Vers une réforme impossible des sondages d’opinion en période électorale ?

Le 16 janvier 2002 devrait être présenté en Conseil des ministres un projet de loi relatif à la diffusion des sondages d’opinion en période électorale. Ce texte viendrait corriger les effets "pervers" de la jurisprudence Amaury de la Cour de cassation.

L’article 11 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, énonce que "pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l’article 1er". Suite à de nombreuses oppositions au sein de la juridiction judiciaire, la Cour de cassation a tranché la question de la compatibilité de cette interdiction avec les principes posés par la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans la décision Amaury en date du 4 septembre 2001, la Cour de cassation relève que selon l’article 10 de la Convention européenne, toute personne a droit à la liberté d’expression. L’exercice de ce droit, qui comprend, notamment, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ne peut comporter de conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi que lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

En conséquence, "en interdisant la publication, la diffusion et le commentaire, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage d’opinion en relation avec l’une des consultations visées par l’article 1er de la loi du 19 juillet 1977, les textes fondant la poursuite instaurent une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des informations qui n’est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l’article 10.2 de la Convention susvisée".

Le juge a donc écarté l’application "judiciaire" de cet article 11 de la loi de 1977. L’effet direct est de permettre aux journalistes de diffuser et de commenter tout sondage d’opinion relatif à une élection et cela pendant l’ex-période interdite - à savoir la semaine précédant chaque tour de scrutin.

Seulement, et nous l’avons remarqué dans une rapide chronique, cette jurisprudence va avoir des effets pervers du point de vue "électoral". En effet, le juge administratif ne reconnaît aucune incompatibilité entre l’article 11 de la loi de 1977 et la Convention européenne et, en conséquence, peut-être amené à sanctionner "électoralement" un candidat qui aurait diffusé un sondage le mettant en scène. Cette possibilité ne relève pas de la pure fiction juridique, le Conseil d’Etat ayant déjà prononcé une telle annulation en 1984.

C’est pourquoi, afin de tenir compte de cette dimension "électorale", le Gouvernement - sous l’impulsion du président du Conseil constitutionnel et de la Commission des sondages (siégeant au Conseil d’Etat) - a décidé de présenter un projet de loi venant modifier la loi de 1977, mais également adoucir l’impact de la jurisprudence Amaury.

Selon Jean-Jacques Queyranne, ministre chargé des relations avec le Parlement, le texte envisage "d’autoriser la publication des sondages jusqu’au vendredi qui précède le scrutin, à minuit". Pour le ministre, "il s’agit de permettre que l’acte de vote se fasse sans l’interférence des multiples sondages qui peuvent troubler le choix définitif de l’électeur", et "tout le monde entend respecter ce temps de réflexion".

Ce texte résoudra-t-il tous les problèmes ? En effet, dans sa décision en date du 4 septembre 2001, la Cour de cassation n’a pas sanctionné l’interdiction au motif que la période interdite était trop longue, mais sur le fondement de l’atteinte à la liberté de recevoir et de communiquer des informations. En conséquence, en instaurant une nouvelle interdiction - certes plus limitée dans le temps - l’atteinte aux libertés énoncées reste bien présente. Le juge judiciaire - appelé à connaître des litiges résultant de l’application des futures dispositions - pourrait être amené à sanctionner de nouveau l’interdiction sur le même fondement.

Dans l’affirmative, et en l’absence de toute unification des positions jurisprudentielles, l’interdiction de diffusion des sondages pourrait être sanctionnée uniquement par le juge électoral. Etant donné que la violation (d’un point de vue électoral) pourrait émaner de personnes extérieures sur lequel le candidat n’a aucun contrôle (en l’espèce les journalistes), le juge des élections devrait, à mon sens, restreindre la portée de l’interdiction et ne sanctionner que la diffusion par le candidat ou son équipe des sondages électoraux pendant la période interdite.

Au final, il n’est pas tellement nécessaire d’avoir une modification profonde de la législation applicable, puisque toute interdiction de diffusion des sondages est susceptible d’être prohibée par le juge judiciaire. Il revient plutôt au juge des élections de modifier son contrôle et d’encadrer strictement la diffusion par le seul candidat desdits sondages.

Reste également à savoir quelle position adopterait la Cour européenne des droits de l’homme, saisie à la suite d’une condamnation électorale prononcée par le juge administratif. (BT)

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Citation : Vers une réforme impossible des sondages d’opinion en période électorale ?, in Rajf.org, brève du 4 janvier 2002
http://www.rajf.org/spip.php?breve184