Cour des comptes, 4e
chambre, arrêt n° 22582, 7 avril 1999, Commune de Dangé-Saint-Romain
Appel d’un jugement de
la chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes
LA COUR,
Vu le jugement en date du
23 juin 1998 par lequel la chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes
a constitué M. Jean B..., comptable de la Commune de Dangé-Saint-Romain
(VIENNE), débiteur envers cette commune de la somme de 4358,55 F
indûment payée, augmentée des intérêts
de droit ;
Vu la requête enregistrée
le 28 août 1998 au greffe de la chambre régionale des comptes,
par laquelle M. B... a élevé appel dudit jugement et demandé
le sursis à exécution ;
Vu les avis de réception
faisant preuve de la notification de la requête à toutes les
parties désignées dans ledit jugement ;
Vu le réquisitoire
du procureur général de la République en date du 6
novembre 1998 transmettant le dossier d’appel ;
Vu les pièces de la
procédure suivie en première instance, ensemble les jugements
provisoire du 14 avril 1998 et définitif du 23 juin 1998, dont il
est élevé appel ;
Vu le Code des juridictions
financières ;
Vu le décret n°
95-945 du 23 août 1995 ;
Vu le décret n°
85-199 du 11 février 1985 ;
Vu les conclusions du procureur
général de la République ;
Après avoir entendu
M. Moreau, conseiller maître, en son rapport et M. Thuillier, conseiller
maître, en ses observations ;
Sur la recevabilité
:
Attendu que M. B..., comptable
de la commune de Dangé-Saint-Romain, a qualité et intérêt
pour agir ;
Attendu que son appel a été
introduit dans le délai de notification du jugement qui lui a été
fait ;
Attendu que l’absence de
réponse aux injonctions du jugement provisoire de la chambre régionale,
qui ont conduit à bon droit celle-ci à prononcer le débet
définitif pour regrettable que soit ce silence initial du comptable,
n’invalide pas l’appel ;
Attendu dès lors que
l’appel est recevable ;
Sur la demande de sursis
à exécution :
Attendu que le dossier est
en état d’être jugé, que la demande de sursis à
exécution est donc sans objet et qu’il n’y a pas lieu d’y statuer
;
Sur le fond :
Attendu que le comptable
a visé le 1er juin 1995 le mandat n° 10 de 4 358,55 F au bénéfice
de Havas Régie Tours pour la publication d’un avis d’appel d’offre
destiné à la construction d’un bâtiment industriel
dans la commune ; qu’il a visé le 30 juin le mandat n° 17 du
même montant et pour le même objet, au bénéfice
de Publiprint, Poitiers ;
Attendu que le comptable
indique, pour sa défense, que les pièces produites à
l’appui des deux mandats étaient régulières, certifiées
par l’ordonnateur, qu’elles provenaient au surplus de deux fournisseurs
différents ; qu’elles satisfaisaient donc à la liste limitative
des pièces justificatives exigées pour le paiement des mandats
en application du décret n° 88-74 du 21 janvier 1988 ; mais
attendu que la seconde facture était un duplicata et qu’il revenait
donc au comptable de vérifier qu’il n’y avait pas eu un premier
paiement, que cette vérification lui aurait permis de retrouver
le mandat précédent de même montant et pour un même
objet, relatif à la publication d’un unique avis d’appel d’offre
qui a effectivement eu lieu le 23 avril 1995 ; qu’il devait dès
lors en suspendre le paiement ; que c’est donc à bon droit que la
chambre régionale a prononcé son injonction, par jugement
provisoire, avant de déclarer le comptable débiteur de la
somme réglée par le jugement attaqué ;
Par ces motifs,
ORDONNE ce qui lui suit :
STATUANT DEFINITIVEMENT,
La requête de M. B...
est déclarée recevable.
Il n’y a pas lieu de statuer
sur la demande de sursis à exécution.
Le jugement n° 980056
du 23 juin 1998 de la chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes
est confirmé.
Observations
:
Les règles de la comptabilité
publique sont destinées à garantir un usage rigoureux des
deniers publics. Il est donc parfaitement normal que soient mis en œuvre
tous les moyens permettant d’éviter qu’une même facture soit
payée deux fois. C’est la raison pour laquelle les comptables ne
doivent payer les factures que s’ils disposent effectivement de l’original
de celles-ci (C. comptes 18 mars 1992, collège Ch. Péguy
à Bondoufle : Rec. C. comptes 24).
Or, on imagine bien que,
compte tenu de l’importance des commandes que réalisent certaines
administrations, il est possible que des factures se perdent. Dans ce cas,
il appartient à l’ordonnateur de certifier que la facture a bien
été perdue, que le service a été fait et que
le duplicata joint à l’ordre de payer est conforme à la facture
originale. Dès lors, et conformément aux dispositions de
l’article 7 du RGCP (D. 62-1587 du 29 déc. 1962), la certification
engage la responsabilité de l’ordonnateur et, en principe, le comptable
ne peut lui refuser effet.
C’est l’argument qu’utilise
le comptable en l’espèce pour demander à la Cour de réformer
le jugement de la Chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes
qui l’avait constitué en débet. Le comptable estimait que,
le duplicata ayant été certifié par l’ordonnateur,
il ne lui appartenait pas de mettre en cause cette certification et qu’il
était donc contraint de payer sans vérifier si un payement
préalable été intervenu. Cette interprétation
est erronée.
En effet, la solution dans
ce cas est classique : le comptable n’est tenu par les certifications de
l’ordonnateur que dans la mesure où il ne peut établir qu’elles
sont fausses. Si ses investigations l’amène à penser que
la pièce est fausse, il doit, à peine d’engager sa propre
responsabilité, suspendre le paiement (art. 37 du RGCP).
La solution trouve application
en cas de faux grossier (C. Comptes 15 mai 1997, Ambassade de France
au Tchad : Rev. Trésor 1998. 103). Elle s’applique aussi dès
lors que le comptable dispose de toutes les informations utiles pour opérer
la vérification (C. comptes 24 mars 1994, comptable de la Cne
de Miramas : Rev. Trésor 1994. 515. C. Comptes 11 sept. 1996,
20 mars et 3 avril 1997, 13 et 27 nov. 1997, E.N.A : Rev. Trésor
1998. 260) ce qui est le cas en particulier suite à la perte
d’originaux de factures dont il a déjà réalisé
le paiement (C. comptes 24 mars 1994, Cne de Miramas : préc.).
En effet, le comptable doit en toute hypothèse s’assurer qu’il n’a
pas déjà payé une facture avant de l’acquitter à
nouveau et doit être particulièrement vigilant lorsque deux
factures sont de même montant et portent la même référence
(Ch. rég. comptes Haute-Normandie 28 sept. 1995 et 3 janv. 1996,
comptables successifs de la Cne de Val-de-Reuil : Rev. Trésor
1996. 425).
L’originalité de l’espèce
ci-dessus reproduite, tient au fait que la facture originale et le duplicata
n’étaient pas libellés au nom du même fournisseur (Havas
dans un cas, Publiprint dans l’autre). La Cour des comptes ne voit pas
là un élément suffisant pour relever le comptable
de toute responsabilité. Elle estime que le simple fait d’avoir
un duplicata comme pièce justificative d’un mandatement, devait
le conduire à la prudence et en l’espèce s’apercevant
que les deux justificatifs étaient relatifs à la publication
du même avis le même jour, à suspendre le paiement.
On ajoutera par ailleurs, comme le fait remarquer le Parquet de la Cour
des Comptes dans ses conclusions, que les deux mandats ayant été
payés à un mois d’intervalle et n’étant séparés
que de six mandats (n° 10 pour le premier et n° 17 pour le second),
la recherche eut été rapidement concluante.
Ajoutons pour conclure que
le juge constate, non sans une certaine amertume, la recevabilité
de l’appel interjeté par le comptable alors même que celui-ci
n’a pas présenté de défense en première instance.
Cela nous permet de rappeler la particularité de la procédure
financière. Lorsque le juge s’apprête à engager la
responsabilité d’un comptable, il rend un arrêt (ou un jugement)
provisoire dans lequel il fait part des griefs qu’il a dégagés
lors de l’instruction ; le comptable est invité à répondre
aux arguments ainsi développés par le juge avant que celui-ci,
s’il n’est pas convaincu par les explications du comptable, ne le constitue
en débet par un arrêt (ou un jugement) définitif. Cette
procédure dite du « double arrêt » est, dans l’état
actuel du droit applicable, le moyen de garantir le caractère contradictoire
de la procédure devant le juge financier. Le fait que le comptable
renonce à développer des arguments en réponse au jugement
provisoire, conduit naturellement le juge à rendre une décision
définitive de débet. Pourtant, cette abstention ne vaut donc
pas acquiescement et le comptable conserve, nonobstant, donc la possibilité
de faire appel du jugement (Voir également dans le même sens
: C. comptes 7 avril 1999, Synd. Intercom. d’adduction d’eau potable
du Haut-Châtelleraudais : n° 22580).