C’est dans une relative indifférence
que le Parlement a voté la loi du 12 avril 2000 relative aux droits
des citoyens dans leurs relations avec l’administration. Pourtant ce texte
va profondément modifier le droit applicable en prison. Son article
1er donne une définition très large des services publics
qui seront désormais soumis au droit commun. Ce faisant, le législateur
a résolument pris le parti d’unifier les grands principes de la
transparence et du respect du contradictoire et d’y intégrer le
service public pénitentiaire. Le détenu, comme n’importe
quel citoyen, doit pouvoir être en mesure de faire respecter ses
droits fondamentaux, malgré le fait qu’il soit privé de sa
liberté d’aller et de venir. Jusqu’à présent, le droit
applicable en prison reposait sur l’accumulation de textes réglementaires
(souvent inscrits dans la partie décrétale du Code de procédure
pénale), mais aussi, ce qui est nettement plus contestable, sur
des circulaires voire des usages locaux. Cette conception archaïque
des relations juridiques entre la puissance publique et ses citoyens (dont
certains sont toujours présumés innocents) est régulièrement
sanctionnée par les différentes juridictions. Aussi, la loi
nouvelle est-elle intervenue pour anticiper une censure beaucoup plus lourde
du système pénitentiaire. Par son contenu très général,
elle commence à répondre aux attentes exprimées par
une partie grandissante de la doctrine (très explicitement rappelée
en mars dernier dans le rapport Canivet relatif au contrôle des établissements
pénitentiaires). Le texte voté participe directement du respect
de la hiérarchie des normes inscrit dans la Constitution. Dans les
7 mois à venir, il laisse le soin au gouvernement de préparer
les conditions matérielles de la réforme, mais il lui interdit
de revenir sur son principe. En effet, les décisions motivées
du chef d’établissement (retrait de permis de visite, sanctions
disciplinaires…) ne peuvent désormais être prises sans que
le principal intéressé ne soit mis en mesure de présenter
ses observations écrites et, sur sa demande, orales avec l’assistance
d’un conseil ou d’un mandataire de son choix.
L’assistance des détenus
par un avocat au cours de la procédure disciplinaire, principalement
devant la commission de discipline a toujours avivé les sensibilités.
Les réformes les plus récentes sur la prison ont soigneusement
évité de trancher ce point particulier. C’est pourtant la
place que l’on entend consacrer au respect des droits de la défense
des personnes incarcérées qui se joue. Désire-t-on
que ce lieu d’exclusion perdure sous le sceau de ses secrets et sous le
règne de l’arbitraire ou souhaite-t-on, au contraire, œuvrer pour
une justice qui refuse de se délester de ses principes fondamentaux
devant les portes des prisons ?
La loi du 12 avril apporte
une réponse idoine aux contradictions jurisprudentielles actuelles.
Elle ne fait qu’anticiper une évolution rendue inéluctable.
Plusieurs décisions ont refusé l’intervention d’un avocat
durant l’instance disciplinaire. Plusieurs arguments juridiques sont venus
à l’appui de cette thèse. Il a ainsi été relevé
que les dispositions du code de procédure pénale n’imposent
pas sa présence. Raisonnant sur le plan du droit supra national,
d’autres décisions ont soulevé l’inapplication de l’article
6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui, sous couvert
du droit à un procès équitable, générerait
une assistance des détenus. Il semble ressortir de cette jurisprudence
que l’intervention d’un défenseur, à défaut de texte
pertinent, n’est pas considérée comme fondamentale pour l’exercice
des droits de la défense. Outre l’anachronisme d’une telle position
au regard du déroulement du procès disciplinaire, c’est justement
par référence à la Convention européenne des
droits de l’homme que le défaut de garanties sérieuses pour
préparer sa défense révèle sa désuétude.
Nombre de sanctions, certes qualifiées de disciplinaires par la
réglementation, reflètent en réalité une nature
pénale. Un courant de la doctrine juridique a démontré
l’originalité du contexte pénitentiaire. Ce constat a d’ailleurs
été dévoilé par plusieurs autres décisions
de justice. Elles n’ont pas manqué d’annuler des sanctions disciplinaires
en visant l’article 6 de la Convention, au motif que l’absence de communication
du dossier et le défaut d’assistance d’un avocat constitue une violation
flagrante des droits de la défense.
Sans doute le législateur
a-t-il voté sans sourciller l’article 24 de la loi, parce que l’intervention
de l’avocat en prison lui paraissait d’une évidence confondante.
Après tout, il avait aussi récemment instauré des
procédures contradictoires faisant intervenir l’avocat avec les
lois bracelet électronique (1997) et suivi socio-judiciaire (1998),
alors qu’en matière d’application des peines non plus, telle n’était
pas l’habitude.
Nous nous trouvons à
un stade de notre histoire, où le degré de protection démocratique
offert par notre système juridique est tel que les droits de la
défense supposent de manière incontournable l’assistance
d’un avocat. Nos concitoyens ont du mal à admettre qu’il puisse
exister encore des exceptions sur ce point.
En prison, du reste, la nécessité
de la présence de l’avocat est encore plus forte qu’ailleurs, parce
que l’inégalité entre le détenu poursuivi disciplinairement
et l’Administration pénitentiaire est considérable : le cérémonial,
la cellule disciplinaire (mitard) préventive, surtout l’indigence
absolue des procédures disciplinaires (pas d’enquête digne
de ce nom, pas d’accès au dossier, citation de témoins laissée
au bon vouloir du chef d’établissement, ce dernier étant
à la fois juge et partie en tant que chef du personnel pénitentiaire),
font que la défense solitaire du détenu est vouée
à l’échec. Ainsi, sans même évoquer le risque
d’arbitraire, des erreurs ne peuvent que se commettre fréquemment
au prétoire : des coupables relaxés et des innocents sanctionnés.
Or les sanctions disciplinaires peuvent être très coercitives
et, inscrites au dossier des détenus, signifient souvent le refus
par le juge d’application des peines d’accorder des mesures d’application
des peines favorables, voire le retrait de mesures précédemment
accordées.
L’Administration pénitentiaire
elle-même ne pourrait que se trouver grandie d’une telle avancée,
qu’elle a trop longtemps retardée par une crainte exagérée
de ses syndicats de surveillants. Rendre la justice disciplinaire de manière
digne et démocratique ne peut que légitimer le pouvoir sanctionnateur
du chef d’établissement.
Du reste, l’exemple du Canada
nous le confirme. Notre cousin d’Outre Atlantique, très en avance
sur nous en matière pénitentiaire, connaît en effet,
depuis des années, des commissions de discipline avec assistance
d’un avocat. Or, elles se déroulent généralement,
de ce fait, dans des conditions de calme et de tranquillité que
l’on aimerait retrouver en France.
Il est probable, toutefois,
que l’arrivée des avocats en prison quasiment en même temps
qu’en matière d’application des peines avec la loi sur la présomption
d’innocence rende inévitable à court terme une réforme
d’envergure de la procédure disciplinaire. A défaut, l’avocat
risque fort de n’être qu’une marionnette symbolique peu utile.
Soulignons par ailleurs que
cette profession devra faire un immense travail de formation, sous peine
de ne pouvoir donner de conseils éclairés à ses clients
détenus. En l’état, le droit pénitentiaire n’est quasiment
pas enseigné à l’Université ou dans les Ecoles de
Formation des Barreaux. Mais des initiatives récentes existent et
nul ne doute que ce défi de justice sera relevé.