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Conseil d’Etat, 1er octobre 2001, n° 225008, Association Greenpeace France

Alors même que la culture de l’une des variétés génétiquement modifiées contenues dans les lots de semences en cause n’était pas autorisée, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en s’abstenant de prononcer la destruction des cultures litigieuses, l’auteur de l’acte attaqué ait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des risques, ni qu’il ait pris une décision disproportionnée aux risques ainsi appréciés et méconnu le principe de précaution.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 225008 et 225820

ASSOCIATION GREENPEACE France

SOCIETE COORDINATION RURALE UNION NATIONALE

M. Derepas, Rapporteur, M. Seners Commissaire du gouvernement

Séance du 12 septembre 2001 Lecture du 1er octobre 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

Vu 1° sous le n° 225008, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 14 septembre et 19 octobre 2000, présentés par l’ASSOCIATION GREENPEACE FRANCE, dont le siège est 22, rue des Rasselins à Paris (75020) ; l’ASSOCIATION GREENPEACE FRANCE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 14 juillet 2000 par laquelle le gouvernement a décidé de ne pas ordonner la destruction de récoltes de variétés de maïs génétiquement modifié et préconisé diverses mesures ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 10 000 F en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le numéro 225820, l’ordonnance du 28 septembre 2000 par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’Etat la demande présentée à ce tribunal par la COORDINATION RURALE UNION NATIONALE ; la COORDINATION RURALE UNION NATIONALE demande ;

1°) l’annulation de la décision du 14 juillet 2000 par laquelle le gouvernement a décidé de ne pas ordonner la destruction de récoltes de variétés de maïs génétiquement modifié ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 25 000 F en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la directive n° 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 ;

Vu le code rural ;

Vu la loi n° 92-354 du 13 juillet 1992 ;

Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 ;

Vu le décret n° 81-605 du 18 mai 1981, modifié par le décret n° 93-1177 du 18 octobre 1993 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Derepas, Maître des requêtes ;

- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la société Novartis Seeds S. A.,

- les conclusions de M. Seners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre la même décision, rendue publique par un communiqué de presse du 14 juillet 2000 de la secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l’artisanat et à la consommation, par laquelle le gouvernement a, d’une part, refusé de détruire des cultures de maïs issues de semences traditionnelles parmi lesquelles les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes avaient détecté la présence d’organismes génétiquemént modifiés, et, d’autre part, engagé les professionnels concernés à étiqueter en conséquence les récoltes issues de ces cultures et à détruire les semences contenant l’un des organismes génétiquement modifiés dont la présence avait été détectée ; qu’il y a lieu de joindre les requêtes pour y statuer par une seule décision ;

Sur les interventions des sociétés Golden-Harvest-Zelder et Novartis Seeds :

Considérant que ces sociétés ont intérêt au maintien de la décision attaquée que leurs interventions sont, par suite, recevables ;

Sur les conclusions de la société Golden-Harvest-Zelder tendant à ce qu’il soit donné acte du désistement de la requête de L’ASSOCIATION GREENPEACE FRANCE :

Considérant que l’article 53-3 du décret du 30 juillet 1963 alors en vigueur dispose, en son troisième alinéa, que lorsqu’une requête à fin de sursis à exécution d’une décision administrative mentionne l’intention du requérant de produire un mémoire complémentaire, le requérant est réputé s’être désisté s’il ne produit pas ce mémoire dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle la requête a été enregistrée ; que si le mémoire complémentaire de l’association Greenpeace France, produit plus d’un mois après le dépôt de la requête, mentionne par erreur que cette requête tend à ce qu’il soit sursis à l’exécution de la décision attaquée, il ressort du contenu de ce mémoire, comme de celui qui l’a précédé, que la requête de l’association tend uniquement à l’annulation de ladite décision ; que par suite, la société Golden-Harvest-Zelder n’est pas fondée à soutenir qu’il y aurait lieu, pour le Conseil d’Etat, de donner acte du désistement de cette requête en application des dispositions précitées du décret du 30 juillet 1963 ;

Sur les conclusions à fin de non-lieu du ministre de l’agriculture et de la pêche et de la société Novartis Seeds SA :

Considérant qu’il résulte de ce qui vient d’être dit que ces conclusions, qui tendent à ce que le Conseil d’Etat juge qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution de l’association GREENPEACE FRANCE, doivent être rejetées ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ;

En ce qui concerne la légalité externe

Considérant d’une part que l’article 13 de la directive n° 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 dispose qu’un produit contenant des organismes génétiquement modifiés peut être utilisé sur le territoire de la Communauté dès lors qu’il a fait l’objet d’un avis favorable des autorités communautaires et d’un "consentement écrit" délivré par un Etat membre de la Communauté, et pour autant que les conditions spécifiques d’emploi précisées dans ce consentement soient respectées ; qu’il résulte d’autre part des articles 15 et 16 de la loi du 13 juillet 1992 et des articles 4-1 et 6-1 du décret du 18 mai 1981, dans leur rédaction issue du décret du 18 octobre 1993 pris pour l’application de cette loi que l’autorisation de mise sur le marché de semences ou de plants contenant des organismes génétiquement modifiés qui n’ont pas fait l’objet d’un "consentement écrit" dans un autre Etat membre de la Communauté est délivrée par le ministre chargé de l’agriculture après avis du comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées, de la commission d’étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire, du ministre chargé de l’environnement et, le cas échéant, du conseil supérieur d’hygiène publique de France ;

Considérant que les associations requérantes soutiennent que la décision attaquée doit être regardée comme une autorisation de mise sur le marché de semences génétiquement modifiées soumise à la procédure définie par les dispositions susmentionnées ; qu’eu égard au caractère involontaire et fortuit de la présence d’organismes génétiquement modifiés dans les semences importées par la société Golden-Harvest-Zelder, et à la très faible proportion de cette présence, qui est de l’ordre de 2 pour mille, la décision de ne pas détruire les cultures issues de ces semences ne peut, dans les circonstances de l’espèce, être regardée comme une décision autorisant la mise en culture de variétés contenant des organismes génétiquement modifiés ; que par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée aurait dû être prise selon la procédure prévue par les dispositions des articles 4-1 et 6-1 du décret du 18 mai 1981 modifié doit être écarté ;

Considérant que les associations requérantes soutiennent que la décision attaquée aurait dû être prise par l’autorité compétente pour effectuer le contrôle sanitaire des végétaux prévu aux articles L. 951-12 à L. 951-14 du nouveau code rural dans leur rédaction applicable à la date de la décision attaquée, lesquels reprennent les dispositions des articles 356 à 359 de l’ancien code rural ; qu’il résulte des dispositions de ces articles que ce contrôle a pour objet de prévenir la contamination des végétaux par les organismes nuisibles figurant sur une liste établie par le ministre de l’agriculture en application de l’article L. 951-3 du même code ; que cette liste, établie à la date des faits par l’arrêté du 30 juillet 1970 modifié, ne comportait aucun organisme génétiquement modifié ; que le moyen susanalysé est, par suite, inopérant ;

Considérant que si le V de l’article L. 951-1 du code rural, qui reprend des dispositions issues de la loi du 9 juillet 1999, énonce que "dans l’intérêt de la santé publique et de l’environnement, l’autorité administrative peut, par arrêté, prendre ... des mesures d’interdiction de restriction ou de prescriptions particulières concernant la mise sur le marché, la délivrance, et l’utilisation de semences composées en tout ou partie d’organismes génétiquement modifiés", de telles dispositions ne pouvaient en tout état de cause servir de fondement légal à la décision attaquée dans la mesure où, faute pour le pouvoir réglementaire d’avoir désigné l’autorité compétente pour prendre les décisions qu’elles prévoient, ces dispositions n’étaient pas entrées en vigueur à la date de la décision attaquée ; que ce seul motif suffit à en écarter en l’espèce la mise en oeuvre sans qu’il soit besoin de rechercher si elles autorisent l’administration à faire procéder à la destruction d’organismes génétiquement modifiés ;

Considérant toutefois qu’aux termes de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1992, alors en vigueur, "dans tous les cas où une nouvelle évaluation des risques que la présence d’organismes génétiquement modifiés fait courir à la santé publique ou à l’environnement le justifie, l’autorité administrative peut, aux frais du titulaire de l’autorisation ou du détenteur des organismes génétiquement modifiés : ... d) Ordonner la destruction des organismes génétiquement modifiés et, en cas de carence du titulaire de l’autorisation ou du détenteur, y faire procéder d’office" ; que l’autorité compétente pour prendre de telles mesures dans le cas de plantes, semences et plants contenant des organismes génétiquement modifiés est, en vertu de l’article 7-1 du décret du 18 mai 1981 modifié, le ministre chargé de l’agriculture ; que les dispositions précitées de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1992 doivent être regardées comme donnant au ministre chargé de l’agriculture compétence pour ordonner, en cas de risque pour la santé publique ou pour l’environnement, la destruction des semences et de cultures contenant des organismes génétiquement modifiés, que la mise sur le marché de ces semences et cultures ait ou non fait l’objet d’une autorisation en application des dispositions susmentionnées de la loi du 13 juillet 1992 ; que le ministre de l’agriculture et de la pêche était, par suite, seul compétent pour prendre la décision attaquée ;

Considérant qu’il résulte des termes du communiqué rendant publique la décision contestée, qui indique qu’elle a été prise par "le gouvernement" après un "débat ministériel", que le ministre de l’agriculture et de la pêche figure parmi les auteurs de cette décision ; que celle-ci émane par suite d’une autorité compétente ;

Considérant qu’ainsi qu’il vient d’être dit, la décision attaquée doit être regardée comme une mesure prise sur le fondement de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1992 ; que contrairement à ce que soutient la Coordination rurale union nationale, il ne résulte ni des dispositions de l’article L. 611-1 du nouveau code rural, qui définissent les compétences du conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire, ni des dispositions de la loi du 13 juillet 1992 et du décret du 18 mai 1981 modifié, qui définissent les compétences qu’exercent le comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées, la commission du génie génétique et la commission d’étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire en cas de dissémination de végétaux contenant des organismes génétiquement modifiés, que le ministre de l’agriculture et de la pêche fût tenu de consulter ces commissions avant de prendre la décision attaquée ;

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

Considérant que l’article L. 200-1 du code rural alors en vigueur définit le principe de précaution comme le principe selon lequel "l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économique acceptable" ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les cultures visées par la décision attaquée sont issues de semences contenant, dans des proportions de l’ordre de 2 pour mille des semences issues de trois variétés de maïs génétiquement modifié, dénommées BT 176, MON 810 et BT 11 ;

Considérant, d’une part, que les variétés de semences BT 176 et MON 810 ont fait l’objet, en application des dispositions de l’article 13 de la directive 90/220/CEE du 23 avril 1990, de décisions favorables de la Commission des communautés européennes en date respectivement des 23 janvier 1997 et 22 avril 1998, puis ont été autorisées à la mise sur le marché par un arrêté du 3 août 1998 du ministre de l’agriculture, après que les comités scientifiques nationaux et communautaires compétents eurent estimé que ces organismes ne présentaient pas de risques pour la santé publique et l’environnement ; que-les associations requérantes n’invoquent aucun moyen de nature à remettre en cause, au regard du principe de précaution, la validité de la décision favorable de la Commission ou la légalité de l’autorisation de mise sur le marché, et ne font état d’aucun élément scientifique nouveau qui serait intervenu entre ces décisions et la décision attaquée et serait de nature à remettre en cause l’appréciation portée par les autorités communautaires et nationales sur les risques liés à ces variétés ;

Considérant, d’autre part, que l’organisme génétiquement modifié BT 11 a fait l’objet d’une décision favorable de la Commission des communautés européennes en date du 22 avril 1998 et d’un "consentement écrit" du gouvernement du Royaume-Uni en date du 9 juin 1998 autorisant la mise en vente de ce maïs à la seule fin de consommation, à l’exclusion de sa mise en culture ; qu’il est constant qu’à la date de la décision attaquée, le gouvernement français avait transmis à la Commission des communautés européennes un avis favorable à l’autorisation de mise en culture de cette variété, après que la commission d’étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire, le 3 décembre 1998, et le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, le 2 octobre 1997, eurent conclu à l’absence de risques prévisibles pour la santé et l’environnement liés à une telle autorisation ; qu’il ressort toutefois des pièces du dossier que dans un avis en date du 30 décembre 1999, l’agence française de sécurité sanitaire des aliments a relevé, d’une part, que le dossier comportait des données insuffisantes concernant la teneur de la plante entière en minéraux, en hydrates de carbone et en polysaccharides, et d’autre part, que des données complémentaires devaient être apportées concernant la présence dans l’ensemble de la plante des protéines introduites par modification génétique ; que si ces éléments sont susceptibles de remettre en cause la transmission de la demande d’autorisation de mise sur le marché à la Commission des communautés européennes avec avis favorable, ils ne sont pas de nature, compte tenu de la très faible proportion de maïs issue de l’espèce BT 11 dans les cultures litigieuses et de l’absence de risque précisément identifié lié à la mise en culture de cette variété, à faire regarder la décision attaquée comme entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation des risques liés à la poursuite desdites cultures ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’alors même que la culture de l’une des variétés génétiquement modifiées contenues dans les lots de semences en cause n’était pas autorisée, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en s’abstenant de prononcer la destruction des cultures litigieuses, l’auteur de l’acte attaqué ait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des risques, ni qu’il ait pris une décision disproportionnée aux risques ainsi appréciés et méconnu le principe de précaution ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requêtes susvisées doivent être rejetées ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de Justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer aux associations requérantes les sommes qu’elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner les requérantes à payer à la société Novartis Seeds les sommes qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er :Les interventions des sociétés Golden-Harvest-Zelder et Novartis Seeds sont admises.

Article 2 : Les requêtes de L’ASSOCIATION GREENPEACE FRANCE et de La Coordination rurale union nationale sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la société Novartis Seeds tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à L’ASSOCIATION GREENPEACE FRANCE, A LA COORDINATION RURALE UNION NATIONALE, à la société Golden-Harvest-Zelder, à la société Novartis Seeds, et au ministre de l’agriculture et de la pêche.

 


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