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Observations sous Cour des Comptes, 2 juillet 1998, Commune d’Avion

Par Michel LASCOMBE
Professeur de Droit Constitutionnel à l’Université de Lille 2

Cet arrêt de la Cour des comptes, quoique déjà ancien, mérite publication car il rappelle un principe traditionnel en droit de la comptabilité publique : il n’appartient pas au comptable public de contrôler la légalité des actes administratifs dont il doit assurer l’application financière.


Cour des comptes, 4e chambre, arrêt n° 19825, 2 juillet 1998, Commune d’Avion
Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais

LA COUR,

Vu le jugement de la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais en date du 11 juin 1997, qui a constitué Mme S..., comptable de la COMMUNE D’AVION débitrice envers ladite commune de la somme de 8 474,62 F ;

Vu la requête de Mme S... en appel du jugement précité, enregistrée au greffe de la chambre régionale le 31 décembre 1997 ;

Vu les avis de réception faisant la preuve de la notification de cette requête à toutes les parties intéressées ;
Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 25 mars1998 ;

Vu les pièces de la procédure de première instance, ensemble les jugements provisoires du 14 septembre 1995 et du 14 octobre 1996 et le jugement définitif du 11juin 1997, dont est appel ;

Vu le Code des juridictions financières ;

Vu le Code des communes ;

Vu le décret n° 83-16 du 13 janvier 1983 modifié ;

Vu le décret n° 85-199 du 11 février 1985 modifié ;

Vu le décret du 23 août 1995, articles 64 à 75 ;

Vu les conclusions du procureur général de la République ;

Après avoir entendu M. Thuillier, conseiller maître, en son rapport et M. de Maistre, conseiller maître, en ses observations ;

STATUANT DEFINITIVEMENT,

Sur la recevabilité  :

Attendu que Mme S..., comptable constituée en débet par le jugement précité, a intérêt et qualité à en relever appel ; que sa requête a été introduite dans les formes et délais réglementaires ; qu’elle est en conséquence recevable ;

Au fond :

Attendu que la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais a, par le jugement dont est appel. constitué Mme S... en débet envers la commune d’Avion de la somme de 8 474,62 F pour avoir versé à un agent contractuel de ladite commune des primes et indemnités irrégulières ;

Attendu que le comptable soutient qu’il disposait, au moment des règlements, de pièces justificatives suffisantes et qu’il ne lui appartenait pas de procéder à un contrôle de légalité des délibérations du conseil municipal octroyant lesdites primes et indemnités ;

Attendu que l’arrêté de nomination de M. D…, agent contractuel, en date du 27 octobre 1989, ne prévoyait le versement d’aucune prime ni indemnité ; que cependant il a perçu un « treizième mois » en application d’une délibération du conseil municipal du 10 avril 1990 concernant l’ensemble du personnel, et une indemnité mensuelle de I 356 F en application d’une autre délibération du 17 décembre 1991, créant un régime indemnitaire pour les agents titulaires et non-titulaires ;

Attendu que ces délibérations du 10 avril 1990 et du 17 décembre 1991 ont été soumises au contrôle de légalité de la préfecture ; qu’elles étaient par suite exécutoires sans qu’il y ait lieu d’examiner au fond le bien fondé des conclusions du contrôle de légalité  ; que les décisions de l’ordonnateur, en vertu desquelles ont été payées ces indemnités, ont été la conséquence nécessaire de ces délibérations ; que dans ces conditions le comptable avait en sa possession, au moment du paiement desdites primes et indemnités, des pièces justificatives suffisantes, telles que prévues par la réglementation, et sur la régularité desquelles il ne lui appartenait pas de se prononcer ;

Par ces motifs,

ORDONNE ce qui suit :

Le jugement de la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais en date du 11 juin 1997 est infirmé.
 

Observations  : 

Cet arrêt de la Cour des comptes, quoique déjà ancien, mérite publication car il rappelle un principe traditionnel en droit de la comptabilité publique : il n’appartient pas au comptable public de contrôler la légalité des actes administratifs dont il doit assurer l’application financière ; il doit faire respecter la légalité comptable (présence des pièces justificatives notamment) et non la légalité administrative, ce qui le conduirait à empiéter sur les compétences du préfet (à qui les délibérations avaient été transmises) ou du juge administratif (qui, en l’espèce n’avait pas été saisi). Ces délibérations étaient donc exécutoires et dès lors devait être exécutées.

En effet, le comptable payeur n’est pas juge de la légalité des décisions administratives fondant les mandatements ; le comptable ne peut s’opposer à une dépense effectuée en vertu d’une décision illégale, dès lors que cette décision a été prise par l’autorité compétente et n’a pas été retirée ou annulée (C. Comptes 28 mai 1952, Cne de Valentigney : Rec. C. Comptes 55, GAJF 4° éd. n° 15 ; confirmé par le Conseil d’Etat en tant que juge d’appel (CE 5 févr. 1971, Balme  : Rec. CE 105. CE 8 juill. 1974, Méry et consorts : Rec. CE 405) et en tant que juge de cassation (CE 8 sept. 1997 Ministre de l’économie et des finances : req. n° 170940).

Conformément à l’art. L. 233-1 CJF, les comptables ne sont autorisés à vérifier la légalité des actes qu’autant qu’il est nécessaire pour ne pas engager leur responsabilité pécuniaire personnelle (C. comptes 2 mai 1996, Cne de Royat : Rec. C. comptes 55 ; Rev. Trésor 1996. 594). C’est le cas lorsque l’acte administratif qui sert de pièce justificative au paiement émane d’une autorité incompétente (C. comptes 5 juill. 1967, intendants du lycée d’Etat Jacques-Decour à Paris : Rec. C. comptes 111. CE 20 mars 1970, Boissenin  : Rec. CE 110), en cas d’illégalité manifeste de l’acte (Ch. rég. comptes Haute-Normandie, 16 mars 1990, Hôpital local de Breteuil-sur-Iton : Rev. Trésor 1992. 397) ou en raison de leur caractère contradictoire (C. Comptes 24 oct. 1990, Hôpital de Lorient : Rev. Trésor 1991. 303).

La question se posait donc, en l’espèce , de savoir si le comptable devait rapprocher l’arrêté de nomination de 1989 pris conformément au décret de 1987 et excluant les primes et indemnités accessoires et les délibérations du Conseil municipal de 1990 et 1991 créant une indemnité de « treizième mois » pour les titulaires et non titulaires. Les deux pièces étant contradictoires, le comptable aurait normalement dû refuser de payer et c’est en ce sens qu’a jugé la chambre régionale des comptes Nord-Pas-de-Calais le 11 juin 1997.

Or, on doit constater que l’arrêté de nomination des agents non titulaires ne fait pas partie des pièces justificatives de paiement qui doivent être obligatoirement jointes dès lors que la création de la prime est postérieure à l’embauche.

En effet, selon les dispositions du décret n° 83-16 du 13 janv. 1983 modifié sont simplement exigés pour justifier le paiement des primes et autres indemnités d’une part « la décision octroyant la prime ou l’indemnité et précisant soit expressément, soit par référence à un texte législatif ou réglementaire régissant l’avantage en cause, s’il y a lieu, l’assiette globale de la prime et son montant global, les catégories de bénéficiaires, et ses conditions particulières de versement, l’assiette de la prime individuelle, son montant ou les modalités de détermination de son montant », d’autre part, «  un décompte individuel comportant la référence à la décision ainsi que les éléments relatifs à l’assiette de la prime, sa liquidation et son montant » (Ch. rég. comptes Nord-Pas-de-Calais, 8 juill. 1992 et 6 janv. 1993, Cne de Courcelle-lès-Lens : Rec. C. comptes 1993. 7). En l’espèce ce sont les délibérations qui étaient les actes octroyant la prime et non pas l’acte d’embauche, qui seul faisait référence à l’interdiction de percevoir des primes.

Dès lors, les deux délibérations et les décomptes les accompagnants étant suffisants, le comptable devait payer puisqu’il disposait de ces pièces justificatives et exécutoires (C. comptes 28 avr. 1993, lycée Xavier Marmier à Pontarlier : Rec. C. comptes 59 ; RF fin. publ. 1994. 174).

L’affaire est d’autant plus intéressante que l’on sait que la Cour des comptes vient, dans un récent rapport, de stigmatiser le phénomène des primes accordées aux agents publics en plus de leur traitement. On ne peut donc que regretter qu’elle ne dispose pas du moyen juridictionnel de sanctionner les abus dans cette matière par l’interdiction qui lui est faite de mettre en jeu la responsabilité du comptable lorsqu’il paie une prime incontestablement indue et illégale.

© - Tous droits réservés - Michel LASCOMBE - 27 janvier 2000

 


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