L’employeur public doit-il
faire preuve d’une certaine perplexité devant les transformations
en cours du droit des personnels ? L’intégration dans les administrations
de normes issues du code du travail ne risque-t-elle pas de nous changer
notre droit de la fonction publique (ou des fonctions publiques) ?
Ces changements, par petites touches successives, doivent-ils être
perçus comme une amélioration du droit appliqué par
les employeurs publics ?
Si traditionnellement, une
culture juridique fondée principalement sur la connaissance du droit
public suffisait pour maîtriser l’essentiel des règles techniques
applicables à la gestion des personnels des administrations, aujourd’hui,
juristes et gestionnaires de ressources humaines sont de plus en plus appelés
à ne plus utiliser simplement le statut général, les
statuts particuliers, et les décrets relatifs aux non titulaires.
A côté de ces
règles classiques de droit public ou pour en combler les lacunes
les plus criantes, l’évolution amorcée par les juridictions
administratives, au moins depuis la jurisprudence Peynet (1)
, incite les administrations à découvrir le droit commun
des employeurs privés, à savoir le droit du travail.
Les possibilités plus
grandes ouvertes par la jurisprudence sociale de la Cour de Cassation à
certains employeurs publics autres que l’état, de faire appel à
des contrats spéciaux du droit du travail, y compris pour occuper
"des emplois liés à l’activité normale et permanente
des collectivités, organismes et personnes morales concemées"
(2) ne sont pas la seule explication. L’application
des règles du droit du travail à des personnels régis
par des contrats de travail, même dans les services publics administratifs,
n’a en soi rien de surprenant. Plus déconcertante est en revanche
la qualification de contrat de droit du travail donnée, sauf exceptions
(3) par le législateur à ces contrats qui
font pourtant participer ces personnels des administrations aux tâches
du service public.
On est ainsi dans une situation
un peu paradoxale où, les principes jurisprudentiels depuis l’affaire
Berkani (4) vont plutôt dans le sens d’une "publicisation"
du droit des personnels non statutaires alors que, de son côté,
le législateur généralise les politiques en faveur
de l’emploi en incitant les administrations à recruter des personnels
sous contrats de travail (CES, CEC, CEJ, ... ). En raison de l’ampleur
des effectifs concernés par ces contrats, l’exception législative
du salariat de droit privé, n’est plus négligeable notamment
dans certaines collectivités locales et établissements publics.
Ces évolutions législatives
qui, à l’intérieur des administrations publiques, organisent
une sorte de "concurrence de main d’oeuvre" entre des personnels de droit
public et des personnels de droit privé, ne facilitent pas toujours
la tâche des gestionnaires. Cette tâche est d’autant moins
évidente, qu’au sein même des personnels classiquement soumis
aux règles du droit public (fonctionnaires, stagiaires, non titulaires),
l’application du Code du travail n’est plus un phénomène
isolé. Il est désormais bien établi que le Code
du travail trouve à s’appliquer soit directement lorsque cela est
juridiquement possible (5), soit indirectement par le
truchement de principes généraux qui s’inspirent dudit code.
Ce développement des
principes généraux inspirés par le Code du travail
répond à une finalité qui, si elle n’est pas au rang
des exigences de valeur constitutionnelle, n’en est pas moins fondamentale
pour tous les personnels, quel que soit leur employeur. Cette exigence
formulée par Mme Grévisse dans ses conclusions sur l’affaire
Dame Peynet est celle de "l’unité du droit social au-delà
des distinctions juridiques". Tel est le ressort profond de toutes
les jurisprudences qui, pour les administrations publiques, ont consacré
l’existence de principes généraux du droit dont s’inspirent
diverses dispositions du Code du travail.
Toutefois - et la jurisprudence
Peynet, là encore, invitait déjà à se poser
la,question - l’unité du droit social qui justifiait la découverte
par le Conseil d’Etat de ces principes généraux, n’exige-t-elle
pas d’aller au-delà ? Autrement dit, ne faudrait-il pas considérer
comme l’a un moment proposé Mme Grévisse pour les non titulaires
que "les dispositions du Code du travail s’appliquent à tous
les services publics et à leurs agents, même de droit public" ?
Comme l’indiquait alors Mme le commissaire du Gouvernement "ce revirement
de jurisprudence simplifierait considérablement la situation de
droit".
Cependant cette question
de l’unité du droit social entre agents publics et salariés
privés a pu momentanément passer au second plan en raison
de l’édiction, par voie réglementaire, d’un droit relativement
protecteur à l’égard des agents non titulaires. Cette
plus grande protection repose notamment, dans la fonction publique de l’état,
sur l’idée que l’article 7 de la loi du 11 janvier 1984 (6)
pose "un principe général d’équivalence en matière
de protection sociale entre agents titulaires et agents non titutaires"
(7) même si les dispositions de cet article "n’impliquent
pas que les agents contractuels autres que ceux recrutés sur le
fondement des article 4 et 6 (de la loi du 11 janvier 1984) bénéficient
d’une protection intégralement semblable à celle des fonctionnaires"
(8).
Selon cette logique, en application
de l’article 7 de la loi, un premier groupe de non titulaires bénéficie,
en principe, d’une protection-sociale assez comparable à celle des
fonctionnaires.
Ces non titulaires sont,
d’une part, les agents contractuels recrutés en application de l’article
4 de la loi 84-16 du 11 janvier 1984, soit lorsqu’il n’existe pas de corps
de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes,
soit pour les emplois du niveau de la catégorie A et, dans les représentations
de l’état à l’étranger, des autres catégories,
lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient.
Ces non titulaires sont,
d’autre part, les agents contractuels recrutés en application de
l’article 6 de la loi, soit pour assurer des fonctions correspondant à
un besoin permanent mais impliquant un service à temps incomplet,
soit en cas de fonctions correspondant à un besoin saisonnier ou
occasionnel lorsque ces fonctions ne peuvent être assurées
par des titulaires.
Par contre, le Conseil d’état
estime que le principe d’équivalence de protection sociale entre
non titulaires et fonctionnaires n’est pas garanti par l’article 7 de la
loi du 11 janvier 1984 aux, non titulaires recrutés en application
des articles 3 et 5 de cette loi (9). La loi n’a
imposé aucune règle pour les agents contractuels recrutés
sur ce fondement mais le Gouvernement, en vertu de son pouvoir réglementaire
autonome a pu prévoir des règles identiques de protection
sociale (10) pour tous les agents contractuels soumis
au décret 86-83 du 17 janvier 1986 (11), donc
non seulement pour les non titulaires des articles 4 et 6 de la loi mais
aussi, notamment, pour les non titulaires des articles 3 et 5.
Suite à l’affaire
Peynet, et en raison de l’exercice du pouvoir réglementaire autonome
ou d’application du statut général, l’équivalence
de protection s’est en grande partie réalisée entre fonctionnaires
et non titulaires.
Toutefois, l’unité
du droit social qui a conduit à étendre certaines garanties
du Code du travail aux non titulaires n’en est restée qu’à
de simples balbutiements. Si l’on ne peut adopter le point de vue
pessimiste d’une partie de la doctrine du droit du travail, qui, à
propos des non titulaires, évoque l’existence d’un "tiers exclu"...
"assis entre deux chaises" et ne bénéficiant ni des garanties
du statut général des fonctionnaires ni du socle minimal
de protection offert par Code du travail aux salariés (12)
on ne peut partager totalement la certitude "que l’écart entre
fonction publique et salariat privé n’a cessé de décroître"
(13)
Au-delà des divergences
de points de vue, une direction claire est donnée, celle de l’unité
du droit social. La technique des principes généraux s’inscrit
dans ce mouvement de rapprochement des droits des personnels quels que
soient les employeurs.
Par souci de réaliser
l’unité du droit social, le Code du travail a été
la source d’inspiration du Conseil d’état, pour "découvrir"
des principes généraux (I), dans les cas d’iniquité
les plus flagrants entre les agents publics et les salariés privés.
Prenant le relais du mouvement
amorcé par le Conseil d’état, certains tribunaux administratifs
n’hésitent plus à "proposer" de nouveaux principes généraux
à partir du Code du travail (II).
Dès lors, quand aucune
règle du droit public ne s’y oppose et quand les nécessités
du service public n’y font pas obstacle, le temps n’est-il pas venu de
réaliser cette unité du droit social non plus en important
dans le droit de l’employeur public des principes généraux
inspirés du droit du travail mais en appliquant directement, sous
certaines conditions, les dispositions du Code du travail à la source
des principes généraux ? (III)
I - L’employeur public
et l’unité du droit social : les principes généraux
"découverts" par le Conseil d’Etat
En faisant bénéficier
les personnels de nouvelles protections, le développement des principes
généraux inspirés par le Code du travail a limité
les pouvoirs de l’employeur public dans trois domaines, le licenciement
(A), la rémunération (B), le pouvoir de sanction (C).
A - L’interdiction de
licencier une non titulaire en état de grossesse
Arrêt de principe par
lequel tout a commencé, l’affaire Peynet a été l’occasion
de faire prévaloir l’équité contre la sécheresse
du droit applicable à l’époque.
1°) Les principes
de la jurisprudence Dame Peynet (14)
Infirmière auxiliaire
employée par un institut médico pédagogique départemental
du Territoire de Belfort, la requérante exerçait des fonctions
qui la faisait participer au service public et avait bien la qualité
d’agent public au sens des critères jurisprudentiels alors en vigueur.
Alors qu’elle était enceinte et avait adressé un certificat
médical attestant son état de grossesse, elle fut licenciée
par décision préfectorale. A la date du licenciement,
en dehors de dispositions réglementaires relatives à la rémunération
et aux congés, il n’existait rien d’applicable à la situation
du personnel auxiliaire du département. Il n’y avait pas de
garantie de maintien des femmes enceintes dans leur emploi. Mme Grévisse
va donc amener le Conseil d’état, après avoir tenté
de faire appliquer directement les dispositions de l’article 29-1 du livre
1 du Code du travail (L 122-85-2), a découvrir : "le principe
général, dont s’inspire l’article 29 du livre 1er du Code
du travail, selon lequel aucun employeur ne peut, sauf dans certains cas,
licencier une salariée en état de grossesse, (ce principe)
s’applique aux femmes employées dans les services publics lorsque,
comme en l’espèce, aucune nécessité propre à
ces services ne s’y oppose".
Cette formulation prudente,
qui donne lieu à l’application d’un principe général
de portée très limitée, contraste singulièrement
avec la proposition faite alors par Mme la commissaire du Gouvernement.
Se fondant sur l’idée d’unité du droit social, Mme Grévisse
formulait, de façon beaucoup plus large, son principe de la manière
suivante : "lorsque les nécessités propres du service
public n’y font pas obstacle et lorsqu’aucune disposition législative
ne l’exclut expressément, les agents de l’état et des collectivités
et organismes publics doivent bénéficier quelle que soit
la nature juridique du lien qui les unit à leur employeur, de droits
équivalents à ceux que la législation du travail reconnaît
à l’ensemble des salariés".
L’attitude prudente du juge
administratif a parfois été justifiée par des raisons
pratiques qui l’auraient conduit à ne pas vouloir "faire peser
sur les collectivités territoriales qui emploient un nombre élevé
d’agents non titulaires, des contraintes financières importantes"
(15). Est-il cependant équitable que l’état
impose aux employeurs privés les contraintes du Code du travail
auxquelles il n’accepte pas de soumettre les employeurs publics ?
La jurisprudence Peynet a
par la suite été fréquemment appliquée (16),
en particulier aux communes (17). Elle a ainsi
été appliquée à l’encontre de la Commune de
Conflans-Ste-Honorine. Cette commune avait dans un premier temps
obtenu gain de cause devant le tribunal administratif de Versailles en
indiquant que l’effet d’un licenciement avait été reporté
à l’issue du congé postnatal. Le Conseil d’état,
prit en compte la dateide la -lettre avec accusé réception
par laquelle le maire informait la requérante de son licenciement
à venir. Le licenciement était illégal car la
commune n’avait pas respecté la période de quatre semaines
suivant l’expiration du congé de maternité (18).
L’interdiction de licencier
un agent en état de grossesse, principe général du
droit inspiré par le Code du travail, a été intégré
depuis par le pouvoir réglementaire dans les décrets applicables
aux non titulaires des trois fonctions publiques (19).
Au contentieux, le juge vérifie
l’exactitude du motif allégué par l’administration.
Ainsi lorsque la décision de licencier intervient peu de temps après
que l’employeur ait été informé de l’état de
grossesse, le juge dispose d’une sorte de présomption sérieuse
d’illégalité de la décision attaquée quand
bien même l’administration invoquerait-elle un autre motif que la
grossesse pour tenter de justifier le licenciement (20).
Par ailleurs, si le principe s’applique aux stagiaires en cours de stage,
il n’interdit pas pour autant de licencier une stagiaire en fin de stage
pour insuffisance professionnelle (21). En outre,
même en état de grossesse, le licenciement reste possible
dans le cas d’une faute grave (22).
L’avancée jurisprudentielle
réalisée avec la solution Peynet ne doit pas faire oublier
la réalité. Les juges ont sérieusement restreint
la portée de la règle qui n’interdit pas à l’administration
de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée
arrivé à son terme (23). La subtile
distinction juridique entre le licenciement et le non renouvellement du
contrat à durée déterminée permet, en pratique,
à l’employeur public de contourner l’interdiction de licencier :
il lui suffit simplement de ne pas renouveler l’engagement ou le contrat
(24).
Ainsi, il a été
jugé qu’une "décision du président du Conseil général
de la Guyane en date du 24 novembre 1993 de ne pas renouveler (un) engagement,
qui était arrivé à son terme le 10 novembre, n’a pas
le caractère d’une mesure de licenciement ; que Melle Judick ne saurait,
dès lors, soutenir utilement que cette décision aurait été
prise en méconnaissance tant des dispositions de l’article 41 du
décret du 15 février 1988 ( .. ) que du principe général
dont s’inspire l’article L 122-25-2 du Code du travail, qui s’opposent
au licenciement des salariées pour le motif qu’elles sont en état
de grossesse " (25)
2°) Le statut normatif
de l’interdiction de licencier en cas de grossesse
On peut s’interroger sur
le statut normatif de l’interdiction de licencier une salariée en
état de grossesse car cette règle s’inscrit également
dans la convention n°103 de l’O.I.T. protégeant la maternité
(26). L’article 6 de la convention interdit le
licenciement pendant la période de congé maternité.
Cette convention internationale adoptée en 1919, révisée
en 1952 pour accroître la protection des femmes travailleuses et
qui semble être applicable à l’employeur public (27),
comme à tout employeur, fait l’objet de fortes pressions du groupe
des employeurs pour être révisée lors de la session
de l’O.I.T. en juin 2000. Si cette révision aboutit, elle
permettra à l’employeur d"’utiliser n’importe quel autre motif
que la grossesse pour licencier une femme enceinte" (28).
3°) La jurisprudence
Seguin en complément de la jurisprudence Peynet
Le principe d’interdiction
de licencier une salariée en état de grossesse dégagée
par la jurisprudence Peynet, a été complété
pour les non titulaires ayant droit à un préavis. Une
surveillante d’externat qui n’avait pas été renouvelée
dans ses fonctions parce qu’elle ne s’était pas présentée
à l’agrégation, alors qu’elle se trouvait en état
de grossesse, a en réalité été licenciée.
Comme elle bénéficiait d’un préavis, il a été
décidé que "le préavis ne pouvait légalement,
sans méconnaître le principe général dont s’inspire
l’article L 122-25-2 du Code du travail, être tenu pour accompli
pendant la période où l’intéressée était
en congé de maternité " (29).
B. L’interdiction de rémunérer
en deçà du salaire minimum de croissance
La technique de la découverte
de principes généraux du droit inspirés du Code du
travail a également été appliquée en matière
de fixation des rémunérations des personnels travaillant
pour les employeurs publics.
1°) La jurisprudence
Aragnou sur la rémunération au moins égale au SMIC
C’est encore un "motif
supérieur d’équité" (30) qui
incita le Conseil d’état contre les conclusions du commissaire du
Gouvernement Labetoulle à mettre en oeuvre l’unité du droit
social en matière de rémunération, en imposant une
rémunération minimale à tous les employeurs, y compris
aux employeurs publics comme les communes. Saisi en appel par la
ville de Toulouse dont la décision implicite de ne pas accorder
une rémunération égale au SMIC avait été
annulée par le tribunal administratif, le Conseil d’état
fut conduit à formuler un nouveau principe général
de droit inspiré par le Code du travail (31).
Selon ce principe, un agent communal non titulaire "a droit, en vertu
d’un principe général du droit, applicable à tout
salarié et dont s’inspire l’article L 141-2 du Code du travail,
à un minimum de rémunération qui, en l’absence de
disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à
laquelle l’intéressée appartient, ne saurait être inférieure
au salaire minimum de croissance de l’article L 141-2".
Cette solution est d’autant
plus remarquable qu’elle touche à la rémunération.
Comme l’ont noté certains commentateurs (32),en
droit du travail le champ d’application du SMIC est défini par référence
à celui des conventions collectives. Or les conventions collectives
ne concernent pas les services publics administratifs (33).
La solution adoptée
dans l’affaire Aragnou est assez exemplaire pour une autre raison.
En effet, alors qu’il eût été possible de découvrir
dans le droit public le principe d’une rémunération minimale
par l’application des dispositions déjà en vigueur pour d’autres
personnels publics (34), le Conseil d’état adopta
la même technique que dans l’affaire Peynet, en allant chercher son
principe dans le Code du travail, et ce, bien que certains détracteurs
de la jurisprudence Peynet n’aient pas manqué de critiquer le peu
d’abstraction de la règle pourtant érigée en principe
général du droit (35).
La doctrine signale peu de
cas d’applications ultérieures de la jurisprudence Aragnou (36).
Toutefois les employeurs publics n’en doivent pas oublier le principe.
Dans une décision qui ne paraît pas avoir été
publiée, la Cour administrative d’appel de Nantes fit respecter
le principe au profit d’une non titulaire recrutée verbalement par
un bureau d’aide sociale d’une commune pour exercer un emploi de garde
de nuit (37).
En l’espèce, l’arrêt
reprend la formule de la jurisprudence Aragnou et considère qu’un
"agent non titulaire d’un établissement public communal, a droit,
en vertu d’un principe général du droit applicable à
tout salarié et dont s’inspire l’article L. 141.2 du Code du travail,
à un minimum de rémunération qui, (...) ne saurait
être inférieur au salaire minimum de croissance".
Il est à noter que
dans ce contentieux, le problème posé n’était pas
tant de savoir s’il fallait ou non rémunérer l’intéressée
au SMIC, mais d’évaluer combien d’heures devraient entrer dans ce
décompte. Aussi le Centre d’action sociale fut-il condamné
à payer une indemnisation pour réparer l’insuffisance de
rémunération. Le Centre avait eu le tort de se borner
à retenir qu’une partie seulement des heures de présence
accomplies par la requérante, comme travail effectif ouvrant droit
à rémunération sur la base du SMIC.
Dans une affaire plus récente,
le principe de la rémunération au moins égale au SMIC
n’a pas permis au requérant d’obtenir gain de cause (38).
En effet, si le juge a rappelé la règle, il a aussi exigé
que l’intéressé fasse la preuve de n’avoir pas obtenu une
rémunération au moins égale au SMIC, "compte tenu
tant des activités exercées (..) que du mode de rémunération
de celles-ci". En l’espèce, le requérant exerçait
des fonctions de régisseur de recettes d’un office public d’HLM
et il était par ailleurs employé à temps complet au
titre d’activités extérieures à l’Office public d’aménagement
et de construction du Pas de Calais. L’arrêt est intéressant
dans la mesure où il indique que les fonctions de régisseur
de recettes doivent être rémunérées "sur
une base au moins égale à celle du salaire du salaire minimum
de croissance".
2°) L’employeur public
et les dispositions du Code du travail sur le SMIC
D’une façon plus générale,
les dispositions du Code du travail sur le salaire minimum de croissance
(L 141-2 du Code du travail) ne sont, en principe (39),
pas directement applicables aux personnels publics des employeurs publics.
En revanche, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal
administratif de Paris, il a été admis par le Conseil d’état
à propos de l’attribution d’une prime à des fonctionnaires
territoriaux employés par un syndicat intercommunal qu"’aucune
disposition législative ou réglementaire ne faisait obstacle
à ce qu’il soit fait référence, pour la détermination
du montant de la prime en cause, à la valeur du salaire minimum
interprofessionnel de croissance, alors même que les dispositions
du Code de travail relatives à ce salaire minimum ne sont pas applicables
aux agents bénéficiaires de cette prime" (40).
Le même jour, la même solution a été appliquée
à des fonctionnaires employés par une commune, par une caisse
des’écoles et par un bureau d’aide sociale (41).
C. Les principes limitant
le pouvoir de sanction
Les principes généraux
du droit inspirés par le Code du travail ont joué un rôle
important pour limiter le pouvoir de sanction de l’employeur public.
1°) L’interdiction
des amendes et sanctions pécuniaires
La question s’est posée,
de façon préjudicielle devant le Conseil d’état, de
savoir si la SNCF pouvait, en application d’un chapitre de son règlement
intérieur, prononcer des sanctions pécuniaires en opérant
des retenues sur la prime de fin d’année de deux conducteurs de
trains qui n’avaient pas respecté les signaux. Les cheminots
firent valoir devant le Conseil des prud’hommes l’illégalité
du règlement intérieur qui contrevenait directement aux dispositions
de la loi du 4 août 1982. Cette loi avait introduit un article
L 122-42 dans le Code du travail interdisant les amendes et sanctions pécuniaires.
Pour résoudre la question
préjudicielle, le Conseil d’état se trouvait dans l’obligation
de trancher le point de savoir si le Code du travail était ou non
applicable aux entreprises à statut et, dans l’affîrmative,
préciser dans quelle mesure fallait-il l’appliquer. Plutôt
que d’affirmer l’application directe du Code du travail, le Conseil préféra,
comme dans la jurisprudence Peynet, utiliser la technique des principes
généraux du droit. Ainsi, se fondant sur l’interdiction
des amendes et sanctions pécuniaires de l’article L 122-42, le Conseil
considéra : "qu’en édictant cette interdiction, le législateur
a énoncé un principe général du droit du travail
applicable aux entreprises publiques dont le personnel est doté
d’un statut réglementaire et qui n’est pas incompatible avec les
mission de service public"...(42). Par suite, les
sanctions pécuniaires contraires à ce nouveau principe général
furent annulées.
Cette limitation du pouvoir
de sanction visant ici la SNCF n’est-elle applicable qu’à ce type
particulier d’employeur public ? S’appliquerait-elle aussi à
l’état, aux communes, aux hôpitaux et à l’ensemble
des établissements publics autres qu’industriels et commerciaux
? Bien qu’il ne semble pas qu’une telle question ait déjà
été posée au juge, la doctrine semble admettre que
cette solution soit transposable à l’ensemble du droit de la fonction
publique (43).
2°) L’interdictîon
de mesures discriminatoires à l’encontre de grévistes
Un autre problème
touchant à l’exercice du pouvoir de sanction de l’employeur public
fut posée, encore à la SNCF, dans l’affaire Malher (44).
En l’espèce, il s’agissait de savoir si le règlement de la
SNCF pouvait légalement permettre de suspendre les droits à
l’avancement d’échelon pendant les absences pour cause de grève.
Un article du Code du travail, l’article L 521-1, indiquait que l’exercice
de la grève "ne saurait donner lieu de la part de l’employeur
à des mesures discriminatoires en matière de rémunérations
et d’avantages sociaux".
Plutôt que d’appliquer
directement le Code du travail à un salarié de droit privé
de cette entreprise à statut qui contestait son avancement, le Conseil
d’état préféra interdire ce pouvoir de sanctionner
les grévistes grâce à un principe général
du droit du travail. Faisant référence à l’article
L 521-1, le Conseil d’état affirma : "qu’en édictant cette
interdiction, le législateur a énoncé un principe
général du droit du travail applicable aux entreprises publiques
dont le personnel est doté d’un statut réglementaire et qui
n’est pas incompatible avec les nécessités de la mission
de service public"...
Comme la solution Billard
et Voile, la jurisprudence Malher semble pouvoir être étendue
à tous les employeurs publics.
Au sein de la juridiction
administrative, la construction de l’unité du droit social n’est
plus l’ceuvre du seul Conseil d’état. Les tribunaux administratifs
ont parfois fait preuve de beaucoup d’audace pour proposer des solutions
construites selon la même technique que celle observée au
Palais Royal.
Notes de bas de page
:
1) CE, Ass.,
8 juin 1973, Dame Peynet, Leb. p. 406, et concl. de Mme Grévisse
: pp. 406-421 ; AJDA 1973 p. 587, chr. Franc et Boyon ; JCP
1975.Il. 17957, note Saint-Jours) (retour au texte)
2) Cass.
soc., 16 mars 1999, Université René-Descartes c./ M. Christian
Birnbaum, AJFP 1999-3, pp. 4647, comm. Serge Petit. (retour au texte)
3) Ainsi,
contrairement aux autres contrats emplois jeunes, les contrats des adjoints
de sécurité sont des contrats de droit public par détermination
de la loi. (retour au texte)
4) TC, 25
mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet
du Rhône et autres c./ Conseil de prud’hommes de Lyon, avec les concl.
Martin, Leb. pp. 536-539 (retour au texte)
5) Jean-Louis
Rey, L’application des règles issues du code du travail aux agents
de droit public, Les Petites Affiches, n°18 du 9 février
1996, p. 20 ; Yves Saint-jours, L’application des règles issues
du code du travail aux agents publics, Courrier juridique des finances,
n°91, oct. 1998, p. 1. (retour au texte)
6) Selon
cet article 7 : "Le décret qui fixe les dispositions générales
applicables aux agents non titulaires de ]’état recrutés
dans les conditions définies aux articles 4 et 6 de la présente
loi (... ) comprend notamment, compte tenu de la spécificité
des conditions d’emploi des agents non titulaires, des règles de
protection sociale équivalentes à celles dont bénéficient
les fonctionnaires, sauf en ce qui concerne les régimes d’assurance
maladie et d’assurance vieillesse". (retour au texte)
7) CE, 3
mai 1993, Syndicat CFDT des établissements et arsenaux du Val-de-Marne,
n°99.808, n°99.809, Leb., tables pp. 554, 594, 847, 856. (retour au texte)
8) CE, 30
mars 1990, Fédération générale des fonctionnaires
Force Ouvrière et autres, n°76.538, n°76.602, n°76.795,
Leb., tables p. 554, 835, 850 (retour au texte)
9) CE, 30
mars 1990, Fédération générale des fonctionnaires
Force Ouvrière et autres, n°76.538, n°76.602, n°76.795,
Leb., tables p. 554, 835, 850 (retour au texte)
10) Sont
donc concernés a priori, les personnels entrant dans le champ d’application
du décret 86-83 du 17 janvier 1986 sur les non titulaires de l’état
(art. 1er du décret 86-83). A l’exception des personnels déjà
évoqués, recrutés en application des articles 4 et
6 de la loi du 11 janvier 1984 et à l’exclusion des agents en service
à l’étranger et des agents engagés pour exécuter
un acte déterminé, cela vise donc les seuls personnels concernés
par les articles suivants de la loi :
-article 3, 2e (les emplois
et catégories d’emplois de certains établissements publics
déterminés par le décret n°84-38 du 18 janvier
1984 modifié), 3e (les emplois et les catégories d’emplois
de certaines institutions administratives indépendantes déterminés
par le décret n°84-455 du 14 juin 1984 modifié) et 6e
(les maîtres d’internat et surveillants d’externat) ;
-article 5 (personnels occupant
des emplois permanents à temps complet d’enseignantschercheurs des
établissements d’enseignement supérieur et de recherche occupés
par des non fonctionnaires associés ou invités) ;
-article 27, 1e al. (les
personnes reconnues comme travailleurs handicapés par la COTOREP
prévue à l’article L 323-11 du Code de travail ;
-article 82 (les agents
non titulaires titularisables en application de l’article 80 soit parce
qu’ils exercent leurs fonctions dans des corps déterminés,
soit qu’ils bénéficient des mesures statutaires prévues
par le protocole d’accord du 9 février 1990 ; les personnels enseignants,
d’éducation et d’orientation accédant de façon dérogatoire
aux corps d’accueil dans les conditions prévues par les articles
73, 79 et 84 de la loi ; les non titulaires qui ne demandent pas leur titularisation
ou dont la titularisation n’a pas été prononcée et
qui ont droit à réemploi). (retour au texte)
11) Les
non fonctionnaires occupant les emplois prévus à l’article
3, 1e, 4e et 5e ne sont pas compris dans le champ d’application du décret
n°86-83 du 17 janvier 1984. Ces personnels sont régis
respectivement pour :
-l’art. 3, le, par l’article
25 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 et le décret n°85-779
du 24 juillet 1985 pour les emplois supérieurs laissés à
la décision du Gouvernement ;
-l’art. 3, 4e, par l’ordonnance
n° 58-1373 du 30 décembre 1958 (personnels médicaux et
scientifiques des CHU) ;
- l’art. 3, 5e, par des
règles spécifiques pour les ouvriers des établissements
industriels del’état. (retour au texte)
12) Emmanuel
Dockès, Point de vue : l’agent public non statutaire et le Code
du travail, AJFP, n° 4, 1997, p. 1 (retour au texte)
13) René
Chapus, Droit administratif général, tome 2, 11e éd.,
1998, p.11, l’auteur souligne à juste titre que : "il n’y a sans
doute pas confusion entre le droit de la fonction publique et le droit
du travail : la condition des agents publics et celle des salariés
privés restent différentes". (retour au texte)
14) voir
note n’ 1 (retour au texte)
15 Bruno
Genevois, Principes généraux du droit, Encyclopédie
Dalloz, Contentieux administratif n°532 à 536 p. 46. (retour au texte)
16) Ex.
: CE, 24 avril 1981, FORMA, Leb. p. 190 ; CE, 25 janvier 1993, Mme
Jancourt, n°106.830. (retour au texte)
17) Voir
par exemple : CE, 20 mars 1987, Commune de Bonneval c./ Mme Bédard,
n° 62.553, Leb. p. 99, AJDA 1987 p. 554, obs. Xavier
Prétot, à propos du licenciement d’une stagiaire en état
de grossesse en cours de stage. (retour au texte)
18) CE,
4 octobre 1996, Mme Moestus, n°149704, Leb. tables pp. 970,
991, 997. (retour au texte)
19) Décret
n°86-83 du 17 janvier 1986, art. 49, non titulaires de l’état,
décret n°88-145 du 15 février 1988, art. 41, non titulaires
territoriaux ; décret n°91-155 du 6 février 1991, art.
45 contractuels hospitaliers. (retour au texte)
20) Par
exemple, dans CAA Lyon (formation plénière), 8 mars 1994,
Centre hospitalier de Draguignan c./ Mme Perugia, le motif invoqué
et selon lequel une secrétaire médicale d’un Centre hospitalier
ne possédait pas les diplômes lui permettant de prétendre
à une titularisation a été écartée par
la Cour, le vrai et seul motif étant bien, en l’espèce, l’état
de grossesse de la requérante. (retour au texte)
21) CE,
26 mai 1982, Mme Caius, Leb. p. 188 ; CE, 11 juillet 1984, Mme Bastien,
RFDA 1985 p. 547. (retour au texte)
22) CE,
27 janvier 1989, CHR de Rambouillet c./Mme Carluer, Leb. p. 36 , AJDA
1989 p. 553, obs. Serge Salon (retour au texte)
23) CE,
10 mai 1985, Chambre de Commerce et d’industrie de Paris c./Mme Renou,
Leb. tables p. 676 et CAA Nantes, 15 octobre 1998, Mme Pascale Ringot,
AJFP 1999-2, p. 50, comm. Joël Mekhantar (retour au texte)
24) Il en
va de même en droit du travail dans la mesure où les dispositions
de l’article L 122-25-2 "ne font pas obstacle à l’échéance
du contrat de travail à durée déterminée". (retour au texte)
25) CAA
de Paris, 6 juin 1996, Melle Judick, n°95PA00613 : à propos
d’une non titulaire engagée comme rédacteur territorial. (retour au texte)
26) Voir
sur ce point : Michèle Simonnin, la résistance à la
paupérisation, pp. 6-7 de la contribution au Colloque des 2 et 3
décembre 1999 sur La pauvreté saisie par le Droit,
Centre d’étude et de Recherche Politique, Université de Bourgogne,
à pareitre dans la collection Le Genre humain, éd. du Seuil. (retour au texte)
27) D’après
son article 1er , la Convention "s’applique aux femmes employées
dans les entreprises industrielles aussi bien qu’auxfemmes employées
à des travaux non industriels et agricoles, y compris les femmes
salariées travailleuses à domicile". (retour au texte)
28) Voir
Michèle Simonnin, contribution précitée. (retour au texte)
29) CE,
12 juin 1987, Ministre de l’éducation nationale c./Mme Seguin, n°67.629,
Leb. p. 789 (retour au texte)
30) Selon
de mot de Bruno Genevois, op. cit. (retour au texte)
31) CE,
Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse c./Mme Aragnou, Leb. p.
152 et les concl. Labetoulle pp. 152-156 ; AJDA 1982 p. 440, chron.
F. Tiberghien et B. Lasserre, p. 443. (retour au texte)
32) Jean-Bernard
Auby, note sous l’arrêt Dame Aragnou, Dalloz, 1983, p. 8.
Le commissaire du Gouvernement en fait également état dans
ses conclusions précitées. (retour au texte)
33) CE,
Sect., 17 avril 1959, Abadie, Leb. p. 234. (retour au texte)
34) M. Labetoulle
remarquait ainsi que le SMIC était applicable non seulement aux
agents non titulaires de l’état en raison du décret n°80-628
du 5 août 1980, mais aussi aux agents titulaires des collectivités
territoriales en application de l’article L 413-4 du Code des communes. (retour au texte)
35) Didier
Linotte, Déclin du pouvoir jurisprudentiel et ascension du pouvoir
juridictionnel en droit administratif, AJDA 1980, pp. 632-639. (retour au texte)
36) Voir
aussi CE, 3 novembre 1982, Leb. p. 556, signalé par éliane
Ayoub dans La Fonction publique en vingt principes, éd.
Frison-Roche, chap. 8 et 9 pp. 131-133. (retour au texte)
37) CAA
Nantes, 4 novembre 1992, Melle Nadine Trempu, n°90NT00463. (retour au texte)
38) CAA
Nancy, 6 août 1996, M. Joël Carpentier c./ Office d’aménagement
et de construction du Pas-de-Calais. (retour au texte)
39) Il arrive
parfois que le contrat d’un agent non titulaire prévoit une rémunération
égal au SMIC majoré. Dans ce cas, l’intéressé
doit bénéficier en application de son contrat des majorations
du SMIC. Pour une aide ménagère à domicile :
CE, 16 février 1994, Bureau d’aide sociale de Pontenx-Les-Forges
c./Mme Labat, n°84.085. Dans cette affaire, il a par ailleurs été
décidé que "l’indemnité de congés payés
(... ) ne peut se cumuler avec le salaire perçu si le travail n’a
pas été interrompu. (retour au texte)
40) CE,
28 octobre 1988, Syndicat intercommunal de l’informatique des villes de
Blanc-Mesnil et autres communes, n° 73.670, Leb. p. 387 (retour au texte)
41) CE,
28 octobre 1988, Commune de Bobigny, n°73.673 ; CE, 28 octobre 1988,
Caisse des écoles de Bobigny, n°73.672 ; CE, 28 octobre 1988,
Bureau d’aide sociale de Bobigny, n°73.671 (retour au texte)
42) CE,
Ass. 1er juillet 1988, Billard et Voile, Leb. p. 268, Droit soc.
1988.775, concl. O. Van Ruymbeke (retour au texte)
43) Yves
Gaudemet citant notamment cette jurisprudence constate que "c’est dans
le droit du travail que récemment le Conseil d’état a trouvé
l’expression de principes qu’il a repris à son compte pour y soumettre
le droit de la fonction publique". Voir Y Gaudemet, Droit public
et droit social - rapport de synthèse, Droit soc., n°3,
mars 1991, pp. 241-245. (retour au texte)
44) CE,
12 novembre 1990, Malher, Leb. p. 321, AJDA 1991, p. 332. (retour au texte)