Cour des comptes, 4e
chambre, arrêt n° 19825, 2 juillet 1998, Commune d’Avion
Appel d’un jugement de
la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais
LA COUR,
Vu le jugement de la chambre
régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais en date du 11 juin 1997,
qui a constitué Mme S..., comptable de la COMMUNE D’AVION débitrice
envers ladite commune de la somme de 8 474,62 F ;
Vu la requête de Mme
S... en appel du jugement précité, enregistrée au
greffe de la chambre régionale le 31 décembre 1997 ;
Vu les avis de réception
faisant la preuve de la notification de cette requête à toutes
les parties intéressées ;
Vu le réquisitoire
du procureur général de la République en date du 25
mars1998 ;
Vu les pièces de la
procédure de première instance, ensemble les jugements provisoires
du 14 septembre 1995 et du 14 octobre 1996 et le jugement définitif
du 11juin 1997, dont est appel ;
Vu le Code des juridictions
financières ;
Vu le Code des communes ;
Vu le décret n°
83-16 du 13 janvier 1983 modifié ;
Vu le décret n°
85-199 du 11 février 1985 modifié ;
Vu le décret du 23
août 1995, articles 64 à 75 ;
Vu les conclusions du procureur
général de la République ;
Après avoir entendu
M. Thuillier, conseiller maître, en son rapport et M. de Maistre,
conseiller maître, en ses observations ;
STATUANT DEFINITIVEMENT,
Sur la recevabilité
:
Attendu que Mme S..., comptable
constituée en débet par le jugement précité,
a intérêt et qualité à en relever appel ; que
sa requête a été introduite dans les formes et délais
réglementaires ; qu’elle est en conséquence recevable ;
Au fond :
Attendu que la chambre régionale
des comptes du Nord-Pas-de-Calais a, par le jugement dont est appel. constitué
Mme S... en débet envers la commune d’Avion de la somme de 8 474,62
F pour avoir versé à un agent contractuel de ladite commune
des primes et indemnités irrégulières ;
Attendu que le comptable
soutient qu’il disposait, au moment des règlements, de pièces
justificatives suffisantes et qu’il ne lui appartenait pas de procéder
à un contrôle de légalité des délibérations
du conseil municipal octroyant lesdites primes et indemnités ;
Attendu que l’arrêté
de nomination de M. D…, agent contractuel, en date du 27 octobre 1989,
ne prévoyait le versement d’aucune prime ni indemnité ; que
cependant il a perçu un « treizième mois » en
application d’une délibération du conseil municipal du 10
avril 1990 concernant l’ensemble du personnel, et une indemnité
mensuelle de I 356 F en application d’une autre délibération
du 17 décembre 1991, créant un régime indemnitaire
pour les agents titulaires et non-titulaires ;
Attendu que ces délibérations
du 10 avril 1990 et du 17 décembre 1991 ont été soumises
au contrôle de légalité de la préfecture ; qu’elles
étaient par suite exécutoires sans qu’il y ait lieu d’examiner
au fond le bien fondé des conclusions du contrôle de légalité
; que les décisions de l’ordonnateur, en vertu desquelles ont été
payées ces indemnités, ont été la conséquence
nécessaire de ces délibérations ; que dans ces conditions
le comptable avait en sa possession, au moment du paiement desdites primes
et indemnités, des pièces justificatives suffisantes, telles
que prévues par la réglementation, et sur la régularité
desquelles il ne lui appartenait pas de se prononcer ;
Par ces motifs,
ORDONNE ce qui suit :
Le jugement de la chambre
régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais en date du 11 juin 1997
est infirmé.
Observations
:
Cet arrêt de la Cour
des comptes, quoique déjà ancien, mérite publication
car il rappelle un principe traditionnel en droit de la comptabilité
publique : il n’appartient pas au comptable public de contrôler la
légalité des actes administratifs dont il doit assurer l’application
financière ; il doit faire respecter la légalité comptable
(présence des pièces justificatives notamment) et non la
légalité administrative, ce qui le conduirait à empiéter
sur les compétences du préfet (à qui les délibérations
avaient été transmises) ou du juge administratif (qui, en
l’espèce n’avait pas été saisi). Ces délibérations
étaient donc exécutoires et dès lors devait être
exécutées.
En effet, le comptable payeur
n’est pas juge de la légalité des décisions administratives
fondant les mandatements ; le comptable ne peut s’opposer à une
dépense effectuée en vertu d’une décision illégale,
dès lors que cette décision a été prise par
l’autorité compétente et n’a pas été retirée
ou annulée (C. Comptes 28 mai 1952, Cne de Valentigney : Rec.
C. Comptes 55, GAJF 4° éd. n° 15 ; confirmé par
le Conseil d’Etat en tant que juge d’appel (CE 5 févr. 1971, Balme
: Rec. CE 105. CE 8 juill. 1974, Méry et consorts : Rec.
CE 405) et en tant que juge de cassation (CE 8 sept. 1997 Ministre
de l’économie et des finances : req. n° 170940).
Conformément à
l’art. L. 233-1 CJF, les comptables ne sont autorisés à vérifier
la légalité des actes qu’autant qu’il est nécessaire
pour ne pas engager leur responsabilité pécuniaire personnelle
(C. comptes 2 mai 1996, Cne de Royat : Rec. C. comptes 55 ; Rev. Trésor
1996. 594). C’est le cas lorsque l’acte administratif qui sert de pièce
justificative au paiement émane d’une autorité incompétente
(C. comptes 5 juill. 1967, intendants du lycée d’Etat Jacques-Decour
à Paris : Rec. C. comptes 111. CE 20 mars 1970, Boissenin
: Rec. CE 110), en cas d’illégalité manifeste de l’acte
(Ch. rég. comptes Haute-Normandie, 16 mars 1990, Hôpital
local de Breteuil-sur-Iton : Rev. Trésor 1992. 397) ou en raison
de leur caractère contradictoire (C. Comptes 24 oct. 1990, Hôpital
de Lorient : Rev. Trésor 1991. 303).
La question se posait donc,
en l’espèce , de savoir si le comptable devait rapprocher l’arrêté
de nomination de 1989 pris conformément au décret de 1987
et excluant les primes et indemnités accessoires et les délibérations
du Conseil municipal de 1990 et 1991 créant une indemnité
de « treizième mois » pour les titulaires et non titulaires.
Les deux pièces étant contradictoires, le comptable aurait
normalement dû refuser de payer et c’est en ce sens qu’a jugé
la chambre régionale des comptes Nord-Pas-de-Calais le 11 juin 1997.
Or, on doit constater que
l’arrêté de nomination des agents non titulaires ne fait pas
partie des pièces justificatives de paiement qui doivent être
obligatoirement jointes dès lors que la création de la prime
est postérieure à l’embauche.
En effet, selon les dispositions
du décret n° 83-16 du 13 janv. 1983 modifié sont
simplement exigés pour justifier le paiement des primes et autres
indemnités d’une part « la décision octroyant la
prime ou l’indemnité et précisant soit expressément,
soit par référence à un texte législatif ou
réglementaire régissant l’avantage en cause, s’il y a lieu,
l’assiette globale de la prime et son montant global, les catégories
de bénéficiaires, et ses conditions particulières
de versement, l’assiette de la prime individuelle, son montant ou les modalités
de détermination de son montant », d’autre part, «
un
décompte individuel comportant la référence à
la décision ainsi que les éléments relatifs à
l’assiette de la prime, sa liquidation et son montant » (Ch.
rég. comptes Nord-Pas-de-Calais, 8 juill. 1992 et 6 janv. 1993,
Cne
de Courcelle-lès-Lens : Rec. C. comptes 1993. 7). En l’espèce
ce sont les délibérations qui étaient les actes octroyant
la prime et non pas l’acte d’embauche, qui seul faisait référence
à l’interdiction de percevoir des primes.
Dès lors, les deux
délibérations et les décomptes les accompagnants étant
suffisants, le comptable devait payer puisqu’il disposait de ces pièces
justificatives et exécutoires (C. comptes 28 avr. 1993, lycée
Xavier Marmier à Pontarlier : Rec. C. comptes 59 ; RF fin. publ.
1994. 174).
L’affaire est d’autant plus
intéressante que l’on sait que la Cour des comptes vient, dans un
récent rapport, de stigmatiser le phénomène des primes
accordées aux agents publics en plus de leur traitement. On ne peut
donc que regretter qu’elle ne dispose pas du moyen juridictionnel de sanctionner
les abus dans cette matière par l’interdiction qui lui est faite
de mettre en jeu la responsabilité du comptable lorsqu’il paie une
prime incontestablement indue et illégale.