CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 245076
ASSOCIATION "AVENIR DE LA LANGUE FRANÇAISE"
Mme Ducarouge
Rapporteur
M. Lamy
Commissaire du gouvernement
Séance du 7 juillet 2003
Lecture du 30 juillet 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’ASSOCIATION "AVENIR DE LA LANGUE FRANÇAISE", représentée par son Président, M. Bernard D. ; l’ASSOCIATION "AVENIR DE LA LANGUE FRANÇAISE" demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de la culture et de la communication a rejeté son recours gracieux dirigé contre la circulaire du 20 septembre 2001 du ministre de la culture et de la communication, du secrétaire d’Etat au budget et du secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l’artisanat et à la consommation relative à l’application de l’article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 2 et 55 ;
Vu le traité instituant l’Union européenne ;
Vu la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique
le rapport de Mme Ducarouge, Conseiller d’Etat,
les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de la requête ;
Considérant que l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires, l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en ceuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme supérieure ;
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française : « Dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue ou des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ... l’emploi de la langue française est obligatoire » ; que l’avant-dernier alinéa de la circulaire attaquée du 20 septembre 2001 signée par le ministre de la culture et de la communication, le secrétaire d’Etat au budget et le secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l’artisanat et à la consommation indique que l’article 2 de la loi du 4 août 1994 "ne fait pas obstacle à la possibilité d’utiliser d’autres moyens d’information, tels que dessins ou pictogrammes, pouvant être accompagnés de mentions en langue étrangère non traduites en français" ; qu’il ressort des termes mêmes du mémoire en défense présenté devant le Conseil d’Etat par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie que les ministres signataires de cette circulaire ont entendu « aménager » les dispositions de la loi du 4 août 1994 afin de « rendre le droit national conforme à l’article 30 du traité de Rome », aujourd’hui devenu article 28 du traité instituant l’Union Européenne, « tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes » ;
Considérant que s’il appartient aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, d’exercer les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi en donnant à celle-ci, dans tous les cas où elle se trouve dans le champ d’application d’une règle communautaire, une interprétation qui, dans la mesure où son texte le permet, soit conforme au droit communautaire, et notamment aux objectifs fixés par les directives du Conseil, et s’il appartient, le cas échéant, aux ministres, dans l hypothèse où des dispositions législatives se révéleraient incompatibles avec des règles communautaires, de donner instruction à leurs services de n’en point faire application, les ministres ne peuvent en revanche trouver dans une telle incompatibilité un fondement juridique les habilitant à édicter des dispositions de caractère réglementaire qui se substitueraient à ces dispositions législatives ;
Considérant que par les dispositions critiquées de la circulaire, le ministre de la culture et de la communication, le secrétaire dEtat au budget et le secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l’artisanat et à la consommation ne se sont pas bornés à interpréter la loi du 4 août 1994 ; qu’ils n’ont pas davantage donné instruction à leurs services de ne pas faire application de l’article 2 de cette loi dans la mesure où il pouvait être incompatible avec certaines directives communautaires ; qu’ils ont, en revanche, fixé une règle nouvelle, de caractère impératif, qu’ils n’avaient pas compétence pour édicter ; que les dispositions attaquées doivent par suite être annulées pour incompétence ;
Considérant, au surplus, que seules certaines directives du Conseil, telles qu’interprétées par la Cour de justice notamment dans ses arrêts C-369/89 du 18 juin 1991 dit "Piageme I", C-85/94 du 12 octobre 1995 dit "Piageme II" et C-385/96 du 14 juillet 1998 Goerres, imposent, pour des produits déterminés que l’information du consommateur soit effectuée dans une langue compréhensible pour lui ou assurée par d’autres mesures, tandis que d’autres directives optent pour les langues nationales ou les langues officielles des Etats-membres, notamment en ce qui concerne les dénominations textiles, les produits cosmétiques, les détergents, les jus de fruits ou la sécurité des jouets ; qu’ainsi les dispositions critiquées de la circulaire excèdent, par la généralité de leurs termes, les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs poursuivis par ces dernières directives ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ASSOCIATION "AVENIR DE LA LANGUE FRANÇAISE" est fondée à demander l’annulation de cette disposition de la circulaire seule critiquée, laquelle ne forme pas avec ses autres dispositions, purement interprétatives, un tout indivisible, ensemble l’annulation de la décision implicite refusant, dans cette mesure, de l’abroger ;
D E C I D E :
Article 1er : L’avant-dernier alinéa de la circulaire du 20 septembre 2001 relative à l’application de l’article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, en tant qu’il indique que l’article 2 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française ne fait pas obstacle à la possibilité d’utiliser d’autres moyens d’information, tels que dessins ou pictogrammes, pouvant être accompagnés de mentions en langue étrangère non traduites en français, ensemble la décision implicite par laquelle le ministre de la culture et de la communication a rejeté le recours gracieux dirigé par l’ASSOCIATION "AVENIR DE LA LANGUE FRANÇAISE" contre ladite circulaire, sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION "AVENIR DE LA LANGUE FRANÇAISE", au ministre de la culture et de la communication et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.