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Les principes généraux du droit du travail dans les fonctions publiques (II)

Par Joël MEKHANTAR
 Maître de conférences en droit public à la Faculté de Droit et de Science politique de Dijon,
- Groupe de recherche sur l’administration et la fonction publique (GRAFOP)

Dans le silence des textes traditionnels du droit de la fonction publique (statut général, statuts particuliers, décrets "non titulaires"), par une jurisprudence audacieuse, les tribunaux administratifs n’hésitent plus à rechercher dans le Code du travail, les principes généraux utiles à la solution des litiges (A).

II - L’employeur public et l’unité du droit social : les principes "proposés" par les tribunaux administratifs. (*)

Dans le silence des textes traditionnels du droit de la fonction publique (statut général, statuts particuliers, décrets "non titulaires"), par une jurisprudence audacieuse, les tribunaux administratifs n’hésitent plus à rechercher dans le Code du travail, les principes généraux utiles à la solution des litiges (A). Toutefois la portée des règles ainsi dégagées reste incertaine en l’absence de confirmation de leur valeur de principe général par le Conseil d’état (B).

A. Les jurisprudences audacieuses de certains tribunaux administratifs

En droit de la fonction publique, les relations de travail font une place importante au pouvoir hiérarchique.  Un agent public, doit en principe se conformer aux instructions de son supérieur "sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de manière à compromettre gravement un intérêt public" (45). Les principes généraux inspirés par le Code du travail peuvent cependant venir limiter non seulement le pouvoir hiérarchique mais aussi le pouvoir de sanction de l’employeur public.

1°) Le droit de retrait des situations dangereuses

Se fondant sur le refus d’obéissance hiérarchique répété d’un agent technique qualifié, le maire de Chatenois-Les-Forges pensait qu’il pourrait prendre une sanction d’exclusion temporaire des fonctions de son agent récalcitrant.  L’agent en question avait, en effet, refusé par deux fois d’exécuter les ordres qui lui étaient donnés. Il avait tout d’abord refusé de nettoyer les regards d’égouts par une température extérieure inférieure à 8° au motif qu’il n’avait pas de blouson avec bandes réfléchissantes. Il avait également refusé de mettre en place les illuminations de Noël en raison du caractère dangereux de ces travaux en invoquant les dispositions du décret n°453 du 10 mai 1982 modifié en 1995 sur l’hygiène, la sécurité, et la prévention médicale dans la fonction publique.

Il n’invoquait donc pas directement l’article L 231-8-1 du Code du travail qye le décret de 1982 modifié avait transposé dans la fonction publique de l’Etat. Cet article prévoit notamment que : "Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un salarié" se retirant d’une situation qui présente "un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé" (46)...

Cet article du Code s’applique-t-il directement à tous les employeurs publics et notamment aux communes comme celle de Châtenois-Les-Forges ? On pourrait le penser car l’article L 231-8-1 se situe dans les dispositions générales du Titre III du Livre Il du Code du travail. Or l’article L 231-1 fixe un très large champ d’application à ces dispositions.

Cependant le Tribunal administratif de Besançon donna tort au maire de Châtenois-Les-Forges, non pas en appliquant directement le Code du travail mais en considérant " qu’il résulte du principe général dont s’inspire l’article L 231-8-1 du Code du travail qu’aucune sanction., aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un salarié ou d’un agent public qui s’est retiré d’une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser queue présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé " (47).

En application de ce principe, le tribunal estima que le premier refus d’obéissance n’était pas fondé, par contre le second était légitime, au vu du rapport d’inspection du "conseiller technique hygiène, sécurité et condition de travail" du centre départemental de gestion. Il y avait en l’espèce danger à installer des guirlandes lumineuses de Noël "à partir d’une échelle et d’un godet de tracteur levé à 4 mètres du sol".  L’arrêt ne dit pas si le défaut d’agent communal funambule a rendu Noël 1995 moins illuminé à Châtenois-LesForges.  En revanche, la solution éclaire d’un jour nouveau la technique de généralisation d’un principe à partir d’une disposition du Code du travail.

Alors que dans les affaires Peynet, Aragnou, les principes généraux venaient combler des lacunes dans le droit des non titulaires, l’affaire de Besançon vient compléter le droit des fonctionnaires. Ce complément est certes limité puisqu’il n’est utile qu’aux seuls fonctionnaires territoriaux. En effet, pour la fonction publique de l’Etat, il suffit d’appliquer l’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 qui reproduit, presque dans les mêmes termes, l’article L 2318-1 du Code du travail. Dans la fonction publique hospitalière, l’article L 231-81 s’applique directement comme le prévoit l’article L 231-1 (al. 2).

2°) Le droit au certificat de travail

Les principes généraux du droit du travail peuvent aussi apporter des garanties plus grandes en matière de licenciement des agents publics. Tel fut le cas dans un litige jugé par le Tribunal administratif de Rennes (48) à propos d’une enseignante contractuelle du lycée professionnel de Pontivy. Dans cette affaire, l’enseignante en question avait été recrutée en présentant des faux en écriture.  Elle s’était fabriquée un faux diplôme de brevet de technicien supérieur, elle avait falsifié un certificat de travail et des fiches de paie pour être recrutée à un meilleur indice.

L’administration se rendant compte de la supercherie, l’enseignante fut licenciée pour faux et usage de faux. Cette qualification fut également retenue par un jugement du tribunal de grande instance de Lorient le 11 juin 1992.  On aurait pu penser qu’avec un tel dossier, l’ex-pseudo-enseignante chercherait à se faire un peu oublier. Pas du tout ! Sûre de son bon droit, armée de son Code du travail, elle attaqua le certificat de travail que venait de lui délivrer le Proviseur du Lycée de Pontivy au motif que ce certificat mentionnait la qualité en vertu de laquelle elle avait été recrutée et signalait le fait que son dernier contrat avait été interrompu avant son terme.

D’après l’article L 122-16 du Code du travail, "L’employeur doit, à l’expiration du contrat de travail, délivrer au travailleur un certificat contenant exclusivement la date de son entrée et celle de sa sortie, et la nature de l’emploi ou, le cas échéant, des emplois successivement occupés ai . nsi que les périodes pendant lesquelles ces emplois ont été tenus".

Cet article concerne-t-il un employeur public comme un Proviseur de Lyceé professionnel qui licencie une enseignante contractuelle ? Le tribunal apporta une réponse affirmative à cette question en "considérant qu’il résulte d’un principe général du droit de la fonction publique, qui s’inspire de l’article L 122-16 du Code du travail, que les agents non titulaires de droit public sont en droit d’obtenir, à la suite d’un licenciement, un certificat de travail ne contenant exclusivement que la date de début et de fin de leurs services, ainsi que la nature de l’emploi qu’ils occupaient". Parce qu’elle ne respectait pas ce principe, la décision implicite rejetant la demande de rectification du certificat de travail fut annulée.

La formulation du jugement de Rennes est novatrice. Alors que dans tous les arrêts ou jugements précédents, les juges font allusion aux "principes généraux du droit dont s’inspire (telle disposition du) Code du travail", il semble que ce soit là le premier cas où le juge évoque "un principe générai du droit de la fonction publique" à propos de règles qui découlent du droit du travail. Peut être, les juges ont-ils été inspirés par la doctrine. En effet, la motivation du jugement de Rennes, n’est pas sans rappeler cette prophétie de René Chapus d’après laquelle "il n’est pas impossible que les divers principes intéressant la fonction publique (..) soient un jour regroupés dans une catégorie des « principes généraux du droit de la fonction publique »" (49).

B. La valeur incertaine des nouveaux principes proposés

Le Conseil d’état n’a pas encore reconnu pour les agents publics le principe général du droit permettant de se retirer des situations dangereuses.

De même, s’il reconnaît bien aux agents non titulaires le droit à l’obtention d’un certificat de travail, le Conseil d’état n’en fait pas un principe général.  Dans une affaire concernant un non titulaire de la ville d’Aix-en-Provence, il a ainsi reconnu que l’intéressé "est en droit d’obtenir à la suite de son licenciement un certificat de travail contenant la date du début et de la fin de ses services ainsi que la nature de l’emploi qu’il occupait ; qu’il est donc fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle la délivrance d’un tel certificat lui a été refusée " (50).

Par ailleurs, sur les services devant figurer sur le certificat de travail, le Conseil d’état a considéré "que la date de sortie mentionnée sur le certificat de travail est celle à laquelle le salarié quitte effectivement ses fonctions" (51)

Si les nouveaux principes généraux dégagés du Code du travail par les tribunaux administratifs n’ont pas tous été reconnus dans la jurisprudence du Conseil d’état, et si leur valeur, en tant que principe, reste donc encore très incertaine, la démarche entreprise par ces tribunaux administratifs est néanmoins intéressante à plus d’un titre.

D’abord, elle démontre la volonté de la juridiction administrative de réaliser l’unité du droit social par une technique de découverte et non pas de création de la règle de droit. Ces principes généraux du droit, illustrent bien une autre formule de René Chapus à propos de l’ensemble des principes généraux du droit et qui veut "que le juge les recueille plus qu’il ne les crée " (52).

Ensuite cette technique de découverte de principes généraux du droit, est intéressante parce qu’elle fait du Code du travail la source des garanties minimales pour tous, agents publics et salariés privés meme dans les cas où les agents publics entendaient se prévaloir d’autres règles du droit public. Ainsi dans l’affaire de Besançon, le requérant n’invoquait pas les dispositions de l’article L 231-8-1 du Code du travail mais le décret du 28 mai 1982 modifié relatif à l’hygiène, à la sécurité et à la prévention médicale dans la fonction publique.  Le juge est donc allé construire un principe général à partir d’une disposition du Code non invoquée alors qu’il aurait pu seulement généraliser aux agents territoriaux le décret déjà applicable aux fonctionnaires de l’état. Plutôt que d’étendre le champ d’application d’une règle de droit public, le juge a préféré généraliser un principe d’une disposition du Code du travail.

Enfin avec ces principes le juge démontrent à l’égard de l’ensemble des agents publics qu’il "croit nécessaire de combler des vides juridiques et sociaux en étendant à leur profit des garanties minimales auxquelles tout travailleur public ou privé est en droit de prétendre en vertu de principes dont l’évidence s’impose" (53).  La découverte du principe général du droit permettant le retrait de situations dangereuses pour la santé ou la vie s’applique à tous, y compris les fonctionnaires. Autrement dit, contrairement à ce que l’on aurait pu croire dans les années soixante-dix, quand ils s’appliquent à un employeur public, les principes généraux du droit du travail ne sont pas limités à renforcer la protection les seuls agents non titulaires. lis peuvent avoir une utilité même dans le droit des fonctionnaires.

Ceci étant, est-il toujours nécessaire de vouloir assurer l’unité du droit social par cette technique des principes généraux inspirés par le Code du travail ?

III - Vers l’unité du droit social par l’application directe du Code du travail à l’employeur public.

Dans le silence du droit statutaire ou d’autres règles du droit public et lorsque les nécessités propres aux services publics n’y font pas obstacle, faut-il appliquer directement le Code du travail aux agents publics ? Cette question n’est pas nouvelle puisque c’est précisément pour y répondre négativement que les juridictions administratives ont imaginé cette solution compliquée des principes généraux du droit dont s’inspire le Code du travail. Ne peut-on pas faire plus simple en appliquant directement le Code du travail ?

Comme l’indiquait Olivier Van Ruymbeke (54) "Le Code du travail est un Code qui protège le salarié de l’employeur". "Or une telle protection est-elle nécessaire lorsque l’employeur est letat, c’est-à-dire celui qui fixe les règles protectrices ?" Si elle est surtout une revendication forte qui transparaît nettement dans les recours contentieux des personnels (A), la perspective d’une protection des agents publics par le Code du travail n’est pas écartée par la doctrine (B).

A. Une revendication forte dans les recours contentieux des personnels

La lecture de la jurisprudence offre de nombreuses illustrations de rejet d’application du Code du travail aux agents publics. Les demandes d’application du Code du travail peuvent être regroupées en trois domaines.

1°) Le droit disciplinaire

Plusieurs dispositions du Code du travail ont été sollicitées en la matière sans succès. Ainsi "Aucune disposition législative ou réglementaire n’enferme dans un délai déterminé l’exercice de l’action disciplinaire à l’égard des fonctionnaires territoriaux, lesquels ne peuvent utilement se prévaloir de dispositions des articles L 122-41 et L 122-44 du Code du travail" (55).

De même, à propos d’une révocation disciplinaire il a été jugé qu’ "aucune disposition législative et réglementaire concernant les fonctionnaires et applicable en droit public ne fait obligation à l’administration de convoquer l’agent révoqué à un entretien préalable analogue à celui prévu par l’article L 122-14 du Code du travail applicable aux seuls salariés de droit privé" (56).

2°) Les garanties contre la précarité

C’est assurément le domaine le plus fourni du contentieux.

En la matière, un agent public ne peut invoquer l’article L 122-14 du Code du travail qui fait obligation à l’employeur de convoquer le salarié, dont il envisage le licenciement, de lui indiquer l’objet de cette convocation et d’avoir avec lui un entretien préalable. En effet comme en matière disciplinaire, "les dispositions précitées ne sont pas applicables aux agents publics" (57).

Si l’absence de droit à indemnité de licenciement en cas de non renouvellement d’un contrat à durée déterminée est classique (58), le Conseil d’état a également indiqué, à propos de l’indemnité de précarité souvent demandée, que, d’une part, "celles des dispositions du Code du travail qui imposent, sous certaines conditions, le versement d’un complément de salaire au terme d’un contrat à durée déterminée" ne peuvent être utilement invoquée par un agent contractuel d’une caisse de Crédit municipal qui est un établissement public à caractère administratif. Dans la même affaire le Conseil d’état explique d’autre part, "que ni le décret du 15 février 1988 relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoient le versement d’une indemnité aux agents publics dont le contrat, d’une durée déterminée, a atteint le terme fixé" (59).

Une contractuelle "qui est unie à l’administration par un lien de droit public n’entre pas dans le champ d’application des dispositions du Code du travail relatives aux congés payés" (60), de nombreux arrêts ajoutent : "qu’il suit de là que les agents non titulaires ne sauraient invoquer les dispositions de l’article L 223-14 du Code du travail pour prétendre au bénéfice d’une indemnîté compensatrice de congé" (61). Dans le même sens "aucune disposition de toi ou de règlement, ni aucune principe général du droit ne reconnaît à l’ensemble des agents publics non titulaires un droit à indemnité compensatrice de congé payé dans le cas où l’agent cesse ses fonctions avant d’avoir bénéficié de son congé" (62). De même, une infirmière surveillante contractuelle "ne peut se prévaloir ni d’un engagement de la maison de retraite d’Aumale à son égard, ni d’une disposition législative ou d’un principe général qui lui donnerait droit au versement d’une indemnité compensatrice de congés payés dont elle n’aurait pu bénéficier avant son licenciement" (63)

A propos de l’indemnité pour licenciement abusif, "l’article L 122-14-4 du Code du travail n’est pas applicable à l’ensemble des agents publics non titulaires" (64)

2°) Le droit des contrats

Le Code du travail est également sollicité sans succès tant pour la conclusion, que pour la modification des contrats des agents publics.

Sur la conclusion des contrats, la Cour administrative d’appel de Paris à propos d’une contractuelle d’un centre hospitalier a indiqué qu’un "agent contractuel de droit public, ne peut invoquer utilement les dispositions du Code du travail pour contester les termes et les modalités selon lesquelles a été établi son contrat de travail qui a été établi sur la seule base des dispositions du décret du 6 février 1991 " (65) (décret relatif aux contractuels hospitaliers).

De nombreux arrêts rappellent que le droit du travail des contrats à durée déterminée "n’est pas applicable aux agents publics" et parfois ajoutent "qu’il ne résulte d’aucun principe général du droit applicable aux agents publics contractuels que les contrats de travail les liant à leur employeur seraient conclus sans détermination de durée" (66). Dans la même logique, il a été par exemple indiqué "que le Code du travail n’est pas, sauf disposition législative contraire expresse, applicable aux agents publics, qu’ainsi le requérant n’est pas fondé à se prévaloir de l’article L 122-9 du Code du travail, ni en outre, d’un principe général du droit du travail étendant le bénéfice du contrat de travail à durée déterminée à tous les salariés" (67).

De même, des contractuelles d’une direction départementale de l’équipement qui invoquaient le droit à information par l’employeur en cas de modification substantielle de leurs contrats "ne sont pas fondées à invoquer la méconnaissance par l’administration des dispositions de l’article L 321-1-2 du Code du travail, inapplicables aux agents contractuels de l’état" (68).

Jusqu’à une date récente, il semblait impossible d’appliquer l’article L122-12 du Code du travail pour garantir l’emploi en cas de modification de la situation juridique de l’employeur public. Ainsi la juridiction administrative indiquait que la méconnaissance de ces dispositions ne peuvent bénéficier à des agents communaux car ces dispositions "sont inapplicables aux fonctionnaires territoriaux" (69). Sans doute, la jurisprudence évoluera-t-elle sur ce point sous l’influence du Tribunal des Conflits (70).

B. Une forte aspiration à la protection directe par le Code du travail

L’état employeur, comme toutes les collectivités publiques, développe avec son personnel des relations de travail qui ne sont peut-être pas toujours aussi fondamentalement différentes de celles qui existent dans une entreprise privée. Comme le remarquait un membre d’une juridiction administrative, "de nombreux agents du secteur public demeurent placés dans une situation de salariat proche du droit commun, marquée par la subordination juridique, par la révocabilité de l’engagement contractuel et le risque de perte d’emploi, aussi, le Code du travail devrait avoir vocation à les protéger au même titre que les autres salariés" (71).

Plusieurs travaux universitaires relatifs aux agents non titulaires ont évoqué le caractère plus approprié du droit du travail (72) ou ont insisté sur les rapprochements entre le droit de la fonction publique et le droit du travail (73).

Si la doctrine admet que, en dehors des principes généraux du droit et de quelques exceptions législatives et réglementaires, "le principe selon lequel le Code du travail ne s’applique pas aux agents publics" (74) reste la règle, il n’empêche que c’est souvent pour souligner la nécessité d’une évolution.

Le problème n’est pas que théorique. Par exemple, lorsque des regroupements de structures d’hospitalisation sont réalisées entre le secteur public et privé, bien que des modalités spécifiques du Code de la Santé publique permettent au personnel du secteur privé hospitalier d’intégrer la fonction publique hospitalière, les salariés de droit privé préfèrent rester soumis aux règles de la convention collective de 1951 (75).

En définitive, il serait plus claire d’admettre l’idée que "lorsque less nécessités propres du service n’y font pas obstacle et qu’aucune disposition législative ne l’exclut, les agents publics non titulaires bénéficient de garanties d’ordre individuel au moins équivalentes à celles que le Code du travail reconnaît aux salariés " (76).

Faut-il que cette reconnaissance passe par des principes généraux du droit ou par l’application directe du Code du travail ?

Plusieurs raisons militent en faveur d’une extension du champ d’application des garanties du Code du travail en cas de vide juridique.

En premier lieu, la technique des principes généraux du droit n’est pas pleinement satisfaisante.

En effet, d’une part, la généralisation de principes inspirés par des dispositions législatives très ponctuelles fait perdre de sa crédibilité à la notion même de principes généraux du droit. Comme on l’ont indiqué plusieurs auteurs (77), le degré d’abstraction n’est pas celui que l’on devrait exiger pour reconnaître de tels principes. Chacun sent bien que le juge est obligé de forcer la loi, au nom de l’équité, pour contribuer à l’unité du droit social. Les juges administratifs, eux-mêmes, s’en plaignent parfois (78).

D’autre part, à l’inverse, la construction de principes généraux trop larges, comme celui proposé par Mme Grévisse dans ses conclusions sur l’arrêt Peynet, risquerait d’installer le juge dans un rôle de quasi-législateur. Ce que personne ne souhaite.

En second lieu, le statut normatifs des règles érigées en principes généraux du droit reste incertain.

L’interdiction de licencier une non titulaire en état de grossesse travaillant dans un service public est une règle qui appartient à plusieurs strates de l’ordonnancement juridique. Cette norme existe à la fois dans une convention internationale de l’O.I.T., dans une disposition législative du Code du travail, dans les dispositions réglementaires des décrets sur les non titulaires... Il n’est pas interdit de penser que quelque juriste habile ne cherchera pas un jour à rattacher cette règle au Préambule de la Constitution de 1946 (79).  Dès lors quel juriste pourrait nous dire ce qu’il adviendrait du principe général de droit posé par l’arrêt Dame Peynet si l’article L 122-85-2 venait à être modifié dans le sens restrictif souhaité par le collège des employeurs à la session de juin 2000 à l’O.I.T. ? Au-delà de la complexité de ces questions qui ne manquera pas de passionner les juristes, mieux vaudrait garantir l’unité du droit social, en appliquant des règles claires. De ce point de vue l’application du Code du travail présente l’avantage de ne pas déconnecter l’employeur public des avancées sociales réalisées dans le secteur privé.

Parce que l’unité du droit social a guidé le juge dans l’importation de principes généraux du droit du travail dans les fonctions publiques, on peut souhaiter en conclusion que les principes généraux du droit de la fonction publique seront eux aussi recueillis dans le droit du travail applicable aux salariés des services publics (CES, CEC, CEJ). En ce sens, par exemple, le droit à la protection fonctionnelle, qui n’existe pas dans le Code du travail, alors qu’il est reconnu par le statut général aux fonctionnaires et aux agents publics, devrait bénéficier aussi aux agents de droit privé des employeurs publics

80). Derrière ce principe il y va a, en effet, de la dignité du service public.  L’unité du droit social est réversible ... elle doit donc jouer au profit de tous les personnels.

 

Notes de bas de page :

45) Art. 28 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 (retour au texte)

46) Le même article crée même l’obligation pour le salarié de signaler "immédiatement à l’employeur ou à son représentant toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé"... (retour au texte)

47) TA Besançon, 10 octobre 1996, M. Patrick Glory c./Commune de Châtenois-Les-Forges, AJFP 1997-1, pp.39-40, comm. P.B. ; Droit soc. 1996.1034, concl. Moulin ; Les Petites Affiches, 23 juillet 1997, note Portet. (retour au texte)

48) TA de Rennes, 23 juillet 1997, Mme G., n°92803, AJFP 1998-2, pp. 49-50, comm. Joël Mekhantar (retour au texte)

49) René Chapus, op. cit., n°134, p. 90. (retour au texte)

50) CE, 6 mars 1981, Briand, Leb. p. 122 (retour au texte)

51) Ainsi "M. Jacques Michel n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont refusé de faire droit à sa requête, en tant qu’elle portait sur la délivrance d’un certificat de travail mentionnant une durée de travail correspondant à celle retenue pour le calcul de son ancienneté" : CE, 25 juin 1980, Michel, Leb. p. 289. (retour au texte)

52) René Chapus, Droit administratif général, tome 1, 1 le éd., éd. Montchestien, Paris, 1997, n°123, p. 81. (retour au texte)

53) Francis Zapata, Le juge administratif et l’application du Code du travail aux personnels du secteur public, Droit soc., n’7-8, juillet-août 1996, pp. 697-704. (retour au texte)

54) Concl. sur CE, 1er juillet 1988, Billard et Volle c./SNCF, Droit soc. n°11, nov. 1988, pp. 775-779 (retour au texte)

55) CAA Nantes, 30 décembre 1996, n°95NT00940 (retour au texte)

56) CAA Marseille, 18 novembre 1997, M. Manientaz, n°96MA01295 (retour au texte)

57) CAA Nancy, 4 décembre 1990, M. Jean-Pierre Delage, n°89NC01325 (retour au texte)

58) Par ex., à propos d’un allocataires de recherches : CAA Paris, 9 mars 1999, M. Dubois, n°97PA00356 ; à propos de contractuels hospitaliers  : CAA Bordeaux, 25 juin 1991, M. Amor Daklhi, n°89BXOI770, CAA Nancy, 10 octobre 1996, Mme Wurtz-Clementz, n°94NC00628 ; CAA Nancy, 10 février 1994, Syndicat intercommunal de l’Opéra du Rhin c./Mme Bierck-Briot, n°92NC00601, Leb. p. (retour au texte)

59) CE, 13 janvier 1995, M. Granero, n°147.235, Leb. p. (retour au texte)

60) CE, 21 octobre 1988, Commissaire de la République du département de la Somme, n°64.049 (retour au texte)

61) CE, 8 mai 1997, Mme Sacchiero, n°150174 ; CAA de Paris 27 octobre 1998, M. Georgescu, n°96PA02102 (retour au texte)

62) CAA Bordeaux, 27 décembre 1990, Régie autonome des sports et des loisirs c./M. Pasanau, n°89BX00570, n°89BX01026 ; voir, pour un agent de l’ANPE : CAA Paris, 2 avril 1992, M. Rainsford, n°90PA00086  ; pour une employée d’une maison de retraite : CAA de Paris, 15 février 1996, Mme Sib, n°94PA00868 ; à propos d’un agent d’un bureau d’aide sociale : CE, 15 juin 1990, M. Le Coz, n°82.111  ; à propos d’un contractuel recruté comme directeur du théâtre municipal d’Avignon : CE, 28 avril 1989, Duffaut, n°87.045, n°87.046, Leb. tables p. (retour au texte)

63) CAA Nantes, 18 février 1993, Melle Geneviève Carpentier, n°91NT00399 (retour au texte)

64) CAA Bordeaux, 27 décembre 1990, Régie autonome des sports et des loisirs c./M. Pasanau, n° 89BXOO570, n°89BXOIO26 (retour au texte)

65) CAA Paris, 25 juin 1998, Mme Samai, n°96PA00681. (retour au texte)

66) CAA Paris, 6 juin 1991, M. Lefort c./Chambre de métiers de Paris, n°89PA01228 (retour au texte)

67) CAA Paris, 17 octobre 1989, M. Lacombe, n°89PA00720 (retour au texte)

68) CAA Marseille, 2 mars 1999, Mme Benhamida, Mmes Lopez, Martin et Guiraud, n°97MA05558, n°98MA00506 (retour au texte)

69) Fonctionnaire victime d’une suppression de son emploi communal suite à la décision d’une commune de confier l’affermage de centrales hydro-électrique, précédemment exploitées par la commune de Jausiers, à la société d’aménagement urbain et rural  : CAA Lyon, 12 mars 1996, n°94LY01714. (retour au texte)

71) Francis Zapata, Le juge administratif et l’application du Code du travail aux personnels du secteur public, Droit soc. n° 7-8, juillet-Août 1996, pp.697-704. (retour au texte)

72) Carole Moniolle, Les agents non titulaires de la fonction publique de l’Etat, entre précarité et pérennité, éd.  LGDJ, Bibl. de Droit public, tome 208, 1999, 304 p. (retour au texte)

73) Béatrice Thomas-Tual, Droit de la fonction public et droit du travail, thèse Rennes 1, 1988, micrographiée ISSN 0294-1767, 586 p. Voir également les contributions au Colloque "Droit public - Droit social" publié dans Droit soc., n° 3 de mars 1991. (retour au texte)

74) éliane Ayoub, La Fonction publique en vingt principes, éd.  Frison-Roche, Paris, 1994, chap. 8-9 pp. 127 et s. (retour au texte)

75) Cf l’intéressant mémoire de Pierre Pibarot, au DESS Gestion des personnels de la fonction publique hospitalière, 1999 (Faculté de Droit de Dijon) : à propos de la création du Syndicat Interhospitalier de Montceau-Les-mines, lequel regroupe l’hôpital public Jean Bouveri et la Clinique médico chirurgicale privée St Exupéry. (retour au texte)

76) éliane Ayoub, op. cit., p. 133. (retour au texte)

77) Jean-Bernard Auby, note sous l’arrêt Aragnou, Dalloz 1983, p. 8. (retour au texte)

78) En ce sens le vice-président du Tribunal administratif de Pau pose, à propos des non titulaires, la question en conclusion d’un article : "n’est-ce pas au législateur ou au pouvoir réglementaire et non au juge qu’appartient le pouvoir de déterminer, dans les textes, le contenu et l’évolutions souhaitables des garanties auxquelles aspirent ces catégories de personnels" ? Francis Zapata, article précité. (retour au texte)

79) N’y aurait-il pas là une garantie légale au principe posé en 1946 selon lequel la nation "garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère... la sécurité matérielle"  ? (retour au texte)

80) Voir en ce sens la réponse à une question écrite à l’Assemblée nationale posée au Ministre de l’Intérieur  : question n°26472, JO Ass. nat., 16 août 1999, p. 4969.

© - Tous droits réservés - Joël MEKHANTAR - 26 janvier 2000

 


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