CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 250560
SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES
M. Hassan
Rapporteur
Mme Mitjavile
Commissaire du gouvernement
Séance du 14 janvier 2004
Lecture du 6 février 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 septembre 2002 et 27 janvier 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES, dont le siège est 11/17, rue Hamelin à Paris Cedex 16 (75783) ; le SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision n° 3 du 4 juillet 2002 de la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle relative à la rémunération pour copie privée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment ses articles 87 et 88 ;
Vu la directive 2001/209/CE du parlement européen et du conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Hassan, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du ministre de la culture et de la communication et de la SCP Thomas-Raquin, Bénabent, avocat de la société Sorecop et de la société Copie France,
les conclusions de Mme Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle : "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite" ; qu’aux termes de l’article L. 122-5 du même code : "Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (.) 2° les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l’exception des copies des oeuvres d’art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l’œuvre originale a été créée et des copies d’un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l’article L. 122-6-1 ainsi que des copies ou reproductions d’une base de données électronique" ; qu’en vertu de l’article L. 211-3 du même code, les bénéficiaires des droits voisins du droit d’auteur "ne peuvent interdire : (.) 2° les reproductions strictement réservées à l’usage privé de la personne qui les édite et non destinées à une utilisation collective" ;
Considérant que les reproductions autorisées au titre de la copie privée font l’objet d’une rémunération prévue aux articles L. 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle ; qu’aux termes de l’article L. 311-1 dans sa rédaction alors en vigueur : "Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisées dans les conditions mentionnées au 2° de l’article L. 122-5 et au 2° de l’article L. 211-3" ; qu’aux termes de l’article L. 311-4 : "La rémunération prévue par l’article L. 311-3 est versée par le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3° du 1 de l’article 256 bis du code général des impôts, de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes lors de la mise en circulation en France de ces supports. Le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée d’enregistrement qu’il permet" ; qu’en vertu de l’article L. 311-5, "les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission (.)" ;
Considérant que le SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES demande l’annulation de la décision du 4 juillet 2002 par laquelle la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a assujetti certains supports d’enregistrement intégrés à des appareils électroniques ;
Considérant qu’aux termes de l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne : "1. Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions." ; et qu’aux termes de l’article 88 du même traité : "(.) 3. La Commission est informée en temps utile pour présenter ses observations des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l’article 92, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’Etat membre ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale" ;
Considérant qu’aux termes des stipulations du 2. de l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information : "Les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction (.) : b) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non application des mesures techniques visées à l’article 6 aux oeuvres ou objets concernés" ;
Considérant, d’une part, que la décision litigieuse a pour seul objet, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, d’assurer une compensation équitable en faveur des titulaires de droits, à laquelle la directive précitée du 22 mai 2001 subordonne la possibilité d’excepter la copie privée ; qu’elle ne saurait par suite être considérée comme compromettant sérieusement la réalisation des objectifs de cette directive ;
Considérant, d’autre part, que la décision litigieuse, qui ne saurait être regardée comme ayant créé une imposition, a instauré cette compensation au travers de la rémunération directe, par les personnes qui mettent en circulation en France certains supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes, des sociétés représentant les titulaires des droits d’auteur ou de droits voisins ; que la circonstance que la décision dont il s’agit n’a pas fixé de rémunération en ce qui concerne les supports d’enregistrement intégrés dans certaines catégories d’appareils informatiques n’a pas pour effet de transformer le dispositif institué en une aide d’Etat en faveur de l’industrie informatique ; que le syndicat requérant n’est par suite pas fondé à soutenir que la décision litigieuse avait dû être notifiée à la commission européenne, en application des stipulations précitées du 3 de l’article 88 du traité instituant la Communauté européenne ;
Considérant que, pour les mêmes raisons que celles indiquées ci-dessus, la circonstance que la rémunération pour copie privée ne soit pas définie par la décision attaquée pour les disques durs d’ordinateurs, alors qu’elle est fixée pour les téléviseurs, ne peut être regardée comme créant une rupture illégale du principe d’égalité devant les charges publiques ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision attaquée ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de condamner le SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES à verser la somme de 4 000 euros à l’Etat, la somme de 1 500 euros à la société Sorecop et la somme de 1 500 euros à la société Copie France ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête du SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES est rejetée.
Article 2 : Le SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES versera la somme de 4 000 euros à l’Etat, la somme de 1 500 euros à la société Sorecop et la somme de 1 500 euros à la société Copie France.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT DES INDUSTRIES DE MATERIELS AUDIOVISUELS ELECTRONIQUES, au ministre de la culture et de la communication, à la société Sorecop, à la société Copie france et à l’institut national de la propriété industrielle.