II - L’employeur public
et l’unité du droit social : les principes "proposés" par
les tribunaux administratifs. (*)
Dans le silence des textes
traditionnels du droit de la fonction publique (statut général,
statuts particuliers, décrets "non titulaires"), par une jurisprudence
audacieuse, les tribunaux administratifs n’hésitent plus à
rechercher dans le Code du travail, les principes généraux
utiles à la solution des litiges (A). Toutefois la portée
des règles ainsi dégagées reste incertaine en l’absence
de confirmation de leur valeur de principe général par le
Conseil d’état (B).
A. Les jurisprudences
audacieuses de certains tribunaux administratifs
En droit de la fonction publique,
les relations de travail font une place importante au pouvoir hiérarchique.
Un agent public, doit en principe se conformer aux instructions de son
supérieur "sauf dans le cas où l’ordre donné est
manifestement illégal et de manière à compromettre
gravement un intérêt public" (45). Les
principes généraux inspirés par le Code du travail
peuvent cependant venir limiter non seulement le pouvoir hiérarchique
mais aussi le pouvoir de sanction de l’employeur public.
1°) Le droit de retrait
des situations dangereuses
Se fondant sur le refus d’obéissance
hiérarchique répété d’un agent technique qualifié,
le maire de Chatenois-Les-Forges pensait qu’il pourrait prendre une sanction
d’exclusion temporaire des fonctions de son agent récalcitrant.
L’agent en question avait, en effet, refusé par deux fois d’exécuter
les ordres qui lui étaient donnés. Il avait tout d’abord
refusé de nettoyer les regards d’égouts par une température
extérieure inférieure à 8° au motif qu’il n’avait
pas de blouson avec bandes réfléchissantes. Il avait
également refusé de mettre en place les illuminations de
Noël en raison du caractère dangereux de ces travaux en invoquant
les dispositions du décret n°453 du 10 mai 1982 modifié
en 1995 sur l’hygiène, la sécurité, et la prévention
médicale dans la fonction publique.
Il n’invoquait donc pas directement
l’article L 231-8-1 du Code du travail qye le décret de 1982 modifié
avait transposé dans la fonction publique de l’Etat. Cet article
prévoit notamment que : "Aucune sanction, aucune retenue de salaire
ne peut être prise à l’encontre d’un salarié" se
retirant d’une situation qui présente "un danger grave et imminent
pour la vie ou pour la santé" (46)...
Cet article du Code s’applique-t-il
directement à tous les employeurs publics et notamment aux communes
comme celle de Châtenois-Les-Forges ? On pourrait le penser
car l’article L 231-8-1 se situe dans les dispositions générales
du Titre III du Livre Il du Code du travail. Or l’article L 231-1
fixe un très large champ d’application à ces dispositions.
Cependant le Tribunal administratif
de Besançon donna tort au maire de Châtenois-Les-Forges, non
pas en appliquant directement le Code du travail mais en considérant
" qu’il résulte du principe général dont s’inspire
l’article L 231-8-1 du Code du travail qu’aucune sanction., aucune retenue
de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un salarié
ou d’un agent public qui s’est retiré d’une situation de travail
dont il avait un motif raisonnable de penser queue présentait un
danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé " (47).
En application de ce principe,
le tribunal estima que le premier refus d’obéissance n’était
pas fondé, par contre le second était légitime, au
vu du rapport d’inspection du "conseiller technique hygiène,
sécurité et condition de travail" du centre départemental
de gestion. Il y avait en l’espèce danger à installer
des guirlandes lumineuses de Noël "à partir d’une échelle
et d’un godet de tracteur levé à 4 mètres du sol".
L’arrêt ne dit pas si le défaut d’agent communal funambule
a rendu Noël 1995 moins illuminé à Châtenois-LesForges.
En revanche, la solution éclaire d’un jour nouveau la technique
de généralisation d’un principe à partir d’une disposition
du Code du travail.
Alors que dans les affaires
Peynet, Aragnou, les principes généraux venaient combler
des lacunes dans le droit des non titulaires, l’affaire de Besançon
vient compléter le droit des fonctionnaires. Ce complément
est certes limité puisqu’il n’est utile qu’aux seuls fonctionnaires
territoriaux. En effet, pour la fonction publique de l’Etat, il suffit
d’appliquer l’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982
qui reproduit, presque dans les mêmes termes, l’article L 2318-1
du Code du travail. Dans la fonction publique hospitalière,
l’article L 231-81 s’applique directement comme le prévoit l’article
L 231-1 (al. 2).
2°) Le droit au certificat
de travail
Les principes généraux
du droit du travail peuvent aussi apporter des garanties plus grandes en
matière de licenciement des agents publics. Tel fut le cas dans
un litige jugé par le Tribunal administratif de Rennes (48)
à propos d’une enseignante contractuelle du lycée professionnel
de Pontivy. Dans cette affaire, l’enseignante en question avait été
recrutée en présentant des faux en écriture.
Elle s’était fabriquée un faux diplôme de brevet de
technicien supérieur, elle avait falsifié un certificat de
travail et des fiches de paie pour être recrutée à
un meilleur indice.
L’administration se rendant
compte de la supercherie, l’enseignante fut licenciée pour faux
et usage de faux. Cette qualification fut également retenue par
un jugement du tribunal de grande instance de Lorient le 11 juin 1992.
On aurait pu penser qu’avec un tel dossier, l’ex-pseudo-enseignante chercherait
à se faire un peu oublier. Pas du tout ! Sûre de son bon droit,
armée de son Code du travail, elle attaqua le certificat de travail
que venait de lui délivrer le Proviseur du Lycée de Pontivy
au motif que ce certificat mentionnait la qualité en vertu de laquelle
elle avait été recrutée et signalait le fait que son
dernier contrat avait été interrompu avant son terme.
D’après l’article
L 122-16 du Code du travail, "L’employeur doit, à l’expiration
du contrat de travail, délivrer au travailleur un certificat contenant
exclusivement la date de son entrée et celle de sa sortie, et la
nature de l’emploi ou, le cas échéant, des emplois successivement
occupés ai . nsi que les périodes pendant lesquelles ces
emplois ont été tenus".
Cet article concerne-t-il
un employeur public comme un Proviseur de Lyceé professionnel qui
licencie une enseignante contractuelle ? Le tribunal apporta une réponse
affirmative à cette question en "considérant qu’il résulte
d’un principe général du droit de la fonction publique, qui
s’inspire de l’article L 122-16 du Code du travail, que les agents non
titulaires de droit public sont en droit d’obtenir, à la suite d’un
licenciement, un certificat de travail ne contenant exclusivement que la
date de début et de fin de leurs services, ainsi que la nature de
l’emploi qu’ils occupaient". Parce qu’elle ne respectait pas ce principe,
la décision implicite rejetant la demande de rectification du certificat
de travail fut annulée.
La formulation du jugement
de Rennes est novatrice. Alors que dans tous les arrêts ou
jugements précédents, les juges font allusion aux "principes
généraux du droit dont s’inspire (telle disposition du) Code
du travail", il semble que ce soit là le premier cas où
le juge évoque "un principe générai du droit de
la fonction publique" à propos de règles qui découlent
du droit du travail. Peut être, les juges ont-ils été
inspirés par la doctrine. En effet, la motivation du jugement
de Rennes, n’est pas sans rappeler cette prophétie de René
Chapus d’après laquelle "il n’est pas impossible que les divers
principes intéressant la fonction publique (..) soient un jour regroupés
dans une catégorie des « principes généraux du
droit de la fonction publique »" (49).
B. La valeur incertaine
des nouveaux principes proposés
Le Conseil d’état
n’a pas encore reconnu pour les agents publics le principe général
du droit permettant de se retirer des situations dangereuses.
De même, s’il reconnaît
bien aux agents non titulaires le droit à l’obtention d’un certificat
de travail, le Conseil d’état n’en fait pas un principe général.
Dans une affaire concernant un non titulaire de la ville d’Aix-en-Provence,
il a ainsi reconnu que l’intéressé "est en droit d’obtenir
à la suite de son licenciement un certificat de travail contenant
la date du début et de la fin de ses services ainsi que la nature
de l’emploi qu’il occupait ; qu’il est donc fondé à demander
l’annulation de la décision par laquelle la délivrance d’un
tel certificat lui a été refusée " (50).
Par ailleurs, sur les services
devant figurer sur le certificat de travail, le Conseil d’état a
considéré "que la date de sortie mentionnée sur
le certificat de travail est celle à laquelle le salarié
quitte effectivement ses fonctions" (51)
Si les nouveaux principes
généraux dégagés du Code du travail par les
tribunaux administratifs n’ont pas tous été reconnus dans
la jurisprudence du Conseil d’état, et si leur valeur, en tant que
principe, reste donc encore très incertaine, la démarche
entreprise par ces tribunaux administratifs est néanmoins intéressante
à plus d’un titre.
D’abord, elle démontre
la volonté de la juridiction administrative de réaliser l’unité
du droit social par une technique de découverte et non pas de création
de la règle de droit. Ces principes généraux
du droit, illustrent bien une autre formule de René Chapus à
propos de l’ensemble des principes généraux du droit et qui
veut "que le juge les recueille plus qu’il ne les crée "
(52).
Ensuite cette technique de
découverte de principes généraux du droit, est intéressante
parce qu’elle fait du Code du travail la source des garanties minimales
pour tous, agents publics et salariés privés meme dans les
cas où les agents publics entendaient se prévaloir d’autres
règles du droit public. Ainsi dans l’affaire de Besançon,
le requérant n’invoquait pas les dispositions de l’article L 231-8-1
du Code du travail mais le décret du 28 mai 1982 modifié
relatif à l’hygiène, à la sécurité et
à la prévention médicale dans la fonction publique.
Le juge est donc allé construire un principe général
à partir d’une disposition du Code non invoquée alors qu’il
aurait pu seulement généraliser aux agents territoriaux le
décret déjà applicable aux fonctionnaires de l’état.
Plutôt que d’étendre le champ d’application d’une règle
de droit public, le juge a préféré généraliser
un principe d’une disposition du Code du travail.
Enfin avec ces principes
le juge démontrent à l’égard de l’ensemble des agents
publics qu’il "croit nécessaire de combler des vides juridiques
et sociaux en étendant à leur profit des garanties minimales
auxquelles tout travailleur public ou privé est en droit de prétendre
en vertu de principes dont l’évidence s’impose" (53).
La découverte du principe général du droit permettant
le retrait de situations dangereuses pour la santé ou la vie s’applique
à tous, y compris les fonctionnaires. Autrement dit, contrairement
à ce que l’on aurait pu croire dans les années soixante-dix,
quand ils s’appliquent à un employeur public, les principes généraux
du droit du travail ne sont pas limités à renforcer la protection
les seuls agents non titulaires. lis peuvent avoir une utilité même
dans le droit des fonctionnaires.
Ceci étant, est-il
toujours nécessaire de vouloir assurer l’unité du droit social
par cette technique des principes généraux inspirés
par le Code du travail ?
III - Vers l’unité
du droit social par l’application directe du Code du travail à l’employeur
public.
Dans le silence du droit
statutaire ou d’autres règles du droit public et lorsque les nécessités
propres aux services publics n’y font pas obstacle, faut-il appliquer directement
le Code du travail aux agents publics ? Cette question n’est pas
nouvelle puisque c’est précisément pour y répondre
négativement que les juridictions administratives ont imaginé
cette solution compliquée des principes généraux du
droit dont s’inspire le Code du travail. Ne peut-on pas faire plus simple
en appliquant directement le Code du travail ?
Comme l’indiquait Olivier
Van Ruymbeke (54) "Le Code du travail est un Code
qui protège le salarié de l’employeur". "Or une telle
protection est-elle nécessaire lorsque l’employeur est letat, c’est-à-dire
celui qui fixe les règles protectrices ?" Si elle est surtout
une revendication forte qui transparaît nettement dans les recours
contentieux des personnels (A), la perspective d’une protection des agents
publics par le Code du travail n’est pas écartée par la doctrine
(B).
A. Une revendication forte
dans les recours contentieux des personnels
La lecture de la jurisprudence
offre de nombreuses illustrations de rejet d’application du Code du travail
aux agents publics. Les demandes d’application du Code du travail
peuvent être regroupées en trois domaines.
1°) Le droit disciplinaire
Plusieurs dispositions du
Code du travail ont été sollicitées en la matière
sans succès. Ainsi "Aucune disposition législative
ou réglementaire n’enferme dans un délai déterminé
l’exercice de l’action disciplinaire à l’égard des fonctionnaires
territoriaux, lesquels ne peuvent utilement se prévaloir de dispositions
des articles L 122-41 et L 122-44 du Code du travail" (55).
De même, à propos
d’une révocation disciplinaire il a été jugé
qu’ "aucune disposition législative et réglementaire concernant
les fonctionnaires et applicable en droit public ne fait obligation à
l’administration de convoquer l’agent révoqué à un
entretien préalable analogue à celui prévu par l’article
L 122-14 du Code du travail applicable aux seuls salariés de droit
privé" (56).
2°) Les garanties
contre la précarité
C’est assurément le
domaine le plus fourni du contentieux.
En la matière, un
agent public ne peut invoquer l’article L 122-14 du Code du travail qui
fait obligation à l’employeur de convoquer le salarié, dont
il envisage le licenciement, de lui indiquer l’objet de cette convocation
et d’avoir avec lui un entretien préalable. En effet comme
en matière disciplinaire, "les dispositions précitées
ne sont pas applicables aux agents publics" (57).
Si l’absence de droit à
indemnité de licenciement en cas de non renouvellement d’un contrat
à durée déterminée est classique (58),
le Conseil d’état a également indiqué, à propos
de l’indemnité de précarité souvent demandée,
que, d’une part, "celles des dispositions du Code du travail qui imposent,
sous certaines conditions, le versement d’un complément de salaire
au terme d’un contrat à durée déterminée"
ne peuvent être utilement invoquée par un agent contractuel
d’une caisse de Crédit municipal qui est un établissement
public à caractère administratif. Dans la même
affaire le Conseil d’état explique d’autre part, "que ni le décret
du 15 février 1988 relatif aux agents non titulaires de la fonction
publique territoriale, ni aucune disposition législative ou réglementaire
ne prévoient le versement d’une indemnité aux agents publics
dont le contrat, d’une durée déterminée, a atteint
le terme fixé" (59).
Une contractuelle "qui
est unie à l’administration par un lien de droit public n’entre
pas dans le champ d’application des dispositions du Code du travail relatives
aux congés payés" (60), de nombreux
arrêts ajoutent : "qu’il suit de là que les agents non
titulaires ne sauraient invoquer les dispositions de l’article L 223-14
du Code du travail pour prétendre au bénéfice d’une
indemnîté compensatrice de congé" (61).
Dans le même sens "aucune disposition de toi ou de règlement,
ni aucune principe général du droit ne reconnaît à
l’ensemble des agents publics non titulaires un droit à indemnité
compensatrice de congé payé dans le cas où l’agent
cesse ses fonctions avant d’avoir bénéficié de son
congé" (62). De même, une infirmière
surveillante contractuelle "ne peut se prévaloir ni d’un engagement
de la maison de retraite d’Aumale à son égard, ni d’une disposition
législative ou d’un principe général qui lui donnerait
droit au versement d’une indemnité compensatrice de congés
payés dont elle n’aurait pu bénéficier avant son licenciement"
(63)
A propos de l’indemnité
pour licenciement abusif, "l’article L 122-14-4 du Code du travail n’est
pas applicable à l’ensemble des agents publics non titulaires"
(64)
2°) Le droit des contrats
Le Code du travail est également
sollicité sans succès tant pour la conclusion, que pour la
modification des contrats des agents publics.
Sur la conclusion des contrats,
la Cour administrative d’appel de Paris à propos d’une contractuelle
d’un centre hospitalier a indiqué qu’un "agent contractuel de
droit public, ne peut invoquer utilement les dispositions du Code du travail
pour contester les termes et les modalités selon lesquelles a été
établi son contrat de travail qui a été établi
sur la seule base des dispositions du décret du 6 février
1991 " (65) (décret relatif aux contractuels
hospitaliers).
De nombreux arrêts
rappellent que le droit du travail des contrats à durée déterminée
"n’est pas applicable aux agents publics" et parfois ajoutent "qu’il
ne résulte d’aucun principe général du droit applicable
aux agents publics contractuels que les contrats de travail les liant à
leur employeur seraient conclus sans détermination de durée"
(66). Dans la même logique, il a été
par exemple indiqué "que le Code du travail n’est pas, sauf disposition
législative contraire expresse, applicable aux agents publics, qu’ainsi
le requérant n’est pas fondé à se prévaloir
de l’article L 122-9 du Code du travail, ni en outre, d’un principe général
du droit du travail étendant le bénéfice du contrat
de travail à durée déterminée à tous
les salariés" (67).
De même, des contractuelles
d’une direction départementale de l’équipement qui invoquaient
le droit à information par l’employeur en cas de modification substantielle
de leurs contrats "ne sont pas fondées à invoquer la méconnaissance
par l’administration des dispositions de l’article L 321-1-2 du Code du
travail, inapplicables aux agents contractuels de l’état" (68).
Jusqu’à une date récente,
il semblait impossible d’appliquer l’article L122-12 du Code du travail
pour garantir l’emploi en cas de modification de la situation juridique
de l’employeur public. Ainsi la juridiction administrative indiquait que
la méconnaissance de ces dispositions ne peuvent bénéficier
à des agents communaux car ces dispositions "sont inapplicables
aux fonctionnaires territoriaux" (69). Sans
doute, la jurisprudence évoluera-t-elle sur ce point sous l’influence
du Tribunal des Conflits (70).
B. Une forte aspiration
à la protection directe par le Code du travail
L’état employeur,
comme toutes les collectivités publiques, développe avec
son personnel des relations de travail qui ne sont peut-être pas
toujours aussi fondamentalement différentes de celles qui existent
dans une entreprise privée. Comme le remarquait un membre
d’une juridiction administrative, "de nombreux agents du secteur public
demeurent placés dans une situation de salariat proche du droit
commun, marquée par la subordination juridique, par la révocabilité
de l’engagement contractuel et le risque de perte d’emploi, aussi, le Code
du travail devrait avoir vocation à les protéger au même
titre que les autres salariés" (71).
Plusieurs travaux universitaires
relatifs aux agents non titulaires ont évoqué le caractère
plus approprié du droit du travail (72) ou ont
insisté sur les rapprochements entre le droit de la fonction publique
et le droit du travail (73).
Si la doctrine admet que,
en dehors des principes généraux du droit et de quelques
exceptions législatives et réglementaires, "le principe
selon lequel le Code du travail ne s’applique pas aux agents publics"
(74) reste la règle, il n’empêche que c’est
souvent pour souligner la nécessité d’une évolution.
Le problème n’est
pas que théorique. Par exemple, lorsque des regroupements de structures
d’hospitalisation sont réalisées entre le secteur public
et privé, bien que des modalités spécifiques du Code
de la Santé publique permettent au personnel du secteur privé
hospitalier d’intégrer la fonction publique hospitalière,
les salariés de droit privé préfèrent rester
soumis aux règles de la convention collective de 1951 (75).
En définitive, il
serait plus claire d’admettre l’idée que "lorsque less nécessités
propres du service n’y font pas obstacle et qu’aucune disposition législative
ne l’exclut, les agents publics non titulaires bénéficient
de garanties d’ordre individuel au moins équivalentes à celles
que le Code du travail reconnaît aux salariés " (76).
Faut-il que cette reconnaissance
passe par des principes généraux du droit ou par l’application
directe du Code du travail ?
Plusieurs raisons militent
en faveur d’une extension du champ d’application des garanties du Code
du travail en cas de vide juridique.
En premier lieu, la technique
des principes généraux du droit n’est pas pleinement satisfaisante.
En effet, d’une part, la
généralisation de principes inspirés par des dispositions
législatives très ponctuelles fait perdre de sa crédibilité
à la notion même de principes généraux du droit.
Comme on l’ont indiqué plusieurs auteurs (77),
le degré d’abstraction n’est pas celui que l’on devrait exiger pour
reconnaître de tels principes. Chacun sent bien que le juge est obligé
de forcer la loi, au nom de l’équité, pour contribuer à
l’unité du droit social. Les juges administratifs, eux-mêmes,
s’en plaignent parfois (78).
D’autre part, à l’inverse,
la construction de principes généraux trop larges, comme
celui proposé par Mme Grévisse dans ses conclusions sur l’arrêt
Peynet, risquerait d’installer le juge dans un rôle de quasi-législateur.
Ce que personne ne souhaite.
En second lieu, le statut
normatifs des règles érigées en principes généraux
du droit reste incertain.
L’interdiction de licencier
une non titulaire en état de grossesse travaillant dans un service
public est une règle qui appartient à plusieurs strates de
l’ordonnancement juridique. Cette norme existe à la fois dans
une convention internationale de l’O.I.T., dans une disposition législative
du Code du travail, dans les dispositions réglementaires des décrets
sur les non titulaires... Il n’est pas interdit de penser que quelque juriste
habile ne cherchera pas un jour à rattacher cette règle au
Préambule de la Constitution de 1946 (79).
Dès lors quel juriste pourrait nous dire ce qu’il adviendrait du
principe général de droit posé par l’arrêt Dame
Peynet si l’article L 122-85-2 venait à être modifié
dans le sens restrictif souhaité par le collège des employeurs
à la session de juin 2000 à l’O.I.T. ? Au-delà de la
complexité de ces questions qui ne manquera pas de passionner les
juristes, mieux vaudrait garantir l’unité du droit social, en appliquant
des règles claires. De ce point de vue l’application du Code
du travail présente l’avantage de ne pas déconnecter l’employeur
public des avancées sociales réalisées dans le secteur
privé.
Parce que l’unité
du droit social a guidé le juge dans l’importation de principes
généraux du droit du travail dans les fonctions publiques,
on peut souhaiter en conclusion que les principes généraux
du droit de la fonction publique seront eux aussi recueillis dans le droit
du travail applicable aux salariés des services publics (CES, CEC,
CEJ). En ce sens, par exemple, le droit à la protection fonctionnelle,
qui n’existe pas dans le Code du travail, alors qu’il est reconnu par le
statut général aux fonctionnaires et aux agents publics,
devrait bénéficier aussi aux agents de droit privé
des employeurs publics
80). Derrière ce
principe il y va a, en effet, de la dignité du service public.
L’unité du droit social est réversible ... elle doit donc
jouer au profit de tous les personnels.
Notes de bas de page :
45) Art.
28 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 (retour au texte)
46) Le même
article crée même l’obligation pour le salarié de signaler
"immédiatement à l’employeur ou à son représentant
toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle
présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé"... (retour au texte)
47) TA Besançon,
10 octobre 1996, M. Patrick Glory c./Commune de Châtenois-Les-Forges,
AJFP 1997-1, pp.39-40, comm. P.B. ; Droit soc. 1996.1034,
concl. Moulin ; Les Petites Affiches, 23 juillet 1997, note Portet. (retour au texte)
48) TA de
Rennes, 23 juillet 1997, Mme G., n°92803, AJFP 1998-2, pp. 49-50,
comm. Joël Mekhantar (retour au texte)
49) René
Chapus, op. cit., n°134, p. 90. (retour au texte)
50) CE,
6 mars 1981, Briand, Leb. p. 122 (retour au texte)
51) Ainsi
"M. Jacques Michel n’est pas fondé à soutenir que c’est
à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont
refusé de faire droit à sa requête, en tant qu’elle
portait sur la délivrance d’un certificat de travail mentionnant
une durée de travail correspondant à celle retenue pour le
calcul de son ancienneté" : CE, 25 juin 1980, Michel, Leb.
p. 289. (retour au texte)
52) René
Chapus, Droit administratif général, tome 1, 1 le
éd., éd. Montchestien, Paris, 1997, n°123, p. 81. (retour au texte)
53) Francis
Zapata, Le juge administratif et l’application du Code du travail aux personnels
du secteur public, Droit soc., n’7-8, juillet-août 1996, pp.
697-704. (retour au texte)
54) Concl.
sur CE, 1er juillet 1988, Billard et Volle c./SNCF, Droit soc. n°11,
nov. 1988, pp. 775-779 (retour au texte)
55) CAA
Nantes, 30 décembre 1996, n°95NT00940 (retour au texte)
56) CAA
Marseille, 18 novembre 1997, M. Manientaz, n°96MA01295 (retour au texte)
57) CAA
Nancy, 4 décembre 1990, M. Jean-Pierre Delage, n°89NC01325 (retour au texte)
58) Par
ex., à propos d’un allocataires de recherches : CAA Paris, 9 mars
1999, M. Dubois, n°97PA00356 ; à propos de contractuels hospitaliers
: CAA Bordeaux, 25 juin 1991, M. Amor Daklhi, n°89BXOI770, CAA Nancy,
10 octobre 1996, Mme Wurtz-Clementz, n°94NC00628 ; CAA Nancy, 10 février
1994, Syndicat intercommunal de l’Opéra du Rhin c./Mme Bierck-Briot,
n°92NC00601, Leb. p. (retour au texte)
59) CE,
13 janvier 1995, M. Granero, n°147.235, Leb. p. (retour au texte)
60) CE,
21 octobre 1988, Commissaire de la République du département
de la Somme, n°64.049 (retour au texte)
61) CE,
8 mai 1997, Mme Sacchiero, n°150174 ; CAA de Paris 27 octobre 1998,
M. Georgescu, n°96PA02102 (retour au texte)
62) CAA
Bordeaux, 27 décembre 1990, Régie autonome des sports et
des loisirs c./M. Pasanau, n°89BX00570, n°89BX01026 ; voir, pour
un agent de l’ANPE : CAA Paris, 2 avril 1992, M. Rainsford, n°90PA00086
; pour une employée d’une maison de retraite : CAA de Paris, 15
février 1996, Mme Sib, n°94PA00868 ; à propos d’un agent
d’un bureau d’aide sociale : CE, 15 juin 1990, M. Le Coz, n°82.111
; à propos d’un contractuel recruté comme directeur du théâtre
municipal d’Avignon : CE, 28 avril 1989, Duffaut, n°87.045, n°87.046,
Leb. tables p. (retour au texte)
63) CAA
Nantes, 18 février 1993, Melle Geneviève Carpentier, n°91NT00399 (retour au texte)
64) CAA
Bordeaux, 27 décembre 1990, Régie autonome des sports et
des loisirs c./M. Pasanau, n° 89BXOO570, n°89BXOIO26 (retour au texte)
65) CAA
Paris, 25 juin 1998, Mme Samai, n°96PA00681. (retour au texte)
66) CAA
Paris, 6 juin 1991, M. Lefort c./Chambre de métiers de Paris, n°89PA01228 (retour au texte)
67) CAA
Paris, 17 octobre 1989, M. Lacombe, n°89PA00720 (retour au texte)
68) CAA
Marseille, 2 mars 1999, Mme Benhamida, Mmes Lopez, Martin et Guiraud, n°97MA05558,
n°98MA00506 (retour au texte)
69) Fonctionnaire
victime d’une suppression de son emploi communal suite à la décision
d’une commune de confier l’affermage de centrales hydro-électrique,
précédemment exploitées par la commune de Jausiers,
à la société d’aménagement urbain et rural
: CAA Lyon, 12 mars 1996, n°94LY01714. (retour au texte)
71) Francis
Zapata, Le juge administratif et l’application du Code du travail aux personnels
du secteur public, Droit soc. n° 7-8, juillet-Août 1996,
pp.697-704. (retour au texte)
72) Carole
Moniolle, Les agents non titulaires de la fonction publique de l’Etat,
entre précarité et pérennité, éd.
LGDJ, Bibl. de Droit public, tome 208, 1999, 304 p. (retour au texte)
73) Béatrice
Thomas-Tual, Droit de la fonction public et droit du travail, thèse
Rennes 1, 1988, micrographiée ISSN 0294-1767, 586 p. Voir également
les contributions au Colloque "Droit public - Droit social" publié
dans Droit soc., n° 3 de mars 1991. (retour au texte)
74) éliane
Ayoub, La Fonction publique en vingt principes, éd.
Frison-Roche, Paris, 1994, chap. 8-9 pp. 127 et s. (retour au texte)
75) Cf l’intéressant
mémoire de Pierre Pibarot, au DESS Gestion des personnels de la
fonction publique hospitalière, 1999 (Faculté de Droit de
Dijon) : à propos de la création du Syndicat Interhospitalier
de Montceau-Les-mines, lequel regroupe l’hôpital public Jean Bouveri
et la Clinique médico chirurgicale privée St Exupéry. (retour au texte)
76) éliane
Ayoub, op. cit., p. 133. (retour au texte)
77) Jean-Bernard
Auby, note sous l’arrêt Aragnou, Dalloz 1983, p. 8. (retour au texte)
78) En ce
sens le vice-président du Tribunal administratif de Pau pose, à
propos des non titulaires, la question en conclusion d’un article : "n’est-ce
pas au législateur ou au pouvoir réglementaire et non au
juge qu’appartient le pouvoir de déterminer, dans les textes, le
contenu et l’évolutions souhaitables des garanties auxquelles aspirent
ces catégories de personnels" ? Francis Zapata, article précité. (retour au texte)
79) N’y
aurait-il pas là une garantie légale au principe posé
en 1946 selon lequel la nation "garantit à tous, notamment à
l’enfant, à la mère... la sécurité matérielle"
? (retour au texte)
80) Voir
en ce sens la réponse à une question écrite à
l’Assemblée nationale posée au Ministre de l’Intérieur
: question n°26472, JO Ass. nat., 16 août 1999, p. 4969.