth, Mead-Johnson. Les tours de lait
sont alors répartis a égalité entre les trois fabricants
: 267 naissances à 300 F. Il est à noter que le coût
par naissance a plus que doublé entre 1990 et 1991, passant de 144
F à 300 F. Il apparaît également que dans cet établissement
les tours de lait sont fixés par avance. En effet la fiche établie
au 30/09/91 prévoit non seulement le tour de lait de 1992, mais
également ceux de 1993 et 1994. Pour ces deux dernières années,
Nestlé et Nutripharm ont à nouveau la co-exclusivité
des tours : les deux marques de Nutripharm sont retenues et ont obtenu
560 naissances réparties à égalité entre Gallia
et Jaquemaire pour un coût par bébé de 321 F, soit
un coût total de 360 000 F ; pour Nestlé, une seule marque
sera présente avec 280 naissances pour un coût par bébé
de 285 F, soit un coût total de 160 000 F. Entre 1991 et 1994 le
montant total des dons annuels des fabricants pour cet hôpital s’est
élevé à 480 000 et 520 000 F.
Hôpital d’Evry :
Sur la période observée, 1991-1992, huit marques sont
présentes, les sociétés Nutripharm et Nestlé
ont chacune leurs deux marques retenues. En 1991, la répartition
des 1680 naissances est identique entre les marques : 200. Nutripharm et
Nestlé ont donc obtenu la moitié des naissances. Pour 1992,
il apparaît que le nombre des naissances envisagé est en accroissement
: 1760. Les fournisseurs retenus sont les mêmes et le coût
par naissance est de 150 F pour chaque fournisseur. L’accroissement du
nombre des naissances profite aux plus importants : 233 naissances pour
Guigoz, Nestlé, Gallia, Jaquemaire, Milupa, contre 200 pour Materna,
Mead-Johnson et Sodilac. Les sociétés Nestlé et Nutripharm
obtiennent encore la moitié des naissances, grâce à
leurs deux marques chacune. En 1992, le montant total des dons s’est élevé
à 264 750 F.
Hôpital de Juvisy :
Cette fiche met en évidence que les tours de lait sont fixés
par avance. En effet, établie le 19/06/91, elle récapitule
l’année 1991 et prévoit les années 1992 à 1994.
Sont retenues six marques dont les quatre des sociétés Nutripharm
et Nestlé. Le nombre de naissances par marque en 1991 et 1992 est
identique : 110. Les deux sociétés précitées
détiennent donc les deux tiers des tours. Le coût pour Nestlé
est de 220 F par naissance. Pour 1993-94, ce coût est reconduit.
En outre, il est prévu que le paiement de ces tours intervienne
dès 1992.
Hôpital de Longjumeau :
Dans cet établissement, il peut être constaté que,
sur la période observée 1990-1992, le nombre de marques retenues
varie de trois à cinq. Sont systématiquement présentes,
les deux marques de Nestlé et une ou deux marques de Nutripharm.
Obtiennent également un tour de lait : Mead-Johnson en 1990, Milupa
en 91. Sur 2000 naissances prévues en 1991, Nestlé en a obtenu
1000, Nutripharm 750 pour ses deux marques et Milupa 250. Le coût
par naissance est de 150 F contre 100 F en 1990, et pour 1992 le coût
retenu est de 175 F. Chaque naissance obtenue est accompagné du
même nombre de régimes, livré en plus des dons.
Clinique Pasteur de Ris Orangis :
Cette fiche établie le bilan de l’année 1992 et met en
évidence le résultat de la négociation de l’année
1993. Il ressort que le tour de lait de l’année 1992 correspondait
à 683 naissances. Il a été réparti entre Nestlé
360 naissances (Guigoz, Nestlé), Nutripharm 160 naissances (Gallia),
Milupa 160 naissances, au coût unique de 211 F par naissance. L’établissement
a ainsi perçu des dons d’un montant total de 144 000 F et 680 régimes
de lait. Pour 1993, le tour de lait est réparti entre les mêmes
fournisseurs à hauteur de 171 naissances par marque pour un coût
de naissance majoré à 222 F. Pour les 684 naissances prévues
en 1993, l’hôpital recevra donc 152 000 F soit 12 000 F de plus que
l’année précédente.
Les fiches Milupa
Un échantillon de 51 fiches (cf rapport administratif, feuillets
150 à 225) établit également le caractère indispensable
des dons ou " subventions " accordés par cette entreprise à
différentes maternités pour être présente dans
leurs tours de lait.
En effet, figurent dans ces fiches :
le nombre de " naissances achetées " par Milupa : de 20 à
1800 bébés ;
le coût de la naissance de 30 à 440 F et son évolution
sur les deux ou trois dernières années selon l’antériorité
de la présence de Milupa dans l’établissement, ainsi que
l’achat à l’avance de tours de lait ;
le montant des subventions sollicitées et leur nature (achat
de matériel, travaux, participation au financement de colloques,
arbre de Noël…) : de 2 500 à 300 000 F ;
les titulaires des versements. En 1992, 70 % de ceux-ci étaient
accordés aux associations d’établissements d’accouchements
(508 sur un total de 736).
Dans un certain nombre de cas, le versement des subventions fait l’objet
de lettres de remerciements des établissements bénéficiaires.
Ainsi à titre d’exemple, Milupa a obtenu pour les années
1992 et 1993 à l’hôpital de Tonnerre, dans l’Yonne, quarante
naissances par année pour un coût de 10 000 F par an, soit
250 F par naissance. Le rôle déterminant du don pour l’obtention
de ces tours de lait est établi par le courrier adressé par
l’association de l’hôpital destinataire de la somme qui précise
:
" Le docteur ... et l’A.S.F.O.R.M.E.T remercient le laboratoire Milupa
de leur contribution à l’achat d’une couveuse et d’une lampe de
photothérapie nouveau né destinées à la maternité
du C.H. Tonnerre.
Cette contribution s’élève à vingt mille francs
(20 000 francs). La maternité s’engage en échange à
utiliser le lait Milupa deux mois en 1992 et deux mois en 1993. (...°)
".
Par ailleurs, Milupa a élaboré une convention sans équivoque
sur le rôle des dons dans l’obtention des tours de lait. Celle-ci
dispose en effet :
" article 2 : Approvisionnement
En contre partie de la subvention qui lui est accordée, la clinique
s’engage à s’approvisionner auprès de Milupa pour les besoins
des mères ayant refusé de pratiquer l’allaitement maternel
ou nécessitant une prescriptionparticulière,pour tous ses
besoins en lait commercialisé sous les marques... à concurrence
d’un volume représentant ... de la totalité des accouchements
enregistrés dans la Clinique sur une période annuelle ".
Les courriers adressés aux maternités
Lorsque la société Nutricia obtient un tour de lait dans
un établissement d’accouchements, elle adresse aussitôt à
celui-ci la lettre suivante :
" Pour faire suite à votre entretien avec notre collaborateur
régional, Monsieur..., nous avons le plaisir de vous adresser sous
ce pli, un chèque de 7 500 francs afin de participer au fonctionnement
de votre association " Caennaise Promotion Périnatalité ".
Nous vous remercions d’avoir accepté de ce fait, l’introduction
de Nutricia dans votre planning Tours de lait 1992 sur une base de 50 naissances
… ".
Un échantillon d’une vingtaine de lettres de cette nature a été
recueilli, accompagnées fréquemment d’un courrier de remerciements
de l’association bénéficiaire des dons. Le montant de ces
derniers s’échelonne de 3 000 à 28 000 F pour un nombre de
naissances de 24 à 225.
b.3) L’inflation des dons
L’examen des différents documents recueillis au cours de l’enquête
a également mis en évidence que le rôle déterminant
des dons financiers dans l’entrée des tours de lait entraîne
une surenchère systématique de leurs montants depuis quelques
années.
Un document établi par la société Materna intitulé
" Exposé de la situation au cours de l’exercice 1989/90, conjoncture
commerciale présente et future : Bases de discussions " dénonce
ce phénomène en ces termes :
" S’il est pratiquement impossible de freiner les subventions
(droits d’usage des laits pour obtenir des tours), (..) une situation nouvelle
mérite d’être soulignée : il est aussi devenu souvent
très difficile d’en payer ! en effet, la lutte est telle entre nos
grands concurrents que souvent à présent ils traitent pour
l’usage de leurs laits pendant 6 mois ou même 9 mois par an sur plusieurs
années (exemple 5 ans à l’hôpital de Montfermeil) (..).
Naturellement s’ajoute à cette finance de nombreuses autres initiatives
pendant la durée de l’accord : congrès, croisière,
repas pour des centaines de personnes ...(..°).
Chaque fois que nécessaire nos concurrents proposent le double
des sommes réclamées par les médecins ".
Cette surenchère, activée par les deux plus importants
fournisseurs, ressort également des rapports de visite et de synthèse
de la société Milupa, dont quelques extraits sont reproduits
ci-après :
Le rapport de synthèse du 25 octobre 1992 :
" Gallia (6 mois) et Guigoz (3) nous ont " doublés " malgré
le OK METMME MALKAWI à CL (clinique) Brétigny et maisons-Alfort
en proposant 50 000 F/3 mois au lieu de 42 500 F pour 93 ".
Le rapport de synthèse du 16 novembre 1992 de M. Duvivier :
" Gallia-Jaquemaire travaillent de plus en plus ensemble même
chose pour Nestlé-Guigoz. Ils essaient de bloquer les établissement
à 4 ...".
Le rapport de synthèse du 16 novembre 1992 de M. Hache :
" (...) Dans une clinique (St Louis 68) GUIGOZ-NESTLE ont 2 mois
chacun ; le prix 92 était de 200 F ; le GYN demandait la même
chose pour 93 ; le DD GUIGOZ, sans demander quoi que ce soit de plus (et
c’est sûr) a proposé 400 F ; résultat, nous avons tous
la même chose qu’en 92, à un prix plus élevé
(LE GYN a accepté que nous ne donnions " que " 300 F) ".
Le rapport de synthèse du 3 novembre 1992 :
" Nestlé-Guigoz proposent 400 F du Reg dans une clinique
où ils ont déjà 6 mois pour en avoir 12 en 93 ; le
prix 92 du régime était de 160 F... ".
Un rapport de visite de la société Mead-Johnson (semaine
du 25/09/92 au 1/10/1992) a aussi relevé ce front commun des deux
plus importants fournisseurs de laits qui provoque une surenchère
des dons financiers offerts par les plus petits producteurs aux maternités.
L’extrait suivant est en effet révélateur :
" Clinique Bouchard à Marseille : les labos Gallia-Alma - Nestlé-Guigoz
ont demandé de supprimer Milupa et Wyeth des TDL de 93 et offrent
une grosse somme - les labos Milupa et Wyeth ont offert le double ! Suite
au prochain épisode ".
Pour être présent ou pour demeurer dans une maternité,
les petits fournisseurs sont donc poussés à la surenchère.
Le compte rendu de visite Nutripharm concernant les " Cliniques de France
(Journel) " du 3 février 1992 précise en effet :
" Lors d’une réunion tactique que nous avions eu ensemble Gallia
et Jaquemaire pour mettre au point notre stratégie pour l’ensemble
des cliniques Journel, nous avions proposé 250 F la naissance si
nous étions retenues les deux marques dans les cliniques de ce groupement.
Après quelques hésitations dans l’organisation de ces
cliniques, nous venons d’apprendre que Milupa et Mead-Johnson avaient pris
respectivement 6 mois à 400 F la naissance.
Par ailleurs, dans d’autres maternités, il semble qu’une offensive
importante soit lancée par ces deux Sociétés pour
reconquérir du terrain à des prix très au-dessus des
normes ".
Le document interne de la société Nestlé concernant
" les contrats Brétigny/Maison-Alfort " relève également
:
" (...) Il ne serait question de nous (Nestlé) attribuer qu’un
seul trimestre pour un semestre prévu (...°) pour les raisons
suivantes :
- notre réponse serait parvenue qu’au dix-huitième jour
contre une dizaine de jour demandée, mais surtout parce que Milupa
propose 10 000 francs de plus par trimestre, soit 50 000 francs pour 134
régimes, soit 375 francs par régime, pour rester en place
(...) ".
Certains petits fournisseurs prennent même des risques financiers,
comme cela ressort d’un rapport de visite et de synthèse de Milupa
du 25 novembre 1992 qui révèle que :
" Sodilac a pris marché cl. St jean - Melun pour le mois 93 à
418 F/BB et partout dit décidé à prendre + 5 % marché
quitte à être en pertes pendant un temps... ".
c) La rigidité du système des " tours de lait "
Elle résulte de la fidélité des maternités
aux marques présentes dans les tours de lait et de l’achat à
l’avance de tours de lait.
c.1) La fidélité des maternités aux marques présentes
dans les tours de lait
Cette fidélité ressort, en premier lieu, des différentes
fiches récapitulatives des tours de laits des maternités
dont certaines ont été décrites précédemment
(cf § b.2) ainsi que des rapports de visite réalisés
par les représentants des différentes sociétés.
Quelques extraits de rapports de la société Materna mettent
clairement en évidence cette fidélité :
- Clinique Bel Air à Bourg en Bresse (19/02/1992) : " Notre tour
est terminé - bien que cela se soit bien déroulé nos
concurrents n’ont pas apprécié notre présence.
...N’envisage pas de renouveler dans l’immédiat 1 petit tour.
A subi la pression de nos concurrents ".
Clinique Sainte Marie à Chambéry (25/02/1992) : " M’a
reçu sans m’accorder d’importance... On prend les mêmes et
on recommence ".
Hôpital d’Aix-les-Bains (25/01/1992) : " Le Dr... ne veut pas
entendre parler d’autres marques que celles utilisées depuis plusieurs
années ".
Hôpital d’Annecy (25/01/1992) : " Rien à faire ; tjs les
m 6 marques ; tjs aucun espoir ".
Hôpital de Valence (24 mars 1992) : " Aucun changement à
prévoir à terme. On prend les m et on recommence ".
En second lieu, la reconduction dans les tours de lait des marques
déjà présentes dans les établissements est
également mise en évidence par les déclarations des
maternités et des fournisseurs :
Centre hospitalier de Melun (procès-verbal du 5/11/1992) : "
(...) En 1986 nous avions envisagé d’y adjoindre (au tour de lait)
MILUPA. Mais le représentant de cette marque ayant cherché
à introduire son produit directement auprès du personnel
pendant un autre tour de lait, il a été décidé
de ne pas le retenir. Actuellement les trois mêmes fournisseurs sont
toujours présents (...) ".
Clinique de l’Yvette à Longjumeau (procès-verbal du 9/11/1992)
: " (...) Trois fournisseurs sont actuellement retenus : Jaquemaire, Milupa
et Sodilac, avec des tours de six mois répartis sur les deux étages
de l’établissement. Les représentants de Guigoz et Gallia
se sont présentés souhaitant entrer dans le tour de lait.
Pour l’instant ils n’ont pas été retenus, les " titulaires
" donnent satisfaction ".
Polyclinique de Saint-Vincent à Epernay (procès-verbal
du 12/11/1992) : " (...) jusqu’à présent les marques
présentes étaient Nestlé-Diétina en janvier-février,
Guigoz en mars-avril, Milupa de mai à août, Gallia de septembre
à décembre. A compter de 1993, Sodilac est introduit, mais
de façon à ne pas léser ses confrères, il lui
est attribué 1 mois par an pris à tour de rôle sur
ceux-ci (..°) ".
Parmi les fabricants de laits, la société Nestlé
a reconnu la relative stabilité de ses tours de lait (procès-verbal
du 17/12/1992). La société Materna a pour sa part déclaré
que, si le premier critère d’entrée dans un tour de lait
était la participation financière, le second était
: " l’habitude de la pratique de la maternité qui le plus souvent
souhaite maintenir le statu-quo, par routine " (procès-verbal du
22/12/1992).
Enfin, la fidélisation de certaines maternités à
certains fournisseurs permet à ces derniers d’obtenir exactement
les tours de lait qu’ils souhaitent, comme dans le cas de l’hôpital
Robert Debré pour la société Nutripharm. Il a en effet
été mis en évidence, dans ce cas, qu’en 1991 le groupe
Nestlé était présent dans cet établissement
avec ses deux marques (Nestlé, Guigoz) pour cinq mois, Nutripharm
avec une marque (Gallia) pour trois mois, Mead-Johnson deux mois, Milupa
deux mois. A la suite d’une négociation avec le professeur décideur
pour cet établissement à qui il a été fait
part " qu’il était bon d’avoir un poids identique pour les 2 grands
Groupes, à savoir : 5 mois Nutripharm, 5 mois Nestlé ", Nutripharm
a obtenu la répartition sollicitée, réussissant ainsi
à éliminer de fait un des deux autres fournisseurs, le concurrent
restant étant désormais choisi par tirage au sort (cf rapport
annexe IV-56).
d) Les tours de lait assurent la fidélisation de la clientèle
d.1) Les déclarations des fournisseurs
Tous les fournisseurs ont reconnu la nécessité pour eux
d’être présents dans les tours de lait au motif que ces derniers
assurent une fidélisation de la mère à la marque de
lait infantile utilisée à la maternité après
sa sortie de l’établissement, et notamment les déclarations
suivantes :
Société Nestlé (procès-verbal du 17/12/92)
:
" La présence aux tours de lait est fondamentale.
En effet les professionnels ont constaté que si un couple est
satisfait d’un lait utilisé pendant le séjour à la
maternité, il continuera à utiliser le même lait dans
la même marque. La fidélité au lait utilisé
à la maternité est donc forte (...).
Cette fidélité forte a pu être grossièrement
évaluée au travers de deux phénomènes : la
quasi-stabilité des parts de marché des différentes
marques malgré l’ouverture de la distribution dans le circuit alimentaire,
le fait que Nutricia, initiateur de la vente hors du circuit officinal,
malgré des prix de 20 à 25 % inférieur, ait une part
de marché qui plafonne à environ 5 %.
L’effort pour le fournisseur doit donc porter sur la présence
en maternité, donc dans les tours de lait ".
Société Nutripharm (procès-verbal du 23/12/92)
:
" L’intérêt du tour de lait est de fidéliser la
mère à la marque qu’elle aura consommée pendant son
séjour ".
Société Nutricia (procès-verbal du 11/12/1992)
:
" L’absence dans les TDL est une gêne importante car ceux-ci
sont essentiels, dans la mesure où la prescription d’une marque
pendant le séjour à la maternité pèse dans
les achats ultérieurs. En effet une étude effectuée
par l’entreprise a démontré que 70 à 75 % des mères
restent fidèles à la marque consommée pendant son
séjour, ce taux montant à 90 % pour des primipares, du fait
de l’importance de l’aspect médical et affectif pour ce type de
clientes ".
Société Materna (procès-verbal du 22/12/1992)
:
" ... L’intérêt du tour de lait est de fidéliser
les mères à la marque dont c’est le tour de rôle ".
d.2) Les moyens mis en œuvre pour assurer la fidélisation
Cette fidélisation est assurée, d’une part, par la prescription
de la maternité et, d’autre part, par la remise d’échantillons
gratuits.
Le rôle de prescription des maternités
Plusieurs fabricants ont reconnu le rôle déterminant de
la maternité dans la fidélisation des mères à
la marque présente lors du séjour de ces dernières,
par le biais de la prescription. Il s’agit notamment des deux plus importants
fournisseurs de laits infantiles, les sociétés Nestlé
(procès-verbal du 17/12/1992) et Nutripharm (procès-verbal
du 23/12/1992).
La Société Sodilac a, pour sa part, précisé
(procès-verbal du 9/12/1992) : " L’intérêt du tour
de lait est de bénéficier de la prescription et de la caution
du corps médical et de fidéliser les mères à
la marque pour ses achats futurs ".
En outre, l’enquête SOFRES de mai 1991 réalisée
auprès de mères a confirmé leur fidélité
à la marque initiale puisqu’il ressort que :
" - La prescription du médecin est primordiale pour choisir une
marque : d’accord 88 % ;
- A partir du moment où le médecin a prescrit un lait
1er âge ou 2ème âge, on peut très bien choisir
soi-même la marque : pas d’accord 62 % ;
- A partir du moment où le médecin a prescrit un lait
1er âge ou 2ème âge, on peut très bien changer
de marque sans en parler au médecin : pas d’accord 98 % ;
Une promotion sur une marque de lait infantile peut m’amener à
acheter une nouvelle marque de lait infantile : pas d’accord 97 % ".
Par ailleurs, dans son avis précité, le Conseil constatait
déjà le rôle de prescripteur de produit joué
par les établissements d’accouchement auprès des parents
et relevait que " En raison de l’image médicale des laits infantiles,
la demande pour un lait d’une marque donnée est peu sensible au
prix et la relation avec les prescripteurs est donc un enjeu stratégique
important pour les fabricants ".
La remise d’échantillons gratuits
Comme l’a clairement indiqué la société Materna
dans son procès-verbal du 22/12/1992 :
" Le corollaire en est (du tour de lait) en principe la délivrance
à la mère d’un échantillon à la sortie. Toutefois
en ce domaine cela reste de l’initiative de l’établissement, sollicité
par les marques. Certaines maternités ne souhaitent pas le faire,
mais la grande majorité accepte de le faire (environ 10% de refus)...
".
En effet, il ressort notamment des déclarations ci-après
des responsables des établissements accoucheurs que rares sont ceux
qui ne donnent pas d’échantillons de lait à la sortie des
mères.
Centre Hospitalier d’Arpajon (procès-verbal du 4/11/1992) :
" ... A leur sortie, une boîte de la marque dont c’est le tour de
lait est remise aux mères... ".
Polyclinique Saint André, Reims (procès-verbal du 4/11/1992)
: " A leur sortie les mères reçoivent une boîte poudre
de la marque dont c’est le tour de lait... ".
Polyclinique de Courlancy à Reims (procès-verbal du 4/11/1992)
: " (...) A leur sortie, les mères reçoivent une boîte
de la marque dont c’est le tour ... ".
Centre Hospitalier Louise Michel, Evry (procès-verbal du 5/11/1992)
: " (...) Sur ordre de la direction de l’établissement, nous ne
donnons pas de boîte à leur sortie aux mères... ".
Dans les rares cas où l’établissement ne délivre
pas à la mère un échantillon de la marque de lait
fournie lors du séjour à la maternité, il donne néanmoins
à celle-ci une fiche indiquant la marque de lait qui a été
utilisée ou qui est recommandée à l’issue de l’allaitement,
comme l’a déclaré le président directeur général
de Nutripharm (procès-verbal du 23/12/1992) :
" La délivrance d’échantillon à la mère
à sa sortie relève de l’initiative de la maternité
qui le prélève sur le stock qui lui est livré. Pendant
son séjour la mère sait quelle marque est utilisée
car elle figure sur les biberons prêt à l’emploi. En outre
à sa sortie l’établissement délivrera une fiche où
figure la marque utilisée ou recommandée à l’issue
de l’allaitement ".
Il doit être relevé que la fourniture d’un échantillon
gratuit de lait à la mère à sa sortie de la maternité
est contraire à l’article 5.2 du code de l’OMS (cf supra A.1.a.1)
qui interdit toute distribution directe ou indirecte d’échantillon
aux mères ou femmes enceintes par les fabricants de laits infantiles.
d.3) Les déclarations des distributeurs
Les distributeurs ont également reconnu le rôle de fidélisation
de la clientèle du système des tours de lait et de la prescription
des maternités, ainsi que cela ressort des déclarations suivantes
:
Centrale d’achats Auchan (procès-verbal du 26/02/1993) :
" En tant que distributeur il (l’acheteur) ressent fortement le poids
de la recommandation médicale faite au niveau des maternités
par le biais des marques. Les mères vont continuer à utiliser
la marque consommée pendant son séjour par l’enfant. En conséquence
le distributeur est tenu d’avoir en rayon quasiment toutes les marques
et surtout les plus présentes en maternité ".
Centrale d’achats du Galec (procès-verbal du 23/02/1993) :
" Les négociations avec les fournisseurs sont difficiles notamment
car le marché est bloqué par le système de la recommandation
médicale au niveau des maternités. De fait les produits des
marques sont prévendus ce qui laisse peu de marge de manœuvre au
distributeur ".
Carrefour France (procès-verbal du 25/02/1993) :
" Pour ces produits ils considèrent que le marché est
bloqué par le système des tours de lait et de la " prescription
" au niveau des maternités, qui profitent essentiellement aux marques
déjà bien implantées (Nestlé, Nutripharm).
Par voie de conséquence les produits de ces marques peuvent être
considéré comme prévendus (...°)".
Comptoirs modernes (procès-verbal du 24/02/1993) :
" (...) Le poids de la prescription au niveau des maternités
par les tours de lait est tel que le distributeur est obligé de
référencer les marques principalement retenues dans les tours
de lait, c’est à dire les trois premières citées (Nestlé,
Alma-Gallia (Nutripharm) et Milupa) ".
e) Le coût des tours de lait
Les dépenses engagées par les producteurs pour être
présents dans les tours de lait reposent essentiellement sur deux
éléments : les dons financiers pour être retenus dans
les tours de lait, la fourniture gratuite ou à très bas prix
du lait aux maternités.
e.1) Le poids financiers des " dons " par rapport aux ventes de laits
infantiles
A partir des différents éléments fournis par les
producteurs de laits (rapport d’enquête p. 181-182), a été
établi le tableau suivant :
en KF
|
1988
|
1989
|
1990
|
1991
|
1992
|
1993
(prévision)
|
1) NESTLE
- C.A. HT laits
- Budgets TDL*
. Evolution
. Part du CA
|
|
329 452
26 200
-
8 %
|
353 211
31 900
+ 21,8 %
9 %
|
404 676
38 200
+ 19,7 %
9,4 %
420 768
48 000
+ 25,7 %
11,4 %
|
-
53 000
+ 10,4 %
-
|
2)NUTRIPHARM
- C.A. HT laits
- Budgets TDL
. Evolution
. Part du CA
|
-
11 484
-
-
|
231 993
16 178
+ 40,9 %
7 %
|
238 412
30 775
+ 90 %
13 %
|
254 944
33 164
+ 7,8 %
13 %
|
262 655
32 169
-
12 % (11 mois)
|
|
3) MILUPA
- C.A. HT laits
– BudgetsTDL
. Evolution
. Part du CA
|
-
12 000
-
-
|
186 019
14 000
+ 17 %
7,5 %
|
199 842
15 300
+ 9,3 %
7,7 %
|
202 134
17 000
+ 11 %
8,4 %
|
222 072
20 000
+ 17,6 %
9 %
|
-
23 000
+ 15 %
-
|
4) SODILAC
- C.A. HT laits
- Budgets TDL
. Evolution
. Part du CA
|
|
|
112 534
2 774
(7 mois soit
4 755
pour 12 mois)
-2,5 %
|
119 259
8 943
+ 88 %
7,5 %
|
130 578
9 074
+ 1,5 %
6,9 %
|
-
9 000
- 0,8 %
-
|
5) MEAD-JOHNSON
- C.A. HT laits
- Budgets TDL
. Evolution
. Part du CA
|
|
|
|
71 873
13 534
-
18,8 %
|
70 471
4 718
- 65 %
6,7 %
|
-
2 343
- 50 %
-
|
6) NUTRICIA
- C.A. HT laits
- Budgets TDL
. Evolution
. Part du CA
|
|
|
|
40 633
328
-
0,8 %
|
41 000
681
x 2,07
1,6 %
|
|
en KF
|
1988
|
1989
|
1990
|
1991
|
1992
|
1993
(prévision)
|
|
88/89
|
89/90
|
90/91
|
91/92 (AVRIL)
|
Mai à Décembre 92
|
7) MATERNA
- C.A. HT laits
- Budgets TDL
. Evolution
. Part du CA
|
14 858
492
-
3,3 %
|
16 614
977
+ 98 %
6 %
|
16 816
781
- 20 %
4,6 %
|
14 348
1 002
+ 28 %
7 %
|
8 700
843
+ 26 %
9,7 %
|
* Budgets TDL : Budgets des tours de laits
Ce tableau met en évidence :
que tous les budgets des " dons " de Nestlé, Nutripharm, Milupa,
Materna, producteurs implantés de longue date sur ce marché,
connaissent une augmentation constante sur la période 1989-1993.
Cette progression est particulièrement forte pour les sociétés
Nestlé et Nutripharm, dont les budgets ont doublé sur cette
période ;
le faible poids des budgets de tours de lait de Nutricia par rapport
à ses ventes (1,6 % en 1992), qui confirme la volonté de
cette société d’accorder aux maternités des sommes
modiques pour participer à leurs tours de lait ;
l’important investissement consenti par Mead-Johnson, arrivée
sur le marché français en 1986, correspondant à 19
% de ses ventes de laits en 1991, pour pénétrer dans les
tours de lait des maternités, puis, à compter de 1992, l’importante
réduction (- 65 % 92/91 et – 50 % 93/92) du montant des aides financières,
correspondant à l’application " de la charte interne " de la société
(cf supra).
e.2) La fourniture gratuite du lait aux maternités :
Tous les fournisseurs ont reconnu que, pour la très grande majorité
des maternités, les laits utilisés pour nourrir les bébés
pendant leur séjour à la maternité sont livrés
gratuitement :
dans 90 % des cas pour Nestlé et Materna ;
" quasiment partout " pour Nutripharm ;
pour 85 % des maternités chez Milupa ;
" la fourniture gratuite est quasi-obligatoire " pour Nutricia.
Dans 10 à 15 % des cas restants, les fabricants ont reconnu
que le lait était facturé aux maternités à
un prix très bas, inspiré du tarif dit " Faton " établi
par la Chambre syndicale des fabricants de laits infantiles en 1981, à
la demande des pouvoirs publics, pour mettre un terme aux livraisons gratuites.
Les " nourettes " des différents producteurs sont ainsi facturées
à un prix très proche : de 0,90 à 1,10 F pour Nestlé,
Nutripharm, Milupa, Mead-Johnson, Sodilac, et 2 F pour Materna.
A partir des éléments communiqués par les entreprises,
le coût des livraisons par rapport aux ventes de lait des fabricants
a été évalué à 4,8 % pour Nestlé,
8,2 % pour Nutripharm, 4,3 % pour Milupa, 2,8 % pour Mead-Johnson, 8,7
% pour Sodilac, en 1992, et à 8,7 % pour Materna en 90/91.
Globalement, le cumul des avantages financiers accordés aux maternités,
" dons " et fourniture gratuite de laits premier âge, représentait
en 1992 un coût allant de 15 et 29 % du chiffre d’affaires laits
infantiles des producteurs.
2. Les pratiques constatées au stade de la distribution
L’enquête a mis en évidence que les fabricants s’efforçaient
de limiter la politique tarifaire des distributeurs par le biais d’une
politique commerciale rigide et par une surveillance des prix de vente
aux consommateurs.
a) Une politique commerciale rigide
Elle repose, d’une part, sur des conditions tarifaires accordant des
remises minimales aux distributeurs et, d’autre part, sur une interdiction
de la promotion de leurs produits.
a.1) Des conditions tarifaires reposant sur des remises minimales
L’enquête a mis en évidence que les trois plus importants
fabricants, Nestlé, Nutripharm et Milupa, accordaient des remises
très faibles aux distributeurs :
Nestlé : 1,5 % à 3,5 % en fonction du chiffre d’affaires
réalisé ;
Nutripharm : 1,5 % quel que soit le volume des ventes effectué.
Toutefois ce fabricant accorde parfois au distributeur des avantages qui
se concrétisent, soit par des livraisons gratuites de produits,
soit par des budgets confidentiels aux distributeurs ;
Milupa : les conditions générales de vente prévoient
que les tarifs et barèmes applicables sont exclusifs de tout rabais
ou ristournes. Toutefois, des remises d’un montant très faible sont
parfois accordées aux distributeurs (2 % pour Auchan en 1992, 1,5
% du chiffre d’affaires pour Paridoc en 1991).
Les producteurs justifient ce comportement par les importants avantages
financiers qu’ils consentent en amont aux maternités.
Les autres producteurs de lait consentent aux distributeurs des remises
plus importantes qui varient de 8 à 24 % (hors produits gratuits).
a.2) La surveillance des prix de ventes aux consommateurs
Les producteurs de laits infantiles diffusent auprès des distributeurs
des prix conseillés ou des prix dits " relevés sur le marché
". Ainsi, lorsqu’ils considèrent que les prix de vente aux consommateurs
sont trop bas, ou que certains distributeurs (ITM, Centres Leclerc Lunel
Distribution et Ancenis Distribution, Carrefour France, Docks de France
Ouest et Docks de France Paris) demandent des explications sur les prix
pratiqués sur leurs produits par d’autres enseignes, les fabricants
interviennent auprès des distributeurs en cause au motif que les
prix pratiqués ne sont pas " conformes " à leurs conditions
générales de ventes, voire s’approchent du seuil de revente
à perte et leur demandent de rectifier les prix en question. Une
telle surveillance des prix de ventes consommateurs a été
relevée pour les sociétés Nestlé, Nutripharm,
Milupa, Mead-Johnson et Nutricia.
S’agissant de Nutricia, à l’occasion de la transmission le 31
janvier 1992 des conditions commerciales qu’elle a accordées à
ITM pour 1992, ce producteur précise dans son courrier : " D’autre
part, nos responsables secteurs ont été informés d’ores
et déjà des actions à entreprendre en ce qui concerne
l’augmentation des prix en cours chez vos concurrents de zone de chalandise.
Je ne manquerai pas de vous tenir informé de leurs résultats
au fur et à mesure de leur arrivée.
Je vous assure une nouvelle fois que je mettrai tout en œuvre pour vous
donner entière satisfaction dans notre partenariat ".
Le 10 mars 1992, Nutricia adresse à ITM par télécopie
un tableau comportant une liste de seize noms de magasins, en face desquels
figurent deux colonnes de prix, intitulées " ancien et nouveau "
qui permettent de constater une majoration de prix :
Mag. Ville
|
Ancien
|
Nouveau
|
Euro Lyon |
16,90 ?
|
26,90
|
Leclerc Saintes |
20,80
|
23,15
|
Leclerc Gueret |
21,30
|
23,70
|
Leclerc Auxerre |
21,30
|
23,70
|
Continent St Malo |
21,30
|
23,70
|
Leclerc Nevers |
21,55
|
22,90
|
Cora Heudemont |
21,75
|
23,70
|
Leclerc Pont de Chevry |
22,30
|
23,70
|
Leclerc St Dié |
22,40
|
24,70
|
Leclerc Pau |
22,40
|
24,80
|
Leclerc St Berthevin |
22,45
|
23,70
|
Carrefour Thiais |
22,50
|
23,70
|
Leclerc Plaufragan |
22,50
|
24,20
|
Leclerc Lamballe |
22,60
|
24,50
|
Leclerc Tarbes |
22,80
|
22,90
|
Carrefour Givors |
22,80
|
24,70
|
Enfin, Nutricia et Mead-Johnson demandent à leurs distributeurs
de ne pas répercuter les remises consenties sur le prix de vente
des laits.
b) L’interdiction de la publicité et de la promotion
Le code de l’OMS et notamment son article 5.1, repris par l’article
8 alinéa 2 de la directive de la Commission du 14 mai 1991, interdit
toute action promotionnelle sur les points de vente aux consommateurs pour
les laits destinés aux nourrissons (premier âge).
L’enquête administrative a relevé que les fabricants de
laits infantiles (Nestlé, Nutripharm, Milupa, Nutricia, Mead-Johnson),
dès lors qu’ils ont connaissance d’actions promotionnelles sur leurs
produits, interviennent auprès des distributeurs afin de faire cesser
celles-ci, en invoquant le code précité. Certains producteurs
(Nestlé, Nutripharm, Milupa) se fondent toutefois sur ce texte pour
exiger des distributeurs le retrait de tracts publicitaires portant non
seulement sur les laits pour nourrisson, mais également pour les
laits deuxième âge et pour refuser des demandes de budgets
publicitaires supplémentaires de la part des distributeurs. Seule
Nutricia fait la distinction entre les laits premier et deuxième
âge dans les courriers qu’elle adresse aux distributeurs lorsqu’elle
a connaissance de tracts publi-promotionnels.
C - LES GRIEFS NOTIFIES
Deux types de grief ont été finalement retenus par le
rapporteur dans le rapport notifié le 5 mai 2000 :
Il a été fait grief aux sociétés Bristol
Myers Squib SA (laboratoire Mead-Johnson), Materna SA, Milupa SA, Nestlé
France SA, Nutricia France SA, Nutripharm-Elgi SA et Sodilac SA de s’être
livrées, en participant au système des tours de lait, à
une action concertée en vue de limiter l’accès au marché
de la fourniture de laits infantiles et le libre exercice de la concurrence
par d’autres entreprises et de se répartir le marché des
laits infantiles, pratique prohibée par les dispositions de l’article
L. 420-1 du code du commerce.
Par ailleurs, il a été fait grief aux sociétés
Nutricia et ITM de s’être livrées à des actions concertées
qui ont eu pour objet et pour effet d’obtenir la majoration des prix affichés
par des distributeurs concurrents d’ITM, pratiques prohibées par
les dispositions de l’article L. 420-1 du code du commerce.
II. - Sur la base des constatations qui précèdent, le
Conseil,
SUR LA PROCEDURE
Sur l’irrégularité de la saisine
Considérant que la société Nutricia soutient que
l’arrêté du 13 mai 1992 portant délégation de
signature du ministre de l’économie à M. Babusiaux, directeur
général de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes, ne constitue pas un pouvoir dûment publié autorisant
le délégataire à saisir le Conseil de la concurrence
;
Mais considérant que la cour d’appel de Paris, dans un arrêt
du 4 juillet 1990, dont l’analyse a été confirmée
sur ce point par la Cour de cassation, par un arrêt du 6 octobre
1992, a reconnu la validité des saisines du Conseil de la concurrence
par le directeur général de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes, dès lors qu’elles résultent
d’une lettre signée par ce dernier, agissant au nom du ministre
de l’économie en vertu d’une délégation permanente
donnée par celui-ci par arrêté, à l’effet de
signer, dans la limite de ses attributions, au nom du ministre, tous actes,
arrêtés, décisions ou conventions à l’exclusion
des décrets ;
Considérant que M. Babusiaux, directeur général
de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
à l’époque des faits, avait reçu délégation
permanente à l’effet de signer dans la limitation de ses attributions,
au nom du ministre de l’économie, tous actes, arrêtés,
décisions ou conventions, à l’exclusion des décrets,
aux termes d’un arrêté du 20 avril 1993, signé du ministre
de l’économie, publié au journal officiel du 23 avril 1993
; que, dès lors, la lettre signée par M. Babusiaux par délégation,
le 5 octobre 1993, a régulièrement saisi le Conseil ;
Sur la violation des droits de la défense résultant de
la double fonction du directeur général de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes
Considérant que les sociétés Nutricia et Milupa
font valoir que le fait pour M. Babusiaux, directeur général
de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes,
d’avoir à la fois compétence pour saisir le Conseil de la
concurrence et qualité de commissaire du Gouvernement devant le
Conseil, constitue une violation des droits de la défense dans la
mesure où l’intéressé, en tant que commissaire du
Gouvernement, ne peut que prendre des conclusions favorables à sa
plainte, ses conclusions à charge n’étant en outre pas communiquées
aux défendeurs ;
Mais considérant, en premier lieu, que l’article L. 462-5 du
code du commerce prévoit que le Conseil peut être saisi par
le ministre de l’économie et que l’article L. 461-2 du code précité
dispose que " Le commissaire du Gouvernement auprès du Conseil est
désigné par le ministre chargé de l’économie
" ; qu’il résulte ainsi des termes de la loi que le même ministre
peut saisir le Conseil et désigner le commissaire du Gouvernement
; qu’ainsi, le législateur n’a pas entendu établir de séparation
entre ces deux fonctions qui, par leur caractère complémentaire,
donnent au ministre les moyens de veillerà la protectionde l’ordre
public économique ;
Considérant, en deuxième lieu, que ni le ministre de l’économie,
ni le commissaire du Gouvernement ne disposent de pouvoirs d’intervention
sur le déroulement de l’instruction conduite par un rapporteur désigné,
ni sur la formulation des griefs, ni, enfin, sur la qualification des pratiques
et le prononcé des sanctions par le Conseil ;
Considérant, en troisième lieu, qu’en application de l’article
L. 463-2 du code du commerce, le commissaire du Gouvernement peut présenter,
à la suite de la notification des griefs, des observations écrites
qui sont ensuite jointes au rapport du rapporteur, lequel est notifié
aux parties ; que ces dernières peuvent consulter dans un délai
de quinze jours précédant la séance les mémoires
en réponse au rapport, au nombre desquels figurent les observations
présentées, à la suite du rapport, par le commissaire
du Gouvernement ; que l’ensemble des observations écrites de celui-ci
est donc accessible aux parties ; qu’au cours de la séance du Conseil,
les parties s’expriment après le commissaire du Gouvernement ; qu’elles
ont ainsi la faculté de répondre tant à ses dernières
observations écrites qu’à ses observations orales ; que,
dans ces conditions, l’impartialité de la procédure est assurée
et les droits de la défense respectés ;
Sur la prescription
Considérant que la société Sodilac fait valoir
qu’elle a été destinataire le 5 février 1996 d’une
notification de griefs lui reprochant d’avoir participé au système
des tours de lait, puis qu’une " notification de griefs complémentaires
" concernant les pratiques relevées dans la grande distribution
lui a été adressée le 8 juillet 1996, qu’aucun acte
interruptif de prescription n’ayant ensuite été effectué
s’agissant des tours de lait et des pratiques relevées au stade
de la distribution avant le 8 avril 1999, date d’audition de la société
Nutricia, il s’est donc écoulé plus de trois années
entre la notification de griefs initiale et l’audition précitée
; qu’en conséquence les faits reprochés à Sodilac
et, plus généralement, ceux relatifs aux tours de lait, sont
prescrits ;
Considérant que la société ITM Marchandises International
soutient qu’alors que des éléments suffisants existaient
pour mettre en cause cette société, tout comme la SCA Sucres
et Dérivés, à l’époque de la notification de
griefs initiale, en 1996, le premier acte de notification pour ces deux
sociétés, à la suite de la saisine du 5 octobre 1993,
n’est intervenu que le 2 décembre 1999, c’est-à-dire plus
de trois ans après cette saisine ; qu’en conséquence, la
prescription est acquise à leur égard ;
Mais considérant que la cour d’appel de Paris (arrêts des
23 janvier et 8 septembre 1998, notamment) a déjà relevé
que le Conseil étant saisi in rem, tout acte établi dans
le délai de prescription de trois ans, tendant à la recherche
et à la constatation des faits en cause, produit des effets à
l’égard de toutes les parties ; qu’en l’espèce, postérieurement
à la saisine du 5 octobre 1993, une notification de griefs est intervenue
le 5 février 1996 ; qu’eu égard aux observations de la société
Docks de France, la notification de griefs a été, par courrier
du 8 juillet 1996, étendue aux sociétés Docks de France
Ouest et Docks de France Paris ; que la notification de griefs complémentaires
du 2 décembre 1999 a été précédée
de l’audition de la société Nutricia du 8 avril 1999 et de
celle de la société Mead-Johnson du 18 octobre 1999 ; que
ces divers actes ont tendu à la recherche et à la constatation
des faits incriminés ; qu’en conséquence, ils ont interrompu
la prescription de trois ans prévue par l’article L. 462-7 du code
de commerce à l’égard de toutes les parties ;
Sur la violation des articles 6-1 et 6-3 de la Convention européenne
des droits de l’homme
Considérant que les sociétés ITM Entreprises et
ITM Marchandises International font valoir que la procédure d’instruction
du dossier a violé les dispositions de l’article 6-1 de la Convention
européenne des droits de l’homme, selon lesquelles " toute personne
a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et
dans un délai raisonnable ", en raison du caractère anormalement
long de celle-ci, la saisine du ministre datant d’octobre 1993 et aucune
complexité particulière de cette affaire ne pouvant justifier
cette longueur ;
Mais considérant que, dans un arrêt du 8 septembre 1998,
la cour d’appel de Paris a retenu, s’agissant du délai excessif
d’instruction, que " (...) la sanction qui s’attache à la violation
de l’obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable
résultant du texte précité (article 6-1 de la CEDH)
n’est pas l’annulation ou la réformation de la décision mais
la réparation du préjudice résultant de la durée
excessive du procès " ; qu’en outre, les sociétés
n’établissent nullement de quel chef la durée de la procédure
a pu porter atteinte aux droits de la défense ;
Considérant que les sociétés soutiennent également
que les articles 6-1 et 6-3 du texte précité auraient été
violés, au motif que des numérotations différentes
entre le rapport d’enquête et les pièces du dossier ont rendu
la consultation des pièces problématique et celles-ci difficilement
identifiables, ce qui n’a pas permis à la société
de prendre connaissance " d’une manière détaillée
de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle "
;
Mais considérant que, pour répondre aux difficultés
de consultation des pièces invoquées par la société
ITM Entreprises en réponse à la notification de griefs et
qui auraient empêché cette société de prendre
connaissance de manière détaillée des éléments
de preuve retenus contre elle, le rapporteur a établi une notification
de griefs complémentaires précisant pour chacune des pièces
concernant ITM relevées dans la notification de griefs initiale,
la référence de la pièce dans la notification et sa
place dans le rapport d’enquête, la citation de l’extrait du rapport
d’enquête correspondant à cette pièce et sa référence
dans les annexes au rapport d’enquête ; qu’en réponse à
la notification de griefs complémentaires, les sociétés
ITM Entreprises et ITM Marchandises International ont reconnu que " l’accusation
a été précisée s’agissant de certaines pièces
désormais repérées précisément ; qu’en
outre, le rapport a joint en annexe l’ensemble des pièces sur lesquelles
le rapporteur a fondé son analyse ; que, dès lors, le moyen
doit être écarté ;
Sur la mise hors de cause des sociétés ITM Entreprises
et ITM Marchandises International
Considérant que la société ITM Entreprises et ITM
Marchandise International, précédemment dénommée
Inter Marchandises France, en abréviation ITM F. ou ITM France,
soutiennent qu’elles doivent être mises hors de cause au motif que
les relations commerciales qu’entretiennent les industriels avec ce groupement
sont réalisées, soit directement avec les sociétés
indépendantes qui exploitent sous l’enseigne Intermarché,
soit avec la filière d’approvisionnement dans le type de produits
considérés, en l’espèce la SCA Sucres et Dérivés
" filiale spécialisée de la société ITM Marchandises
International, qui assure la négociation des conditions, l’achat
et la revente des produits ainsi que le suivi des relations avec les fournisseurs
de laits infantiles " ;
Mais considérant, en premier lieu, que les documents à
l’origine du grief retenu dans le rapport du rapporteur sont constitués
du courrier envoyé par Nutricia le 31/01/92 à " ITM, Immeuble
d’affaires Chemin Blanc 91 164 Lonjumeau-cedex " à l’attention de
M. De Firmas et d’une télécopie du 10/03/92 de Nutricia à
" M. de Firmas – ITM " et ne concernent aucun exploitant d’Intermarché
;
Considérant, en second lieu, que dans sa décision n°
94-D-60 relative au secteur des lessives, le Conseil de la concurrence
a constaté que " Le groupement Intermarché est un groupement
de commerçants indépendants liés par contrat de franchise
à un franchiseur, la société anonyme ITM Entreprises,
société holding du groupement Intermarché dont la
politique commerciale est définie par la société ITM
France (...°) " ; que la société ITM France a changé
de raison sociale le 3 mai 1996 pour devenir " ITM Marchandises International
" ; que cette dernière société assure toujours la
politique commerciale du groupement ainsi qu’elle l’a reconnu dans son
mémoire du 5 mai 2000 ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède
que la société ITM France, devenue ITM Marchandises International,
qui assure la politique commerciale du groupement Intermarché, ne
saurait être mise hors de cause ; qu’en revanche, la société
ITM Entreprises, société holding du groupement Intermarché,
n’a participé à aucun des faits relevés ; qu’elle
doit donc être mise hors de cause ;
Sur l’absence de notification de griefs adressée aux maternités
Considérant que la société Nestlé fait valoir
que les maternités, qui sont les décideurs des tours de lait,
auraient dû être mises en cause dans la notification de griefs
dans la mesure où, selon la jurisprudence en matière de pratiques
verticales, des griefs ne peuvent être retenus qu’à l’encontre
" des entreprises ayant pris l’initiative des pratiques concernées"
; que rien, selon elle, dans le dossier, ne permet d’imputer aux fournisseurs
l’origine des tours de lait, qui résulte de décisions unilatérales
des maternités, seules à choisir le nombre de fournisseurs
qu’elles retiennent ; que, d’ailleurs, le fait que de nombreuses maternités
soulignent que ce système est " bien accepté par les fournisseurs
" confirme que ceux-ci n’en sont ni les initiateurs, ni les organisateurs
;
Mais considérant que, si rien ne permet d’établir l’origine
du système des tours de laits, compte tenu de l’ancienneté
de ce dispositif, il a cependant été mis en évidence
supra (I, B § 1.a) que, d’une part, les maternités organisent
les tours de lait et que, d’autre part, les fabricants ont intérêt
à mettre en œuvre les tours de lait puisque ce dispositif assure
la fidélisation de la clientèle, comme ils l’ont tous reconnus
(cf supra I B § d.1), et notamment la société Nestlé
qui a déclaré " La présence aux tours de lait est
fondamentale. En effet les professionnels ont constaté que si un
couple est satisfait d’un lait utilisé pendant le séjour
à la maternité, il continuera à utiliser le même
lait dans la même marque. La fidélité au lait utilisé
à la maternité est donc forte (...) " ; qu’en tout état
de cause, la cour d’appel de Paris a déjà retenu (arrêt
Salomon du 25/09/91) que le Conseil n’est pas tenu d’engager une procédure
de notification de griefs à l’égard de toutes les parties
à une entente ;
SUR LE FOND
Sur le grief de participation aux tours de lait
Considérant, en premier lieu, que le marché concerné
est celui des laits infantiles premier et deuxième âge standard
et hypoallergénique ; que la demande sur ce marché dépend
exclusivement du nombre des naissances ; que le nombre des naissances a
oscillé entre 750 000 et 780 000 par an sur la période 1980-1992
; que le marché des laits infantiles premier et deuxième
âge est donc stable ; que cette stabilité des naissances,
et par conséquent de la consommation de laits infantiles, a été
confirmée par les déclarations de la société
Nutricia dans son procès-verbal d’audition du 7 mai 1999 et par
les éléments chiffrés communiqués par cette
société, qui mettent en évidence que le marché
total des laits standards et hypoallergénique premier et deuxième
âge s’élevait à 16 000 tonnes en 1993 et à 15
677 tonnes en 1998 ;
Considérant, en deuxième lieu, que l’offre de laits infantiles
émane de sept producteurs et est fortement concentrée, puisque
les deux principaux fabricants, Nestlé et Gallia, réalisent
60 % des ventes sur le marché et détiennent quatre marques
sur les neuf distribuées ; que les laits infantiles sont distribués
dans la grande distribution et dans les officines pharmaceutiques, l’exclusivité
de distribution de ces produits dans ces dernières n’existant plus
depuis 1989 ;
Considérant, en troisième lieu, que ce marché se
caractérise par l’existence de deux demandes successives, celle
de la maternité, puis celle de la mère, la première
étant déterminante pour la seconde ; que la demande de laits
infantiles se manifeste, en effet, d’abord dans les maternités où
95 % des naissances ont lieu ; qu’au moment de la naissance et du court
séjour hospitalier de la mère, les maternités fournissent
aux mères du lait qui leur est ensuite préconisé par
l’établissement à leur sortie ; que les fournisseurs, comme
les distributeurs, ont reconnu la grande fidélité des mères
à la marque du lait prescrit par la maternité, alors qu’elles
pourraient changer de marque sans inconvénient pour leurs enfants,
les laits étant équivalents entre eux en raison de la réglementation,
comme l’ont reconnu les professionnels (cf supra I a.2) ; que, dans ces
conditions, la demande est relativement inélastique aux prix ; que
cette faible sensibilité de la demande au prix du lait d’une marque
donnée a déjà été relevée par
le Conseil dans son avis n° 87-A-02 du 31 mars 1987 ; qu’en outre,
elle a été confirmée par les sociétés
Mead-Johnson et Nutricia dans leurs mémoires en réponse à
la notification de griefs ; que Mead-Johnson a, en effet, relevé
qu’entrée sur le marché français en 1986, elle a rapidement
observé qu’en pratiquant des prix inférieurs de 25 à
30 % par rapport à ses concurrents, sa part de marché n’a
jamais pu excéder 5 % entre 1986 et 1992 ; qu’elle a ajouté
que cette inélasticité aux prix de la demande résultait
de la pratique de la prescription, par les maternités, des laits
des autres fabricants ; que la société Nutricia a également
souligné qu’entrée sur le marché français des
laits infantiles en 1986, elle avait adopté une stratégie
commerciale fondée sur des prix inférieurs par rapport à
ses concurrents de l’ordre de 30 % ; que, toutefois, en raison de la distribution
des laits par ses concurrents dans les maternités, cette stratégie
ne lui a pas permis de développer ses parts de marché qui
s’établissaient, en 1986, à 1,8 % et n’ont jamais pu dépasser
6 % entre 1986 et 1992 ;
Considérant, en quatrième lieu, que, s’agissant des opérations
promotionnelles sur ces produits, l’OMS avait, en 1981, souligné
l’influence néfaste sur l’allaitement maternel des opérations
publicitaires des fabricants d’aliments lactés et préconisé,
ainsi que l’avait relevé le Conseil dans son avis n° 87-A-02,
une limitation des opérations publicitaires pour " mettre fin aux
surenchères auxquelles se livraient les producteurs du lait maternisé
pour s’attirer les faveurs des consommateurs et des établissements
d’accouchements " ; que " la Société Française de
Pédiatrie a, dès 1980, publiée une recommandation
pour la commercialisation des aliments de l’enfance qui rappelle les limites
à apporter aux pratiques promotionnelles sur cette catégorie
de produits " et notamment " l’interdiction de la publicité directe
auprès du consommateur, l’étiquetage des échantillons
et documents techniques rappelant la supériorité du lait
maternel, la cessation de la distribution gratuite ou de la vente à
bas prix de lait aux maternités " ; que le Conseil observait alors
que " le seul effet de cette première série d’initiative
a été d’entraîner la disparition presque générale
de la promotion grand public. Elle n’a pas, en revanche, enrayé
la surenchère à la baisse des prix de vente du lait infantile
auprès des maternités ou la croissance rapide des sommes
consacrées à la promotion auprès des prescripteurs
" ; qu’une directive de la Commission européenne en date du 14 mai
1991 relative aux préparations pour nourrissons et aux préparations
de suite, établie à partir des recommandations de l’OMS,
interdit, d’une part, les actions promotionnelles au stade du détail
pour les laits premier âge exclusivement et, d’autre part, les dons
d’échantillons gratuits aux mères dans les maternités
; que, si cette directive n’a été partiellement transposée
en droit interne qu’en 1994, l’ensemble des éléments de contexte
ci-dessus rappelés était de nature à limiter considérablement
la capacité d’action des fournisseurs de lait infantiles en matière
de promotion de leurs produits auprès des mères ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède
que le marché des laits maternisés est un marché stable
sur lequel opère un petit nombre de fournisseurs ; que, faute d’une
croissance de la demande globale, le jeu de la concurrence est nécessairement
circonscrit aux efforts que font les producteurs pour maintenir ou développer
leurs parts de marché au détriment des parts de leurs concurrents
; que, cependant, les producteurs de laits infantiles ne pouvaient à
l’époque des faits ni envisager de différencier leurs produits
par rapport à ceux de la concurrence en raison de l’encadrement
réglementaire des produits, ni essayer de faire jouer la concurrence
par les prix en raison tant de la faiblesse non contestée de l’élasticité
croisée de substitution de la demande entre les marques des différents
fournisseurs, que de l’élasticité de la demande globale de
laits infantiles au prix, ni se livrer à des opérations de
promotion auprès des mères qui étaient réprouvées
par l’OMS et contraires aux dispositions de la directive européenne
de 1991 ; que, dans ces conditions, la demande pour le lait de chaque fournisseur
était presque exclusivement déterminée par l’importance
de la " prescription " pour ce lait dans les maternités ; qu’en
outre, compte tenu de l’attitude des maternités qui, d’une part,
pouvaient choisir indifféremment les laits des différents
fournisseurs en raison de la grande similitude des produits entre eux et
qui, d’autre part, faisaient payer des tours de lait, c’est-à-dire
des référencements, pendant une certaine période de
temps ou pour un certain nombre de biberons, les fournisseurs de lait premier
âge ne pouvaient se dispenser de participer aux tours de lait pour
se maintenir ou se développer sur le marché ;
Considérant que, si la pratique des tours de lait est de nature
à susciter des interrogations déontologiques qu’il n’appartient
pas au Conseil de la concurrence de trancher, la participation des fournisseurs
de laits infantiles à cette pratique ne saurait être considérée
comme une pratique contraire aux dispositions du livre IV du code de commerce,
dès lors, d’une part, que cette participation aux tours de lait
était la seule possibilité pour chacun d’entre eux d’assurer
sa présence sur le marché compte tenu des demandes formulées
par les maternités et que, d’autre part, aucun élément
du dossier ne suggère que les fabricants se seraient entendus explicitement
ou tacitement pour pérenniser cette pratique qu’ils avaient au demeurant
essayé d’éliminer ou de limiter quelques années auparavant
en élaborant un code de déontologie ; que, d’ailleurs, chacun
des producteurs avait un intérêt personnel à participer
aux tours de lait même si ses concurrents n’y participaient pas ;
qu’enfin, l’environnement réglementaire et la mauvaise information
des mères rendaient, en pratique, la concurrence par les mérites
extrêmement difficile, et cela, même si la pratique des tours
de lait n’avait pas existé ;
Considérant qu’il n’est ainsi pas établi qu’en participant
à la pratique des tours de lait dans les maternités les sociétés
Nestlé France, Gallia, Milupa, Sodilac, Nutricia, Materna et Mead-Johnson
ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce
;
Sur le grief d’entente entre Nutricia et ITM
Considérant qu’à l’occasion de la transmission, le 31
janvier 1992, des conditions commerciales qu’elle a accordées à
ITM pour l’année 1992, la société Nutricia précise
dans son courrier " D’autre part, nos responsables secteurs ont été
informés d’ores et déjà des actions à entreprendre
en ce qui concerne l’augmentation des prix en cours chez vos concurrents
de zone de chalandise. Je ne manquerais pas de vous tenir informé
de leurs résultats au fur et à mesure de leur arrivée
" ; que le paragraphe précité ne saurait viser, contrairement
à ce que soutient Nutricia, la simple constatation de l’entrée
en vigueur des augmentations annuelles de tarif entre janvier et mars de
chaque distributeur, mais constitue la réponse de ce fournisseur
à une demande d’ITM, puisque, d’une part, le courrier relève
que les responsables de secteurs de Nutricia " ont été informés
d’ores et déjà des actions à entreprendre " et, d’autre
part, précise " Je ne manquerai pas de vous tenir informé
de leurs résultats au fur et à mesure de leur arrivée
" ;
Considérant,en outre,qu’une télécopie du 10 mars
1992 adressée par Nutricia à ITM comporte un tableau contenant
une liste de seize noms de magasins et leurs lieux d’implantation en face
desquels figurent deux colonnes de prix intitulées " ancien et nouveau
" ; que ce document ne saurait être, comme le fait valoir Nutricia,
la simple vérification par ce fournisseur de la mise en œuvre par
les distributeurs de ses hausses annuelles, dans la mesure où, s’il
en avait été ainsi, les relevés de prix en cause auraient
dû faire l’objet d’une simple transmission interne à cette
société et non pas à ITM ; qu’en outre, lesdits relevés
de prix concernent des prix de vente consommateurs ; qu’en effet, ainsi
que l’a reconnu en séance le responsable de la société
Nutricia, les conditions commerciales jointes au courrier du 31 janvier
1992, applicables à compter du 1er février 1992, comportent
des prix consommateurs ; que le prix de vente des laits Nutricia premier
et deuxième âge 400g dans les magasins, résultant des
conditions commerciales 1992 d’ITM, s’établit à 23,65 F et
les prix relevés dans la colonne " nouveau " du tableau figurant
sur la télécopie du 10 mars 1992 sont, d’une part, tous supérieurs
aux prix contenus dans la colonne " ancien " et, d’autre part, dans treize
cas sur seize au moins, égaux à 23,70 F, soit un prix de
vente consommateur supérieur à ITM ;
Considérant, enfin, que, si le courrier du 1er décembre
1992 invoqué par ITM est sans rapport avec les faits relevés,
puisqu’il intervient dix mois plus tard et concerne le tarif 1993, il confirme,
toutefois, l’existence de concertations entre Nutricia et ITM visant à
faire relever les prix de vente des laits Nutricia chez les concurrents
directs de ce distributeur, puisqu’il relève " Nous avons bien transmis
à nos services commerciaux et notre réseau GMS les relevés
de prix les plus bas observés en magasin, afin qu’ils puissent intervenir,
comme nous l’avons fait dans le passé pour obtenir un relèvement
conjoint des prix de vente entre les magasins concernés et vos concurrents
" ;
Considérant que, dans ces conditions, ITM, en interpellant Nutricia
sur les prix pratiqués par ses concurrents de zones de chalandises,
a conduit ce fournisseur à faire pression sur eux, afin qu’ils relèvent
leurs prix de vente consommateurs ; que de telles pratiques constituent
des actions concertées qui ont eu pour objet et pour effet d’obtenir
une majoration des prix affichés par des distributeurs et qu’elles
sont donc prohibées par les dispositions de l’article L. 420-1 du
code de commerce ;
Sur les sanctions
Considérant qu’aux termes de l’article 13 de l’ordonnance du
1er décembre 1986 (devenu l’article L. 464-2 du code de commerce)
: " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés
de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé
ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction
pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d’inexécution
des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées
à la gravité des faits reprochés, à l’importance
du dommage causé à l’économie et à la situation
de l’entreprise ou de l’organisme sanctionné. Elles sont déterminées
individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné
et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum
de la sanction est, pour une entreprise, de 5 p. 100 du montant du chiffre
d’affaires hors taxes en France au cours du dernier exercice clos. Si le
contrevenant n’est pas une entreprise, le montant maximum est de dix millions
de francs. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de
sa décision dans les journaux ou publications qu’il désigne,
l’affichage dans les lieux qu’il indique et l’insertion de sa décision
dans le rapport établi sur les opérations de l’exercice par
les gérants, le conseil d’administration ou le directoire de l’entreprise.
Les frais sont supportés par la personne intéressée
" ;
Considérant que l’entente constatée entre Nutricia et
ITM a eu pour objet et pour effet de faire remonter artificiellement les
prix des concurrents directs d’ITM pour permettre aux magasins sous enseigne
Intermarché de vendre, dans la plupart des cas, les laits infantiles
Nutricia à des prix inférieurs à ceux pratiqués
par ces concurrents ; que, s’agissant de la gravité de la pratique
et du dommage à l’économie, il y a lieu de tenir compte,
d’une part, de la nature et de la durée de la pratique reprochée,
une entente de prix qui s’est déroulée pendant l’année
1992, et, d’autre part, de son ampleur, c’est-à-dire du fait que
cette pratique de remontée de prix concernait un producteur de lait
infantile distribué en grande surface, dont la part de marché
était, en 1992, de 5,6 % et dont les ventes de laits infantiles
représentaient 41 millions de francs ;
En ce qui concerne le groupement Intermarché
Considérant qu’en sollicitant puis obtenant la remontée
des prix pratiqués par ses concurrents directs sur un certain nombre
de zones de chalandises, le groupement ITM, qui occupait, selon la monographie
établie en 1997 par la direction du commerce intérieur, la
troisième place en 1992 dans la distribution en grande et moyenne
surfaces sur le plan national, a fait bénéficier les magasins
sous enseigne Intermarché concernés d’un avantage injustifié
en pénalisant artificiellement les consommateurs clients de ses
concurrents ; que cette pratique est dès lors grave ; qu’en outre,
ayant été mise en œuvre sur des zones de chalandises réparties
sur toute la France, elle a causé un dommage certain à l’économie
;
Considérant que la société ITM Marchandise International,
anciennement dénommée ITM France, définit la politique
commerciale du groupement Intermarché ; que le chiffre d’affaires
à prendre en considération pour calculer le plafond de la
sanction pécuniaire applicable à la pratique retenue doit
donc être celui de la société ITM Marchandise International
; que cette entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de
1 597 850 115 F en 1999 sur le plan national au cours de l’exercice 1999,
dernier exercice connu ; qu’il y a lieu, dans ces conditions, de lui infliger
une sanction pécuniaire de 4 millions de francs ;
En ce qui concerne la société Nutricia France SA
Considérant que la société Nutricia France SA,
en répondant à la sollicitation dont elle était l’objet,
a fait intervenir ses responsables de secteur pour engager les actions
nécessaires pour obtenir la remontée des prix de vente de
distributeurs concurrents de magasins à l’enseigne Intermarché
; que cette pratique d’entente de prix revenant à imposer des prix
de revente à un certain nombre de distributeurs est grave ; qu’en
outre, ayant été mise en œuvre sur des zones de chalandises
réparties sur toute la France, elle a causé un dommage certain
à l’économie ;
Considérant que cette entreprise a réalisé un chiffre
d’affaires de 240 304 112 F en 1999 sur le plan national au cours de l’exercice
1999, dernier exercice connu ; qu’il y a lieu, dans ces conditions, de
lui infliger une sanction pécuniaire de 600 000 francs,
D E C I D E :
Article 1er : il n’est pas établi que les sociétés
Nestlé France SA, Laboratoire Gallia SA, Milupa SA, Sodilac SAS,
Nutricia France SA, Société Française des Laits Médicaux
Materna SA, Bristol Myers Squibb SA aient enfreint les dispositions de
l’article L. 420-1 du code de commerce.
Article 2 : il est établi que les sociétés
Nutricia France SA et ITM Marchandises International SA ont enfreint les
dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce.
Article 3 : il est infligé à la société
ITM Marchandise International SA une sanction pécuniaire de 4 millions
de francs et à la société Nutricia une sanction pécuniaire
de 600 000 francs.
Délibéré, sur le rapport de Mme BIOLLEY-COORNAERT,
par M. JENNY, vice-président, présidant la séance,
Mme BOUTARD-LABARDE, MM. BARGUE et ROBIN, membres.
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