CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 293989
Mme R.
M. Denis Prieur
Rapporteur
M. Nicolas Boulouis
Commissaire du gouvernement
Séance du 16 juin 2008
Lecture du 11 juillet 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er juin et 25 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Micheline R. ; Mme R. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 27 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 20 décembre 2004 par laquelle le directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CNRACL) lui a refusé le bénéfice du reclassement et de la révision de sa pension ;
2°) statuant au fond, d’annuler la décision du 20 décembre 2004 ;
3°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations le versement de la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;
Vu le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 modifié ;
Vu le décret n° 2003-678 du 23 juillet 2003 ;
Vu le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Denis Prieur, Conseiller d’Etat,
les observations Me Blanc, avocat Mme Micheline R. et Me Odent, avocat de la caisse des dépôts et consignations,
les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 66 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites : " Les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite entrent en application, dans leur rédaction issue des articles 42 à 64, dans les conditions suivantes : (.) IV.- Des décrets en Conseil d’Etat prévoient, selon les conditions fixées à l’article L. 16 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2004, la révision des pensions concédées aux fonctionnaires et à leurs ayants cause à la date de suppression de leurs corps ou grades lorsqu’une réforme statutaire, intervenue avant le 1er janvier 2004, a décidé leur mise en extinction. (.) " ; qu’aux termes de l’article 40 de la même loi : " Les dispositions des articles 42 à 64 et 66 de la présente loi sont applicables aux fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (.) dans des conditions déterminées, en tant que de besoin, par décret en Conseil d’Etat. " ; qu’aux termes de l’article 65 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales : " Les dispositions transitoires ci après sont applicables dans les conditions suivantes : (.) IV.- Des décrets en Conseil d’Etat prévoient . la révision des pensions concédées aux fonctionnaires et à leurs ayants cause à la date de suppression de leurs corps ou grades lorsqu’une réforme statutaire, intervenue avant le 1er janvier 2004, a décidé leur mise en extinction. " ;
Considérant, d’autre part, que l’article 1er du décret du 23 juillet 2003 modifiant certaines dispositions statutaires relatives aux puéricultrices territoriales et transformant le cadre d’emplois des coordinatrices territoriales d’établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans en cadre d’emplois des puéricultrices cadres territoriaux de santé a inséré dans le décret du 28 août 1992 portant statut particulier du cadre d’emploi des puéricultrices territoriales un article 36-1 en vertu duquel les pensions des fonctionnaires retraités avant l’intervention du décret du 23 juillet 2003 ainsi que celles de leurs ayants cause sont révisées dans les conditions fixées par ce décret à la fin des opérations de reclassement des personnels actifs ; que l’article 3 du même décret a inséré dans le décret du 28 août 1992 portant échelonnement indiciaire applicable aux puéricultrices territoriales un article 27-8 aux termes duquel : " Les puéricultrices titulaires du grade provisoire de puéricultrice hors classe . sont intégrées dans le grade de puéricultrice cadre de santé dans les conditions définies par les dispositions des alinéas suivants (.) / L’intégration s’effectue après inscription sur une liste d’aptitude et avis de la commission administrative paritaire : - au premier jour du troisième mois suivant l’entrée en vigueur du décret (.) du 23 juillet 2003, pour les deux-tiers au moins de l’effectif du grade provisoire de puéricultrice hors classe déterminé au premier alinéa ; - au 1er janvier 2004 au plus tard pour la totalité de l’effectif du grade provisoire de puéricultrice hors classe mentionné au premier alinéa " ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme R., puéricultrice de la fonction publique territoriale, a pris sa retraite le 1er septembre 2000 après avoir atteint le 7ème échelon du grade de puéricultrice hors classe ; que le 29 novembre 2004, elle a demandé au directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CNRACL) à bénéficier, en application de l’article 36-1 du décret n° 92-859 du décret du 28 août 1992 modifié inséré après l’article 36 par le X de l’article 1er du décret du 23 juillet 2003, de son reclassement dans le grade de puéricultrice cadre de santé et de la révision en conséquence de sa pension de retraite ; que sa demande a été rejetée le 20 décembre 2004 au motif que l’article 51 de la loi du 21 août 2003 avait écarté tout autre mode de révision des retraites que celui résultant de l’évolution des prix à la consommation et s’appliquait désormais à sa situation ; que, par une requête du 22 février 2005, Mme R. a saisi le tribunal administratif de Versailles d’un recours dirigé contre cette décision de refus ; que, par un jugement du 27 avril 2006, le tribunal, après avoir relevé que l’ancien article L. 16 du code des pensions civiles et militaires de retraites était resté applicable en vertu des dispositions transitoires prévues par le IV de l’article 66 de la loi du 21 août 2003, a, pour confirmer la décision contestée, substitué le motif selon lequel l’intéressée ne remplissait pas les conditions prévues par ces dispositions, lesquelles en subordonnent l’application de à " la suppression des corps et grades ", ce qui n’était pas le cas en l’espèce ; que Mme R. se pourvoit en cassation contre ce jugement ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les moyens du pourvoi :
Considérant qu’il résulte des dispositions précitées du IV de l’article 66 de la loi du 21 août 2003 reprises, s’agissant des fonctionnaires territoriaux, au IV de l’article 65 du décret du 26 décembre 2003 précité, que les dispositions à caractère transitoire qui y sont prévues ne peuvent trouver à s’appliquer que dans les cas où une réforme statutaire, intervenue avant le 1er janvier 2004, est mise en œuvre sur une période s’étendant au-delà de cette date et où certains agents concernés ne voient leur situation modifiée sous l’effet de la réforme qu’après le 1er janvier 2004 ; qu’il ressort des dispositions du décret du 23 juillet 2003 qui a modifié les dispositions statutaires applicables aux puéricultrices territoriales que l’achèvement des opérations d’intégration et de reclassement des puéricultrices territoriales en activité dans le nouveau cadre d’emplois des puéricultrices cadres territoriaux de santé intervient, pour la totalité de l’effectif du grade provisoire de puéricultrice hors classe, au plus tard le 1er janvier 2004 ; qu’ainsi, les dispositions applicables à la demande de reclassement présentée par Mme R. sont celles qui s’appliquaient avant l’intervention de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites ; que, par suite, le tribunal administratif de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que la requérante ne pouvait s’en prévaloir ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme R. est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut " régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie " ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’ainsi qu’il vient d’être dit, la demande de reclassement et de révision subséquente de sa pension présentée par Mme R. devait être examinée au regard des dispositions applicables antérieurement à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2004, de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites ; qu’en l’espèce, ces dispositions sont celles qui résultent des termes de l’article 16 bis du décret du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2004, selon lesquels : " Lors de la constitution initiale des cadres d’emploi de la fonction publique territoriale prévus à l’article 4 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée ou en cas de réforme statutaire concernant ces cadres d’emplois, l’indice de traitement mentionné à l’article 15 est fixé, par dérogation à l’article 16, conformément à des règles d’assimilation déterminées dans le décret établissant ou réformant le statut particulier de ces cadres d’emplois. " ; qu’il résulte de ce qui précède que le directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CNRACL) n’a pu légalement refuser à Mme R. de procéder à la révision de sa pension selon les modalités prévues par le nouvel article 36-1 inséré dans le décret du 28 août 1992 portant statut particulier du cadre d’emploi des puéricultrices territoriales au motif que les dispositions dont elle invoquait le bénéfice avaient été supprimées par la loi du 21 août 2003 ; qu’il y a lieu, dès lors, d’annuler cette décision de refus ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé. " ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et d’enjoindre au directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CNRACL) de prendre, après une nouvelle instruction, à nouveau une décision sur la demande de Mme R. dans un délai de deux mois ;
Considérant, enfin, qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations le versement à Mme R. de la somme de 3 000 euros que demande celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 27 avril 2006 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : La décision du 20 décembre 2004 du directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CNRACL) est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au directeur de la Caisse des dépôts et consignations de prendre dans un délai de deux mois, après une nouvelle instruction, une décision sur la demande de Mme R..
Article 4 : La Caisse des dépôts et consignations versera la somme de 3 000 euros à Mme R. en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Micheline R. et à la Caisse des dépôts et consignations.