LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE, siégeant en Commission permanente,
Vu la lettre enregistrée le 24 juillet 2000 sous le numéro
R 27, par laquelle le directeur général de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes a saisi le Conseil
de la concurrence du non-respect des injonctions prononcées par
la décision n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999 ;
Vu le titre IV du code de commerce et le décret n° 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l’application de l’ordonnance
n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à
la liberté des prix et de la concurrence ;
Vu la décision n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999, relative
à une demande de mesures conservatoires de la société
Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché
des tickets et forfaits d’accès aux remontées mécaniques
de la station de Pra-Loup ;
Vu les observations présentées par la société
Transmontagne, la société Agence Alp Azur et le commissaire
du Gouvernement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général suppléant,
le commissaire du Gouvernement, la société Agence Alp Azur
et la société Transmontagne entendus au cours de la séance
du 13 décembre 2000 ;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et
sur les motifs (II) ci-après exposés :
I. - Constatations
A. - L’injonction adressée à la société
TRANSMONTAGNE
Saisi par la société Agence Alp Azur, le 3 novembre 1999,
de pratiques imputées à la société Transmontagne,
le Conseil de la concurrence a constaté, par sa décision
n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999, que l’opacité tarifaire
opposée par la société Transmontagne à la société
Agence Alp Azur, quant aux conditions générales et particulières
appliquées aux tour opérateurs français et étrangers
pour l’accès aux remontées mécaniques, était
de nature à porter une atteinte grave et immédiate au fonctionnement
du secteur des agents de voyage sur la station de Pra-Loup et à
l’intérêt des consommateurs, en empêchant l’une des
deux seules agences de voyages de la station de bâtir des offres
compétitives en ce qui concerne la prestation touristique la plus
demandée, à savoir le forfait séjour + remontées
mécaniques.
En conséquence, le Conseil a enjoint à la société
Transmontagne de communiquer à la société Agence Alp
Azur, dans un délai de quinze jours à compter de la notification
de la décision, ses tarifs et conditions générales
et particulières de vente des forfaits applicables aux professionnels
du tourisme pour la saison 1999/2000 dans la station de Pra-Loup.
La société Transmontagne a accusé réception
de la lettre de notification de la décision du Conseil le 25 janvier
2000, décision qu’elle n’a pas contesté en appel et qui est
devenue définitive.
B. - Les mesures prises par la société TRANSMONTAGNE à
la suite de l’injonction du Conseil
Par lettre adressée le 10 février 2000 à la société
Agence Alp Azur, communiquée au Conseil de la concurrence le 15
février 2000, la société Transmontagne lui a transmis
une série de documents relatifs aux tarifs publics individuels 1999/2000,
aux tarifs groupes et étudiants 1999/2000, aux tarifs tours-opérateurs
1999/2000 enfants et adultes, période rouge, bleue et blanche, et
aux conditions générales de vente aux tours-opérateurs
1999/2000.
C. - La contestation de l’effectivité du respect de l’injonction
du Conseil
Dans sa lettre de saisine du 24 juillet 2000, le directeur général
de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
estime, en se fondant sur les déclarations recueillies dans un rapport
d’enquête établi par ses services, que la société
Transmontagne a reconnu l’existence de conditions particulières
de vente formalisées par un certain nombre d’accords commerciaux
passés avec différents prestataires touristiques. Il constate
que ces accords n’ont pas été transmis à la société
Agence Alp Azur et en déduit que l’injonction prononcée par
le Conseil, qui porte sur la communication des conditions particulières
de vente, n’a pas été totalement respectée.
Il résulte du rapport d’enquête, joint à cette saisine,
que la société Transmontagne négocie, au cas par cas,
avec des tours-opérateurs, des accords commerciaux incluant une
remise sur les tarifs officiels, calculée indépendamment
des remises figurant dans les tarifs publics. L’enquête ainsi menée
a permis d’établir que, selon les accords signés, les tours-opérateurs
concernés peuvent obtenir des remises sur les tarifs officiels de
15 %, 25 %, 35 % et 40 % et que les modalités d’élaboration
de tels accords n’ont pas fait l’objet d’une communication de la société
Transmontagne à la société Agence Alp Azur.
Par un mémoire du 2 octobre 2000, la société Transmontagne
a contesté les affirmations du directeur général de
la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
en précisant qu’elle n’était pas tenue de transmettre chaque
accord individuellement négocié avec chaque tour-opérateur.
Elle soutient qu’une telle exigence va au-delà de l’injonction du
Conseil et qu’elle serait de nature à créer une distorsion
de concurrence en faveur de la société Agence Alp Azur, qui
se trouverait artificiellement sur un pied d’égalité avec
les tours-opérateurs, alors que sa situation est totalement différente.
De plus, la transmission à la société Agence Alp Azur
de la récapitulation de l’ensemble des conditions particulières
consenties aux tours-opérateurs était, selon la société
Transmontagne, impossible, dans la mesure où ce document n’existe
pas, le seul tarif applicable aux tours-opérateurs étant
constitué par la remise de 20 % sur les tarifs publics, les conventions
particulières donnant, ensuite, lieu à des négociations
individuelles. Enfin, ces informations ne seraient pas susceptibles d’être
communiquées à des entreprises en raison du secret des affaires,
la divulgation des conventions individuelles étant de nature à
porter préjudice aux intérêts des clients de la société
Transmontagne.
Dans une lettre adressée au Conseil le 9 novembre 2000, la société
Agence Alp Azur confirme avoir reçu les tarifs publics de la société
Transmontagne, tarifs auxquels s’ajoutait une base de négociation
de 20 %. Elle estime, cependant, qu’elle n’a pas été destinataire
des conditions particulières telles que définies par le Conseil
dans sa décision et que la société Transmontagne a
donc refusé d’appliquer la décision du Conseil.
Par une lettre adressée le 6 octobre 2000, le rapporteur a demandé
à la société Transmontagne de lui communiquer les
actes par lesquels le concédant, compétent en matière
de fixation des prix des prestations de remontées mécaniques,
avait établi les modalités du régime appliqué
aux tours-opérateurs, ainsi que les taux maximum des réductions
pouvant être consentis à ces derniers ; à défaut,
il était demandé à la société Transmontagne
de transmettre tout document fixant et récapitulant sa politique
en la matière. Il a ensuite établi un document intitulé
" rapport faisant suite à une décision d’injonction ", dans
lequel il propose au Conseil de constater que la société
Transmontagne n’a pas respecté l’injonction contenue dans la décision
du 16 décembre 1999 et d’appliquer, par voie de conséquence,
les dispositions de l’article L. 464-3 du code de commerce.
II. - Sur la base des constatations qui précèdent, le
Conseil,
Sur le respect de l’injonction
Considérant qu’aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce
: "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés
de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé
ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction
pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d’inexécution
des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées
à la gravité des faits reprochés, à l’importance
du dommage causé à l’économie et à la situation
de l’entreprise ou de l’organisme sanctionné. Elles sont déterminées
individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné
et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum
de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d’affaires
hors taxe réalisé en France au cours du denier exercice clos.
Si le contrevenant n’est pas une entreprise, le maximum est de 10 000 000
FF. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision
dans les journaux ou publications qu’il désigne, l’affichage dans
les lieux qu’il indique et l’insertion de sa décision dans le rapport
établi sur les opérations de l’exercice par les gérants,
le conseil d’administration ou le directoire de l’entreprise " ; qu’aux
termes de l’article L. 464-3 du même code : " Si les mesures et injonctions
prévues aux articles L. 464-1 et L. 464-2 ne sont pas respectées,
le Conseil peut prononcer une sanction pécuniaire dans les limites
fixées à l’article L. 464-3 " ;
Considérant que, par sa décision susvisée du 16
décembre 1999, le Conseil avait enjoint à la société
Transmontagne de communiquer à la société Agence Alp
Azur ses tarifs et conditions générales et particulières
de vente des forfaits applicables au titre de la saison 1999/2000 pour
la station de Pra-Loup, tant aux tours-opérateurs étrangers
qu’aux professionnels soumis à la loi n° 92-645 du 13 juillet
1992 ; que le Conseil avait ainsi clairement précisé que
la société Transmontagne devait transmettre à la société
Agence Alp Azur l’ensemble des tarifs et conditions de vente pratiqués
à l’égard de toutes catégories de professionnels du
tourisme et pour tout type de produits incluant la vente de forfaits de
remontées mécaniques sur le domaine skiable de la station
de Pra-Loup, et ce, quelles que soient les conditions particulières
ayant abouti à la fixation du prix en question ;
Considérant qu’il ressort de l’instruction, et notamment de la
lecture de la lettre de communication des tarifs, enregistrée au
Conseil le 15 février 2000, ainsi que des documents y annexés
intitulés " TRANSMONTAGNE PRA-LOUP exemple de calcul accord commercial
avec T.O pour domaine complètement ouvert ", que la société
Transmontagne consent, de façon générale, aux tours-opérateurs
intéressés par ses prestations, des remises sur prix publics
établies en fonction du volume des commandes selon une échelle
variant de 6 à 25,5 %, réductions auxquelles s’ajoute la
commission retenue par le professionnel du tourisme, qui varie de 10 à
15 % du prix accordé après réduction ; que le même
document fait état des accords particuliers passés avec certains
tours-opérateurs, sans toutefois que les conditions dans lesquelles
ces accords particuliers peuvent être conclus aient fait l’objet
d’une transmission à la société Agence Alp Azur ;
Considérant qu’il ressort de la lecture des déclarations
recueillies, le 30 mars 2000, par les services de la direction générale
de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
auprès de M. Goirand, directeur de l’établissement de Transmontagne
de Pra-Loup, que le montant des remises accordées aux tours-opérateurs
est différencié selon plusieurs paramètres spécifiques,
tels que les quantités de remises escomptées, la notoriété
et l’image du tour-opérateur, la diffusion de plaquettes d’information
sur la station, les modes de paiement acceptés, le respect des accords
antérieurs, la qualité de la clientèle, les périodes
de fréquentation de la station, ou la présence d’un représentant
permanent sur place ; qu’il a été précisé par
M. Goirand que l’ensemble de ces critères formait des conditions
particulières de vente ; que, cependant, ces conditions particulières
ne sont nullement reprises dans le document intitulé " Conditions
générales de vente aux regroupeurs de clientèle ",
transmis le 10 février 2000 à la société Agence
Alp Azur ; que, de plus, la société Transmontagne a indiqué,
dans sa lettre susmentionnée du 2 octobre 2000, qu’elle n’avait
pas procédé à la transmission des différents
tarifs établis individuellement après négociation
auprès de certains tours-opérateurs, négociation menée
en prenant en compte les paramètres ci-dessus énumérés
;
Considérant, de surcroît, qu’aucune disposition du contrat
d’exploitation signé le 22 décembre 1994 entre la société
d’économie mixte " Ubaye Développement ", gestionnaire du
service public des remontées mécaniques du domaine skiable
de Pra-Loup, et la société Transmontagne, n’autorise cette
dernière à procéder à la fixation des tarifs
et conditions générales et particulières de vente
des forfaits de remontée mécanique de la station ; que, conformément
aux dispositions de l’article 8 du contrat de délégation
signé le 22 décembre 1994 entre le Syndicat mixte pour l’aménagement
de Pra-Loup et la société " Ubaye Développement ",
pour l’exploitation des remontées mécaniques de la station
de Pra-Loup, il revient à l’autorité organisatrice, à
savoir le Syndicat mixte pour l’aménagement de Pra-Loup, d’établir
et de réviser, sur proposition de l’exploitant, tous les tarifs
d’accès aux engins de remontées mécaniques ; que,
dans ces conditions, la société Transmontagne, qui était
tenue de faire approuver par le Syndicat mixte pour l’aménagement
de Pra-Loup, tant les modalités spécifiques et le taux maximum
de réduction pouvant être consentis à certains tours-opérateurs,
que les conditions particulières d’accès à ces réductions,
ne peut sérieusement prétendre, pour s’exonérer des
obligations mises à sa charge par la décision du 16 décembre
1999, que la confection d’un document récapitulatif, qu’elle était
tenue de transmettre, était impossible ;
Considérant, au surplus, que, contrairement à ce que soutient
la société Transmontagne, la communication d’un tel document,
qui fixe le cadre général ainsi que le montant maximum des
réductions pouvant être consenties à des tours-opérateurs
particuliers, ne porte nullement atteinte au secret des affaires, une telle
communication n’impliquant nullement la transmission des conventions individuelles
établies sur son fondement ;
Considérant, enfin, que, compte tenu des obligations imposées
à la société Transmontagne, à titre conservatoire,
par le Conseil, dans sa décision du 16 décembre 1999 et du
caractère définitif de ladite décision, la discussion,
élevée par la société Transmontagne sur les
conditions dans lesquelles la société Agence Alp Azur est
susceptible d’intervenir sur le marché de référence
est inopérante, car relevant de l’appréciation devant être
soumise au Conseil dans le cadre de l’examen du dossier de fond enregistré
sous le numéro F 1179 ;
Considérant, en conséquence, que, compte tenu des éléments
ci-dessus évoqués, il y a lieu de constater que la société
Transmontagne ne s’est pas conformée à l’injonction prononcée
par le Conseil le 16 décembre 1999, qu’elle n’a exécuté
que partiellement, en omettant volontairement de transmettre à la
société Agence Alp Azur les modalités d’établissement
des tarifs particuliers consentis par elle à certains tours-opérateurs
; que la volonté manifestée, tardivement, par la société
Transmontagne, d’aboutir à un accord transactionnel avec la société
Agence Alp Azur, volonté qui n’avait d’ailleurs pas donné
lieu, à la date de la séance du Conseil du 13 décembre
2000, à la fourniture d’un document écrit, ne peut exonérer
la société mise en cause du non-respect volontaire de la
décision n° 99-MC-10 du Conseil de la concurrence ;
Considérant, à cet égard, que si, lors de la séance
du 13 décembre 2000, la société Agence Alp Azur a
déclaré, compte tenu de la mise au point d’un protocole d’accord
transactionnel, se désister de l’instance qu’elle avait engagée
devant le Conseil de la concurrence et a confirmé son intention
par écrit, cette circonstance est sans influence sur la suite à
donner à la présente instance, engagée par le ministre
de l’économie, des finances et de l’industrie sur le fondement des
dispositions de l’article L. 464-3, précité, du code de commerce
;
Considérant que le chiffre d’affaires hors taxe réalisé
en France au titre de l’année 1999 par la société
Transmontagne s’établit à un montant de 91 401 819 F ; que,
compte tenu du comportement de la société Transmontagne,
du fait que cette société est le seul opérateur de
remontées mécaniques de la station de Pra-Loup, de ses obligations
découlant de sa qualité de gestionnaire d’un service public
en ce qui concerne le respect du principe d’égal accès des
différents usagers audit service et du dommage à l’économie
résultant de la quasi-cessation d’activité de la société
Agence Alp Azur sur le marché des remontées mécaniques
de la station de Pra-Loup, telle qu’elle a été constatée
par le Conseil dans sa décision du 16 décembre 1999 et dont
cette dernière a confirmé la persistance dans son mémoire,
il y a lieu d’infliger à la société Transmontagne
une sanction pécuniaire d’un montant de 250 000 F,