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31 juillet 2002

Egalité des sexes : le Conseil d’Etat pose le principe de l’égalité des bonification

Tirant les conséquences d’un arrêt du 29 novembre 2001 de la Cour de justice des communautés européennes, le Conseil d’Etat vient de faire droit à la demande d’un fonctionnaire qui souhaitait bénéficier de la bonification pour l’éducation des enfants, jusqu’alors réservée aux "femmes fonctionnaires" (29 juillet 2002, n° 141112, M. Joseph Griesmar). Une décision qui fait déjà l’objet de nombreuses critiques et interrogations.

Le requérant, M. Griesmar est magistrat, père de trois enfants. Un arrêté en date du 1er juillet 1991 lui a concédé une pension de retraite en totalité mais en ne prenant pas en compte trois annuités au titre de l’article L. 12 b) du Code des pensions civiles et militaires de retraite. Cette disposition réserve aux seules femmes le bénéfice de la bonification d’une annuité par enfants. Estimant que cette disposition est contraire aux principes fondateurs du droit européen et repose sur une discrimination fondée sur le sexe, le requérant a saisi la justice.

Dans une première décision en date du 28 juillet 1999 (n° 141112), le Conseil d’Etat a soulevé une question préjudicielle devant la Cour de justice des Communautés européennes afin d’obtenir l’appréciation de la compatibilité de la disposition française avec les normes de valeur communautaire. Ainsi, le juge français souhaitait connaître tout d’abord, le champ d’application de l’article 119 du Traité de Rome qui précise que "chaque Etat membre assurer et maintient l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins" et notamment savoir si les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires sont au nombre des rémunérations visées par cette disposition. Par ailleurs, le juge demande à la CJCE d’apprécier, le cas échéant, la compatibilité de l’article L. 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite avec les précisions apportées par l’article 6§3 de l’accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale.

Dans un arrêt en date du 29 novembre 2001 (affaire C-366/99), la CJCE a estimé que "le principe de l’égalité des rémunérations est méconnu par une disposition telle que l’article L. 12, sous b) du code des pensions civiles et militaires de retraite, en ce qu’elle exclut du bénéfice de la bonification qu’elle instaure pour le calcul des pensions de retraite les fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants".

Tirant les conséquences de cet arrêt, le Conseil d’Etat a précisé dans son arrêt du 29 juillet 2002 que "le b) de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraire qui institue, pour le calcul de la pension, une bonification d’ancienneté d’un an par enfant dont il réserve le bénéfice aux "femmes fonctionnaires" (...) est incompatible avec le principe d’égalité des rémunérations tel qu’il est affirmé par le Traité instituant la Communauté européenne".

Seulement, plusieurs zones de flou apparaissent lors de la comparaison de deux décisions. Dans sa décision du 29 novembre 2001, la CJCE avait réservé le bénéfice de la bonification aux seuls "fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l’éducation de leurs enfants". Erwan Royer, chargé de formation, indiquait au sein de la dernière livraison de l’AJDA que "le juge communautaire établit par cette précise une distinction entre les femmes et les hommes fonctionnaires, seuls les seconds devant faire la preuve qu’ils ont effectivement assumé l’éducation de leurs enfants pour percevoir la bonification". Seulement, le Conseil d’Etat par la voix de son Commissaire du gouvernement n’a pas suivi ce chemin.

En effet, Francis Lamy estime qu’aucune preuve ne doit être rapportée par le requérant dès lors que les articles 371-2 et 203 du Code civil posent une présomption selon laquelle les parents assument l’éducation de leurs enfants. En conséquence, il semblerait que ce soit à l’administration d’apporter la preuve que l’homme fonctionnaire n’a pas assuré ladite obligation. Cette position est totalement opposée à celle affirmée par la CJCE qui, pour atténuer les conséquences économiques de l’incompatibilité, affirmait "qu’il n’est pas établi que le nombre de fonctionnaires masculins retraités en mesure de prouver qu’ils ont assumé l’éducation de leurs enfants est de nature à provoquer des répercussions économiques graves".

Et justement, les conséquences financières sont bien présentes, puisque d’ores et déjà estimées entre 450 et 760 millions d’euros. Néanmoins, le Conseil d’Etat semble avoir trouvé une parade afin d’atténuer l’impact de ce bouleversement.

En effet, le juge précise, dans le corps de sa décision, que "la demande de révision de la pension (a été formulée) dans le délai d’un prévu à l’article L. 55 du code des pensions civiles et militaires". Cet article prévoit en effet que "la pension et la rente viagère d’invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l’initiative de l’administration ou sur demande de l’intéressé que dans les conditions suivantes (...) dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d’erreur de droit".

Ainsi, seuls les fonctionnaires qui se sont vus notifié la décision voici moins d’un an pourraient bénéficier du principe posé par le Conseil d’Etat, atténuant ainsi fortement l’effet rétroactif de la mesure. Cette échappatoire pourrait n’être que temporaire puisque la CJCE elle-même indiquait au mois de novembre 2001 "que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets dans le temps de cet arrêt".

Face aux nombreuses conséquences, il est évidemment que d’importants contentieux vont apparaître devant les juridictions administratives. Deux positions s’affronteront alors : limitation de rétroactivité en échange d’une présomption de participation à l’éducation des enfants (position du juge français) ou, rétroactivité soumise à une obligation de rapporter la preuve de l’éducation des enfants (position du juge communautaire).

Cette "égalité sans concession" [Annie Fitte-Duval, l’égalité sans concessions, in AJFP 2002-1] risque d’une part de faire couler beaucoup d’encre, Pierre Boutelet, Professeur à l’Université de Bourgogne indiquant à propos de l’arrêt de la CJCE que cette décision est "l’illustration d’un débat juridique biaisé et hypocrite, se soldant par la mort sans gloire d’une disposition du droit des pensions (...) parce que personne, en réalité, ne l’aura défendu, notamment en cherchant à établir sa raison d’être" [Pierre Boutelet, la volonté du législateur national présumée par le juge communautaire in AJFP 2002-1]. Mais également, a contrario, cette décision pourrait donner des ailes à l’ensemble des salariés du secteur privé où une telle différence de traitement est également présente. (BT)

 


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